Espace et violence dans « La Femme adultère » d’Albert Camus

الفضاء والعنف في « المرأة الزانية » لألبير كامو

Space and Violence in Albert Camus’s The Adulterous Woman

Hacène Arab

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Hacène Arab, « Espace et violence dans « La Femme adultère » d’Albert Camus », Aleph [En ligne], mis en ligne le 23 décembre 2025, consulté le 24 décembre 2025. URL : https://aleph.edinum.org/15570

Cet article propose une lecture de « La Femme adultère » d’Albert Camus en considérant l’espace (ville arabe, autocar, fort, désert, terrasse nocturne) non comme un simple décor, mais comme un opérateur de violence et de subjectivation. À partir d’une approche d’analyse textuelle attentive aux isotopies, aux seuils et aux découpages topologiques, l’étude met en évidence trois dynamiques : (1) la construction discursive de « l’Arabe » comme présence silencieuse, souvent dissoute dans le paysage, qui reconduit une asymétrie coloniale et une incommunicabilité structurante; (2) le désert comme espace du conflit, à la fois interdit et fascinant, où s’éprouve la crise intime de Janine et la possibilité d’une transgression symbolique; (3) le rôle des couleurs (bleu, blanc, rouge) dans la production d’une scène visuelle tendue, où la description spatiale charrie une violence latente. L’ensemble conduit à interroger la manière dont la nouvelle articule expérience sensible, frontières spatiales et rapports de domination.

يقدّم هذا المقال قراءةً تحليليةً لقصة « المرأة الزانية » لألبير كامو، انطلاقًا من اعتبار الفضاء (المدينة العربية، الحافلة، الحصن، الصحراء، سطح المدينة ليلًا) ليس خلفيةً سردية، بل مُشغِّلًا دلاليًا للعنف ولتشكّل الذات. وبالاعتماد على مقاربة نصّية تُعنى بالعتبات، وبالتقطيع الطوبولوجي، وبالحقول الدلالية المتكرّرة، يكشف البحث ثلاث حركيات مترابطة : (1) بناء صورة « العربي » بوصفه حضورًا صامتًا غالبًا ما يذوب في المشهد، بما يرسّخ لا تكافؤًا استعماريا ويؤسّس لقطيعة تواصلية؛ (2) تشكّل الصحراء فضاءً للصراع، محرَّمًا وجاذبًا في آن، تُختبر فيه أزمة جانين الداخلية وإمكان تجاوزٍ رمزي؛ (3) اشتغال الألوان (الأزرق، الأبيض، الأحمر) في توليد مشهد بصري متوتر، تُحمل فيه أوصاف المكان على عنفٍ كامن. وتخلص الدراسة إلى مساءلة كيفية تداخل التجربة الحسّية مع الحدود المكانية وعلاقات الهيمنة داخل بنية القصة.

This article offers a close reading of Albert Camus’s “The Adulterous Woman” by treating space (the “Arab town,” the bus, the fort, the desert, the night terrace) not as background but as an active operator of violence and subject formation. Drawing on a text-based approach attentive to spatial thresholds, topological partitioning, and semantic patterns, the study highlights three intertwined dynamics: (1) the discursive construction of “the Arab” as a silent presence, frequently merged into the landscape, which sustains colonial asymmetry and a structurally blocked communication; (2) the desert as a conflictual space — both forbidden and alluring — where Janine’s intimate crisis is staged and where a symbolic transgression becomes thinkable; (3) the function of color (blue, white, red) in producing a visually charged scene in which spatial description carries latent violence. The analysis ultimately questions how the short story binds sensory experience, spatial boundaries, and relations of domination.

Introduction

La présente étude de la nouvelle d’Albert Camus, « La Femme adultère »1, se veut une réponse à une interrogation principale que l’on peut formuler ainsi  : comment le paysage du désert détermine l’existence du personnage principal Janine dans l’espace d’une colonie et participe à son processus d’individuation ? Notre lecture mettra aussi l’accent sur le dépaysement de ce personnage qui se retrouve dans une ville où les limites dressées entre quartiers européens et ville musulmane sont poreuses. Elle découvre une « ville arabe » où aucune ségrégation n’est imposée. Cela va renforcer sa volonté de rentrer chez elle et son rejet des autres auxquels elle dénie le droit de régner sur un aussi vaste territoire. Enfin, nous tenterons, à la suite de nombreuses interprétations, d’interpréter à notre tour la fonction que Camus donne à une ville arabe configurée dans un paysage désertique.

Méthode — Nous adoptons une lecture rapprochée (analyse lexicale et isotopique, attention aux seuils, aux déplacements, aux effets de focalisation), articulée à une sociocritique des représentations coloniales. Lorsque nous employons « Arabe(s) », nous désignons la catégorie discursive construite par le texte et par le regard de Janine (et non une essence ethnoculturelle). Édition de référence pour les citations  : Camus (1957).

Nous considérons que ce paysage est d’abord un espace qui est suscité par les événements narratifs. Le désert offre la possibilité de se fondre dans l’immensité du monde  : il est présenté d’abord comme un univers hostile et austère par Janine, qui le considère comme un lieu d’exil et de conflit. Sa position change progressivement, puisqu’il devient son refuge où elle accomplit une sorte de rituel païen, celui de ses noces avec la nature.

