Introduction
Le statut du français dans notre pays, en dépit de tous les débats idéologiques et des politiques linguistiques adoptées et exprimée par le législateur algérien notamment l’arabisation, reste flou. En effet, le français défini par la loi d’Orientation sur l’éducation nationale (2008) comme langue étrangère, dispute toujours la place de langue d’enseignement à l’université dans les domaines des sciences et de la technologie. Le français est également une langue largement utilisée dans les différents autres secteurs y compris le domaine juridique que témoigne le journal officiel présenté en deux versions : une version arabe et une autre française. Dans ce présent article, nous nous intéressons au discours juridique algérien écrit dans cette langue, étrangère, et nous nous proposons de décrire la particularité lexicale du français juridique algérien.
Le vocabulaire est généralement la première particularité à soulever pour décrire les langues spécialisées. D’un point de vue sémantique, comme le souligne Georges Mounin, le mot est « une unité lexicale (qui) n’a pas de sens par elle-même mais seulement dans un contexte. » (Mounin, 2000 : 23) Toutefois, les langues de spécialité se caractérisent par la monosémie ou l’univocité des termes1 parce qu’il dénote souvent des objets ou des notions et que le contenu sémantique de ces unités terminologiques est fixé par leurs définitions explicites dans les textes et discours spécialisés. Les termes juridiques, en revanche, sont caractérisés par l’usage de termes issus généralement de la langue commune potentiellement chargés d’un sens juridique. Le vocabulaire juridique est, comme le définit Cornu, un ensemble de mots « qui ont au moins un sens juridique » (Cornu, 2000 :59). Ainsi, un mot juridique peut avoir plusieurs significations qui ne sont pas nécessairement toutes juridiques
Il est incontestable d’ailleurs que, objets de cultures, les langues dévoilent souvent des réalités implicites propres à chaque société. Ainsi, passant à une autre sphère culturelle, les langues se rendent compte parfois de leur inefficacité à traduire la réalité des choses. Dans le même sens, le droit, ainsi que le souligne Villey (1974), est vu comme un ensemble très complexe de discours et de pratiques dont la production, régie par certaines règles, les unes explicites et les autres non, a elle-même pour effet de régler une multitude de rapports sociaux en leur conférant, par avance ou rétrospectivement, un sens. Dans cet ordre d’idées, la loi est donc silence dans la mesure où elle ne donne du sens que par rapport à un champ de connaissances et de croyances confondues avec la nécessité d’obéissance. La loi n’a de sens que dans un contexte socioculturel qui lui est propre (Sistach, 2000).
Cette contribution tente de présenter les caractéristiques lexicales du français juridique algérien par l’analyse de mots pris du code algérien de la famille et de montrer comment des mots français sont enrichis sur le plan sémantique pour décrire des réalités relatives au contexte algérien. Nous allons voir aussi comment d’autres termes, génériques, sont introduits dans le vocabulaire juridique.
Nous répondrons, au travers d’une analyse minutieuse d’un corpus réel, aux questions suivantes : Quels effets a le contexte (culturel, social) sur le vocabulaire juridique français algérien ? Le français juridique algériconjointintise-t-il uniquement dans le vocabulaire juridique français ? Sur le plan linguistique, comment le juriste contourne-t-il l’absence d’un terme juridique français pour décrire une réalité propre au contexte algérien ?
Nous postulons pour l’hypothèse que le législateur puise dans le vocabulaire juridique français d’abord par l’enrichissement sémantique de certains mots et en ajoutant d’autres termes venant de la culture algérienne.
1. Retour sur le code algérien de la famille
La refonte du droit algérien après l’indépendance a abouti à la parution de nombreux codes se rapportant à divers domaines, concernant différents secteurs juridiques. L’ordonnance n° 75-58 du 26 septembre 1975 portant Code civil a réglé certaines situations juridiques relatives aux personnes mais qui se limitent uniquement au plan de l’individu ou des rapports individuels. La famille n’avait pas fait l’objet jusqu’alors d’une codification spécifique. C’est seulement en 1984 qu’une nouvelle codification a été promulguée. Celle-ci avait pour tâche de régir l’avenir de la famille algérienne sous tous ses aspects. Il faut dire aussi que cette nouvelle vision de la famille en Algérie se développe en parallèle avec une autre déjà entamée en occident et particulièrement en France. « L’intitulé de droit de la famille est assez récent parce que l’institution familiale est considérée aujourd’hui comme un tout, un ensemble qui doit subir ses propres règles et doit être soumis à ses lois spécifiques. » (Benmalha, 1985 : 10)
Avant 1984, les juges, pour combler le vide juridique (absence d’une loi régissant la famille algérienne), appliquaient le droit jurisprudentiel qui puise l’essentiel de ses dispositions dans le droit musulman (malha, 1985 : 10). Après avoir été adopté par l’Assemblée Populaire Nationale, le code algérien de la famille a été promulgué par le président de la République par la loi n° 84-11 du 9 juin 1984, date à laquelle il est entré en vigueur. Le code de la famille a été publié dans le journal officiel de la République n° 24 du mardi 12 juin 1984.
