L’argumentation dans le discours estudiantin : de la structuration du raisonnement à la quête de vérité

الجدل في الخطاب الجامعي الطالبي : من بناء الحُجّة إلى السعي وراء الحقيقة

Argumentation in Student Discourse : From the Structuring of Reasoning to the Pursuit of Truth

Siham Sail

p. 485-496

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Siham Sail, « L’argumentation dans le discours estudiantin : de la structuration du raisonnement à la quête de vérité », Aleph, Vol 12 (3) | 2025, 485-496.

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Siham Sail, « L’argumentation dans le discours estudiantin : de la structuration du raisonnement à la quête de vérité », Aleph [En ligne], Vol 12 (3) | 2025, mis en ligne le 30 août 2025, consulté le 12 décembre 2025. URL : https://aleph.edinum.org/15193

Cet article examine les apports scientifiques et pédagogiques de l’argumentation dans l’analyse du discours, à partir d’une expérimentation menée dans le cadre de cours universitaires. Il s’appuie sur une double approche — rhétorique et linguistique — pour cerner les fonctions cognitives, communicatives et structurantes de l’argumentation. L’analyse met en lumière les stratégies discursives mobilisées par les étudiants, leur capacité à construire des raisonnements cohérents, et à adapter leurs propos en fonction des contextes d’énonciation. Les résultats soulignent une appropriation progressive des genres argumentatifs dans un cadre académique.

This article investigates the scientific and pedagogical contributions of argumentation to discourse analysis, based on an empirical study conducted in a university classroom setting. It draws on both rhetorical and linguistic frameworks to explore the cognitive and communicative functions of argumentative discourse. The analysis highlights the discursive strategies used by students, their ability to develop coherent reasoning, and their adaptation to context-sensitive communication. Findings reveal a gradual appropriation of argumentative genres in academic environments.

تتناول هذه المقالة الإسهامات العلمية والبيداغوجية للجدل في تحليل الخطاب، انطلاقًا من تجربة تعليمية داخل الجامعة. وتعتمد على مقاربتين، بلاغية ولسانية، لفهم الوظائف المعرفية والتواصلية للبنية الحجاجية. تكشف الدراسة عن الاستراتيجيات الخطابية التي يوظفها الطلاب، وعن قدرتهم على بناء حجج متماسكة والتكيّف مع سياقات التخاطب المختلفة. وتشير النتائج إلى تملّك تدريجي للأنواع الخطابية الحجاجية ضمن السياقات الأكاديمية.

Introduction

L’analyse du discours constitue un champ interdisciplinaire en constante évolution, qui s’intéresse à l’étude du langage en lien étroit avec les situations de communication. Elle examine notamment les unités discursives au-delà de la phrase, en intégrant des dimensions expressives, référentielles et interactionnelles. Le discours ne se contente pas de refléter le réel : il construit une représentation du monde que le locuteur souhaite partager avec son interlocuteur. Produire un discours, c’est aussi agir, influencer, orienter une interprétation et susciter l’adhésion à une position énonciative.

Ainsi, toute production discursive possède une dimension argumentative qui participe au développement de la pensée critique et à la construction d’un rapport à la vérité. L’argumentation, en tant que mode de structuration du discours, est inséparable de la matérialité linguistique et du contexte d’énonciation dans lequel elle prend forme.

Dans le cadre de l’enseignement du français langue étrangère, le discours argumentatif occupe une place centrale. Il soulève alors plusieurs questions essentielles : les étudiants mobilisent-ils des stratégies argumentatives dans leurs productions orales ? Quelle structure adoptent-ils ? Leurs discours respectent-ils les principes de cohérence et de cohésion textuelles ? Peut-on identifier des types spécifiques de discours argumentatif ?

Pour y répondre, une enquête a été menée en mai 2022 auprès de trente étudiants en troisième année de licence au département de langue et littérature françaises de l’Université Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou. Des entretiens oraux ont été réalisés lors de séances de compréhension et de production, autour de thématiques telles que la fuite des cerveaux, l’avenir de la langue française ou les conflits internationaux. L’objectif de cette recherche est de mettre en lumière les caractéristiques de l’argumentation dans le discours estudiantin et d’en dégager les implications didactiques. Il s’agit aussi de montrer la portée scientifique et pédagogique du discours argumentatif dans le cadre universitaire.

