Approche sémantique du nom propre

المقاربة الدلالية لأسماء العلم
Semantic approach to the proper name

Hania Akir

p. 17-31

Citer cet article

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Hania Akir, « Approche sémantique du nom propre », Aleph, 10 (1) | 2023, 17-31.

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Hania Akir, « Approche sémantique du nom propre », Aleph [En ligne], 10 (1) | 2023, mis en ligne le 13 octobre 2022, consulté le 21 décembre 2024. URL : https://aleph.edinum.org/7594

En envisageant l’étude du nom propre sous l’angle de la sémantique, notre contribution a pour vocation de mettre en lumière la possibilité d’analyser linguistiquement le sens du nom propre, en dépassant les approches logiques. À cet effet, elle présente des propositions proprement linguistiques, qu’elle illustre d’exemples de noms propres, divers et variés, observés en Algérie. Portant sur les théories de prédicat de dénomination, de contenu, et de sémantique interprétative, ces principales thèses linguistiques rendent compte de la définition du sens du nom propre ainsi que de la description de son fonctionnement sémantique dans ses multiples emplois, pour développer et renouveler, de fait, la notion de sens du nom propre.

تقترح مقالتنا تحليلًا لغويًا لمعنى أسماء العلم. لهذا، فإنها تقدم وتشرح نظريات المسند للتسمية والمحتوى وعلم الدلالات التفسيرية، ضرورية لتحديد وتأسيس تعريف معنى أسماء العلم، بالإضافة إلى وصف أدائه الدلالي. تستند هذه النظريات إلى أمثلة لأسماء العلم مختلفة لوحظت في الجزائر، والتي توضح وتثري الدراسة الدلالية لأسماء العلم.

Our article proposes a linguistic analysis of the meaning of the proper name. For this, it highlights the theories of the predicate of naming, content, and interpretative semantics, essential to establish the definition of the meaning of the proper name as well as the description of its semantic functioning. These are based on various examples of proper names, observed in Algeria, which illustrate and enrich the semantic study of proper names.

Introduction

Alors que le nom propre a longtemps été un objet d’étude des logiciens, l’intérêt de la linguistique pour son aspect sémantique est relativement récent.1

La masse des écrits qui lui sont consacrés s’articule principalement autour de l’existence du sens des noms propres et de sa nature. « Une simple (!) question nourrit plus de deux mille ans de logomachie : quel est le sens du nom propre? » (Hébert, 1996 : 41) Si l’on sait que le sens est, en général, une réalité complexe qui ne peut être cernée aisément, celui des noms propres s’avère encore plus complexe; car il est difficile, d’une part, de le saisir, et de circonscrire d’autre part les questions particulières qu’il est susceptible de poser.

« Le sens des mots est […] quelque chose de fuyant ou de malléable, qui peut changer avec les locuteurs ou les auteurs, au point de paraître plutôt insaisissable. » (Touratier 2004 : 26)

Cette particularité s’affirme encore davantage lorsqu’il s’agit d’appréhender le sens des noms propres; du reste, la sémantique trouve bien des difficultés à rendre compte de ce sens.

« Bien sûr qu’un nom propre a un sens », affirmait Dumpty2, cependant, les questionnements que suscite constamment ce sens sont directement liés aux difficultés inhérentes à sa définition. L’établissement du sens du nom propre est problématique, car il laisse entrevoir les limites de la conception du sens linguistique3.

Compte tenu de l’ambiguïté qui entoure la définition du sens des noms propres, celui-ci constitue un objet de discorde, soulevant des interrogations sur le type de sens que ceux-ci sont susceptibles de revêtir. La réponse à cette question prendra appui sur la théorie du prédicat de dénomination, la théorie du contenu et les vues développées par la sémantique interprétative.

Conçue comme une incessante navette entre le corpora théorique ainsi délimité et le corpus constitué de noms propres, plus ou moins connus, en usage dans l’espace linguistique algérien, l’étude présentée est inductive et gouvernée par un principe empirique.

