Introduction
Pour traiter la question de la langue en société, précisément du français algérien, nous avons d’abord suivi les traces de nos prédécesseurs avant de nous lancer dans une étude sur la dynamique de cette variante chez les jeunes locuteurs. Les nombreux travaux consacrés à la collecte de corpus en société, dont la sociolinguistique urbaine (Morsly, 1996, Taleb Ibrahimi 2002, 1996), se sont rapprochés de l’espace social afin de répondre aux nombreuses interrogations sur la question des covariances et son rapport avec le choix des langues, les groupes et le territoire.
En Algérie, les jeunes, en raison du nombre de cette catégorie, représentent une composante importante de la société. Aussi, leurs productions discursives qui sont d’autant plus importantes finissent par prescrire une étiquette langagière spécifique aux jeunes de la région. Des transformations, des destructions, des créations, des calques qu’ils introduisent pour former de nouvelles combinaisons des pratiques du français de l’Algérie.
Dans le présent travail, nous ferons le point sur les besoins des jeunes vis-à-vis de leur emploi de cette variante, encore plus lorsqu’ils en usent dans des cadres formels tels que la classe, là où le contexte d’apprentissage des langues devient tolérant et finit par accepter le français algérien pour ses vertus communicatives.
Nous interrogerons cette notion émergente, qui a été au centre des débats lors du colloque national « le français algérien présentation et état des lieux » (2021), à partir d’une analyse d’un certain nombre de concepts, productions relevées chez un échantillon de public de locuteurs algériens jeunes (lycéens), afin de percevoir l’origine du dynamisme de cet usage particulier. Toutefois, il revient dans un premier temps d’établir une description de ce fait de langue ordinaire et de son évolution dans la société algérienne.
1. Prolégomènes à l’étude
1.1. Du français en Algérie au français algérien
La relation entre le français et la société algérienne est complexe, elle s’est installée dans le parler algérien d’une manière naturelle, de sorte que les locuteurs algériens lui ont attribué une place de choix en l’employant au quotidien dans leurs échanges interlocutifs. Selon Rabah Sebaa (1996 : 66) :
Sans être la langue officielle, la langue française véhicule l’officialité. Sans être la langue d’enseignement, elle reste la langue de transmission du savoir. Sans être la langue identitaire, elle continue à façonner l’imaginaire culturel collectif de différentes formes et par différents canaux. Et sans être la langue d’université, elle est la langue de l’université. Dans la quasi-totalité des structures officielles de gestion, d’administration et de recherche, le travail s’effectue encore essentiellement en langue française.
L’usage du français en Algérie s’est renforcé et se renforce sous une autre forme de variante en Algérie, que ce soit sous sa forme soutenue réservée typiquement aux domaines administratifs, politico-économiques ou sous celle conjuguée à l’arabe algérien omniprésente dans le quotidien du locuteur algérien.
Pour une raison ou une autre, l’évolution du vocabulaire sélectionné, du français vers le français algérien, se voit munir les locuteurs de formes linguistiques proches de leurs besoins et faisant partie ainsi de leur parlé du quotidien. Il apparaît de cette manière dans leurs expressions et productions orales et écrites, tel que nous le percevons dans les textes et les échanges sur les réseaux sociaux.
Dans ce cas, le français algérien combiné à d’autres variantes, à savoir l’arabe algérien qui contribue à la communication sociale quotidienne, varie selon la couche sociale, la zone géographique (le sociolecte), le sexe, la tranche d’âge et le niveau intellectuel. Dans ce sens, l’utilisation de la variante française algérienne dans une conversation est naturelle et se fait d’une manière fluide, notamment chez les jeunes locuteurs dont les besoins langagiers sont en constantes évolutions en rapport avec leurs centres d’intérêt.
Corollairement, le phénomène de l’algérianisation du français dans la société algérienne est une sorte de réadaptation aux nouveaux besoins langagiers, mais aussi un conflit entre une quête identitaire et une volonté explicite de modernité et d’ouverture sur le monde.