1. L’argumentation

1.1. Cadres théoriques et évolution du concept

L’argumentation occupe une place centrale dans les recherches en rhétorique depuis l’Antiquité, mais son traitement a connu un renouvellement théorique important au XXe siècle. Son objectif fondamental est de convaincre, persuader et obtenir l’adhésion de l’interlocuteur à une thèse ou un point de vue donné. Les travaux d’Oswald Ducrot (1972), de Christian Plantin (1996), ou encore de Perelman et Olbrechts-Tyteca (1970) ont contribué à une redéfinition du concept d’argumentation, en l’élargissant au-delà de la seule sphère rhétorique, pour l’inscrire dans les pratiques discursives ordinaires.

Dans cette perspective, l’analyse du discours conçoit l’argumentation non plus seulement comme un raisonnement logique, mais comme une stratégie énonciative intégrée au discours, visant à influencer la réception du message. Il s’agit de produire du sens dans un cadre communicationnel, en mobilisant des outils linguistiques et pragmatiques.

« Tout énoncé, toute succession cohérente d’énoncés (descriptive, narrative) construit un point de vue ou une schématisation […] l’argumentation est une démarche qui vise à intervenir sur l’opinion, l’attitude, voire le comportement de quelqu’un par les moyens du discours […] l’argumentation considère l’interlocuteur […] comme un alter ego auquel il s’agira de faire partager sa vision. Agir sur lui, c’est chercher à modifier les diverses représentations qu’on lui prête […] »
(Charaudeau & Maingueneau, 2002 : 67)

Dans cette optique, l’argumentation implique une activité cognitive complexe, fondée sur trois opérations mentales : l’appréhension, le jugement et le raisonnement. Ces opérations s’appuient sur des connecteurs linguistiques explicites ou implicites, qui permettent d’établir des relations logiques, causales ou contrastives entre les énoncés. L’argumentation ne repose donc pas uniquement sur les contenus, mais également sur la manière dont ils sont organisés, articulés et formulés dans la langue.

1.2.L’argumentation dans le discours

Le discours argumentatif comporte deux dimensions complémentaires : une dimension intradiscursive, correspondant aux structures internes du discours (organisation textuelle, schéma énonciatif), et une dimension extradiscursive, liée aux stratégies de persuasion et d’influence sur le destinataire. Dans cette perspective, l’argumentation étudie les procédés discursifs visant à favoriser l’adhésion de l’interlocuteur à une thèse ou à un point de vue donné (Perelman & Olbrechts-Tyteca, 1970).

De manière générale, tout discours peut être considéré comme porteur d’une visée argumentative, dans la mesure où informer, expliquer ou décrire revient à orienter la compréhension du destinataire. Le locuteur cherche souvent à agir sur la pensée de l’autre, à influencer ses représentations, en mobilisant des stratégies rhétoriques adaptées au contexte d’énonciation.

Le discours argumentatif repose sur plusieurs critères fondamentaux : la cohérence textuelle (enchaînement logique des idées), l’efficacité communicationnelle (capacité à transmettre un message pertinent), la véridiction (présentation d’une vérité ou d’une réalité plausible), et la rectitude éthique (respect des normes morales, sociales et culturelles dans l’argumentation).

« Le discours argumentatif ne se déroule pas dans l’espace abstrait de la logique pure, mais dans une situation de communication où le locuteur présente son point de vue dans la langue naturelle avec toutes ses ressources […] »
(Amossy, 2005 : 5)

L’analyse de l’argumentation emprunte donc les outils de l'analyse du discours, en intégrant les éléments linguistiques, sémantiques et pragmatiques. Les mécanismes argumentatifs s’inscrivent dans la matérialité langagière, c’est-à-dire dans le choix des mots, des connecteurs, des inférences implicites, et dans les effets produits par ces éléments dans le cadre interactionnel.

3. Corpus et analyse des discours étudiants

3.1. Argumentation et progression thématique

Un discours efficace ne se mesure pas uniquement à sa capacité à faire circuler des points de vue, mais aussi àla manière dont il organise ces idées, en les structurant de façon hiérarchisée, pour permettre aux interlocuteurs de défendre, d’illustrer ou de contester certains contenus discursifs. Ces éléments jouent un rôle central dans l’évaluation dela cohérence et de l’impact argumentatif d'un échange.