Le code algérien de la famille de 1984 peut être décrit comme un code national (adopté par les organes internes de l’État), un code référencé (adopté par une assemblée spécialement élue), un code écrit (un seul acte sous forme écrite), un code rigide puisque sa modification ne peut être faite que selon une procédure stricte entraînant plusieurs organes et exigeant une majorité des voix. Le code de la famille de 1984 vise à déterminer, gérer et organiser les relations entre les membres de la famille. Cet objectif a été explicité dans le premier article du code : « Toutes les relations entre les membres de la famille sont régies par les dispositions de cette loi ». Cette loi est composée de 224 articles. Pour mieux décrire ces relations, le code de la famille a été organisé en quatre livres : Du mariage et de la dissolution ; De la représentation légale ; Des successions ; Disposition testamentaire, legs, donation, wakf.
En 2005, par l’ordonnance n° 05-02 du 27 février publiée dans le journal officiel n° 15/2005, huit (08) articles ont été ajustés et introduits par le numéro de l’article existant suivi de l’indication bis (ex : article 03bis), vingt-neuf (29) ont été modifiés et cinq (05) ont été abrogés.
2. Présentation du corpus
Notre corpus est constitué de 59 mots du code algérien de la famille. Nous avons opté pour un repérage des termes juridiques du code de la famille ayant soit une charge sémantique différente des mêmes termes dans le vocabulaire juridique français, soit de nouveaux termes introduits par le législateur algérien.
Nous avons d’abord relevé les définitions explicitant les significations de ces termes dans le code algérien de la famille puis, dans un deuxième moment, nous avons vérifié le degré de rapprochement de ces acceptions avec celles proposées par le Dictionnaire du lexique des termes juridiques (2017-2018). Ce travail, nous a permis de comprendre comment les significations des mots sont enrichies ou modifiées. Dans un dernier lieu, nous avons tenté de dépeindre les mécanismes en jeu mis en œuvre par le législateur afin de créer de nouveaux mots capables éventuellement décrire des réalités propres à la société algérienne.
3. Analyse du corpus
Cornu classe les termes qui font partie du vocabulaire juridique en deux sous-groupes en fonction du degré de leur appartenance au domaine juridique : ils sont soit porteurs d’un sens juridique (chaque unité possède une charge potentielle et suffit par elle-même à produire un sens), soit possédant, à côté du sens juridique, un ou des sens qui ne relèvent pas du domaine du droit. Il distingue alors entre des termes d’appartenance exclusive au droit et d’autres de double appartenance.
Les termes d’appartenance exclusive sont des termes qui n’ont qu’un ou plusieurs sens juridiques. Ce sont des mots qui appartiennent à la langue (le français, l’arabe…) mais qui ne possèdent pas de sens, même métaphorique, en dehors de la langue du droit. Ainsi, le langage juridique est technique principalement parce qu’il nomme (le référent) et secondairement par la façon dont il l’énonce (vocabulaire, discours) (Cornu 2000: 59) Toutefois, les termes exclusivement juridiques ne constituent qu’un ensemble limité du vocabulaire juridique. Cornu précise qu’en français juridique, on pourrait compter approximativement 400 mots. Nous citerons dans notre corpus les termes : clause, contrat, préjudice, statut. Ces termes sont utiles et intéressants mais ils ne font pas partie du vocabulaire juridique essentiel : « les termes linguistiquement les plus juridiques ne seront pas globalement les plus juridiques » (Cornu 2000: 91), ils ne représentent que des éléments marginaux. Ce fait peut être expliqué dans notre cas par le fait que le code de la famille ne s’adresse pas uniquement aux juristes mais aussi, et essentiellement, à la société, aux membres de la famille et de ce fait, le langage employé doit être accessible à tous.