Leur sélection repose exclusivement sur la recherche de l’établissement du sens du nom propre. Les exemples illustrant cela étant légion, il n’aurait été ni possible ni utile de tous les citer, dans notre contribution4. Ainsi, à travers quarante-huit noms propres variés, répartis en dix-huit exemples, présentés isolément, sous forme de séries, ou dans des énoncés, l’étude passera en revue les différences de traitement du sens de la catégorie lexicale du nom propre par les trois théories susmentionnées, en expliquant comment chacune d’elles conçoit, à sa manière, sa construction du sens et comment elles envisagent son étude.

1. Nom propre et prédicat de dénomination

Constatant qu’en logique, ni la thèse des noms propres vides de sens5 ni celle du sens identifiant6 n’ont réussi à fournir de réponse convaincante à la problématique sémantique posée par l’analyse du nom propre, Kleiber apporte un principe nouveau qui semble pouvoir prendre en charge les difficultés relatives à cette problématique, en proposant la théorie du prédicat de dénomination (Kleiber, 1981). Bien que cette théorie ait fait l’objet de critiques et a éprouvé ses propres limites, elle a permis la réalisation de la première approche linguistique du sens du nom propre, et constitue un tournant dans les études linguistiques françaises7.

Celle-ci est née à partir de l’idée que le nom propre, s’il n’est pas complètement vide de sens, n’est pas pour autant pourvu d’un sens descriptif comme le nom commun; il ne présente donc qu’un sens minimal, spécifique, correspondant à sa propriété de nomination individualisante. Ainsi, dans sa considération du sens du nom propre « comme l’abréviation du prédicat de dénomination être appelé /N/ », Kleiber (1981 : 351) rend compte des emplois généraux des noms propres, de leur caractère non descriptif et de leur aptitude référentielle en tant que termes singuliers. Il précise que

« le prédicat de dénomination être appelé /N/ constitue le seul contenu sémantique des noms propres. Le nom propre Shakespeare, par exemple, n’aura pas d’autre sens que “être appelé /Shakespeare/”. […] ce sens n’a rien d’identifiant. » (Kleiber, 1981 : 385)

Le prédicat de dénomination ne décrit donc pas l’objet qu’il désigne, il lui attribue simplement un nom et le fait « être de langue ». Si dans cette perspective, le nom propre accède, d’une certaine façon, au statut de signe linguistique, puisqu’il se voit pourvu d’un signifiant et d’un signifié, ce dernier se limite à renvoyer à la forme du signifiant ainsi qu’à la propriété de nommer, étant donné qu’il n’est pas descriptif des caractéristiques de l’individu désigné, et qu’il n’est pas conceptuel.

Considérons les noms propres suivants :

(1) Latifa, Saïda, Yasmina, Boualem, Farid, Khaled, Tahar, Tamanrasset, Tiaret, Tipaza, etc.
Le sens de chacun de ces noms est, respectivement, le x appelé /Latifa/, le x appelé /Saïda/, le x appelé /Yasmina/, le x appelé /Boualem/, le x appelé /Farid/, le x appelé /Khaled/, le x appelé /Tahar/, le x appelé /Tamanrasset/, le x appelé /Tiaret/, le x appelé /Tipaza/, etc. ; car dans le prédicat de dénomination, l’élément /N/ n’est plus qu’une forme phonique ou graphique.

Dans l’usage prédicatif, la synonymie est impossible. Si pour les logiciens, chacune des paires d’exemples infra est constituée d’énoncés synonymes, la théorie du prédicat de dénomination vient justement corriger cela.

(2) Le 28 mars 1959, Si El Haouès est tombé au champ d’honneur.
(2'Le 28 mars 1959, Ahmed Ben Abderrazak Hamouda est tombé au champ d’honneur.
(3) Assia Djebbar fut le premier écrivain maghrébin à siéger à l’Académie française.
(3'Fatima-Zohra Imalayène fut le premier écrivain maghrébin à siéger à l’Académie française.
(4) La disparition de l’ambassadeur de la chanson kabyle Idir suscita une vive émotion dans le monde artistique.
(4'La disparition de l’ambassadeur de la chanson kabyle Hamid Cheriet suscita une vive émotion dans le monde artistique.