1.2. Le français algérien entre évolution et créativité
Si l’appellation de la variante le français algérien semble toute récente, certains chercheurs avaient déjà considéré le mélange arabe français, comme la continuation de pratiques langagières qui datent de l’époque coloniale. Dans ce sens, Khaoula Taleb Ibrahimi affirme :
Nous avons souvent fait référence auparavant au sabir franco-arabe, car par mélange de codes, nous voulons parler bien sûr du mélange entre l’arabe et le français qui existe en fait, depuis l’arrivée des Français en Algérie […] après l’indépendance de l’Algérie, ce sabir franco-arabe s’est maintenu. (1994 : 115)
Toutefois, il s’agit actuellement de pratiques mixtes qui témoignent de productivités langagières créatives, au-delà du sens pour s’exercer sur celui de la signifiance. Ce qui s’apparente à de l’appropriation et à de l’algérianisation du français.
Il faut croire que l’émergence des technologies de la communication, le frottement culturel, les réseaux sociaux et l’innovation ont engagé les jeunes dans ce que nous pouvons nommer comme l’une des formes de la liberté d’expression, par laquelle les interlocuteurs se sont affirmés et ont affirmé leur identité algérienne. Les langues et les variantes étant multiples en Algérie, ils ne les dénigrent pas, par rapport à leur statut et leur présence dans l’espace interlocutif algérien, mais ils n’affirment pas s’exprimer exclusivement en arabe, en français ou en amazigh. Ce sont les besoins (langagier, identitaire, culturel…) qui ont constitué un continuum linguistique qui a sans cesse évolué.
Le métissage linguistique spécifique au français algérien, dans ce sens, existant dans la société algérienne autant que la langue française a survécu au décolonialisme. Il ne résulte pas d’un processus d’alternance dans la structure de différentes formes françaises ou arabes, mais plutôt dans la forme même. Autrement dit, entre suffixe, radical et préfixe, les frontières des langues ne sont pas tracées, c’est là où l’empreinte culturelle se plaque sur le mot. Dans ce cas, le français dialectalisé représente un outil de socialisation au même titre que la trace culturelle sécurisante pour les locuteurs.
La coexistence du français avec ses variantes classique/dialectale serait à l’origine de ce qu’on appelle « un français algérien » qui s’avère être une variété du français pratiquée par les Algériens. Plusieurs phénomènes langagiers relevant de l’interpénétration des langues entrent dans la création de ce langage : l’interlangue1, l’interférence, l’emprunt, le xénisme, le calque, etc.
Il nous semble que les particularités de cette variante résident dans ce qui peut être expliqué par une habitude langagière d’usage marquant une spécificité du français parlé en Algérie. Il s’agit de formes françaises et/ou de formes abrégées ou hybrides, de formules et de mots en français qui, en dépit de leur caractère erroné ou non, restent utilisés par les Algériens. « Les sujets parlants algériens développent en fait un langage hybride nourri à partir d’un brassage de langues et de cultures » (N. Bahloul, 2009 : 257).
En effet, le parler des Algériens ferait partie des parlers les plus ouverts à la création langagière sur le plan phonologique, lexical, sémantique et morphosyntaxique. Dans ce sens, elle peut être désignée comme une forme de révolutionnaire, de rébellion qui a perduré grâce au génie créatif des locuteurs - praticiens du français algérien.
1.3. Dynamique du français algérien chez les jeunes
Par dynamique du français algérien, nous entendons le fonctionnement d’une variation linguistique selon le contact qu’entretient la langue française avec les autres langues et variétés. Celle-ci reste en perpétuelle évolution par rapport à la langue française. Pour Taleb Ibrahimi, K. (2006), il s’agit de pratiques plurilingues et de fonctionnement diglossique :
La place du français, ses rapports avec les autres langues, couplés aux relations qu’entretiennent les autres variétés langagières entre elles, font que nous sommes confrontés, en Algérie, à une situation de plurilinguisme complexe par l’imbrication des variétés en présence tant sur le plan des domaines d’utilisation que sur celui des pratiques effectives des locuteurs.