Notre analyse s’appuie sur les travaux de Bréal et Ullmann sur le changement sémantique. Bréal, le fondateur de la sémantique française, a proposé une classification des types de changements sémantiques alors que Ullmann consacre ses travaux aux causes et conséquences des changements sémantiques.
Le dépouillement des résultats nous a permis de dégager Deux classes de termes :
3.1. Des termes dont le sens a subi des modifications
Ces termes font preuve d’une dynamique sémantique due principalement à des phénomènes externes, principalement sociaux (Ulllmann, 1967). Les mots qui véhiculent une culture ne peuvent être dissociés de leur contexte d’origine. Du coup, l’usage des mots subit des influences du nouveau contexte où il est implanté pour mieux décrire cette nouvelle situation. Le corpus que nous observons nous permet donc d’une part, de remettre en question la dichotomie saussurienne synchronie/diachronie qui stipule que les changements s’opèrent exclusivement sur le plan diachronique et d’autre part de confirmer les travaux ayant souligné le rôle du contexte notamment ceux de Mounin pour qui le mot est déterminé par des facteurs contextuels. Nous voyons bien comment le contexte contribue à une réorganisation du système en intervenant sur le sens des mots.
Les modifications sont dues soit à une restriction ou à un élargissement du sens que Bréal considère comme :
« Un fait qui domine toute la matière, c’est que nos langues, par une nécessité dont on verra les raisons, sont condamnées à un perpétuel manque de proportion entre le mot et la chose. L’expression est tantôt trop large, tantôt trop étroite » (BREAL, 1897 : 107)
Certains changements sont dus à la restriction de sens liée aux situations particulières où le mot est utilisé. Ainsi, en décrivant de nouvelles réalités, le sens du mot se trouve réduit. C’est le cas de famille, foyer conjugal, Des biens de mainmorte, succession, testament… Il s’agit principalement de termes qui ont une charge juridique.
D’autres termes ont subi des modifications par élargissement du sens qui constitue le phénomène inverse de la restriction de sens. Par ce procédé, le mot maintient le ou les premier (s) sens et acquiert un ou plusieurs nouveaux sens en plus du premier. C’est le cas de mariage, tuteur, le curateur, fiançailles, donation. Il s’agit principalement de termes dont le premier sens est général.
D’autres encore abandonnent leur premier sens et adoptent un nouveau en relation à la culture et le contexte social décrits. C’est le cas de dot, les deux arbitres, droit de garde, le mineur.
Table N° 1 : Les mots ayant subi des modifications de sens
Mot |
Signification français juridique français |
Signification français juridique algérien |
La famille |
Au sens large : ensemble des personnes descendant d’un auteur commun et rattachées entre elles par un lien horizontal (mariage, mais aussi concubinage), et un lien vertical (la filiation). |
La famille est la cellule de base de la société, elle se compose de personnes unies par les liens de mariage et de parenté. |
Les fiançailles |
Promesse réciproque de deux personnes qui prennent l’engagement d’entrer prochainement dans les liens du mariage. Bien que ne constituant pas un contrat juridiquement obligatoire, les fiançailles constituent un fait juridique : leur rupture abusive engage la responsabilité civile délictuelle de l’auteur de la rupture. Le décès accidentel de l’un des fiancés peut, éventuellement, ouvrir un droit à réparation de l’autre contre le tiers responsable. |
Les fiançailles « El Khitba » constitue une promesse de mariage. |
Le mariage |
Acte juridique reçu en forme solennelle par l’officier d’état civil, en vertu duquel deux personnes établissent entre elles une union dont la loi civile règle impérativement les conditions, les effets et la dissolution. |
|
Le wali tuteur |
Personne chargée de représenter un mineur ou un majeur placé sous le régime de la tutelle. Le tuteur accomplit seul les actes conservatoires et les actes d’administration nécessaires à la gestion du patrimoine de la personne protégée ; il agit seul en justice pour faire valoir ses droits patrimoniaux. Mais il doit obtenir l’autorisation du conseil de famille ou, à défaut, du juge pour faire des actes de disposition. Par ailleurs, il est des actes que le tuteur ne peut pas accomplir même avec autorisation, tels les actes qui emportent une aliénation gratuite des biens ou des droits de la personne protégée. |
Le père puis la mère puis l’un des proches parents, juge. |