Ces paramètres relèvent de la compétence communicative langagière, et leur maîtrise constitue un indicateur pertinent de l’aptitude à produire un discours structuré. En réalité, les interactions verbales suivent des règles organisationnelles implicites, bien qu’elles puissent parfois sembler spontanées ou désordonnées. Elles obéissent à une progression thématique, marquée par une articulation entre ouverture, développement et clôture.

L’ouverture marque le début de l’interaction, en établissant un cadre d’échange. Elle oriente la suite de la conversation, tant sur le plan relationnel que thématique (Kerbrat-Orecchioni, 1994). Le développement correspond à la phase centrale de l’échange, où les tours de parole se succèdent, construisant une dynamique argumentative. La clôture, enfin, met fin à l’interaction ; elle peut inclure une préclôture, signalant la fin prochaine de l’échange (par des marqueurs verbaux ou non verbaux), suivie des rituels de prise de congé(remerciements, salutations, etc.), fortement codifiés selon les cultures.

Voici un extrait représentatif tiré du corpus étudié, portant sur les conflits internationaux :

A. Ce sont des… un conflit dans le monde, un désaccord international qui touche plusieurs nations, surtout les deux puissances mondiales. , que tout le monde a eu l’occasion de connaitre, suivre, en effet, qui n’a pas entendu parler des USA et de la Russie.
B. Ce sont des pays ennemis depuis des décennies, ça ne date pas d’aujourd’hui.
A. C’est pour préciser qu’il est question ici d’un conflit entre deux pays riches et avancés technologiquement.
C. Oui, c’est la vérité.
A. Il s’agit d’un désaccord, de rivalités sur tous les plans.
D. C’est certain., un désaccord dans tous les domaines.
E. Ouais il est un conflit déjà bien connu et il se manifeste clairement.
C. Et merci.

Dans cet extrait, l’ouverture introduit globalement le sujet (les conflits internationaux), le développement se construit par la prise de position dans la circulation des arguments, et la clôture est marquée par une formule de politesse simple (« merci »).

Cette séquence illustre la structuration progressive de l’argumentation dans le discours estudiantin, où les locuteurs prennent appui sur un thème commun pour construire une discussion cohérente. L’alternance des énoncés montre une progression linéaire, soutenue par une structure organisationnelle claire. Cette linéarité thématique — caractéristique des langues romanes — permet aux participants de gérer les objets discursifs avec précision : identification de la référence, utilisation de marques grammaticales (ex. : anaphores), et articulation logique.

Ainsi, les étudiants démontrent une certaine maîtrise des schémas argumentatifs oraux, à travers une gestion adéquate de l’ouverture, du développement et de la clôture du discours. Cette capacité organisationnelle constitue un indicateur pertinent de leur compétence discursive dans un cadre universitaire.

3.2. Typologie argumentative

Le corpus analysé révèle une grande variété d’arguments mobilisés par les étudiants sur des thématiques d’actualité. Ces arguments, exprimés dans un cadre interactif, reposent sur des raisonnements logiques simples, articulés autour de valeurs partagées, d’expériences vécues ou de jugements subjectifs.

Extrait du corpus (thème : la fuite des cerveaux) :

A. Nos étudiants ils souhaitent réellement tous partir à ailleurs ;ils préfèrent partir que rester ici, car ça nous permet d’évoluer, d’avancer.
B. Cela permet de s’ouvrir au monde.
A. En s’éloignant…
B. Pour mieux gagner sa vie.
A. Pour mieux s’épanouir personnellement.
C. Comment ça au juste ?
B. Par exemple, devenir autonome, s’enrichir scientifiquement.
A. Développer ses compétences en français.
B. De nombreux facteurs qui nous poussent à partir.
A. Pour mieux vivre.
C. Mais beaucoup d’étudiants vivent bien ici…
C. Car ils désirent sortir, s’aventurer, découvrir.
D. C’est le monde qui est comme ça.
E. On est toujours à la recherche du meilleur également.
B. ça relève de notre instinct qui n’est jamais satisfait.