1. L’Arabe dans son espace

Dès le premier paragraphe de « La Femme adultère », le narrateur nous introduit dans un univers insolite et silencieux en fixant l’attention du lecteur sur une mouche qui ne cesse de tourner dans l’autocar  : « Une mouche maigre tournait, depuis un moment, dans l’autocar aux glaces pourtant relevées. Insolite, elle allait et venait sans bruit, d’un vol exténué ». La focalisation initiale sur la présence de la mouche indique un malaise du personnage principal Janine. En effet, malgré la présence de son mari à ses côtés dans cet autocar, elle semble être seule et livrée à elle-même. Et pour surmonter sa solitude dans un espace étouffant, insupportable et un environnement malpropre2 (Chevalier & Gheerbrant, 1982, p. 652), elle passe son temps à suivre du regard les mouvements de cet insecte.

Ainsi, si la mouche de l’autocar met Janine dans une situation d’incommodité et de gêne, la présence silencieuse d’Arabes à ses côtés semble accentuer son malaise  :

« L’autocar était plein d’Arabes qui faisaient mine de dormir, enfouis dans leurs burnous. Quelques-uns avaient ramené leurs pieds sur la banquette et oscillaient plus que les autres dans le mouvement de la voiture. Leur silence, leur impassibilité finissaient par peser à Janine; il lui semblait qu’elle voyageait depuis des jours avec cette escorte muette (nous soulignons). » (Camus, 1957, p. 12)

Ce passage rend compte d’un problème de cohabitation entre les occupants de l’autocar, Janine et les Arabes. Janine doit faire face à cette indifférence, à cette impassibilité de l’Arabe durant tout son séjour dans l’oasis. Et pour mieux cerner cette situation, l’étude de la toposémie (c’est-à-dire la signification que le créateur donne aux lieux) s’impose. La toposémie dans « La Femme adultère », comme dans tout récit, se répartit entre des lieux prescrits, ceux que le personnage principal Janine peut fréquenter; des lieux permis, ceux qu’elle peut traverser sans que ce soit une obligation; des lieux libres; et enfin, des lieux interdits, ceux qu’elle ne peut visiter. Dans une étude consacrée à trois nouvelles de L’Exil et le Royaume (« La Femme adultère », « L’Hôte » et « Jonas »), Christiane Chaulet Achour (Chaulet Achour, 1997, p. 175) a d’abord montré cette répartition des lieux avant de montrer comment le personnage prend en charge l’expression lyrique dans la nouvelle. Elle distingue ainsi les prescrits (oasis, chambre, hôtel) des lieux interdits (ville arabe, palmeraie, tentes nomades) et des lieux permis et libres (rues, village, fort, au-delà  : le sud).

Cette toposémie nous permet de comprendre les rapports existants entre le personnage principal et les espaces représentés dans la nouvelle. Le personnage principal, Janine, évolue différemment dans ces espaces. D’un côté, elle est angoissée dans les espaces claustraux et déprimants (chambre, hôtel, ville arabe); et de l’autre côté, elle est envahie par un sentiment de félicité dans les espaces expansifs et exaltants (le fort, le désert, le sud). L’espace dans cette nouvelle traduit véritablement la dimension du vécu de cette femme.

Janine semble entretenir des rapports ambivalents avec les espaces configurés dans ce récit. Elle pratique une altérité toute particulière avec l’humanité qui y est représentée, les « Arabes » en l’occurrence. Ces derniers décrits dans l’autocar, aperçus en cours de route (les bergers) ou croisés dans l’oasis, sont perçus et présentés comme des êtres silencieux, muets, impassibles, voire même inertes  :

« L’autocar était plein d’Arabes qui faisaient mine de dormir, enfouis dans leurs burnous. Quelques-uns avaient ramené leurs pieds sur la banquette et oscillaient plus que les autres dans les mouvements de la voiture. » (Camus, 1957, p. 12)
« Sur le remblai, tout près du car, des formes drapées se tenaient immobiles. Sous le capuchon du burnous, et derrière un rempart de voiles, on ne voyait que leurs yeux. Muets, venus on ne savait d’où, ils regardaient les voyageurs. « Des bergers », dit Marcel. » (Camus, 1957, p. 16)
« Le vieil Arabe de l’escalier, immobile, les regarda descendre vers la ville. » (Camus, 1957, p. 28)

Cette manière de présenter les Arabes, peut suggérer une dévalorisation des personnages, du moins une appréciation négative de leur silence apparaissant comme une dissimulation. Le regard de celui qui décrit reste à la surface des êtres et montre conjointement l’incapacité de Janine, à percer l’opacité d’un univers qui lui reste fermé  :

« Elle savait seulement que ce royaume de tout temps, lui avait été promis et que jamais, pourtant, il ne serait le sien. » (Camus, 1957, p. 27)

Ainsi, l’Arabe est à la fois étrange, mystérieux et dissimulé, mais en même temps intégré à l’espace où il se meut. À ce titre, on peut le considérer comme métaphore de cet espace  :