La dot |
Libéralité adressée par un tiers (parent ou étranger) aux futurs époux, ou à l’un d’eux, et généralement contenue dans le contrat de mariage. |
Ce qui est versé à la future épouse en numéraire ou tout autre bien qui soit légalement licite. Cette dot lui revient en toute propriété et en dispose librement |
Les deux arbitres |
Personne privée, ayant le plein exercice de ses droits civils, chargée d’instruire et de juger un litige à la place d’un juge public, à la suite d’une convention d’arbitrage. |
Personnes désignées par le juge pour réconcilier deux conjoints en instance de divorce. L’un est de la famille de la femme, l’autre de la famille de l’homme |
Le droit de garde (hadana) |
Droit de la famille : Prérogative essentielle de l’autorité parentale. Elle confère à son titulaire le pouvoir de contraindre ses enfants mineurs à vivre sous son toit, mais aussi de décider plus généralement du mode de vie de l’enfant, de ses relations et de ses activités. Elle connaît toutefois certaines limites, tenant aux relations de l’enfant avec les tiers (ex. : avec ses ascendants). |
Art 64 |
Le mineur |
Moins de 18 ans |
Moins de 19 ans |
Le curateur |
Personne chargée par le conseil de famille ou le juge d’assister un majeur placé sous le régime de la curatelle. C’est-à-dire qui assiste une personne majeure en raison d’une altération de ses facultés mentale ou corporelle mais sans être hors d’état d’agir elle-même. |
Le curateur est la personne désignée par le tribunal, à défaut de tuteur légal ou testamentaire, pour l'administration d'une personne complètement ou partiellement incapable, à la demande de l'un de ses parents, de toute personne y ayant intérêt ou du ministère public |
Habitation / foyer conjugal |
Habitation |
Foyer conjugal |
Disparition/disparu/ absent |
Événement qui, en raison des circonstances dans lesquelles il est survenu, fait douter de la survie d’une personne. Sa non-représentation, consécutive au péril de mort auquel elle s’est trouvée exposée, conduit à bref délai à un jugement déclaratif de décès |
-Le disparu est la personne absente dont on ignore où elle se trouve et si elle est en vie ou décédée. Il n'est déclaré tel que par Jugement. |
Adoption / recueil légal (kafala)/ kafilmakfoul |
Création par jugement d’un lien juridique de filiation entre 2 personnes qui, sous le rapport du sang, sont généralement étrangères l’une à l’autre. Elle peut être simple ou plénière. |
Le recueil légal est l'engagement de prendre bénévolement en charge l'entretien, l'éducation et la protection d'un enfant mineur, au même titre que le ferait un père pour son fils. Il est établi par acte légal |
Succession |
Succession |
Les bases de la vocation héréditaire sont la parenté et la qualité de conjoint. |
Testament |
Acte juridique unilatéral par lequel une personne, le testateur, exprime ses dernières volontés et dispose de ses biens pour le temps qui suivra sa mort. |
Le testament est l'acte par lequel une personne transfert un bien à titre gratuit pour le temps où elle n'existera plus. Art. 185. - Les dispositions testamentaires ne peuvent excéder la limite du tiers du patrimoine. L'excédent du tiers du patrimoine du disposant ne s'exécute que si les héritiers y consentent. |
Donation |
Contrat par lequel une personne (le donateur) transfère, immédiatement et irrévocablement, avec intention libérale, la propriété d’un bien, sa nue-propriété, ou l’un des autres droits réels principaux (usufruit) à une autre (le donataire) qui l’accepte sans contrepartie |
La donation est le transfert à autrui de la propriété d'un bien à titre gratuit. Il est permis au donateur d'exiger du donataire l'accomplissement d'une condition qui rend la donation définitive. |
Des biens de mainmorte (waqf) |
S’applique aux biens appartenant aux personnes morales qui se trouvent, du fait que leur possesseur a une existence indéfinie, retirés du circuit économique et échappent, notamment, aux règles des mutations par décès : les biens sont dits de mainmorte parce que la main qui les détient (la personne morale) ne meurt pas. |
La constitution d'un bien de mainmorte (waqf) est le gel de propriété d'un bien au profit de toute personne à perpétuité et sa donation. |
3.2. Les termes ajoutés au vocabulaire juridique
Ils sont de trois catégories : des termes du français général inexistants dans le français juridique, des termes venant de la culture algérienne et transcrits conformément à leur prononciation ou encore des termes construits par composition.
