Autour de la créativité lexicale dans la ville de Constantine

الإبداع المعجمي في مدينة قسنطينة

Lexical creativity in the city of Constantine

Madjda Bramki et Ikram Aya Bentounsi

Citer cet article

Référence électronique

Madjda Bramki et Ikram Aya Bentounsi, « Autour de la créativité lexicale dans la ville de Constantine », Aleph [En ligne], 9 (1) | 2022, mis en ligne le 29 avril 2022, consulté le 21 décembre 2024. URL : https://aleph.edinum.org/5736

La présente contribution se veut une étude lexicosémantique portant sur les procédés de création lexicale dans la ville de Constantine. Notre objectif est de montrer que la langue ne peut se suffire à elle-même dans la mesure où elle a sans cesse besoin de se modifier et de se renouveler par de nouvelles formes lexicales pour ainsi désigner des choses et des réalités nouvelles et répondre aux besoins langagiers de ses locuteurs.
Nous avons pour cela, mobilisé tous les concepts théoriques intrinsèquement liés à notre objet d’étude. Par la suite, nous avons analysé les unités néologiques engendrées par la création lexicale, qui sera illustrée par des unités néologiques émanant de notre corpus de recherche. Enfin, nous avons dégagé les facteurs qui ont d’une manière générale, favorisé la créativité lexicale.

This contribution is an important lexicosemantic study on the processes of lexical creation in the city of Constantine. Our objective in this article is to show that language cannot stand on its own to the extent that it constantly needs to change and renew itself with new lexical forms to thus designate new things and realities.
For this, we have mobilized all the theoretical concepts intrinsically linked to our object of study. Subsequently, we analyzed the neological units generated by the lexical creation which will be illustrated by neological units from our research corpus. Finally, we have identified the factors that generally favored lexical creativity.

تهدف المساهمة الحالية هي دراسة معجمية عن عمليات الإبداع المعجمية في مدينة قسنطينة. الهدف هو إظهار أن اللغة لا يمكن أن تكون كافية في حد ذاتها بقدر ما تحتاج باستمرار إلى تعديل وتجديد من خلال أشكال معجمية جديدة من أجل تحديد أشياء وحقائق جديدة والاستجابة للاحتياجات المتحدثين.
لهذا، قمنا بتعبئة جميع المفاهيم النظرية المرتبطة جوهريًا بموضوع دراستنا. بعد ذلك قمنا بتحليل الكلمات التي تم إنشاؤها، والتي سيتم توضيحها من خلال الكلمات المتكونة من مجموعة أبحاثنا. في الأخير حددنا العوامل التي سببت عمومًا الإبداع المعجمي.

Introduction

La langue, étant une entité vivante, elle se modifie et se renouvelle sans cesse. De nouvelles unités lexicales font leur apparition tous les jours et enrichissent la langue et permettent d’appréhender de nouvelles réalités et de répondre aux besoins expressifs et communicationnels de ses locuteurs. Et ce mouvement est d’autant plus actif quand plusieurs langues sont en contact dans un même espace où elles s’interpénètrent, se concurrencent et quelquefois s’entremêlent pour désigner, nommer et s’approprier un environnement lui-même en mouvement constant. Ainsi, Constantine, haute ville de l’Est algérien est, à l’instar de l’Algérie, un territoire habité et traversé, depuis antiquité, par des populations d’origines diverses dont les pratiques linguistiques différentes ont fécondé le quotidien linguistique des locuteurs constantinois qui puisent à l’envie dans les langues et les variétés linguistiques en contact au point de faire émerger par endroits une langue marquée propre à définir une identité linguistique spécifique. C’est le processus à l’œuvre dans l’émergence de ce « géolecte » qui sera passé en revue.

1. Cadre méthodologique

1.1. Questionnement et corpus de recherche

Le panorama linguistique et sociolinguistique qu’offre Constantine nous conduit à poser les questions suivantes :

  1. Comment et par quels procédés se manifeste la créativité lexicale dans le discours des sujets parlants constantinois ?

  2. Quels facteurs motivent son emploi ?

Pour répondre à ces questions, cette étude prend appui sur le répertoire linguistique collecté auprès d’un ensemble de personnes vivant et travaillant à Constantine.