Bien que les deux noms propres présentés dans chacune des paires d’exemples (2) & (2'), (3) & (3'), (4) & (4'), à savoir Si El Haouès & Ahmed Ben Abderrazak Hamouda, Assia Djebbar & Fatima-Zohra Imalayène, Idir & Hamid Cheriet, réfèrent au même individu, la synonymie entre les deux énoncés est écartée. Ces derniers n’ont pas exactement la même valeur de vérité, puisque le x appelé /Si El Haouès/, le x appelé /Assia Djebbar/ et le x appelé /Idir/ sont respectivement différents de : le x appelé /Ahmed Ben Abderrazak Hamouda/, le x appelé /Fatima-Zohra Imalayène/ et le x appelé /Hamid Cheriet/. Si deux noms propres renvoyant au même particulier ont toujours un sens différent, c’est parce que le sens « propre » des noms est différent. En fait, quel que soit leur référent, les noms propres ne sont pas synonymes :

« si donc deux noms propres coréférentiels étaient effectivement synonymes, leur substitution devrait pouvoir s’effectuer sans changer la valeur de vérité de la phrase. Or, nous avons vu qu’il n’en est rien […]. Qu’ils réfèrent à un même particulier ou non, les noms propres ne sont pas synonymes et ne peuvent pas, par conséquent, être considérés comme représentant les allomorphes d’un seul et même morphème » (Kleiber, 1981 : 386-387).

Par ailleurs, il est intéressant de prendre la mesure de l’existence du sens des noms propres, en observant l’énoncé singulier de l’exemple (5), reformulé dans (5') :

(5) Comment s’appelle Zinedine Zidane?
(5')  Comment s’appelle le x appelé /Zinedine Zidane/?

Il est évident que l’énoncé (5) est inacceptable en raison des anomalie et incompatibilité sémantiques qu’il présente. En effet, la présence de s’appeler à côté de la propriété dénominative contenue dans le sens de Zinedine Zidane, à savoir, le x appelé /Zinedine Zidane/ crée un paradoxe sémantique flagrant, que (5') fait ressortir davantage. Kleiber considère que ce type d’énoncés permet de mettre en relief le sens des noms propres et de démontrer la réalité de ce sens.

À côté de cela, il est nécessaire de prendre conscience que la conception du sens correspondant au prédicat de dénomination n’est valable que pour les noms propres et ne peut s’adapter aux noms communs, comme le montrent les énoncés suivants :

(6) En ce début d’été, Aïcha achève ses préparatifs pour son départ en vacances.
(6')  En ce début d’été, l’université accueille des étudiants venant du monde entier.

Le sens de Aïcha est le x appelé /Aïcha/, en revanche, le sens de université n’est pas le x appelé /université/. L’usage de l’expression s’appeler n’est pas le même dans le x appelé /Aïcha/ et le x appelé /université/, et entraîne des sens distincts. Cette expression est métalinguistique dans le x appelé /université/, car elle renvoie au langage et à la langue, alors qu’elle est dite non métalinguistique, ordinaire, ou mondaine, dans le x appelé /Aïcha/, parce qu’elle renvoie au monde et à la réalité. Contrairement à Aïcha qui s’appelle Aïcha, une université ne s’appelle pas université; si elle porte généralement un nom et qu’elle s’appelle X ou Y, comme l’indique l’exemple (7), elle fait partie de la catégorie rassemblée sous le nom université.

(7) Université Ferhat Abbas, Université Mouloud Mammeri, Université Abderrahmane Mira.

La distinction des emplois du verbe s’appeler se fait par les deux types de dénomination que sont la dénomination ordinaire (non métalinguistique ou mondaine), celle d’un nom propre, et la dénomination métalinguistique, celle d’un nom commun. Les exemples (8) et (8')  confirment cela :

(8) Elle s’appelle Aïcha.
(8')  Un établissement public d’enseignement supérieur s’appelle université.