Des termes appartenant à la langue générale et introduits avec une charge juridique comme polygamie, grossesse, insémination artificielle, l’entretien, interdite, interdiction, disparu, absent. Insémination artificielle illustre parfaitement le phénomène de chevauchement entre les différentes langues spécialisées. En effet, les termes de spécialité sont migrateurs et peuvent être introduits dans le vocabulaire d’une autre spécialité. « Insémination artificielle » est un terme de la médecine introduit dans la langue juridique pour lui donner une charge juridique propre au contexte algérien.
Polygamie subit une restriction de sens. En effet, poly est un préfixe qui signifie « plusieurs » se trouve réduit à quatre (4) dans les textes juridiques algériens. La restriction de sens renvoie pour Bréal à des mots, ou comme dans notre cas à un préfixe, ayants un sens large qui se trouvent employés dans des situations particulières. Le mot « polygamie » est introduit dans le français juridique algérien en lui conférant un nouveau sens.
L’interdite, le disparu, l’absent ont été introduits avec des charges juridiques construites par contagion (Bréal) ou sous des effets linguistiques (Ullmann). Effectivement, la concurrence répétée de ces mots avec personne (interdite) et l’homme (disparu, absent) a conduit ces mots à absorber une partie du sens de personne et l’homme et évoluent en nom.
Les termes empruntés de l’arabe sont la fatiha, le wali, sadaqelmithl, Khol’â, Wasiy, kafala, kafil, makfoul, aceb, daoui el arham, al aqdariya et al ghara, al muchtaraka, al gharawayn, al mubahala, al minbariya, waqf. Il s’agit de xénismes que Dubois définit comme « une unité lexicale constituée par un mot d’une langue étrangère et désignant une réalité propre à la culture des locuteurs de cette langue » (DUBOIS, 2007 : 512). Louis Guilbert, quant à lui, les présente comme une catégorie de mot où « On y range aussi tous les mots de la langue exprimant des réalités qui n’ont pas leur correspondant dans la langue du locuteur français » (1976 : 93). Ces mots constituent « le premier stade de l’emprunt » (DUBOIS, 2007 : 512). Du coup, tel est le cas des mots suscités, la lexicographisation de ces mots n’est pas assurée au moins immédiatement.
Les termes construits sont composés selon les structures suivantes :
N + de + N ou N + de + N + de + N, N + adj + N, N d’action + par + N, N + adj, N + adj + de + N + adj
dot de parité, Empêchements absolus du mariage, Empêchement temporaires au mariage, Prohibition par parenté, Prohibition par allaitement, Prohibition par alliance, La reprise de l’épouse, La période de tentative de conciliation, Faculté de divorce, Abandon du domicile conjugal, L’intérêt de l’enfant, Foyer conjugal, Tuteur testamentaire, Tuteur datif, les héritiers réservataires, les héritiers universels, les héritiers par parenté utérine ou cognats, héritier universel par lui-même, L'héritier aceb par un autre, L'héritier aceb avec un autre, l'éviction en matière successorale, La réduction proportionnelle des réserves successorales, L'accroissement par restitution aux héritiers réservataires, héritiers cognats, l'héritage par substitution, liquidation des successions.
Ces mots sont construits autour d’un « nom » qui est complété par des noms ou des adjectifs par l’intermédiaire de prépositions « de » ou « par ». Il s’agit donc de noms souvent venant du français général et nuancés, par la composition, pour donner plus de précisions quant au nouveau sens visé. Le choix d’une structure est motivé par des raisons sémantiques c’est-à-dire par l’information que le législateur veut transmettre avec exactitude. Le législateur peut recourir au calque de structures déjà existantes en français juridique français pour construire de nouveaux mots tel que dans « héritier universel ». Il est difficile de trouver un synonyme à aceb ou Ossab, il construit un mot semblable, sur le plan orthographique, à « légataire universel » déjà existant en français juridique.