Dans cet échange, plusieurs types d’arguments se distinguent :

  • Des arguments logiques et pragmatiques : partir pour évoluer, pour gagner sa vie, pour s’épanouir.

  • Des exemples illustratifs : devenir autonome, s’enrichir scientifiquement.

  • Des arguments subjectifs ou axiologiques : instinct de progrès, recherche du meilleur.

On observe également une opposition argumentative introduite par l’étudiant C (« Beaucoup d’étudiants vivent bien ici »), qui vient contester la généralisation, instaurant une dynamique de réfutation.

L’organisation des arguments suit des schémas reconnaissables :

  • Ordre croissant : on commence par un argument simple, pour aller vers des justifications plus profondes ou universelles (ex. : partir → gagner sa vie → s’épanouir → nature humaine).

  • Structure nestorienne : des arguments forts en début et fin d’intervention, les plus faibles au centre, pour maximiser l’impact.

Par ailleurs, les étudiants emploient fréquemment l’exemple généralisant, tel que : « Par exemple, devenir autonome… »

Ce procédé donne une crédibilité immédiate au discours, tout en ancrant l’argumentation dans le vécu.

Enfin, on relève l’usage récurrent de connecteurs logiques : car, pour, aussi, qui assurent la progression argumentative et la cohérence interne du discours. À cela s’ajoutent des opérateurs linguistiques comme commence… pas, toujours, jamais, qui confèrent aux énoncés une valeur argumentative spécifique (Amossy, 2005).

En somme, les productions orales étudiantes révèlent une capacité à construire une argumentation cohérente, en mobilisant des types variés d’arguments, bien hiérarchisés et souvent soutenus par des exemples pertinents.

3.3. Cohérence et cohésion

L’efficacité du discours ne réside pas uniquement dans la validité logique des arguments, mais aussi dans sa structure discursive, qui repose sur deux composantes essentielles : la cohérence et la cohésion. Ces deux notions, bien que souvent confondues, jouent des rôles complémentaires dans la construction du sens.

La cohérence renvoie à l’organisation sémantique globale du discours : elle désigne la manière dont les idées s’enchaînent de manière logique, assurant l’unité du propos. En analyse du discours, elle est considérée comme l’équivalent de la grammaticalité en syntaxe, dans la mesure où elle garantit une lisibilité interprétative au niveau supra-phrastique (Reboul & Moeschler, 1998). Tout comme la syntaxe analyse la structuration des unités internes à la phrase, la linguistique du discours cherche à identifier les normes d’organisation des énoncés qui permettent d’articuler les contenus discursifs de façon intelligible.

À ce titre, la cohérence ne dépend pas exclusivement de marqueurs linguistiques visibles, mais aussi de la capacité des locuteurs à mobiliser des connaissances partagées, des inférences, ou des schémas interprétatifs activés en contexte. C’est pourquoi des discours peuvent être perçus comme cohérents, même en l’absence d’indices formels de liaison : l’interprétation s’effectue alors par déduction pragmatique ou par activation de scénarios référentiels.

La cohésion, en revanche, désigne l’ensemble des mécanismes linguistiques qui assurent des liens explicites entre les énoncés d’un discours. Elle se manifeste à travers divers procédés : connecteurs logiques, anaphores, répétitions contrôlées, substitutions lexicales, etc. Ces marqueurs permettent d’assurer la continuité textuelle, en liant les propositions par des relations de cause, de but, d’opposition ou de conséquence.

« La cohésion […] peut être décrite en termes de liens formels (syntaxiques et sémantiques) entre les phrases et leurs constituants. La cohésion est indiquée de manière explicite. » (Widdowson, 1978 : 37)

Dans le corpus analysé, les productions des étudiants révèlent une mobilisation fréquente de connecteurs de cause (car, parce que), début (pour, afin de) ou de conséquence (donc, ainsi) :

Enseignant : il veut dire quoi ?
Étudiant A : En gros, il veut dire
Étudiant B : Il lui réserve une place, finalement cette place est importante
Étudiant A :… L’objectif de cette initiative est d’ordre beaucoup plus économique, c’est pour progresser, faire développer notre pays
Étudiant B : C’est pour justement des raisons économiques, car les nations les plus en avance sur ce plan sont des Anglais
Étudiant C : C’est pour, car ils veulent la mettre en place très rapidement

De même, on observe l’usage courant d’anaphores pronominales (il, elle, ce) et de substituts lexicaux (conflits/désaccords, nations/pays) qui contribuent à construire des chaînes de référence, assurant la stabilité du thème traité tout en évitant la redondance. Ces éléments permettent aux locuteurs de parler d’un même objet discursif tout au long de l’échange, en maintenant la continuité référentielle.