Dans (8') , s’appeler a le statut d’un signe métalinguistique, alors que dans (8), s’appeler présente un statut de signes ordinaires.

Kleiber défend

« l’idée d’un s’appeler, expression métalinguistique lorsqu’il s’agit des noms communs, et d’un s’appeler, expression non métalinguistique lorsqu’il s’agit des noms propres. […] De même qu’on peut parler du poids de quelqu’un, de sa forme, de sa taille, etc., de même on peut parler, de façon ordinaire, c’est-à-dire non métalinguistique, de son nom. En demandant à quelqu’un son nom, on ne se renseigne pas sur le langage, alors que si l’on demande le nom de l’outil qui sert à tailler les vignes, l’interrogation porte sur le code linguistique. » (1981 : 394)

Si l’avantage de la thèse de Kleiber est d’avoir résolu les difficultés sémantiques évacuées par les théories logiciennes, celle-ci n’a pas permis de rendre compte du sens du nom propre dans tous ses emplois. Observons à ce propos les exemples ci-dessous :

(9) Elle avait décidé d’appeler son ours en peluche Tindouf.
(10) Pour ses camardes de l’école de musique, Mouloud était Guerouabi.
(11) Il admirait cette bâtisse qui avait un petit côté Casbah.

Le prédicat de dénomination ne convient ni pour décrire le nom propre en fonction dénominative (9), dans des énoncés appellatifs, ni en fonction d’attribut caractérisant (10) ou d’épithète qualificative (11), dans des expressions prédicatives. En effet, le sens des noms propres ne pourrait pas correspondre au prédicat de dénomination être appelé /N/ dans les énoncés supra, et de ce fait, il n’est pas possible de les reformuler de la manière suivante :

(9')  Elle avait décidé d’appeler son ours en peluche le x appelé /Tindouf/.
(10')  Pour ses camarades de l’école de chant, Mouloud était le x appelé /Guerouabi/.
(11')  Il admirait cette bâtisse qui avait un petit côté le x appelé /Casbah/.

N’étant pas adaptée pour expliquer le sens du nom propre dans toutes les constructions, la conception du prédicat de dénomination, qui se voulait universelle, n’a pas pu s’ériger en une théorie générale permettant un traitement linguistique unifié du sens du nom propre. Cette lacune a été ciblée par la majorité des critiques émises contre la théorie de Kleiber, laquelle a montré ses limites, en dépit de son mérite d’avoir établi l’idée d’un sens dénominatif du nom propre, un sens qui, sans être conceptuel ni descriptif, est proprement linguistique.

2. Contenu du nom propre

Les nombreux débats suscités par la perspective du prédicat de dénomination font apparaître la distinction entre sens et contenu du nom propre : le sens étant lié à la dénomination, le contenu, à l’emploi du nom propre dans le discours, et à son référent. Cette distinction majeure a été introduite par Gary-Prieur (1994) et vise à établir différents niveaux de sens du nom propre. En adoptant la notion de contenu, dans le cadre de la description d’un sens linguistique du nom propre, Gary-Prieur ne rejette pas la théorie du prédicat de dénomination dans son intégralité, puisqu’elle estime que ce dernier est important, dans la mesure où il constitue un des aspects du sens du nom propre, mais qu’il s’avère insuffisant pour rendre compte du fonctionnement sémantique du nom propre dans son ensemble. Voilà pourquoi, pour développer la description du sens linguistique du nom propre de manière efficace, elle propose de considérer un autre aspect du sens, représenté par la notion de contenu. Dans cette optique, elle entend par sens

« une propriété qui caractérise le nom propre en tant qu’unité de la langue, et qui est […] très bien représentée par le prédicat de dénomination; et […] par contenu des propriétés qui caractérisent le nom propre en tant qu’il est lié à son référent initial : cette relation […] a pour conséquence que certaines propriétés du référent initial peuvent intervenir dans l’interprétation du nom propre. » (Gary-Prieur, 1994 : 40)