Paradoxalement à ce qui a été prévu durant la période coloniale, le français n’a pas connu un grand étendu qu’après l’indépendance, mais sous sa forme algérienne. Cette variante notamment chez les jeunes locuteurs, reprend leurs perceptions ainsi que leur rapport à cette langue qui est pourvue d’une longue histoire en Algérie.
En effet, le parler jeune algérien comprend une multitude de formes créatives du français algérien adaptées par des procédés tels que le calque ou empruntées, selon le centre d’intérêt à savoir, les outils technologiques, la mode, l’art culinaire, etc., mais aussi selon le contexte de la communication en face-à-face ou sur les réseaux sociaux.
D’un point de vue général, les jeunes semblent constituer un des sujets favoris pour les études linguistiques, on y retrouve un grand nombre d’études qui y sont consacrées, il suffit de revenir au répertoire des travaux et thèses qui lui sont consacrés. Les pratiques langagières des jeunes Algériens font objet d’une production scientifique prospère. Les chercheurs (Morsly, D., 1996, Taleb Ibrahimi, Kh., 1996, …) les traitent non seulement comme des comportements langagiers, mais aussi comme un objet scientifique à étudier et un phénomène social favorable à la recherche identitaire des jeunes (T, Bulot, 1999).
Pour les études menées jusqu’à présent en Algérie, nous notons un afflux de travaux sur le dynamisme linguistique bilingue et plurilingue (Hedid, S : 2013) montrant des exemples significatifs qui confirment que le français des jeunes est différent du français normatif et qu’il est typiquement algérien (Caubet, D., 1 997).
En ce qui concerne notre étude, nous retrouvons l’usage du français algérien même en classe. Toutefois, notre intérêt pour cet espace reste dans le cadre d’une étude sociolinguistique. Cette dernière se présente tel un véritable laboratoire de pratiques langagières variées, les jeunes au secondaire ne se conforment pas aux règles de l’emploi strict et uniquement de la langue française.
Nous pensons, en effet, que les lycéens sont portés à employer, de plus en plus, le français algérien même dans le cadre d’emploi formel. L’usage de ce dernier doit être en rapport avec les proportions que prend cette variété, ainsi que l’intérêt des interlocuteurs à garder la fluidité interactive et à débloquer, même informellement, les situations d’échanges discursifs oraux en tant que médium ou objet d’étude, en usant de cette variante telle qu’une interlangue qui fonctionne comme un code commun et conventionnel à l’ensemble des participants de la communication dans l’espace interlocutif.
Bien plus, dans la plupart des zones géolinguistiques, les échanges au sein d’une classe, pendant une séance de FLE, sont marqués par le phénomène d’hybridation qui s’actualise avec le recours concours des langues en contact : arabe, français, français algérien comme langue de référence, est d’usage si bien que l’ensemble de ses manifestations s’inscrit le plus souvent dans le cadre de production et d’expression. Les normes d’usage incarnées par le français algérien dans le cadre des échanges, accentuent dans une certaine mesure une résistance quant au maintien d’une norme attestée, d’où l’émergence d’un français parlé infiltré par l’incursion de mots et d’expressions dialectalisées. Cherrad-Benchefra, Y (1991) note qu’ : « À l’école, il [l’apprenant] valorise son savoir (…) ; la vie courante lui ordonne de s’approprier les habitudes sociolinguistiques et culturelles qui lui sont propres et qui sont pour le français déterminées par cette norme endogène qu’est le FPA ».
Les jeunes lycéens s’expriment par l’usage de formes hybrides qui résultent d’une alternance de systèmes, même si le plurilinguisme en présence se faisait de façon moins équilibrée. Ce français parlé au contact de l’arabe dialectal assure en fait une sécurité linguistique au plan conversationnel pour les apprenants.