1.2. Outil d’investigation et publics d’enquête

La collecte de notre corpus s’est faite au moyen d’un entretien et plus précisément un entretien directif. Pour échantillonner nos enquêtés, nous avons pris en considération deux critères. Le premier est celui de l’âge, car nous estimons que la population âgée de 40 et 70 ans est à même de nous fournir les réponses pertinentes à notre étude. Le deuxième critère est celui de l’origine sociale du moment que nous avons préféré enquêter auprès de personnes natives de Constantine. Nous avons ciblé des personnes portant des noms de famille typiques de Constantine.

Pour procéder à l’enregistrement de notre corpus, nous avons pu nous rendre aux domiciles de nos enquêtés qui ont gentiment accepté de nous recevoir chez eux et de répondre à nos éventuelles questions. L’entretien a duré environ une trentaine de minutes avec chacun de nos enquêtés.

Le but de cet entretien étant de récolter un bon nombre de lexies (en usage à Constantine) appartenant à différents champs d’usage à savoir : les meubles, les pièces de la maison, les ustensiles de cuisine, la gastronomie, les unités de mesure, le lexique du hammam, les couleurs, les vêtements, les tissus, et les formules de politesse. Nous avons préféré classer les lexies qui constituent notre corpus pour veiller au bon déroulement de l’entretien et de la collecte des données, mais aussi pour faciliter par la suite, l’analyse de notre corpus de recherche. De cette manière, notre entretien a été orienté vers un domaine bien circonscrit puisqu’il est constitué de questions ayant trait à un champ de connaissance bien déterminé.

2. Créativité lexicale et néologie

La créativité lexicale se définit comme étant l’ensemble des processus de formations de mots nouveaux dans la mesure où la langue n’est pas considérée comme une entité stable, mais qui évolue, mue et se transforme au fil du temps. Selon L. Guilbert : « Le lexique n’a jamais pu être défini comme un système clos, en raison de son ouverture sur le référent, l’évolution du monde, de la pensée, sur la transformation de la société » (1975 : 32).

En effet, en plus du large éventail de mots déjà existant dans une langue, viennent s’ajouter au lexique de celle-ci de nouvelles unités lexicales que le sujet parlant emprunte à d’autres langues ou crée par le biais de multiples mécanismes. Que ces derniers correspondent ou non aux exigences et aux normes de ces langues étrangères, et ce afin de répondre à différents besoins expressifs et langagiers. Il faut savoir que ces mécanismes sont exploités par un public averti (auteurs, journalistes, politiciens…) comme par un public moins ou non averti. Ces mots nouveaux sont connus des spécialistes et des théoriciens du domaine sous la dénomination de : « néologismes » et le mécanisme de leur création est la « néologie ».

Les concepts de « créativité lexicale » et de « néologie1 » seront utilisés comme termes interchangeables dans la mesure où la néologie désigne le processus de création ou de formation de nouvelles unités lexicales (J. Dubois et al : 2012) qui sont connues chez les néologistes et les néologues sous la désignation de « néologismes ».

3. Classement et typologie des néologismes

Le classement et la typologie des néologismes n’ont pas été une tâche aisée. Ce processus a connu de nombreuses difficultés en raison du nombre et de l’ampleur des discordes quant à la manière de classer les néologismes. J. Sablayrolles est même allé jusqu’à proposer une typologie des typologies rassemblant tous les travaux effectués par ses pairs.

3.1. Classement et typologie des néologismes

Le classement des unités néologiques diffère d’un linguiste à un autre. Dès le début des recherches sur la néologie et les néologismes, de nombreux classements se sont enchaînés. On assiste ainsi à des taxinomies construites sur des procédés de formation d’unités néologiques, d’autres sont construites sur la sémantique. J. Sablayrolles a consacré à ce sujet tout un chapitre dans son ouvrage intitulé : « La néologie en français contemporain : examen du concept et analyse de productions néologiques récentes ».

S’appuyant sur les travaux de Y. Derradji (1999) et de J. Sablayrolles et J. Pruvot (2003), il est aisé de constater que les linguistes ne se contentent plus de distinguer deux types de néologies : la néologie formelle et la néologie sémantique. Ils font de typologies plus complexes comme celle pensée par J. Sablayrolles qui, pour élaborer sa taxinomie, s’est inspiré des travaux de J. Tournier (1985 et 1991). Son classement se compose d’une matrice externe et de plusieurs matrices internes.