Le référent initial du nom propre est donc essentiel dans la notion de contenu; de ce fait, il n’est pas inutile d’en rappeler la définition :

« Le référent initial d’un nom propre dans un énoncé est l’individu associé par une présupposition à cette occurrence du nom propre en vertu d’un acte de baptême dont le locuteur et l’interlocuteur ont connaissance. » (Gary-Prieur, 1994  : 29)

Le contenu du nom propre repose à la fois sur une dimension référentielle et sur une dimension énonciative. En effet, si le contenu du nom propre est formé des propriétés d’un référent précis associé au nom propre, il est aussi lié au contexte de l’énoncé, et donc au discours qui donne lieu à l’utilisation du nom propre en question. Le contexte tant énonciatif que référentiel demeure déterminant dans l’établissement de ce contenu.

On recourt à la notion de contenu, dans les emplois du nom propre qui mettent en défaut la théorie du prédicat de dénomination. Celle-là vise à rendre compte de l’interprétation des emplois du nom propre auxquels ne convient pas celle-ci; en d’autres termes, le contenu est convoqué pour interpréter ce que n’explique pas le prédicat de dénomination. Pour démontrer cela, Gary-Prieur (ibid. : 50) met l’accent sur un type de construction bien singulier, qui suscite l’intérêt, car il présente deux emplois du même nom propre : le premier fait appel au sens dénominatif, le second, ne le permettant pas, nécessite l’intervention du contenu du nom propre. Les énoncés à l’instar de (a), (b), (c), (d) de l’exemple (12) en sont une illustration.

(12)
(a) Taos Amrouche a vu naître Taos Amrouche.
(b) À cette époque, Dilem n’était pas encore Dilem.
(c) Biyouna a toujours su qu’elle deviendrait Biyouna.
(d) Fellag ne réalise pas qu’il est Fellag.

Si dans leur première utilisation, les noms propres Taos Amrouche, Dilem, Biyouna, Fellag, peuvent être glosés respectivement par le x appelé /Taos Amrouche /, le x appelé /Dilem/, le x appelé /Biyouna/, le x appelé /Fellag/, cela n’est pas possible dans leur seconde utilisation qui, de ce fait, requiert le contenu du nom propre, lequel renvoie alors à une image du référent initial, suffisamment connu, pour que l’interprétation repose sur un savoir partagé. Ainsi, qu’il désigne une écrivaine et chanteuse, un dessinateur, un(e) comédien (ne) ou un(e) humoriste, le second nom propre dans (a), (b), (c), (d) s’interprète, à chaque fois, comme « le personnage célèbre », inscrit dans les connaissances partagées par les interlocuteurs dans la situation d’énonciation. Ce type d’emploi suppose toujours que les propriétés définissant le contenu du nom propre seront facilement accessibles à ces derniers.

À côté de cela, il arrive qu’un énoncé, à l’exemple de (a), (b), (c), (d) dans (13), présente deux noms propres différents renvoyant au même individu.

(13)
(a) Bien avant de devenir Maïssa Bey, visage incontournable de l’écriture féministe algérienne, et lauréate du Prix Marguerite Audoux, en 2001, Samia Benameur était déjà sensible à la condition des femmes.
(b) Dès lors de sa participation à l’inauguration de la Radio PTT Alger, en 1928, El Anka éclipsa à tout jamais Mohamed Idir Ait Ouarab.
(c) À partir de 2008, Zaho connaît un franc succès dans l’univers musical et artistique, bien loin de celui des études d’informatique que suivait la jeune Zehira Darabid.
(d) En 2009, à Alger, le festival international de la bande dessinée rendit un vibrant hommage à Slim, pour sa contribution à l’enrichissement du patrimoine culturel algérien, auquel Menouar Merabtène a toujours été attaché.