Le recours à l’emprunt, au calque ainsi que la formation de néologisme fait partie de certains aspects de troubles d’usage de la langue française observés dans le contexte scolaire. Ces derniers se traduisent dans bien de cas sous forme d’interférences que souvent sont considérés comme des erreurs de forme hybride.
Le métissage linguistique, qui caractérise les interactions chez les jeunes, qui apparaît comme un phénomène d’interlangue accentuer et associer les formes hybrides en ces pratiques langagières à leur aspect fonctionnel. Ainsi, le français algérien, pour des cas d’apprentissage de la langue française, pourrait servir de « piédestal » pour la mise en place progressive de la langue française.
2. Analyse du corpus
Afin de retracer l’évolution de ladite variante sur le contexte sociologique algérien, il revient de nous pencher sur ses différents usages, vis-à-vis de son emploi selon différentes époques (coloniale, postcoloniale, et contemporaine). Toutefois, nous n’avons pas l’intention de nous lancer dans une étude sur le plan chronologique, mais plutôt reprendre des échantillons représentatifs de l’usage du français algérien chez les jeunes. L’emploi de certains d’entre eux remonte à des générations antérieures, ils ont fini par être maintenus pour une raison ou une autre dans le parler et dans le français algérien. D’autres sont apparus récemment, c’est cette tranche de forme qui s’est constituée à la suite de l’innovation et de la créativité en matière des échanges discursifs.
Pour ce faire, nous avons collecté un certain nombre de formes afin de les décrire et de soulever leurs caractéristiques sur le plan étymologique et morphosyntaxique.
2.1. Considérations étymologiques
Toutefois, afin de retrouver les origines des formes sélectionnées nous les soumettons à une analyse étymologique. Ceci nous permettra de comprendre les particularités du français algérien. Nous reprenons deux périodes pour traiter ce point, dans le sens où nous considérons que les particularités dans chacune d’entre elles déterminent l’évolution de la variante en question, tel que nous le percevons dans les tableaux qui suivent :
Chaque forme est apparue dans la période citée, mais dans la durabilité ou la pérennité est en rapport avec la continuité de son emploi dans les discours. Nous obtenons des formes altérées de la langue source, pour les comprendre, il a fallu remonter l’histoire de chacune d’entre elles et chercher leur étymologie, comme dans le cas de :
Boussissi : qui signifie « pont et chaussées ». Cette forme est le résultat d’un procédé d’économie du langage2, de déformation morphologique et phonétique.
Anava (en avant) signifie « allez-y », une forme engendrée par un procédé d’économie du langage, de déformation morphologique, sémantique et phonétique.
Dans d’autres formes, il s’agit d’une déformation sémantique, derrière chacune d’elles se dissimule une histoire, nous citons les deux exemples :
Mouniou : signifie « Une coupe tendance », étymologiquement vient de l’adjectif « Mignon » utilisé pour désigner un petit bambin bien coiffé avec une coupe à la crête (déformation sémantique, morphologique et phonologique).
Zinzou signifie « Un bonbon qui coûtait cinq sous », étymologiquement elle désigne un bonbon à cinq sous, dont l’origine remonte à l’époque coloniale. Autrement dit, lorsque les marchands ambulants à charrette proposaient des confiseries en criant bonbon de « cinq sous », de bouche-à-oreille le son a été déformé et le bonbon a fini par adopter cette appellation de « zinzou » (déformation sémantique, morphologique et phonologique).
De ce qui précède, nous pouvons dire que les signes de créativité dans les formes supra-citées résident dans le procédé de déformation (sémantique, morphosyntaxique ou phonétique) lui-même qui reprend une volonté d’appropriation du vocabulaire qu’il ne le dispose pas dans sa langue maternelle.
2.2. Analyse morphosyntaxique
Quant au français algérien, contemporain, il découle de plusieurs phénomènes langagiers tels : l’interlangue3, l’interférence, l’emprunt, le calque, etc.