3.2. Procédés de création lexicale

Pour analyser les unités lexicales de notre corpus de recherche et ainsi présenter les procédés de formation des unités néologiques, nous avons mis au point une grille d’analyse éventuellement pensée en fonction des données relatives à notre corpus de recherche. Elle se compose d’une matrice externe qui englobe l’emprunt, et de matrices internes qui regroupent : la dérivation morphosémantique, l’imitation et la déformation, la dérivation morphologique, la néologie sémantique et la dérivation morphosyntaxique.

3.2.1. Créativité lexicale et la matrice externe : l’emprunt

Selon J. Sablayrolles et al, cette matrice contient « les mots nouveaux ne sont pas produits par le système de la langue, mais sont importés d’autres systèmes linguistiques, de langues étrangères » (2003 : 116). Elle est constituée uniquement de l’emprunt. Pour J. Dubois et al :

Il y a emprunt linguistique lorsqu’un parler A utilise et finit par intégrer une unité ou un trait linguistique qui existait précédemment dans un parler B (dit langue source) et que A ne possédait pas ; l’unité ou le trait emprunté sont eux-mêmes qualifiés d’emprunts. (2012 : 117)

Le processus d’intégration de l’emprunt se fait, selon A. Queffélec et al, (2002) dans trois registres : morphologique, syntaxique et phonétique.

  • L’emprunt morphologique : L’usage de l’emprunt morphologique se caractérise dans notre corpus de recherche, par l’intégration des verbes tirés de la langue française ou autre dans le système morphologique de l’arabe, par l’adjonction de l’article défini arabe « el ». Exemples :

El bifi : (buffet), nom commun français auquel a été adjoint l’article défini arabe « el ».
El bassina : (bassine), nom commun français auquel a été adjoint l’article défini arabe « el ».
El bachmak : (bèsmâq), nom commun turc auquel a été adjoint l’article défini arabe « el ».
El sabbat : (sabbat), nom commun hébreu auquel a été adjoint l’article défini arabe « el ».

  • L’emprunt syntaxique : L’emprunt syntaxique se caractérise par l’emprunt de la marque du genre et du nombre de la langue arabe qui est appliquée intégralement aux unités tirées du français ou d’autres langues. Cette forme d’emprunt touche en l’occurrence la construction de la phrase2. Exemples :

El balcouat : pluriel du mot français (balcon), marqué par l’adjonction du /at/ à la fin de la lexie.
El bassinat : pluriel du mot français (bassine), marqué par l’adjonction du /at/ à la fin de la lexie.
El bontofat : pluriel du mot français (pantoufle), marqué par l’adjonction du /at/ à la fin de la lexie.
El dibarat : pluriel du mot français (débarras), marqué par l’adjonction du /at/ à la fin de la lexie.

  • L’emprunt phonologique : concerne le processus par lequel un locuteur remplace les sons de la langue française par des sons qui leur sont proches dans la langue arabe. Dans ce cas, le locuteur emprunte la prononciation de la langue arabe et l’adapte à la langue française. Exemples  :

El balcou : au lieu de (balcon), le son / ɔ̃/ est remplacé par le son /u/ à la fin de la lexie.
El birou : au lieu de (bureau), le son /y/ est remplacé par le son /i/ au milieu de la lexie, et le son /o/ est remplacé par le son /u/ à sa fin.
El blat : au lieu de (plat), le son /p/ est remplacé par le son /b/ au milieu de la lexie.
El salou : au lieu de (salon), le son / ɔ̃/ est remplacé par le son /u/ à la fin de la lexie.

3.2.2. Matrices internes

Dans ces matrices, les néologismes sont produits par le système interne de la langue. Elles se constituent de : la dérivation morphosémantique, l’imitation et la déformation, la dérivation morphologique, la néologie sémantique et la dérivation morphosyntaxique.

3.2.2.1. Dérivation morphosémantique

Au sein de cet ensemble, on trouve : la construction par préfixation, la suffixation et les parasynthétiques, la dérivation inverse ou régressive, la composition, l’hybridation et les mots-valises.

  • La construction : La construction des unités créatives se fait au moyen de préfixes, suffixes et de parasynthétiques.