De même que dans l’exemple (12), le premier nom propre, de chaque énoncé de l’exemple (13), est en emploi dénominatif, et le second fait appel au contenu du nom propre. Cependant, dans (13), ce sont les premiers noms, Maïssa Bey, El Anka, Zaho, Slim (que l’on peut gloser par le x appelé /Maïssa Bey/, le x appelé /El Anka/, le x appelé /Zaho/, le x appelé /Slim/) qui réfèrent à des personnages célèbres, alors que les seconds, Samia Benameur, Mohamed Idir Ait Ouarab, Zehira Darabid, Menouar Merabtène, pourraient être glosés par « un(e) citoyen(ne) ordinaire, une personne anonyme et discrète, inconnue du grand public » et doivent être interprétés comme tels. Dans chacun des énoncés de l’exemple (13), le premier nom propre désigne une personnalité publique; empreint de la renommée de son porteur, celui-ci est, en l’occurrence, chargé des notions de succès et de popularité; tandis que le second nom propre conserve un anonymat, garant d’une certaine neutralité qui le banalise et le présente comme celui d’un citoyen ordinaire. Outre leur caractère faussement tautologique, et le fait qu’ils présentent deux interprétations de noms propres désignant le même individu, l’une relevant du prédicat de dénomination et l’autre du référentiel, les énoncés de l’exemple (13) visent, d’une part, à attirer l’attention sur l’idée que ce n’est pas systématiquement la notoriété du référent du nom propre qui est recherchée pour exploiter la notion de contenu, d’autre part, à rappeler que pour établir le contenu d’un nom propre, on retient certaines caractéristiques du référent initial en fonction de la situation d’énonciation, c’est-à-dire en relation directe avec le contexte.

Enfin, il est particulièrement important de faire remarquer que si, pour l’interprétation du nom propre, il y a un sens posé par le prédicat de dénomination et un contenu qui revient à la dimension référentielle, il s’avère que ces deux niveaux du fonctionnement sémantique que sont le sens et le contenu permettent d’expliquer la différence entre nom propre et nom commun; les deux notions peuvent s’appliquer au premier, mais pas au second qui relève uniquement du niveau du sens.

3. Sémantique interprétative du nom propre

Si la théorie du contenu du nom propre introduit la notion de production de sens du nom propre en discours, d’autres propositions ont encore été faites à ce sujet. Celles-ci se fixent pour objectif de montrer que le nom propre, longtemps supposé dépourvu de sens, s’en trouve considérablement chargé dans le discours, au même titre qu’un nom commun. De ce fait, elles tentent une analyse sémique du nom propre, considérant, à la différence de la notion de contenu, que le nom propre n’a pas de sens spécifique recouvert par la catégorie du nom propre.

De même que l’a fait la version faible de la théorie du sens descriptif du nom propre (Jespersen, 1924) qui considère que le sens du nom propre ne comporte qu’un ou des traits descriptifs de son référent, comme en sémantique structurale classique, certaines approches portant sur la production de sens en discours ont essayé d’adapter l’analyse sémique au nom propre. Mais les résultats n’ont pas été satisfaisants. Prenons à titre d’exemple les noms propres suivants :

(14) Samira, Dalila, Mounira, Ahlem, Nadjet, Rym, etc.

Pour chacun d’eux, il n’est possible de dégager aucun sème spécifique, mais seulement des sèmes génériques : /humain/ et /féminin/. Cela est clairement insuffisant, puisque dans ces conditions, ces noms propres auraient exactement le même sens.

« De fait, le nom propre semble bien échapper aux structures du lexique telles qu’elles ont pu être établies dans la perspective structurale de la sémantique lexicale. » (Leroy, 2004 : 19)

Constatant que l’analyse sémique ne parvenait pas à établir une théorie précise du sens des noms propres, les recherches se sont orientées vers la sémantique interprétative, dont les apports ont été non négligeables.