Dans le tableau qui suit, nous présentons des exemples de formes du français algérien que nous pouvons retrouver actuellement et que nous avons distingués par celui de la période contemporaine.
Les interférences relevées dans le contexte algérien sont dues à la différence des systèmes de la langue française et de la langue arabe. L’analyse de notre corpus nous a permis de distinguer trois types d’interférence : phonétique, morphosyntaxique et lexico-sémantique à partir de la mise en évidence des différentes dispositions et du fonctionnement qui pourraient être à l’origine de la particularité de l’usage du « français algérien ».
Nous relevons une interférence phonétique due à l’absence des voyelles [y], [e], [ɛ], [ə] et des voyelles nasales du système vocalique arabe sont à l’origine des interférences relevées de notre corpus.
L’interférence phonologique est perçue lorsqu’on arrive à identifier :
« […] un phonème de la langue cible par l’intermédiaire d’un phonème de la langue maternelle ; les deux phonèmes seront dès lors reconnus et réalisés comme étant absolument identiques » (Dweik, 2000 : 225), cité par Hasanat, 2007 : 211-212).
Les différences des systèmes phonologiques de l’arabe et du français entraînent la production d’un nombre important d’interférences dans le contexte algérien.
L’observation des données du tableau n° 2 montre que les interférences du type vocalique sont omniprésentes ? Ceci s’explique par le fait que l’inventaire vocalique arabe est plus réduit que celui du français : le français possède seize voyelles tandis que l’arabe n’en a que trois.
À ceci s’ajoute l’interférence morphosyntaxique qui est l’introduction dans une langue étrangère des unités et des combinaisons d’unités linguistiques provenant de sa langue maternelle. Dans les formes retenues, celle-ci se rapporte au genre des noms et à la forme pronominale des verbes.
Tableau N° 03 : L’interférence morphologique relevée dans le français algérien contemporain
Phrases prononcées par les apprenants |
Interférences relevées |
Corrections |
[mɔ̃pɔrtɛstuvɛʁ] [ilədɑ̃sɔ̃pɔʃ] |
[mɔ̃pɔrtɛstuvɛʁ] [sɔ̃pɔʃ] |
[mɔ̃pɔrtɛstuvɛʁ] [sapɔʃ] |
À travers l’observation des données du tableau n° 3, nous avons constaté qu’en se référant à leur langue maternelle, les jeunes ont utilisé l’article féminin pour des mots français masculins et vice-versa. Le genre de l’équivalent du nom en arabe influence celui du français. C’est le cas de
[mɔ̃pɔrtɛstuvɛʁ] : l’apprenant se réfère à l’équivalent du mot « la porte » qui est masculin en arabe.
[sɔ̃pɔʃ] : L’apprenant se réfère à l’équivalent du mot « la poche » en arabe qui est masculin.
Nous retrouvons l’interférence dans la forme pronominale des verbes. Le locuteur dans ce cas se réfère soit à l’arabe standard soit à l’arabe dialectal lors de leurs productions en langue française et procède le plus souvent par « dérivation impropre ». Exemple : « inscrite » à la place de je me suis inscrit.
Pour l’interférence sémantico-lexicale, nous parlons de ce type d’interférence lorsqu’un terme donné appartenant à la langue source fait intrusion dans la langue cible, le cas des formes suivantes :
Au niveau sémantique :
-
« je coupe la route » l’usage du verbe « couper » est une interférence sémantique de l’arabe vers le français au lieu de : « traverser »
-
« c’est l’écrit qui nous pousse à faire des choix », l’usage du mot « l’écrit » est une interférence sémantique de l’arabe vers le français au lieu de dire : « le destin ».
Au niveau lexical :
L’emprunt est aussi à considérer dans l’évolution du français algérien, dans la mesure où il consiste à intégrer une unité lexicale transférée telle qu’elle d’une langue vers une autre. Ce procédé participe à l’enrichissement et au renouvellement de la langue d’accueil à la manière d’un néologisme.