« Elle regardait le campement des nomades. Elle n’avait même pas vu les hommes qui vivaient là, rien ne bougeait entre les tentes noires et, pourtant, elle ne pouvait penser qu’à eux, dont elle avait à peine connu l’existence jusqu’à ce jour. Sans maisons, coupés du monde, ils étaient une poignée à errer sur le vaste territoire qu’elle découvrait du regard, et qui n’était cependant qu’une partie dérisoire d’un espace encore plus grand, dont la fuite vertigineuse ne s’arrêtait qu’à des milliers de kilomètres plus au sud, là où le premier fleuve féconde enfin la forêt. Depuis toujours sur la terre sèche, raclée jusqu’à l’os, de ce pays démesuré, quelques hommes cheminaient sans trêve, qui ne possédaient rien, mais ne servaient personne, seigneurs misérables et libres d’un étrange royaume. » (Camus, 1957, p. 27)

Nous constatons à ce propos que le cadre géographique, le Sud, « naturalise » la présence des Arabes, qui sont une partie du décor. Ils sont décrits dans un rapport de contiguïté spatiale exprimé par le rapprochement des substantifs, « Sud », « nomades », « bergers », « Arabes ». La présence des Arabes donne au texte son caractère vraisemblance par l’effet de réel indéniable qu’elle imprime. Il est impossible d’imaginer le désert algérien sans Arabes, sans nomades et sans bergers. Cette façon de décrire et de représenter les Arabes serait, à notre avis, la conséquence directe de l’entreprise coloniale qui a développé tout un système pour discréditer et isoler cette population. Il s’agit en fait de ce que l’historien Olivier Le Cour Grandmaison appelle la « cheptellisation (Le Cour Grandmaison, 2004, p. 59) » des races humaines. Cela est le résultat d’une opération dont le processus aboutit au fait que ces races soient traitées comme de vastes troupeaux distribués autoritairement sur des territoires donnés en fonction de leurs aptitudes supposées  :

« En vérité, souligne l’historien, cette cheptellisation n’est pas entièrement nouvelle dans son principe, même si celle qui retient notre attention repose sur l’emploi de méthodes particulières; elle était déjà à l’œuvre dans le commerce du “bois d’ébène”, qui a consisté à rafler les Africains en masse pour les déporter ensuite vers les îles de la Caraïbe ou l’Amérique. La nouveauté réside ici dans le fait que les populations algériennes sont, en dépit de l’abolition de l’esclavage, à leur tour cheptellisées afin d’accélérer la colonisation du pays. […] Les plaines fertiles et pas trop chaudes du Tell et de la Mitidja seront réservées aux Européens, qui y développeront une agriculture prospère en disposant d’une main-d’œuvre docile et bon marché, fournie par l’importation massive de Noirs et de Chinois. Les oasis du Sud seront destinées aux “nègres”, qui y “seront les bras” cependant que les Blancs y “seront la tête”. Quant aux “Arabes”, cantonnés, spoliés et refoulés, ils devront se contenter du désert, qui est pour eux le meilleur des endroits, puisqu’il correspond à ce qu’ils sont, comme à ce qu’ils font. Aussi est-il légitime de les repousser dans ces contrées arides; c’est là en effet que leur race est réputée adéquate à la nature physique, qui leur offre la possibilité de se livrer, sans léser ni menacer personne, leurs activités favorites, le nomadisme et la chasse. Paresseux, inutiles, dangereux sur le plan économique, social et politique, les “Arabes”, hommes et femmes, sont également néfastes pour la morale, la famille et l’hygiène publique (Le Cour Grandmaison, 2004, pp. 59–60). »

Ainsi décrit, l’Arabe dans « La femme adultère » semble vivre en harmonie avec le désert (Bodichon, cité dans Le Cour Grandmaison, 2004, p. 60)  : comme lui, il est à la fois inquiétant et fascinant pour Janine. En tant qu’étrangère, elle subit cette opacité et ce silence. Même quand l’Arabe parle, Janine ne perçoit que bruit assourdissant et indistinct, car elle ne comprend pas sa langue  :

Le car s’arrêta brusquement. Le chauffeur dit à la cantonade quelques mots dans cette langue qu’elle avait entendue toute sa vie sans jamais la comprendre. (Camus, 1957, p. 16)

L’impossible communication entre les deux groupes est soulignée par la voix narratrice qui se confond ici avec la protagoniste (troisième personne d’une sorte de monologue intérieur)  : le discours indirect met le doigt sur l’anomalie d’habiter un pays sans en connaitre la langue. Le couple français, au milieu des Arabes, peut échanger en français, mais se retrouve démuni quand il s’agit de communiquer avec l’Autre. Marcel s’entretient avec le vieux commerçant, mais ce dernier lance « seulement quelques mots » (Camus, 1957, p. 22) qui n’ont pas plu. Janine savait se retrouver dans une telle situation, mais n’a pas su refuser le déplacement  :

« Elle savait que les communications étaient difficiles, elle respirait mal, elle aurait préféré l’attendre. Mais il était obstiné et elle avait accepté parce qu’il eût fallu trop d’énergie pour refuser. Ils y étaient maintenant et, vraiment, rien ne ressemblait à ce qu’elle avait imaginé. » (Camus, 1957, pp. 15–16)

On perçoit l’intériorité de cette incommunicabilité et, pour qui veut lire la nouvelle dans son contexte colonial, on comprend qu’elle la partage avec les siens, « les Français de ce pays ». (Camus, 1957, p. 13)

