Lexique et identité culturelle de la gastronomie Algérienne d’expression française

Lexicon and cultural identity of French-speaking Algerian gastronomy

Fatima Zohra Harig Benmostefa

Citer cet article

Référence électronique

Fatima Zohra Harig Benmostefa, « Lexique et identité culturelle de la gastronomie Algérienne d’expression française », Aleph [En ligne], 9 (1) | 2022, mis en ligne le 08 mai 2022, consulté le 22 décembre 2024. URL : https://aleph.edinum.org/5847

La cuisine algérienne est riche aussi bien en produits qu’en mets et desserts. Outre les plats classiques (couscous, chakhchoukha, chorba et boureks), on y retrouve des spécialités régionales : rechta, dziriettes, tlitli, berkoukes et hrira de Tlemcen par exemple. Dans cet article, nous étudions le lexique de la cuisine algérienne à travers des textes extraits de nombreuses revues et livres de cuisine. L’analyse de recettes et d’articles de cuisine révèle un métalangage avec son vocabulaire et sa structure grammaticale propre à la couleur locale algérienne.

المطبخ الجزائري غني بالمنتجات والأطباق والحلويات. بالإضافة إلى الأطباق الكلاسيكية (الكسكس والشخشوخة والشوربة و بركوكس ) ، هناك تخصصات إقليمية : رشتة و دزيريات و تليتلي وبركوكس و حريرة تلمسان على سبيل المثال. ندرس في هذا المقال معجم المطبخ الجزائري من خلال نصوص مأخوذة من العديد من المجلات وكتب الطبخ. يكشف تحليل الوanصفات وأدوات المطبخ عن لغة معدنية بمفرداتها وبنيتها النحوية الخاصة باللون الجزائري المحلي.

Algerian cuisine is rich in both products and dishes and desserts. In addition to the classic dishes (couscous, chakhchoukha, chorba and boureks), there are regional specialties: rechta, dziriettes, tlitli, berkoukes and hrira de Tlemcen for example. In this article we study the lexicon of Algerian cuisine through texts taken from numerous magazines and cookbooks. The analysis of recipes and kitchen items reveals a metalanguage with its vocabulary and its grammatical structure specific to the local Algerian color.

Introduction

Faire la cuisine intègre une dimension sociale et afin de mieux comprendre l’évolution contextuelle du livre de cuisine en Algérie, nous devons tout d’abord passer par la consignation d’une recette, cela se traduit par la rencontre entre médias et grands chefs expérimentés, entre concours et amateurs éclairés.

Transmettre une recette, c’est d’abord adopter un langage codifié qui donne à réfléchir sur l’espace, les discours culinaires s’étendent, et la morphologie de la recette est à interpréter en fonction de son lieu d’inscription et de son contexte de production. « La recette, comme objet, est une des parties prenantes d’une situation sémiotique car la recette de cuisine s’inscrit dans une pratique sociale étendue ».1

Dans ce contexte, les médiations des discours culinaires grimpent en échelons, à travers des énonciateurs multiples. Citons à titre d’exemple les Grands Chefs cuisiniers et les journalistes spécialisés, les blogueurs et les émissions télévisées de recettes ou de concours culinaires tel que : les joyaux de Sherazad, recettes de Ratiba, Oumwalid ou encore Top-chef qui est d’un autre style d’émission, sans oublier les sites internet dédiés au partage d’astuces et de recettes tel que 750 grammes. Tous ces acteurs participent au renouveau de la recette de cuisine, prenant la forme d’un parcours de la transmission à l’acquisition et surtout d’un lexique.

Ainsi l’écriture de la recette grave définitivement les signes du patrimoine culinaire dans l’époque concernée. Consigner une recette, c’est la transmettre à une échelle collective et la rendre accessible à toute personne désireuse d’apprendre et d’expérimenter de nouveaux gestes, voire une empreinte culturelle gustative, et plus particulièrement la sémiotique de l’empreinte, expliquent le processus qui se déroule dans l’écriture de la recette de cuisine2.