Table N° 2. Termes ajoutés dans le français juridique algérien
Mot |
Signification français juridique algérien |
Mot |
Signification français juridique algérien |
La fatiha |
Cérémonie de lecture de la fatiha (sourate du coran) pour faire preuve de bonne foi. Ce concept n’est pas défini dans le français juridique |
La période de tentative de conciliation |
Période de réconciliation des époux avant divorce |
Sadaq el mithl (dot de parité) |
À défaut de fixation de la dot dans le contrat de mariage, la dot de parité est versée à l’épouse. |
Faculté de divorce |
Propre à l’homme |
Polygamie |
Il est permis de contracter mariage avec plus d’une femme dans les limites de la charia’a. |
|
Propre à la femme |
Validation du mariage |
Jugement qui confirme le mariage |
Abandon du domicile conjugal |
Pas de définition ou précision sur la durée |
Empêchements absolus du mariage |
La parenté, l’alliance, l’allaitement |
L’intérêt de l’enfant |
Pas de définition |
Empêchements temporaires au mariage |
Femme mariée |
L’entretien |
Consiste en la nourriture, l’habillement, les soins médicaux, le logement ou son loyer et tout ce qui est réputé nécessaire au regard de l’usage et de la coutume |
Prohibition par parenté |
Les femmes interdites au mariage à cause de leur parenté avec l’homme. |
Tuteur testamentaire |
Doit être musulman, sensé, pubère, capable, intègre et bon administrateur (art 93) |
Prohibition par allaitement |
Les femmes interdites par allaitement |
Tuteur datif art81 مقدم |
|
Prohibition par alliance |
Les femmes interdites par alliance |
Interdite, interdiction |
-Est interdite toute personne majeure atteinte de démence. d'imbécillité ou de prodigalité ou sujette à l'un de ces états. |
Grossesse |
Minimum 6 mois et le maximum 10 mois |
Disparition/disparu/ absent |
-Le disparu est la personne absente dont on ignore où elle se trouve et si elle est en vie ou décédée. Il n'est déclaré tel que par Jugement. |
Insémination artificielle |
Définition art 45 bis |
Les héritiers réservataires (héritiers fard) |
Le père, l'ascendant paternel quel que soit son degré, le mari, le frère utérin et le frère germain |
Mariage nul |
Consentement est vicié |
|
L’héritier universel (aceb) est celui qui a droit à la totalité de la succession lorsqu’il n’y a pas d’autre héritier ou à ce qui en reste après le prélèvement des parts des héritiers réservataires (fard). Il ne reçoit rien si, au partage, la succession revient en totalité aux héritiers réservataires |
La reprise de l’épouse |
Action par laquelle l’homme reprend son épouse, après divorce, avec l’accord de celle-ci. |
Les héritiers par parenté utérine ou cognats (daoui el arham) |
les héritiers ayant la même maman. |
Les héritiers universels (aceb) |
L’héritier universel (aceb) est celui qui a droit à la totalité de la succession lorsqu’il n’y a pas d’autre héritier ou à ce qui en reste après le prélèvement des parts des héritiers réservataires (fard). Il ne reçoit rien si, au partage, la succession revient en totalité aux héritiers réservataires. |
Les héritiers cognats |
Les cognats de première catégorie viennent à la succession dans l'ordre suivant ; les enfants des filles du de conjoint et les enfants des filles du fils à quelque degré qu'ils soient. |
Les héritiers par parenté utérine ou cognats (daoui el arham) |
les héritiers ayant la même maman. |
L'héritage par substitution |
Si une personne décède en laissant des descendants d'un fils décédé avant ou en même temps qu'elle, ces derniers doivent prendre lieu et place de leur auteur dans la vocation à la succession du de cujus selon les conditions ci-après définies |
Héritier universel (aceb) par lui-même, |
Est aceb par lui-même tout parent mâle du de cujus quelque soit son degré issu de parents mâles. |
Al aqdariya et al ghara |
Il n'y a pas de part obligatoire en faveur de la sœur en présence du grand-père, sauf dans le cas aqdariya qui associe à la succession l'époux, la mère, la sœur germaine ou consanguine et le grand-père. Les parts du grand-père et de la sœur sont combinées et partagées entre eux à raison de deux parts pour l'héritier et d'une part pour l'héritière, la base étant de six unités fractionnelles. Celle-ci est ensuite réduite à (9) neuf si bien que sur un total de (27) vingt-sept unités fractionnelles, il est accordé neuf au mari, six à la mère, quatre à la sœur et huit au grand-père. |
L'héritier aceb par un autre |
Est aceb par un autre toute personne de sexe féminin rendue aceb par la présence d'un parent mâle |
Al muchtaraka |