On peut dire que cette manière de dissoudre les Arabes dans l’anonymat, l’indifférence, l’inertie et le silence, révèle par l’écriture la réalité du rapport colonial, que l’écrivain le fasse sciemment ou par volonté de réalisme. Autrement dit, l’auteur reproduit le regard des colonisateurs sur les colonisés et tente de le souligner, de le dépasser ou de le dénoncer. Mais si les Arabes restent « muet », dans cette nouvelle, ils sont, selon Yves Ansel, manifestement en position de force  :

« Omniprésents, nombreux, puissants. Que l’autocar s’arrête, et aussitôt, surgis de nulle part, “venus on ne sait d’où”, un “rempart” d’hommes se forme  : Janine se sent épiée, cernée de toutes parts. Le couple français, dans cet autocar et dans ce paysage hostile, minéral, est isolé, faible, malvenu. Le mari, Marcel, incarnation du Français d’Algérie […], ne pense qu’à ses intérêts […] et ne cache pas son profond dédain et dégout du pays et de ses habitants. Pour vendre ses étoffes (dans le vocabulaire de Camus, grand admirateur de Montherlant, Marcel exerce une profession a priori peu “virile”), l’arrogant pied-noir se voit dans l’obligation de parler avec les Arabes, de discuter avec eux, et cette situation l’humilie, le rapetisse, le féminise […]. La force, le courage, l’orgueil et l’honneur sont dans l’autre camp (Ansel, 2012, pp. 94–95). »

2. Le désert, espace du conflit

Le personnage de Janine semble en excès par rapport au paysage. Elle est en quelque sorte représentée comme un élément de trop, une intruse, en porte à faux par rapport à un espace inquiétant et indifférent. Inquiétant dans la mesure où Janine a été surprise de découvrir un espace autre que celui dont elle rêvait  :

« Elle n’avait pas pensé au froid, au vent coupant, à ces plateaux quasi polaires encombrés de moraines. Elle avait rêvé aussi de palmiers et de sable doux. Elle voyait à présent que le désert n’était pas cela, mais seulement la pierre, la pierre partout, dans le ciel où régnait encore, crissante et froide, la seule poussière de pierre, comme sur le sol où poussaient seulement entre les pierres, des graminées sèches. » (Camus, 1957, p. 16)

Et il est indifférent en ce sens que l’univers où elle évolue à présent est toujours décrit comme un univers silencieux, où le silence est total comme dans ces énoncés où nous soulignons certains substantifs  :

« À l’intérieur de la voiture, le silence était complet. »(Camus, 1957, p. 17)
« Au-dessus du désert, le silence était vaste comme l’espace. » (Camus, 1957, p. 26)
« Elle se réveilla un peu plus tard. Le silence était total. » (Camus, 1957, p. 29)
« Aucun souffle, aucun bruit, sinon parfois, le crépitement étouffé des pierres que le froid réduisait en sable, ne venait troubler la solitude et le silence qui entouraient Janine. » (Camus, 1957, p. 33)

Force est de constater que le sentiment qu’éprouve Janine vis-à-vis de l’espace est pratiquement le même que celui qu’elle avait par rapport aux Arabes. Elle espérait retrouver une oasis de paix, mais elle a fini par découvrir un étrange royaume, un royaume de pierres. Janine est une femme qui croyait que ses rêves étaient grandioses, mais la réalité était en deçà de ses espérances, car « elle savait que ce royaume de tout temps, lui avait été promis et que jamais, pourtant, il ne serait le sien » (Camus, 1957, p. 27).

L’espace où se déroule l’action et où Janine évolue prend les mêmes attributs que ses habitants, les Arabes, par le silence et l’immobilité. Aussi, cet espace lui devient invivable et provoque chez elle un malaise, un désir de partir et de fuir  : « Et son malaise, son besoin de départ augmentaient. « Pourquoi suis-je venue ? » s’exclame-t-elle. (Camus, 1957, p. 25)

Elle aura du mal à accepter, voire à subir ce double rejet, du désert et de ses habitants. Pourtant, cet espace est sécurisé, comme le montre la présence du soldat français dans l’autocar et dans l’oasis, un détail réaliste qui traduit encore la réalité coloniale  :

« Janine sentit soudain qu’on la regardait et se tourna vers la banquette qui prolongeait la sienne, de l’autre côté du passage. Celui-là n’était pas un Arabe et elle s’étonna de ne pas l’avoir remarqué au départ. Il portait l’uniforme des unités françaises du Sahara et un képi de toile bise sur sa face tannée de chacal, longue et pointue. » (Camus, 1957, pp. 13–14)
« […] Janine sentait cependant le sommeil la gagner quand surgit devant elle une petite boîte jaune, remplie de cachous. Le soldat-chacal lui souriait. Elle hésita, se servit et remercia. Le chacal empocha la boîte et avala d’un coup son sourire. » (Camus, 1957, p. 17)