Il existe de nombreux cas où des séquences paraissent parfaitement cohérentes, quoiqu’elles ne contiennent aucun indice relationnel explicite ; il est fréquent de croiser des discours qui, bien que dépourvus de marqueurs de cohésion apparents, restent interprétables sans effort majeur. Le corpus étudiant révèle en effet que la présence d’une anaphore, d’un connecteur ou d’un autre indice de cohésion n’est pas une condition nécessaire pour que deux énoncés forment une séquence cohérente.

Par exemple :

A : Elle est privilégiée, elle occupe un statut bien particulier.
B : En tout, les conflits internationaux ne sont pas nouveaux… En fait, ils sont indésirables.
A : C’est pour dire que ce phénomène fait impliquer plusieurs pays.
B : Les désaccords entre beaucoup plus, deux grandes entités.

Dans ces extraits, aucun connecteur logique ni anaphore discursive ne lie explicitement les énoncés entre eux. Pourtant, une continuité sémantique est maintenue grâce à des opérations inférentielles mobilisant des connaissances encyclopédiques et une logique contextuelle. Ces exemples illustrent clairement qu’un discours peut être cohérent sans nécessairement recourir aux moyens linguistiques de cohésion.

Il n’y a donc aucun obstacle à reconnaître un rapport entre les faits évoqués, même s’il n’est pas grammaticalement balisé. La cohérence se construit ici à travers un travail interprétatif du récepteur, qui identifie des liens logiques entre les énoncés malgré l’absence de marques formelles. Ainsi, il ne saurait y avoir de relation d’implication systématique entre la présence d’indices de cohésion et le caractère cohérent ou non d’un discours.

Toutefois, même si la cohésion n’est pas une condition suffisante à la cohérence, certains marqueurs textuels — tels que la répétition lexicale, l’anaphore ou les connecteurs — facilitent fortement la progression argumentative. Le corpus montre que les étudiants mobilisent ces éléments de manière variable, mais globalement consciente.

Les procédés de répétition, qu’ils prennent la forme de :

  • répétitions pures et simples (conflits… conflits),

  • anaphores fidèles (reprise d’un groupe nominal avec variation d’article : les conflits/des conflits),

  • anaphores infidèles (substitution lexicale : les conflits/les désaccords),

  • ou pronominalisations (conflits… ils…)

sont autant d’outils de liaison thématique. Ils assurent la continuité du discours et facilitent l’interprétation des relations sémantiques implicites. En l’absence de ces chaînes référentielles, les étudiants tentent souvent d’établir des liens par d’autres moyens : gestes prosodiques, pauses interprétatives ou reformulations orales.

De ce fait, la cohérence relève davantage d’un traitement cognitif du discours — fondé sur l’interprétation, l’acceptabilité et la vraisemblance — tandis que la cohésion repose sur des opérations linguistiques et structurales plus visibles.

Produire un discours cohérent, c’est avant tout maintenir un fil logique et thématique, indépendamment de la densité des marqueurs grammaticaux. C’est aussi mobiliser la connaissance du monde, la capacité à anticiper l’interprétation du destinataire, et les règles implicites de l’interaction verbale.

En somme, les productions discursives analysées mettent en évidence une maîtrise relative, mais réelle des mécanismes de cohérence. Même en l’absence de connecteurs ou d’anaphores explicites, les étudiants parviennent à construire un fil argumentatif interprétable, ce qui confirme la complémentarité — mais non l’équivalence — entre cohésion linguistique et cohérence discursive.

Synthèse

L’analyse des corpus étudiés montre que les étudiants sont capables de produire des discours argumentatifs riches, structurés et convaincants, notamment dans des situations d’échanges formels. Ils parviennent à exprimer leurs opinions avec clarté, à défendre leurs thèses à l’aide d’arguments solides et à illustrer leurs propos par des exemples précis, puisés dans leurs expériences personnelles ou dans l’actualité.