Le mot adapté, emprunté et intégré à la langue peut constituer un des éléments du changement linguistique et de la richesse sociolinguistique en Algérie, selon S. Lafage « des échanges de culture » qui « se traduisent par des emprunts réciproques », ces derniers sont le résultat « des rapports et des contacts permanents entre les langues » à partir desquelles se forme le paysage linguistique de ce pays.
Le calque dans le français algérien sollicite les matériaux linguistiques de la langue d’arrivée pour transférer les expressions préfabriquées : il « consiste à former des mots ou des expressions en combinant des formes indigènes sur un modèle étranger » (Guiraud, P : 1968, p. 34). L’expression calquée dans la langue cible doit également reproduire les contraintes formelles ainsi que le sens opaque du modèle de référence.
Certaines formes verbales qui émanent à l’origine du français sont reproduites en arabe dialectal si bien qu’elles sont soumises à des variations vocaliques au niveau de leurs désinences. Aussi, les flexions retenues pour chaque verbe sont-elles calquées sur celles de l’arabe comme le soulignent les cas des formes citées dans le tableau :
« n’eflixi », « n’visioni », « n’suprimi » : le « n » renvoie au pronom personnel « nous » en français.
Le « h » dans les formes : « rédigineh », « suprimineh » renvoie au pronom personnel faisant partie de la construction en arabe standard.
À partir de cette analyse, nous distinguons comment est apparue cette variante, de quelle manière elle a évolué et quels genres d’ajouts et de transformation ont subi les formes pour constituer ce qu’on nomme actuellement un français algérien.
Conclusion
Durant ces dernières années, en Algérie l’usage du français soutenu est devenu de plus en plus rare chez les jeunes algériens. Néanmoins, ils utilisent une variété particulière du français standard propre aux Algériens. Le français algérien, a toujours existé dans la société algérienne, mais devient plus étendu que le français, particulièrement, dans le contexte scolaire.
Les jeunes l’utilisent spontanément en contextes formels comme informels. Toutefois, il convient de souligner que les formes idiomatiques qu’ils se construisent peuvent représenter un outil utile et être perçu comme une interlangue pour l’appropriation de la langue cible en classe. La confrontation aux situations d’alternances de langues - cas de l’arabe et du français - traduit un besoin intense d’une majorité de « jeunes bilingues » qui se disposent sur un même consentement, celui d’une exploitation de la forme hybride comme moyen d’interaction, par excellence. La référence au français « algérien » en situation de classe et son implication dans des tâches pédagogiques plus ciblées peuvent aider les sujets à se construire des stratégies métacognitives appropriées à l’ensemble des difficultés auxquelles ils sont confrontés par apport à l’apprentissage de la langue française. Pour ce faire, les apprenants algériens sont à même de faire de cette variété un outil de médiation transversal dans une vision interdisciplinaire.
Bien plus, notre analyse du corpus a permis de retrouver les traces de l’évolution du français algérien, mais aussi celle des procédés de créativité adaptés par le groupe de jeunes choisis. D’une part, celle-ci est relative à l’évolution de la langue française en société, d’autre part elle est en rapport avec le dynamisme de l’emploi de la variante dans différents contextes, ceci fait qu’elle devient courante et elle est standardisée même dans les cadres formels.
D’autre part et d’un point de vue sociolinguistique, le français « algérien » peut être considéré comme étant une réelle créativité langagière, dans laquelle plusieurs phénomènes s’entremêlent (interférence, calque, etc.). Il représente une nouvelle perspective d’étude de l’évolution des variantes en société et au sein des groupes, suscitant ainsi une réelle curiosité linguistique dans le sens où le sujet est encore peu étudié.
Corollairement à tout ce qui vient d’être cité, le génie, l’innovation et la créativité qui se dissimulent derrière ce français algérien apparaît telle forme de liberté d’expression et une affirmation de l’identité algérienne.