L’apparition du soldat français dans le texte assure une double fonction  : il est un signe qui renvoie à la situation coloniale, mais il serait aussi une force qui rassure et qui tranquillise Janine. Qualifié de chacal, le soldat français nous rappelle l’une des plus sinistres figures de la colonisation, le général Jacques Achille Le Roy de Saint-Arnaud, que Victor Hugo a qualifié en 1853 de chacal3 dans son poème « Cette nuit-là (Hugo, 1853) » avant de dire de lui  : « Ce général avait des états de service d’un chacal (Maspero, 2004). » Et d’un point de vue symbolique, le chacal représente l’avidité et la cruauté (Chevalier & Gheerbrant, 1982, p. 199). C’est pourquoi on peut dire que la présence du soldat-chacal traduit la violence de la colonisation imposée par des soldats avides et cruels. Camus nous offre ici une image certes négative du soldat colonial, mais très orientée. Il montre, en fait, que le caractère de ce personnage doit être celui d’un soldat au service de la colonisation. Ainsi, les notations dépréciatives du soldat (soldat-chacal, chacal et face tannée de chacal) évoquent une présence agressive dans l’oasis. Cette présence, qui pourrait signifier une protection au service du couple français au milieu d’une communauté arabe, constitue aussi une sorte de caution pour la venue du couple français dans ces lieux inhospitaliers. Mais le soldat-chacal ne semble pas atténuer le malaise de Janine, qui se retrouve dans un univers indifférent. Cela n’empêche pas également cette solitude qu’elle vit avec tant de peine et d’amertume. C’est dans cette oasis qu’elle se rendra compte de l’extrême précarité de sa vie.

Le dépaysement constitue une étrange expérience « qui la conduit à faire retour sur elle-même, sur sa jeunesse enfuie, sur le vide de son existence, sur sa morne vie de couple, sur le sens de sa présence dans ces lieux. (Ansel, 2012, p. 97) » Elle a tenté, le temps d’une illusion, le temps d’un « fugitif instant », de transcender cette situation malgré les nombreuses difficultés rencontrées. Son rêve se brise et se transforme en cauchemar, vécu comme un échec dans sa perspective de se surpasser. L’échec est désormais consommé, du fait qu’elle n’a pas pu — ou su — établir une communication avec les autres et leur espace qui lui reste inaccessible. Nous pensons que l’auteur a, dès le départ, préparé son personnage à vivre ces rapports conflictuels avec les autres4 (Evrard, 1997, p. 52). Ainsi, l’échec de Janine à briser le lien conjugal, qui semble l’étouffer, est attendu. D’où le « grossissement hyperbolique » de la valeur négative de Marcel qui, selon Françoise Hobby, « en incarnant la servitude et la possession, symbolise l’exil de Janine en la renvoyant à l’angoisse de la mort et de la fuite du temps ».5 (Hobby, 1998, p. 45) En effet, comme tout personnage de nouvelle6 (Evrard, 1997, p. 53), Janine est décrite comme un être victime d’un désespoir  : elle a du mal à supporter la double indifférence (celle de Marcel et celle des Arabes) qui l’entraine dans une quête pour se libérer de sa vie conjugale qu’elle supporte comme un lourd fardeau. Cette quête est la seule issue pour elle pour entrevoir enfin une relation autre que celle qu’elle entretient avec son mari.

Prisonnière d’un discours qui la constitue en l’aliénant, Janine semble pourtant vouloir échapper à l’indifférence vécue comme exil dans un système qui l’enchaîne et la condamne. Elle ne parvient à atteindre une délivrance pour réaliser une communion avec l’espace qu’elle visite qu’au prix d’une brève fugue nocturne qui se termine par un adultère symbolique avec la nuit du désert, donc avec cet espace interdit  :

« Devant elle, les étoiles tombaient, une à une, puis s’éteignaient parmi les pierres du désert, et à chaque fois, Janine s’ouvrait un peu plus à la nuit. Elle respirait, elle oubliait le froid, le poids des êtres, la vie démente ou figée, la longue angoisse de vivre et de mourir. Après tant d’années où, fuyant devant la peur, elle avait couru follement sans but, elle s’arrêtait enfin. En même temps il lui semblait retrouver ses racines, la sève montait à nouveau dans son corps qui ne tremblait plus. Pressée de tout son ventre contre le parapet, tendue vers le ciel en mouvement, elle attendait seulement que son cœur encore bouleversé s’apaisât à son tour et que le silence se fît en elle. Les dernières étoiles des constellations laissèrent tomber leurs grappes un peu plus bas sur l’horizon du désert, et s’immobilisèrent. Alors, avec une douceur insupportable, l’eau de la nuit commença d’emplir Janine, submergea le froid, monta peu à peu du centre obscur de son être et déborda en flots ininterrompus jusqu’à sa bouche pleine de gémissements. L’instant d’après, le ciel entier s’étendait au-dessus d’elle, renversée sur la terre froide. » (Camus, 1957, pp. 33–34)

D’une part, cet « adultère » en tant qu’acte transgressif fulgurant et imprévisible, est réalisé dans l’instant, ressenti comme fugitif et donc soustrait aux contraintes temporelles du temps « socialisé ». D’autre part, le corps à corps femme/nuit ou femme/nature se fait selon un rituel initiatique où les éléments de cette nature que fait intervenir la description (le ciel, les étoiles, les feux, les pierres et l’eau) sont autant d’éléments « virils » qui participent d’un rituel qui s’inscrit en faux par rapport à la loi, à la doxa, à la monogamie, et donc à la sacro-sainte fidélité conjugale. L’adultère fait donc rencontrer Janine avec son propre corps, son désir, mais également avec la réalité de l’autre en tant qu’il est différent. Cette différence que le discours de Marcel exclut ou réduit lorsqu’il parle de la cuisine et du Coran  :

« Et puis, il y avait du porc au menu. Le Coran l’interdit, mais le Coran ne savait pas que le porc bien cuit ne donne pas de maladies. Nous autres, nous savons faire la cuisine. » (Camus, 1957, p. 22)

Cette différence exprime, nous semble-t-il, une violence que renforce la présence de celui qui produit ce discours, Marcel, dans le lieu même de l’Autre. Alors que la différence que pratique Janine, la nuit, réduit les écarts dans l’instant et réalise la communication, la communion, voire le dialogue. Au silence assourdissant de l’univers diurne se substitue le silence puissant et éloquent de la nuit qui exclut la différence en tant que porteuse de violence.