Le partage de la recette reste sensible, chaque mot et chaque action sont importants. Le discours culinaire, présumé durable, celui-ci est matérialisé par la plupart des visuels qui accompagnent désormais les manifestations des discours culinaires.

1. L’éthos de la cuisine algérienne

L’Algérie est un puits de culture et de tradition ancestrale qui se raconte notamment dans les assiettes, reflet de la biodiversité du pays, la cuisine algérienne se découpe en trois grands ensembles culinaires très différents les uns des autres, la côte, l’intérieur et le grand sud notamment appelé le Sahara. Elle s’est continuellement enrichie par les influences étrangères et des colonisations successives à travers les siècles. Les cuisines romaines, turques, espagnoles ou encore françaises sont venues se greffer à des racines arabes et berbères, c’est ce qui a fait d’elle une cuisine vraiment à part. Dans ce pays où la cuisine est synonyme de générosité, de simplicité et d’évasion, l’Algérie s’est enrichie de savoir-faire et d’une culture culinaire variée grâce aux légumes, aux fruits et aux épices apportés des quatre coins du monde. C’est toute cette diversité qui fait la richesse du patrimoine lexical gastronomique algérien.

L’enjeu de la signification fonctionne donc grâce à un filtre, celui de son référent. La trace de la recette de cuisine s’intercale entre le registre sensible, avec le contenu matériel, et le registre symbolique, par le degré de transmission, lequel implique l’énonciateur et tisse un lien social. Ainsi, transcrire la recette de cuisine de la tradition orale, vers le support écrit, relève d’une archive documentaire avec une portée sociale durable. Elle est le point de départ d’une longue tradition de discours culinaires associée à l’évolution des formes discursives.3

Au cours des siècles, la cuisine algérienne a assimilé diverses traditions culinaires pour donner naissance à une cuisine à la fois complexe et harmonieuse, épicée souvent même pimentée et riche.

Côté légumes, la tomate, le poivron, le concombre, l’oignon, la pomme de terre et les olives sont les plus consommés aussi bien en salades fraîches comme la salade de courgettes à la menthe, qu’en entrées chaudes, comme les cocas ou encore la chakhchoukha.

Côté pâte, les feuilles de bricks sont très utilisées : ces pâtes ultrafines se remplissent de farces dont les préparations changent à l’infinie. On peut les faire frire ou les enfourner. Les bricks ou boureks sont une entrée incontournable surtout en période de fêtes. Selon les régions, les envies, les périodes, on trouvera des farces à base de viande, de légumes, fromage fondu, de ton de poulet, de cervelle, d’œufs, de pommes de terre… etc.

La pâte feuilletée est également utilisée notamment dans la confection des cocas… L’huile d’olive est utilisée pour réaliser les sauces vinaigrette, mais le plus souvent elle est ajoutée dans la cuisson. Ce qui ajoute un goût particulier au plat. Côté plat de résistance, une grande diversité façonne. Le couscous est le plat qui symbolise le mieux la gastronomie algérienne. Il est synonyme d’hospitalité, mais aussi d’aisance. Il est présent dans tous les festins. En général, le couscous cuit à la vapeur est préparé avec de la viande rouge ou blanche accompagnée d’un bouillon parfumé d’épices à base de légumes et de pois chiche. Pour le service, la manière de faire est toujours la même : la semoule dorée est disposée dans un vaste plat, elle s’entoure de morceaux de viande et de légumes variés. On arrose le tout de sauce. On reconnaît un bon couscous à des graines fines et régulières, rondes et bien détachées.

Le couscous peut être cuit avec des légumes sans sauce, on l’appelle mesfoufou amekfuf selon les régions. Le couscous peut aussi être consommé sucré avec des raisins, des pistaches concassées, des dattes, des noix, ou même des grenades, c’est sefa, il est préparé ainsi chaque vendredi, mais aussi à l’occasion des mariages ou des aqiqas, il se déguste également au shor à l’occasion du ramadan.