  1. La préfixation : La préfixation consiste en l’ajout d’un affixe avant la base (radical) d’une lexie. Pour A. Queffélec et al, c’est « Ce qui distingue le préfixe du suffixe » (2002 : 109). La préfixation se présente dans notre corpus de recherche en l’ajout de l’article défini arabe « el » au début des lexies étrangères. Exemples :

El bibliothèque : l’article défini arabe « el » est ajouté à la base du mot français (bibliothèque) en guise de préfixe.
El fenjal : l’article défini arabe « el » est ajouté à la base du mot turc (fènğâl) en guise de préfixe.
El grini : l’article défini arabe « el » est ajouté à la base du mot français (grenier) en guise de préfixe.
El lyane : l’article défini arabe « el » est ajouté à la base du mot turc (lyân) en guise de préfixe.

  • La suffixation consiste, dans notre corpus de recherche, en l’ajout d’une particule arabe à la fin d’une base française du type : /a/,/at/. Les formes de flexion arabe sont à l’origine de cette procédure. Exemples  :

Itra : la particule arabe /a/ est employée pour exprimer le singulier féminin de la troisième personne, est ajoutée à la base française (litre) en guise de suffixe.
Itrat : la particule arabe /at/ qui est employée pour exprimer le pluriel féminin de la troisième personne, est ajoutée à la base française (litre) en guise de suffixe.
Mitra : la particule arabe /a/ qui est employée pour exprimer le singulier féminin de la troisième personne, est ajoutée à la base française (mètre) en guise de suffixe.
Mitrat : la particule arabe /at/ qui est employée pour exprimer le pluriel féminin de la troisième personne, est ajoutée à la base française (mètre) en guise de suffixe.

    • Les parasynthétiques. En plus de l’usage des préfixes et des suffixes, nous avons constaté que nos locuteurs tentent parfois de concilier les deux en utilisant un préfixe et un suffixe dans une même unité lexicale. Exemples  :

El bassina : est constitué du préfixe « el » (article défini arabe), ainsi que du suffixe /a/ utilisé pour exprimer le féminin du mot français (bassine).
El batista : est constitué du préfixe « el » (article défini arabe), ainsi que du suffixe /a/ utilisé pour exprimer le féminin du nom propre français (Baptiste).
El bontofa : est constitué du préfixe « el » (article défini arabe), ainsi que du suffixe /a/ utilisé pour exprimer le féminin du mot français (pantoufle).
El marmita : est constitué du préfixe « el » (article défini arabe), ainsi que du suffixe /a/ utilisé pour exprimer le féminin du mot français (marmite).

  • Dérivation inverse ou régressive. La dérivation inverse ou régressive consiste en la suppression d’un préfixe ou d’un suffixe à une unité lexicale qui existe auparavant dans la langue. Exemple  :

El keskas : suppression du suffixe « ier » du mot français (couscoussier).
El grini : suppression du suffixe « ier » du mot français (grenier).

  • Composition. Pour J. Sablayrolles : « Le terme de composition est réservé à la fusion en une unité lexicale de deux unités lexicales susceptibles d’autonomie, ce que l’on appelle traditionnellement des mots » (2009 : 219).

La composition se caractérise dans notre corpus de recherche, par la juxtaposition de deux unités lexicales entièrement autonomes. Exemples  :

Bit el goâad : le locuteur a juxtaposé la lexie « bit » qui signifie (chambre) en arabe à la lexie « el goâad » qui signifie (lieu où l’on s’assied).
Bit el ma : le locuteur a juxtaposé la lexie « bit » qui signifie (chambre) en arabe à la lexie « el ma » qui signifie (de l’eau).
El garde-robe : le locuteur a juxtaposé la lexie « garde » à la lexie « robe ».

  • L’hybridation se compose de deux éléments qui n’appartiennent pas à la même langue. Exemples  :

Hrir el fourir : le locuteur a juxtaposé la lexie arabe « hrir » qui signifie (soie) en français à la lexie française (fourrure).
Nos itra : le locuteur a juxtaposé la lexie arabe « nos » qui signifie (demi) en français à la lexie française (litre).
Nos mitra : le locuteur a juxtaposé la lexie arabe « nos » qui signifie (demi) en français à la lexie française (mètre).
Tajine el formage : le locuteur a juxtaposé la lexie arabe « tajine » à la lexie française (fromage).