Cette communion avec l’espace de l’Autre semble réconcilier Janine avec elle-même, même si elle n’a duré qu’un bref, mais immense instant. Néanmoins, après ce moment de fuite, ce moment de rêve, Janine doit à nouveau affronter la dure réalité, celle de son rapport à Marcel et aux autres, car elle ne peut aller jusqu’au bout de ce qu’elle a pressenti. Réalité dominée par la violence du conflit entre les deux communautés qui s’affrontent en silence. Cette violence du conflit est évoquée dans le texte d’une manière implicite à travers la description des terrasses « ensanglantées » de la ville arabe.

3. Couleurs et violence

Les couleurs semblent participer à la représentation du conflit colonial à travers la mise en texte de l’acte de violence généré par la description de l’espace arabe  :

« De l’est à l’ouest, en effet, son regard se déplaçait lentement, sans rencontrer un seul obstacle, tout le long d’une courbe parfaite. Au-dessous d’elle, les terrasses bleues et blanches de la ville arabe se chevauchaient, ensanglantées par les taches rouge sombre des piments qui séchaient au soleil. » (Camus, 1957, pp. 25–26)

Contrairement au quartier mi-européen, mi-indigène où vivait Janine et son mari, évoqué au début de la nouvelle comme un endroit animé, un espace de vie et de partage, la ville arabe est décrite sous forme de tableau. Un univers figé animé par les couleurs et qui dégage un contraste assez expressif  : comme si le tableau ainsi représenté portait en lui les traces d’une présence. La couleur rouge agresse et casse l’harmonie entre le bleu et le blanc. Il faut dire que la valeur sémantique attribuée ici aux couleurs est différente de celle que les codes sociaux lui attribuent; leur juxtaposition, dans ce contexte, devrait nécessairement obéir à des règles strictes que détermine une interprétation symbolique. Cette association de couleurs donne alors au texte une réalité visuelle, c’est-à-dire, les couleurs dans leur association se manifestent comme un dessin intégré dans le texte et qu’il faut lire ou déchiffrer en tant que tel. L’auteur sollicite du lecteur et une réaction au tableau, au sens pictural du terme, qu’il lui propose  : il met en scène une opposition par l’agencement des couleurs. Ainsi, bleu et blanc recouvrent l’espace arabe. Qu’il s’agisse de l’impression que la nature inspire par ses manifestations ou de la perception qu’en a Janine  : « Burnous, moustaches blanches » de l’Arabe, « les murs blanchis » à la chaux, « les terrasses bleues et blanches », « le ciel bleu et la brume »…

Bleu et blanc établissent une isotopie qui renvoie simultanément à l’Arabe et à l’espace qu’il occupe, les deux étant donnés comme « analogues ». En revanche, au milieu de cette isotopie, on peut détecter une mise en scène qui synthétise le lieu de l’étrangère (Janine) en reproduisant l’emblème qui la représente. Au bleu et blanc de l’espace arabe, s’ajoute le rouge, installant la brisure. Le lieu de l’Autre est nommé à la fois comme fascinant et porteur de violence. Ce qui unit le bleu et le blanc au rouge est un rapport de violence, voire de mort répercutée par les lexèmes ensanglantés, piments, rouge sombre et soleil, est apparent dans le texte.

Ce croisement violent des couleurs bleues, blanches et le rouge (ensanglanté) devrait renvoyer dans un premier temps à la colonisation et à sa violence exercée sur cette ville. Ainsi, le tricolore emblématique (bleu, blanc, rouge) n’a pas été transcrit afin d’exprimer le fameux triptyque républicain liberté, égalité et fraternité, car celui-ci est neutralisé par l’isotopie de la violence qui ressort de la description; il exprimerait cependant une douloureuse cohabitation, une domination. Ces couleurs ainsi agencées seraient donc celles de l’empire colonial imposant sa suprématie sur la ville arabe. L’autre image convoquée dans ce passage est également celle de l’étendard sanglant de La Marseillaise, l’hymne national de cet empire colonial. Cela nous renvoie l’image d’un contact violent entre la colonisation et les Arabes habitants de cette ville. Une question mérite d’être posée  : Est-ce que toutes ces images qui nous rappellent l’atmosphère de la Révolution française n’évoqueraient-elles pas aux yeux de Camus une justification de la colonisation qui s’est faite au nom de l’idéal révolutionnaire, avec sa fameuse mission civilisatrice ? Mieux encore, pour reprendre la question de Césaire  : « la colonisation a-t-elle vraiment mis en contact ? Ou, si l’on préfère, de toute manière d’établir le contact, était-elle la meilleure ? » La réponse de Césaire est sans équivoque  :

« Je réponds non. Et je dis que de la colonisation à la civilisation, la distance est infinie; que, de toutes les expéditions coloniales accumulées, de tous les statuts coloniaux élaborés, de toutes les circulaires ministérielles expédiées, on ne saurait réussir une seule valeur humaine (Césaire, 1989, p. 10, souligné par l’auteur). »

L’image de la mort que fera surgir l’isotopie de la violence et le lexème « ensanglantées » reflèterait ainsi une lucidité, voire une prise de conscience chez l’auteur quant aux conséquences de cette violente agression de la ville arabe. La violence pourrait se lire comme l’aboutissement de l’indifférence qui semble régner entre les personnages de la nouvelle, même lorsqu’ils sont mari et femme.