Le blé est très consommé, les Algériens apprécient énormément les plats qui se composent de pâtes faites maison. À la différence des pâtes italiennes cuites à l’eau et fabriquées à base d’œufs, les pâtes algériennes sont souvent cuites à la vapeur et préparées avec de la semouline, à la façon du couscous ! Il existe un plat succulent préparé avec des nouilles de semouline légères et fondantes en bouche qui se nomme la rechta, ce plat typiquement algérois est un vrai régal.

On réalise également une pâte très célèbre à base de blé qu’on appelle trida. Elle sert à la préparation de nombreux plats comme la Chakhchoukha, plat de référence dans l’Est algérien. Le tlitli n’est pas en reste, ce plat de pâtes se réalise avec de petites pâtes que l’on retrouve dans les épiceries appelées communément « langue d’oiseau ». Pour les épices, les plus utilisés sont le paprika rouge, la cannelle, le gingembre, le poivre, mais aussi le curcuma ou le safran et ras el hanout pour la préparation de la soupe hrira ou encore le berkoukes.

  • Les fruits secs sont également très utilisés dans la préparation des plats, mais surtout pour les grandes occasions : Mariage, circoncision, fiançailles, réception…
    – Avec les amandes, on prépare la célèbre recette le mtewem une délicieuse sauce mijotée avec des boulettes de viande parfumées au cumin et des amandes entières grillées)
    – Avec les pruneaux et/ou les abricots séchés, on prépare Lhemlahlou aux pruneaux ou Lhemlahlou aux abricots. »

Côté viande, le poulet, la viande de mouton ou de bœuf sont les plus consommés. Même si les habitants de certaines régions apprécient la viande de chameau, de la perdrix ou d’autres animaux locaux. Les poissons sont très prisés par les habitants des littoraux. Les fruits de mer les plus connus des Algériens sont la crevette ou les gambas, ou encore la sardine.

Les abats ne sont pas en reste, ils tiennent une place très importante dans la cuisine algérienne et à vrai dire, ils sont succulents cuits à l’algérienne. D’ailleurs, il suffit de voir les vendeurs de brochettes aux abats parfumées les ruelles pour s’en rendre compte.

Au dessert, la cuisine algérienne est suffisamment riche en calories que les Algériens préfèrent en général terminer le repas en consommant des fruits. L’Algérie dispose d’un vaste choix de fruits selon les saisons, mais les plus cotés sont la pastèque, le melon, les raisins, les dates, les pêches ou les poires…

Enfin côté pâtisserie le point fort de la cuisine algérienne. C’est dans la confection des petits fours que le talent de la ménagère algérienne s’exprime. Différents parfums se mêlent : Eau de fleur d’oranger, eau de rose, miel, dattes, amandes, on peut citer comme exemples le Mekrout, mekroutellouz, m’khbez, dziriette, baghrir et les cornes de gazelle.

2. Présentation du corpus

La cuisine algérienne (Bouayed 1983) raconte la cuisine algérienne traditionnelle telle qu’elle a existé et sans modification. Elle est synonyme de générosité, de simplicité et d’évasion à travers 400 recettes succulentes les unes que les autres. De belles illustrations qui rendent alléchants les plats présentés qui sont mis en lumière dans le but de refléter l’aspect culinaire de l’identité culturelle algérienne.

Afin de compléter les recettes, l’auteure a fait appel à plusieurs informateurs, la plupart des femmes réputées bonnes cuisinières, originaires de plusieurs régions du pays, on y trouve certains mets anciens menacés de disparition recueillis grâce aux vieilles dames. Testée, chaque recette est passée au feu afin de parvenir à préciser les quantités et le mode de préparation et de cuisson.

Le livre est destiné pour toutes les classes sociales (reproche de livre pour les riches dans certains cas). Les plats et les gâteaux les plus simples y sont invités au même rang que les recettes les plus élaborées nécessitent des quantités de viandes.

Pour la forme, l’auteur a décidé d’éviter la transcription scientifique des noms de recettes afin d’être plus compréhensible pour les lecteurs étrangers, c’est ce que l’oreille entend qui a été reproduit avec des phonations du français.