Les mots-valises. Selon J. Sablayrolles, les mots-valises consistent en « la combinaison en un mot, souvent fantaisiste, des signifiants au moins altérés, de deux ou plusieurs lexies, avec création d’un signifié qui combine des signifiés des diverses lexies présentes » (2000 : 224).
Ce procédé consiste à coller le début d’un mot à la fin d’un autre pour créer un mot nouveau. Exemples :

El tricoud’pou : au lieu de (tricot de peau), le locuteur a fusionné « tricot », « de » et « peau » pour ainsi former une seule lexie.
El tricou d’pouat : pluriel de (tricot de peau), le locuteur a fusionné « tricot », « de » et « peau » pour ainsi former une seule lexie.

3.2.2.2. Imitation et déformation

  • La paronymie se manifeste dans notre corpus de recherche par l’altération et la déformation volontaire ou involontaire du signifiant d’une lexie trop difficile à prononcer. Ce procédé affecte la sonorité ou la graphie d’un mot et permet la création de paronymes. Exemples :

El bardsou : le locuteur a déformé la lexie française (pardessus) et l’a remplacée par « el bardsou ».
El foutay : le locuteur a déformé la lexie française (fauteuil) et l’a remplacée par « el foutay ».
El kafatira : le locuteur a déformé la lexie française (cafetière) et l’a remplacée par « el kafatira ».
El tirons : le locuteur a déformé la lexie française (terrasse) et l’a remplacée par « el tirons ».

  • Les fausses coupes. La lexie néologique engendrée sur les fausses coupes est une lexie dont les frontières ordinaires entre les différents morphèmes ne se sont pas respectées par le sujet parlant. Exemples :

El tricoud’pou : au lieu de (tricot de peau), le locuteur a fusionné la lexie française (tricot) avec la préposition (de) et la lexie française (peau).
El tricoud’pouat : pluriel de (tricot de peau), le locuteur a fusionné la lexie française (tricot) avec la préposition (de) et la lexie française (peau).

3.2.2.4. Dérivation morphologique

    • La troncation consiste à alléger ou à abréger une lexie par la suppression d’une ou plusieurs de ses syllabes. Exemples herche :

El soutien : le locuteur a réduit la lexie composée (soutien-gorge) en supprimant son élément final (gorge). Ce type de troncation est appelé : « apocope ».
El soutinat : le locuteur a réduit la lexie composée (soutien-gorge) en supprimant son élément final (gorge). Ce type de troncation est appelé : « apocope ».
El chambra : le locuteur a réduit la lexie composée (chambre à coucher) en supprimant son élément final (à coucher). Ce type de troncation est appelé : « apocope ».

    • Les dérivés sur la base de sigle. La siglaison est le procédé qui permet la formation d’unités lexicales en réduisant un mot ou un ensemble de mots à leurs lettres initiales. Les sigles peuvent habituellement servir de base à des dérivés. Exemples :

El vissi : le sigle anglais (WC) a servi de base au mot dérivé « vissi ».
El vissiyat : pluriel de (WC), ce dernier a servi de base au mot dérivé « vissiyat ».

3.3. Créativité sémantique

3.3.1. Néologie sémantique

Selon F. Gudin (2000 : 303), la néologie sémantique se caractérise par l’apparition d’un nouveau signifié dans un même cadre phonologique. Il y a donc union entre un signifiant déjà existant et un signifié nouveau dont l’association forme, en termes saussuriens, un nouveau signe. Elle englobe : la conversion, le glissement de sens, la métonymie et les expressions idiomatiques.

  • La conversion : ce procédé consiste à changer l’appartenance catégorielle d’une unité lexicale sans ajout ni suppression d’affixes dérivationnels. Par exemple, un verbe peut devenir un nom ou un adjectif. Exemples :

El batista : le locuteur a changé la catégorie grammaticale du nom propre « Baptiste » lequel est devenu un nom commun.
El dfina : le locuteur a changé la catégorie grammaticale du verbe arabe « dafana : دفن » lequel est devenu nom commun.
El melwa : le locuteur a changé la catégorie grammaticale du verbe arabe « melwa : ملوى » lequel est devenu un nom commun.
Tajine bakir : le locuteur a changé la catégorie grammaticale du nom propre « Bakir » lequel est devenu un adjectif qualificatif.