Conclusion

Derrière la fragilité des sentiments humains évoqués dans cette nouvelle, ce n’est pas une simple histoire de « malentendu » qui est racontée, mais une désillusion créée par une solitude qui caractérise les protagonistes et qui leur interdit toute communication. Autrement dit, ce qui est dit explicitement à propos des Arabes qui ne sont pas perçus tels qu’ils sont, dans leur authentique originalité, mais tels qu’on a voulu qu’ils soient (inférieurs et dominés), est nourri par des considérations idéologiques inavouées7 (Barbéris, 1973, p. 251, cité dans Chaulet Achour, 1984, p. 32). L’Arabe, en fait, est ici représenté, tout comme dans L’Étranger, comme un être menaçant et violent. De ce point de vue, la « spontanéité » avec laquelle Camus semble produire/reproduire l’Autre et le lieu de l’Autre n’est qu’apparente. Ainsi, cette remarque d’Yves Ansel pourrait s’appliquer à la représentation de « l’Arabe » dans « La Femme adultère »  : « Les visions captées et rapportées ne sont pas des instantanés pris sur le vif, mais des images cadrées, filtrées et sélectionnées par des intérêts plus ou moins conscients, par des préjugés qui déforment la transcription, qui transparaissent dans toutes les lignes (Ansel, 2012, p. 83). »En effet, les traits caractéristiques des « Arabes » dans cette nouvelle nous rappellent l’ensemble des images dérivées de l’inventaire de l’idéologie coloniale  : indolence, paresse, ignorance, immobilisme, arriération, barbarie, etc. Ainsi reprises, sans distance critique, ces images trahissent la velléité d’Albert Camus de s’inscrire dans le discours ethnocentrique qui ignore l’Autre et qui participe à légitimer l’ordre colonial. C’est pourquoi on peut affirmer avec Yves Ansel qu’Albert Camus adopte le point de vue « officiel des colonialistes, adhère tacitement à l’idée de la « mission civilisatrice » de la colonisation, une image idéalisée qui implique de faire silence sur la spoliation et l’exploitation, la domination et la répression (Ansel, 2012, p. 90). »

De ce point de vue, nous pouvons dire que « La Femme adultère », loin d’exprimer une idéologie cohérente, révèle, malgré elle et malgré les intentions de l’auteur, les contradictions idéologiques qu’il est possible d’apercevoir dans la réalité sociale. Cette nouvelle ne représente pas l’idéologie, mais l’expose en faisant apparaître ses lacunes et ses contradictions. À ce propos, Macherey et Balibar, dans un article sur la littérature et l’idéologie, soutiennent que « le texte littéraire n’est pas tant l’expression d’une idéologie (sa “mise en mot”) que sa mise en scène, son exhibition, opération, dans laquelle elle se retourne en quelque sorte contre elle-même (Balibar & Macherey, 1974, p. 39). »Donc, l’idéologie « colonialiste » que prônent Janine et Marcel cesse d’apparaître comme naturelle, comme « allant de soi » : elle manifeste sa contingence, son historicité. (Zima, 1985, p. 42) » Leur discours est représentatif d’une partie d’un conflit. Conflit dramatique qui est orchestré par les hommes et porté par une seule femme. Et c’est là, peut-être, où réside tout le drame de Janine, qui croyait pouvoir se saisir du royaume au moment même où elle l’avait perdu… le fait d’avoir regagné son lit conjugal après sa révolte nocturne et son extase furtive, elle s’est peut-être condamnée, sans le savoir, à vivre le restant de ses jours à côté de son mari avec un sentiment de culpabilité… pas vraiment loin de l’exil et. . . du silence… Elle reste, en fait, loin, bien loin du royaume. Car pour y accéder, il fallait qu’elle apprenne « à voyager les mains vides » (Chaulet Achour, 1997, p. 178).

1 Toutes nos références renvoient à Albert Camus, « La Femme adultère », L’Exil et le royaume, coll. « Folio » n°78, Paris, Gallimard, 1957.

2 D’après le dictionnaire des symboles, la mouche incarne l’impureté et la saleté : « sans cesse bourdonnantes, tourbillonnants, mordantes, les

3 Hugo en dressa ce noir portrait: «Un homme de haute taille, maigre, les yeux mornes… le profil vulgaire et régulier… un coup jarret mal élevé… l’

4 Selon Franck Evrard, « le fondement de la nouvelle tient dans la crise des rapports de moi et du monde. Le projet de préparer un ordre stable et l’

5 Françoise Hobby considère que Marcel, à travers les yeux de Janine, parait spirituellement mort, toute son énergie étant dans ses mains qui tiennent

6 La relation conflictuelle à autrui et au monde, affirme Franck Evrard, conduit au désespoir, à la rupture, à la déréliction du personnage

7 Nous retrouvons bien ici les constats éclairants de Pierre Barbéris : « Ce qu’une œuvre contient d’explicite – et donc de non spécifiquement

Bibliographie

Ansel, Y. (2012). Albert Camus, totem et tabou  : politique de la postérité. Rennes  : Presses universitaires de Rennes.