L’ouvrage est divisé en plusieurs chapitres à leur tour divisés en plusieurs rubriques. Des numéros ont été attribués à chaque plat quant aux recettes, elles se composent de deux parties, une première partie pour la composition du plat et une deuxième partie pour la préparation et la cuisson.

2.Processus d’intégration des emprunts :

Afin de mieux comprendre l’intégration linguistique et la recomposition du sens, nous allons à cette échelle décrire les changements que subissent ces lexies d’origine arabe pendant leur intégration dans la langue française : modification d’ordre phonologique, morphosyntaxique, et sémantique.

2.1. Intégration des emprunts phonologiques

La prononciation d’un mot selon son contexte de création dans une autre langue est une intégration d’emprunt. Lorsqu’une langue emprunte à une autre un terme avec un son qui n’existe pas dans son système phonologique, le locuteur imite la prononciation du mot avec les sons qu’il possède (maîtrise), comme dans le cas de l’emprunt pizza dans la langue française, qui se prononce normalement [pitsa] et qui est prononcé [pitza] en Algérie, ou bien [bitza].

La plupart des emprunts aux langues antérieurs en arabe dialectal algérien subissent des transformations sur le plan phonologique. Lorsque des sons n’existent pas dans le système phonétique de l’arabe dialectal algérien, ils sont remplacés par les sons les plus proches.

On tient à souligner que le contraire est aussi juste parce que les consonnes sont extrêmement importantes puisque c’est la base même des mots arabes, si l’on prend par exemple le mot « mechwi » à partir de la même racine on tire les dérivations « chwa », « chwi », « yechwi », chose qui n’existe pas dans la langue française par exemple, il faudrait chercher la racine latine ou grecque et ajouter une base finale.

Les emprunts aux langues étrangères ne gardent pas leur forme initiale en intégrant l’arabe dialectal algérien. Ils ont changé phonologiquement et morphologiquement en intégrant le parler algérien. Ces adaptations diffèrent selon la nature de l’emprunt.

On remarquera sur le plan phonologique certaines constantes, telles que le remplacement des sons n’existant pas dans le système phonétique du dialecte algérien par les sons les plus proches. Ainsi, le [R] grasseyé sera systématiquement remplacé par le [r] dit roulé. Le son [p] sera souvent remplacé par le son [b], et le son [v] par le son [f] bien qu’ils soient de plus en plus maintenus dans de nombreux emprunts.

Exemple : crème [kRem] en français c’est [kryma] en arabe, pizza [piza] en italien c’est [biza] en arabe, vanille [vanij] en français c’est [fanila] en arabe.

En ce qui concerne les voyelles, le son [e] - bien qu’il existe dans la langue d’accueil sera remplacé par les sons [i] [u] [ɛ]. De même, les sons [ɔ] et [o] seront souvent remplacés par [u].

Le son [y] sera remplacé par les voyelles [u] ou [i] selon l’emprunt. Exemple : yaourt [jau ʁ] en français c’est [iagurt] en arabe.

Enfin, les sons [œ] et [ø] seront remplacés par [u :] dans certains emprunts, sachant qu’ils sont le plus souvent prononcés correctement par les locuteurs qui les emploient, comme dans « mixeur ».

Les nasales n’existant pas dans le système phonologique de l’arabe dialectal algérien, la plupart des emprunts subiront une dénasalisation et ces sons sont remplacés par la combinaison de voyelles, le plus souvent longues, avec les sons [n] ou [m] comme dans orange [ɔʁɑ̃ʒ] en français c’est [aranj].

Le son [Image 10000200000000080000001CB77333F227308481.png] (ع) sera remplacé par [a] (a) ou par (‘) le cas des exemples suivants « tchicha b z-za’tar » ou encore « dar ‘ammi » ou même encore « braniya ‘aryana », « ma’qouda ».

Le même cas est recensé pour le [h] (ح) et le (ه) qui seront remplacés par (h), ce dernier n’existe pas dans le système phonétique français le cas des exemples suivants : « hrira », « hdjel b zbib », « lham », « tbahedj b djej », « mchahed » connue aussi sous le nom de « msemmen », « hergma ».