Le cas al mouchtaraka, la part du frère est égale à celle de la sœur, associe à la succession le mari, la mère ou la grand-mère, des frères et sœurs utérins et des frères et sœurs germains. Les frères et sœurs utérins s'associent aux frères et sœurs germains dans le partage du tiers de la succession. Le frère recevant la même part que la sœur, il est procédé au partage par tête, l'ensemble des héritiers étant issu de la même mère |
L'héritier aceb avec un autre |
Sont aceb avec un autre la ou les sœurs germaines ou consanguines du cujus lorsqu’elles viennent à la succession avec une ou plusieurs filles directes ou filles du fils du de cujus à condition qu'elles n'aient pas de frère qui soit du même degré ou de grand-père. |
Al gharawayn |
En cas de présence de l'épouse et des père et mère du de cujus, l'épouse reçoit le quart de la succession , la mère le tiers du reliquat, soit le quart de la masse successorale, le père le reste. En cas de présence du mari et des père et mère de la défunte, le mari reçoit la moitié de la succession, la mère le tiers du reliquat, soit le sixième de la masse successorale et le père le reste. |
L'éviction en matière successorale (hajb) |
L'éviction en matière successorale est la privation complète ou partielle de l'héritier du droit à la succession. Elle est de deux espèces : 1°) éviction par réduction, 2°) éviction totale de l'héritage. |
Al mubahala |
En cas de présence du mari, de la mère et d'une sœur germaine ou consanguine, le mari reçoit la moitié de la succession, la sœur la moitié et la mère le tiers. La base étant de six unités fractionnelles, celle-ci est proportionnellement réduite à huit ce qui assure au mari trois huitième, à la sœur trois huitième et la mère deux huitième. |
La réduction proportionnelle des réserves successorales |
consiste en l'accroissement d'une ou plusieurs unités du dénominateur des fractions équivalant aux parts des héritiers réservataires. Si le partage dégage un reliquat de succession, celui-ci est partagé entre les héritiers réservataires au prorata de leurs parts successorales. |
Al minbariya |
En cas de présence de l'épouse, de deux filles et des père et mère du de cujus, leur part obligatoire est de (24) vingt-quatre unités fractionnelles. Cette base est réduite proportionnellement à vingt-sept, ce qui assure aux deux filles deux tiers de la succession, soit le seize-vingt septième, aux père et mère un tiers, soit le huit vingt septième qui équivaut au neuvième de la masse successorale. |
L'accroissement par restitution aux héritiers réservataires |
Si le partage entre les héritiers réservataires dégage un reliquat de succession et à défaut d'héritier universel (aceb), celui-ci est partagé entre les héritiers réservataires au prorata de leurs parts successorales à l'exclusion des conjoints. Ce reliquat revient au conjoint survivant à défaut d'héritier universel (aceb) ou d'héritier réservataire ou d'un cognat (dhou el arham). |
Liquidation des successions |
Sont prélevés de la succession : 1°) les frais des funérailles et d'inhumation dans les limites admises ; 2°) le paiement des dettes dûment établies, à la charge du de cujus ; 3°) les biens objets d'un legs valable. À défaut d'héritiers réservataires ou universels, la succession revient aux héritiers cognats (daoui al arham). À défaut de ces derniers, la succession échoit au trésor public. |
Les héritiers cognats |
Les cognats de première catégorie viennent à la succession dans l'ordre suivant ; les enfants des filles du de cujus et les enfants des filles du fils à quel que degré qu'ils soient. |
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La constitution d'un bien de mainmorte (waqf) est le gel de propriété d'un bien au profit de toute personne à perpétuité et sa donation. |
Conclusion
Notre présente réflexion nous a permis de dévoiler les procédés linguistiques mis en œuvre par le législateur pour rendre compte de réalités propres à la société algérienne. Le français juridique se trouve donc enrichi et nécessite un examen de près.
Il en ressort que les mots ne subissent pas uniquement des changements sémantiques en diachronie mais peuvent être influencés par le changement du contexte. En effet, les mots et les concepts sont voyageurs et, en raison des différents facteurs inhérents aux contextes, les mots s’adaptent au nouvel environnement. Ainsi, d’un univers à un autre univers ou d’un contexte à un autre contexte, les mots emportent leurs significations de départ à laquelle se greffent d’autres traits sémantiques propres au nouveau contexte pour lui donner une autre forme et/ ou un autre sens ou encore une nouvelle vie.