Balibar, É., & Macherey, P. (1974). Sur la littérature comme forme idéologique  : quelques hypothèses marxistes. Littérature, (13), 29–48.

Barbéris, P. (1973). Lectures du réel. Paris  : Éditions sociales.

Camus, A. (1957). L’Exil et le Royaume. Paris  : Gallimard.

Césaire, A. (1989). Discours sur le colonialisme. Paris  : Présence Africaine.

Chevalier, J., & Gheerbrant, A. (1982). Dictionnaire des symboles (éd. revue et augmentée). Paris  : Robert Laffont/Jupiter.

Chaulet Achour, C. (1984). Un étranger si familier  : lecture du récit d’Albert Camus. Alger  : ENAP.

Chaulet Achour, C. (1997). Lyrisme en contrebande  : espace et personnages dans L’Exil et le Royaume d’Albert Camus. Dans J.-L. Valensi & A. Spiquel (dir.), Camus et le lyrisme (pp. 175–178). Paris  : SEDES.

Evrard, F. (1997). La nouvelle. Paris  : Seuil.

Hobby, F. (1998). La symbolique d’euphémisation dans l’univers fictif d’Albert Camus. New York, NY  : Peter Lang.

Hugo, V. (1853). Les Châtiments. Bruxelles  : Henri Samuel et Cie.

Le Cour Grandmaison, O. (2004). Coloniser. Exterminer  : sur la guerre et l’État colonial. Paris  : Fayard. (Rééd. Alger  : Casbah Éditions, 2005.)

Maspero, F. (2004). L’honneur de Saint-Arnaud. Alger  : Casbah Éditions.

Zima, P. V. (1985). Manuel de sociocritique. Paris  : Picard.

1 Toutes nos références renvoient à Albert Camus, « La Femme adultère », L’Exil et le royaume, coll. « Folio » n°78, Paris, Gallimard, 1957.

2 D’après le dictionnaire des symboles, la mouche incarne l’impureté et la saleté : « sans cesse bourdonnantes, tourbillonnants, mordantes, les mouches sont des êtres insupportables. Elles se multiplient sur la pourriture et la décomposition, colportent les pires germes de maladies et défient toute protection. Elles symbolisent une incessante poursuite». Chevalier (Jean) / Gheerbrant (Alain) Dictionnaire des symboles (Edition revue et augmentée), Editions Robert Laffont/ Jupiter, Paris, 1982. p. 652.

3 Hugo en dressa ce noir portrait: «Un homme de haute taille, maigre, les yeux mornes… le profil vulgaire et régulier… un coup jarret mal élevé… l’audace du soudard galonné et la gaucherie de l’ancien pauvre diable… un long visage osseux et une figure inquiétante… un cabotin passé reître. Figure sinistre». Charles-André Julien le trouvait «particulièrement cruel, cynique et prévaricateur». François Maspero tenait en lui «un massacreur exemplaire: il incarnait la face la plus sanglante de la colonisation», François Maspero, L’honneur de Saint-Arnaud, Casbah Editions, Alger, 2004.

4 Selon Franck Evrard, « le fondement de la nouvelle tient dans la crise des rapports de moi et du monde. Le projet de préparer un ordre stable et l’avènement d’un sujet réconcilié avec lui-même est condamné à se heurter à un échec » (nous soulignons), La nouvelle, éd. Seuil/mémo, Paris, 1997, p. 52

5 Françoise Hobby considère que Marcel, à travers les yeux de Janine, parait spirituellement mort, toute son énergie étant dans ses mains qui tiennent la valise. A ce monde de possession auquel appartient Marcel, Janine se sent étrangère. Au moment où Marcel lui demande où se trouve sa malle d’étoffes, symbolique de la possession, Janine se sent soudain angoissée devant la fuite du temps. La Symbolique d’euphémisation dans l’univers fictif d’Albert Camus, Peter Lang Publishing, Inc., New York, 1998, p. 45.

6 La relation conflictuelle à autrui et au monde, affirme Franck Evrard, conduit au désespoir, à la rupture, à la déréliction du personnage, rendez-vous manqué, amitié trahie, amour tragique : les rapports entre les personnages de la nouvelle se caractérisent par une incommunicabilité essentielle. La nouvelle, op. cit. p. 53.

7 Nous retrouvons bien ici les constats éclairants de Pierre Barbéris : « Ce qu’une œuvre contient d’explicite – et donc de non spécifiquement littéraire – compte moins que ce qu’elle dit en partie sans le vouloir, dans un mouvement non d’analyse, mais d’écriture et de création, dans un mouvement qui, au travers de masques, ruses, inhibitions, choix de sujets, effets de style, constitutions de mythes, métaphores obsédantes, etc… tente de résoudre les contradictions vécues et constitue – ceci est capital – un apport. » In Lectures du réel, éd. Sociales, Paris, 1973, p. 251, cité par Christiane Chaulet Achour, Un étranger si familier, lecture du récit d’Albert Camus, éditions ENAP, Alger, 1984, p. 32.nouvelle

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