Le son [x] (خ) n’existe pas dans le système phonétique français il sera remplacé par (kh), c’est le cas dans les exemples suivants « khobz », « khli’ », « khfaf » connu sous le nom de « sfendj ».

Enfin, le son [g] (غ) qui n’existe pas non plus dans le système phonétique français sera remplacé par (gh) ou par (c), exemples : « djeghlelou », « mghallef fi ghlafou », « ka’bghzel », « crible » d’où le verbe cribler qui a le même sens (instrument percé).

2.2.Adaptations morphosyntaxiques

En sachant que les systèmes du français et de l’arabe sont très différents, l’intégration de l’arabe dialectal algérien, l’emprunt lexical subira des adaptations morphosyntaxiques, en plus des adaptations phonologiques et phonétiques.

L’intégration morphosyntaxique des emprunts se manifeste par l’adjonction d’affixes (préfixes, suffixes, infixes) de l’arabe dialectal algérien au radical des langues empruntées. Cette affixation représente un élément clé dans la composition des dérivations.

2.2.1. Intégration grammaticale du genre et du nombre :

  • Intégration du féminin algérien : La marque du genre dans la langue d’origine subit un changement selon les règles de la langue emprunteuse afin de mieux s’adapter à son nouvel environnement. Ainsi, les emprunts lexicaux seront marqués en arabe dialectal algérien par un [a] final pour le genre féminin et par (soukoun : voyelle qu’on utilise si l’on veut prononcer une lettre sans son) en ce qui concerne le genre masculin.
    On notera que certains mots échapperont à la règle, cela selon les régions, ils peuvent garder le même genre comme ils peuvent changer de genre comme c’est le cas dans [sardin] en français, prononcé [sardin] dans le dialecte algérois, gardant ainsi la même prononciation tout en changeant de genre du féminin au masculin, il est repris tel qu’il est dans sa langue d’origine ‘le latin’ dans le Nord-ouest algérien [sardina] en gardant le même genre féminin.

Adjonction du suffixe [a] :
[salata] dialecte oranais = [ʃlada] dialecte algérois = [salad] en français = [insalata] italien (mot d’origine).
[tu : rta] dialecte algérien = [tuʁt] français = [tɔʁta] latin (langue d’origine).

  • Intégration du pluriel : Les emprunts aux langues étrangères introduisent la plupart du temps le pluriel externe en [ɛ : t] et [a : t] en intégrant l’arabe dialectal algérien.

Dwiyrat : [du : ira : t] = petits beurres p314, wdinetelkadi : [u : dinɛ : t] = nœuds papillon en pâte p314, sbe3et b louz : [sbeʔˤɛ :t] = petits doigts aux amandes (par traduction) =croquets aux amandes p 379.

2.2.2. Intégration sémantique

L’intégration des emprunts dans l’arabe dialectal algérien recense un changement de sens également.

Les mots cependant ne changent pas seulement dans leurs formes en s’intégrant dans une autre langue, ils se modifient également dans leurs sens. L’étymologie et la phonétique rendent ainsi d’éminents services à l’explication de ce phénomène.

Une fois le terme emprunté est inséré dans une autre langue, autrement dit le passage de la langue source à la langue cible, toute une extension sémantique va se mettre en place.

Ce phénomène fortement répandu dans le domaine culinaire, notre corpus présente une réserve d’exemples d’emprunts lexicaux, non pas des emprunts de forme uniquement, mais de sens aussi qui sont accordés à une forme sémantique équivalente à celle de l’arabe dialectal algérien.

Afin de mettre en lumière l’évolution sémantique dans certains cas, nous avons consulté les sources figurant en notes4.

Voici quelques exemples de mots utilisés dans le discours culinaire algérien :

Couscous : Le mot « couscous » désigne le nom d’un plat typiquement algérien à base de semoule de blé dur. Plat traditionnel composé de cette semoule cuite à la vapeur, accompagnée de viande et de légumes, le tout étant ensuite servi avec bouillon, harissa, boulettes de viande, merguez, etc.