  • Glissement de sens désigne le mécanisme par lequel une lexie ou une expression acquiert, au fil du temps, un sens différent de celui d’origine. Ce procédé peut donner lieu à des quiproquos ou à des incompréhensions entre locuteurs. Exemples :

El bibliothèque : la lexie (bibliothèque) désigne en français un meuble permettant de ranger et de classer des livres. Le locuteur lui a attribué un sens différent de celui d’origine, et qui veut dire : meuble qui sert de rangement pour la vaisselle.
El bit : la lexie (bit : بيت) désigne en arabe : maison. Le locuteur lui a attribué un sens différent de celui d’origine, et qui veut dire : chambre.
El bonc : la lexie (banc) désigne en français un banc ou un siège public en pierre ou en bois. Le locuteur lui a attribué un sens différent de celui d’origine en désignant un canapé.
El kafatira : la lexie (cafetière) désigne en français l’appareil ménager permettant de préparer le café. Le locuteur lui a attribué un sens différent de celui d’origine, et qui veut dire : ustensile servant à se laver les mains.

    • La métonymie est une figure de discours qui permet de représenter la totalité par la partie, le contenu par le contenant, le producteur par la production, etc. Ce procédé permet de créer selon J. Sablayrolles : « un rapport de contigüité entre le signifié originellement dénommé et le second » (2000 : 228). Exemples :

El soutien : au lieu de (soutien-gorge), le locuteur a désigné un signifiant en n’utilisant qu’une partie du signifié.
El chombra : au lieu de (chambre à coucher), le locuteur a désigné un signifiant en n’utilisant qu’une partie du signifié.

    • Les expressions idiomatiques sont des expressions spécifiques à une langue, qui ne possèdent pas nécessairement d’équivalent littéral dans d’autres langues, et dont la signification dépend non pas de chacun des mots qui les composent, mais de l’ensemble des unités qu’elles comportent. Exemples :

Â’la s’lamtek : de l’arabe (على et سلام), souhaiter la bienvenue.
B’ zyane el saâd : de l’arabe algérien, souhaiter bonne chance à quelqu’un.
Mayjik char : de l’arabe (جاء et شر), que Dieu te préserve.
Tewkaf l’ n’bey : de l’arabe (تقف للنبي), formule de politesse qu’un locuteur dit à quelqu’un qui lui rend visite.

3.3.2.Créativité grammaticale : la dérivation morphosyntaxique

La dérivation morphosyntaxique englobe : la féminisation, et la recatégorisation du substantif en adjectif.

  • La féminisation consiste à féminiser des mots censés être des substantifs masculins ou pas, par l’adjonction du suffixe arabe/a/à la fin de la lexie. Exemples :

El bassina : au lieu de (bassine), le locuteur a ajouté le suffixe arabe/a/à la fin de la lexie pour désigner le genre féminin.
El jirikana : au lieu de (jerricane), le locuteur a ajouté le suffixe arabe/a/à la fin de la lexie pour désigner le genre féminin.
El tassa : au lieu de (tasse), le locuteur a ajouté le suffixe arabe/a/à la fin de la lexie pour désigner le genre féminin.
Mitra : au lieu de (mètre), le locuteur a ajouté le suffixe arabe/a/à la fin de la lexie pour désigner le genre féminin.

  • La recatégorisation du substantif en adjectif. Ce procédé consiste, comme son nom l’indique, à recatégoriser le substantif (nom) en un adjectif qualificatif. Exemple :

Tajine bakir : le locuteur a utilisé la lexie « bakir » qu’est un substantif en tant qu’adjectif qualificatif.

4. Recensement et catégorisation des néologismes

Nous avons essayé d’inventorier tous les procédés de formation des créativités lexicales que nous avons recensés dans notre corpus de recherche. Cela dans le but de récapituler les résultats obtenus à la suite de notre analyse et pour ainsi repérer au moyen de graphiques, les types de néologismes les plus usités par nos sujets parlants. Nous comptons un total de 350 unités néologiques.