Les productions observées témoignent d’une réelle maîtrise des mécanismes de la communication argumentative : construction logique, enchaînement cohérent des idées, progression thématique et mobilisation pertinente de connecteurs logiques. Les étudiants utilisent une diversité de formes argumentatives — croissantes, décroissantes, qui traduisent non seulement leur capacité à structurer un raisonnement, mais aussi leur aptitude à adapter leur stratégie rhétorique en fonction de l’effet recherché.

Leur expression repose fréquemment sur des énoncés longs et complexes, structurés de manière à transmettre efficacement des intentions, des finalités ou des expériences. Malgré certaines hésitations ou approximations langagières, les discours sont généralement fluides, cohérents et expressifs, ce qui dénote une appropriation progressive des genres discursifs universitaires.

On observe également une capacité à organiser l’information de manière opérante, à maintenir le fil thématique tout au long de la prise de parole, et à varier les moyens de liaison — de façon explicite (connecteurs) ou implicite (enchaînements inférentiels) — afin d’assurer la linéarité et la lisibilité du discours.

En somme, ces performances orales traduisent une compétence discursive en voie de consolidation, qui articule efficacement raisonnement logique, efficacité expressive et adaptation au contexte académique. L’ensemble des résultats obtenus atteste ainsi d’un niveau appréciable dans l’appropriation de la composante argumentative de la compétence de communication.

Conclusion

Les résultats de cette étude montrent que les étudiants parviennent à adapter leur discours au contexte d’énonciation, en mobilisant efficacement les procédés d’explication, d’exemplification et d’argumentation. Ils développent avec cohérence une grande variété de thématiques, en s’appuyant sur des types argumentatifs différenciés — croissants, décroissants, ou nestoriens — qu’ils articulent à l’aide de connecteurs logiques variés. Cette capacité à structurer leur pensée leur permet de renforcer leurs points de vue et de faire progresser l’argumentation vers un horizon de vérité partagée.

Face à des questions relevant de différents registres — généraux, académiques, professionnels ou sociétaux —, les étudiants formulent des réponses construites et convaincantes, fondées sur une argumentation claire et des exemples pertinents. Quelle que soit la situation argumentative dans laquelle ils sont impliqués, ils parviennent à élaborer une position personnelle étayée, reposant sur une structuration logique fondée sur l’appréhension, le jugement et le raisonnement.

Il convient de souligner que l’enseignement de l’argumentation dans l’enseignement supérieur ne relève pas d’un simple objectif langagier : il s’agit d’un enjeu cognitif et éthique majeur. La maîtrise des mécanismes argumentatifs permet de développer la pensée critique, le raisonnement éthique et le sens de l’analyse, compétences fondamentales pour la réussite universitaire et l’insertion professionnelle.

Ainsi, la compétence argumentative ne saurait être considérée comme un simple sous-système : elle est au cœur de la compétence communicationnelle langagière. Elle suppose la connaissance des normes organisationnelles des textes, la conscience des intentions discursives, et la capacité à adapter la forme aux exigences de l’échange. En ce sens, elle constitue un levier central pour une communication efficace, structurée et confiante dans un environnement académique plurilingue et interactionnel.

Amossy, R. (2005). L’argumentation dans le discours. Paris : Armand Colin.

Charaudeau, P., & Maingueneau, D. (2002). Dictionnaire d’analyse du discours. Paris : Seuil.

Ducrot, O. (1972). Dire et ne pas dire. Paris : Hermann.

Kerbrat-Orecchioni, C. (1994). Les interactions verbales, Tome III. Paris : Armand Colin.

Maingueneau, D. (1991). L’analyse du discours : Introduction aux lectures de l’archive. Paris : Hachette.

Perelman, C., & Olbrechts-Tyteca, L. (1970). Traité de l’argumentation. La nouvelle rhétorique. Bruxelles : Éditions de l’Université de Bruxelles.

Plantin, C. (1996). L’argumentation. Paris : Seuil.

Reboul, A., & Moeschler, J. (1998). Pragmatique du discours : de l’interprétation de l’énoncé à l’interprétation du discours. Paris : Armand Colin.

Widdowson, H. G. (1978). Teaching Language as Communication. Oxford : Oxford University Press.

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