Selon le dictionnaire arabe « المعاصرة العربية اللغة في المنجد » :

كسكس : الشيء : شديدا دقة دقا
كسكس : طحين من يتخذ طعام

Selon le dictionnaire des racines berbères, le mot couscous serait un dérivé de « keskesu » qui désigne le nom du plat selon le dialecte berbère.

On notera que selon le même dictionnaire il y aurait une multitude de dérivations du mot « keseksu » utilisé dans le jargon culinaire algérien :

  • « Seksek » « cribler (nettoyer avec un crible) », selon le dialecte des Touaregs, parler de l’Ahaggar.

  • Skeskes « rouler le couscous » : selon le dialecte des ghadamsis, dialecte de Ghadamès (Libye).

  • Berkukec : (préfixe augmentatif + kukec) « couscous », en français dit : « couscous à gros grains » dialecte de Ouargla, mozabite. Le berkoukes, berkoukech, ou aïch est un plat traditionnel berbère, préparé à base de pâtes en forme de gros grains de couscous, de légumes de saison et de viande. Les grains de berkoukes sont faits à base de semoule de blé dur, éventuellement mélangée de farine dans certaines régions, et roulés à la main dans un grand plat.

  • « Keskes » : ustensile, « seksu », « passoire pour faire cuire le couscous ».

  • « Sikuk », « couscous de blé, d’orge arrosé de petit-lait » selon le dialecte chleuh.

D’après les significations proposées, le mot « couscous » a gardé son premier sens en passant du berbère à la langue arabe et à l’arabe dialectal algérien. La base de ce plat qui est la semoule de blé dur et son mode de préparation n’ont été sujets à aucune variation sinon dans les accommodements qui permettent son acclimatation.

  • Mloukhia

  • En Algérie, la « mloukhia » est un plat à base de gombos cuits avec des légumes, de la viande bovine ou ovine en fonction des préférences et des traditions locales.

  • Au Liban, la « mouloukhia » est un plat à base de feuilles de corète cuisiné avec une certaine manière dans un bouillon avec de la volaille ou de la viande.

On a pris le nom de la « mouloukhia » d’un plat marocain, d’ailleurs, le plat en Algérie et le même que celui du Maroc, par contre il est différent du plat libanais ; ce ne sont pas les mêmes ingrédients la « mouloukhia » algérienne ou marocaine est à base de gombos. Alors que la « mouloukhia » libanaise est à base de feuilles de corète. Il faut dire l’histoire de la cuisine algérienne est aussi une histoire de la cuisine africaine et les Africains utilisent énormément les gombos.

Le mot « mouloukhia » serait un dérivé du mot « mouloukia » avec le « k » remplacé par le « kh » emprunté aux Espagnoles qui sont très proches du Maroc. La « moulloukia » signifiant la royauté a généré un plat royal. Ce dernier est différent d’une culture à une autre.

– Rechta. Selon le dictionnaire arabe

« المعاصرة العربية اللغة في المنجد
Rechta : رشت. الرشتة : (فارسية). العجائن وفتائل العدس من مصنوع طعام Pâtes en fils (perse).

Il était nécessaire de chercher la définition exacte du mot « فتائل » afin de retrouver le sens du mot « rechta ».

فتلك. فَتَلَ : _ فَتْلاً : مدّ و صنع خيوطا، غزل :(فتل الصوف)IIبرم، جدل، ضفر : (فتل حبلا )، ( فتل شعرا)IIلف على شكل حلقات و دوائر : ( فتل شعره)IIلوى :(فتل ذراع فلان )II( فتل وجهه عنهم ) : أداره، صرفه II(فتل فلانا عن رأيه ) : صرفه ولواه

On note que le mot « rechta » est très proche de « rista » c’est pour cela qu’on a cherché à traduire le mot « rista ».

Selon Bernard Rosenberger dans « les pâtes dans le monde musulman » : « … Rista est un mot persan qui signifie littéralement fil… »

Selon le dictionnaire étymologique des mots français venant de l’arabe, du turc et du persan. Georges A. Bertrand, « rista =fil ».

Le mot « rechta » serait en fait une symbolisation des pâtes qui composent ce plat (pâtes fines ressemblant à des fils).