Figure 01 : Pourcentage des néologismes

Figure 01 : Pourcentage des néologismes

À partir de l’observation du graphique ci-dessus, nous notons avec un pourcentage de 45,43 % de l’ensemble des néologismes, l’apparition d’un bon nombre d’emprunts aux langues étrangères, notamment l’emprunt morphologique avec un taux de 29,14 %, l’emprunt syntaxique (9,14 %) et l’emprunt phonologique (7,14 %). Cela se justifie par le fait que les locuteurs se réfèrent aux mots des langues étrangères et principalement à ceux du français du moment que ces mots-là leur sont inconnus en arabe. Aussi, nous remarquons un fort usage de la dérivation morphosémantique à savoir : la construction avec un taux de 27,14 %, la dérivation inverse ou régressive 0,86 %, la composition 1,14 %, l’hybridation 1,43 %, et les mots-valises 0,57 %. Subséquemment, nous mentionnons, avec un taux de 14,29 %, l’apparition de la néologie sémantique, soit : 2, 29 % de conversion, 3,43 % de glissement de sens, 0,57 % de métonymies et 8 % d’expressions idiomatiques. L’usage important de la néologie sémantique par nos locuteurs s’explique par fait qu’ils inventent un nouveau signifié à un signifiant déjà existant dans une autre langue.

En outre, nous constatons que l’imitation et la déformation, la dérivation morphologique ainsi que la dérivation morphosyntaxique, loin d’être absentes de notre corpus de recherche, se présentent respectivement avec les pourcentages de 3, 14 %, 1,43 % et 4,57 % de l’ensemble des néologismes.

Conclusion

Dans le présent article, nous avons analysé une à une les unités lexicales considérées comme des néologismes, en relevant les procédés de leur création et en procédant à leur catégorisation et leur comptage, et ce afin de récapituler les résultats de notre analyse.

Nous avons décelé 350 néologismes :

La créativité lexicale

45,43 % d’emprunts
31,14 % de dérivations morphosémantiques
3,14 % d’imitations et déformations
1,43 % de dérivations morphologiques

La créativité sémantique

14,29 % de néologies sémantiques

La créativité grammaticale

4,57 % de dérivations morphosyntaxiques.

À l’issue de cette classification, nous avons pu déceler les facteurs qui favorisent l’usage de ces néologismes. L’émergence de ces derniers est influencée selon nous, par : le milieu social du locuteur, la situation de communication, l’absence de la pression normative, sa compétence langagière, l’interférence linguistique et la place qu’il occupe dans l’échange langagier.

La présente étude sur la créativité lexicale et son usage par les sujets parlants constantinois, reste une insignifiante tentative consistant à mettre l’accent sur les procédés de création lexicale employés dans un milieu socioculturel bien précis. Nous pouvons dire que la réflexion que nous avons menée à partir d’un corpus oral ne peut être probante. Une analyse sur un corpus écrit ne pourrait qu’être avantageuse du moment qu’elle permettra d’authentifier nos résultats. En sus, une étude sur d’autres milieux socioculturels très envisageable.

1 L’apparition des deux concepts « béologie » et « néologisme » remonte au XVIIe siècle à partir de mots grecs. Ils émanent tous deux de l’adjectif «

2 Dans cette analyse, la marque du « nombre » est mieux considérée dans la mesure où la marque du « genre » sera traitée dans la catégorie des

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Sablayrolles, J. F., 2000, La néologie en français contemporain : Examen du concept et analyse de productions néologiques récentes, Honoré Champion, France.

Sablayrolles, J-F., Pruvost, J., 2003, Les néologismes, Puf, France.

1 L’apparition des deux concepts « béologie » et « néologisme » remonte au XVIIe siècle à partir de mots grecs. Ils émanent tous deux de l’adjectif « néologique », constaté pour la première fois en 1726 à partir de l’adjectif grec « neos » (nouveau) et du substantif grec « logos» (mot) dans le dictionnaire élaboré par l’Abbé Guyot Desfontaines.
Le terme de « néologie »ne fera son apparition qu’en 1758 dans le sens artistique, d’activité langagière consistant à créer et à faire usage de mots nouveaux. Selon l’acception affirmée par le Dictionnaire de l’Académie Française, on retrouve la définition suivante :
« La néologie est un art, le néologisme est un abus ».

2 Dans cette analyse, la marque du « nombre » est mieux considérée dans la mesure où la marque du « genre » sera traitée dans la catégorie des dérivations morphosyntaxiques.

Figure 01 : Pourcentage des néologismes

Figure 01 : Pourcentage des néologismes

Madjda Bramki

DÉCLIC (Didactique, Énonciation, Corpus, Linguistique, interaction culturelle), Larbi Ben M’hidi– Université Oum El Bouaghi

Ikram Aya Bentounsi

Larbi Ben M’hidi– Université Oum El Bouaghi

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