– Chlada : « Chlada » est un plat d’entrée, nommé « slata » aussi selon le dialecte oranais.

Selon le dictionnaire « المعاصرة العربية اللغة في المنجد

Salade (سلطة) : والملح بالخل ويبلل مطبوخة غير مقطعة وفواكه خضر من يعمل طعام

Plat composé de légumes ou de fruit coupés non cuits assaisonnés avec du vinaigre et du sel.

« Salade » de l’italien « insalata », qui signifie « mets salé ».

Ce que nous avons remarqué d’après les significations proposées c’est que le mot « chlada » n’existe que dans le dialecte algérien précisément celui du Centre et de l’Est. Le mot « chlada » serait à l’origine « salata » ou encore « salta » comme il est porté dans certains dictionnaires de l’arabe classique. Le « s » a été remplacé par « ch ». On va considérer sa signification comme étant le premier sens du mot « chlada », car ce mot est connu en français « salade » désignant le même sens (mets à base d’herbes potagères, ou de certains légumes, assaisonnés d’une vinaigrette et parfois agrémentés d’autres ingrédients). Donc, le mot a gardé son sens premier dans l’arabe dialectal algérien, mais pas qu’il a connu un deuxième sens en passant de la langue source (latin, italien) à la langue cible (l’arabe dialectal algérien), celui de « laitue » qui est une plante herbacée consommée crue.

Conclusion

Pour conclure, l’art de la cuisine est une expression de l’identité culturelle d’un pays. Cela est particulièrement vrai dans le cas de la cuisine algérienne. Dans cet article, nous avons cherché à expliquer les traits spécifiques du lexique gastronomique algérien. Notre analyse, fondée sur des mots, locutions et expressions imagées tirés d’un recueil de revues de cuisine, révèle que le lexique culinaire de l’algérien se nourrit d’un éventail de termes précis, de mots dérivés et composés, d’adjectifs et de figures de style qui contribuent à la richesse de ce champ lexical qui est, en même temps, un champ métaphorique du fait qu’il est la source d’un nombre énorme d’expressions imagées.

L’auteur de la recette intègre ainsi lui-même des strates individuelles sur l’objet traité. Ces strates vont de l’identification et du marquage de la recette de cuisine, à son lieu d’inscription. « Le savoir-faire culinaire se convertit d’usage intra-culturel, ou intra-familial, en mémoire figurative ».5

La question de la perte sémantique et de la subjectivité se pose dans le processus de fixation de la recette, dans un dispositif sensible. Les notions de trace et d’empreinte y sont particulièrement présentes. La trace est envisagée comme une donnée qui n’existe que par rapport à une autre, soit « la trace de quelque chose, d’un ingrédient par exemple ».

1

2 Charedeau, P. (2002) Dictionnaire d’analyse du discours, Paris, Sevil , P106

3 www.revistas.usp.br/esse.nov2017.p1

4 -« DICTIONNAIRE HISTORIQUE de la langue française. LE ROBERT. Sous la direction de Alain Rey », « Le Dictionnaire étymologique des mots français

5 Ricour, P. 1996, soi-meme comme un autre. Paris, Sevil. P 424

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1

2 Charedeau, P. (2002) Dictionnaire d’analyse du discours, Paris, Sevil , P106

3 www.revistas.usp.br/esse.nov2017.p1

4 -« DICTIONNAIRE HISTORIQUE de la langue française. LE ROBERT. Sous la direction de Alain Rey », « Le Dictionnaire étymologique des mots français venant de l'arabe, du turc et du persan. Georges A. Bertrand », le « Dictionnaire des racines berbères communes , Suivi d’un index français-berbère des termes relevés, M. A. Haddadou », Le Trésors de la langue française, le Discours de l’auteur « Fatima Hal » ethnologue, chef cuisinière et « المنجد في اللغة العربية المعاصرة ».

5 Ricour, P. 1996, soi-meme comme un autre. Paris, Sevil. P 424

Fatima Zohra Harig Benmostefa

Université Mohamed Ben Ahmed Oran2

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