Les travaux de sémantique interprétative se fondent sur une sémantique en contexte, en estimant que le signifié lexical doit intégrer les relations contextuelles, c’est-à-dire que le signifié d’un terme s’inscrit dans le cadre d’un sémantisme contextuel. Développée par Rastier (1987), la sémantique interprétative conserve la terminologie de la sémantique structurale avec les notions de sème, sémème, sèmes génériques/classème, sèmes spécifiques/sémantème; elle décrit deux types de sens : l’un, formé de sèmes inhérents en langue, l’autre, formé de sèmes inhérents et afférents en contexte.

L’intérêt d’appliquer la sémantique interprétative au nom propre réside dans le fait que certains sèmes, absents en langue, peuvent apparaître dans une situation d’énonciation donnée : des sèmes s’effacent pendant que d’autres se manifestent, tel est le processus de virtualisation ou d’actualisation des sèmes. Cela rend possible un changement de sémème, en fonction de la réalité discursive. En d’autres termes, le sémème-type d’un mot en langue est différent du sémème-occurrence de ce même mot en discours; le sémème n’est donc pas invariable. Impliquant la possibilité d’établir deux sémèmes pour un même terme et d’étudier ce qui les distingue, les notions apportées par la sémantique interprétative permettent une analyse du sens des noms propres suivant leur utilisation en langue ou en discours. Dans ces conditions, le signifié des noms propres et celui des noms communs ne sont pas envisagés comme étant fondamentalement différents et sont alors examinés de façon identique.

Attaché à cette perspective, Hébert (1996) développe une sémantique interprétative du nom propre et présente sa théorie dans laquelle il explique que, par l’opération d’actualisation des sèmes, le sémème-occurrence d’un nom propre en discours s’enrichit par rapport à son sémème-type en langue. L’exemple ci-dessous illustre cela, par trois noms propres qui sont aussi ceux de héros de romans de littérature algérienne.

(15)
(a) Fadhma8
(b) Younès
(c) Ismaël

  1. Le prénom Fadhma ne possède que les sèmes inhérents /humain/, /féminin/, /kabylophone/; mais en contexte, par exemple dans Histoire de ma vie9, Fadhma sera, en outre, porteur des sèmes afférents : /enfant illégitime/, /mère veuve/, /enfance douloureuse/, /foi chrétienne/, /rebaptisée Marguerite/, /femme kabyle/, /Algérie coloniale/, /misère/, /éternelle exilée/, /mœurs brutales/, /courage/, /stoïcisme/, /résilience/, etc.

  2. Le prénom Younès ne comporte que les sèmes inhérents /humain/, /masculin/, /arabophone/; en revanche, en contexte, par exemple dans Ce que le jour doit à la nuit10, Younès sera aussi pourvu des sèmes afférents : /drame familial/, /Algérie coloniale/, /guerre/, /patrie/, /intégration/, /double culture/, /rebaptisé Jonas/, /amour d’enfance/, /passion/, /déchirement/, etc.

  3. Le prénom Ismaël, n’est caractérisé que par les sèmes inhérents /humain/, /masculin/, /arabophone/; cependant, en contexte, par exemple dans Zabor ou Les psaumes11, Ismaël sera doté également, des sèmes afférents : /orphelin de mère/, /rejeté par le père/, /solitaire/, /marginal/, /noctambule/, /âme torturée/, /puissance de l’écriture/, /don surnaturel/, /rebaptisé Zabor/, /défi de la mort/, /petit village d’Aboukir/, etc.

L’exemple (15) montre nettement que dans la sémantique interprétative, les sèmes inhérents relèvent du sens dans le système fonctionnel de la langue, et les sèmes afférents, du sens dans le discours, lequel fait intervenir d’autres systèmes de codification basés sur des normes sociales et anthropologiques.

Par ailleurs, dans sa théorie, Hébert (1996 : 42) soutient l’idée que les noms propres célèbres possèdent, en inhérence, quatre types de sèmes : macrogénérique, mésogénérique, microgénérique et spécifique. L’exemple suivant vient confirmer cette hypothèse.

(16) Khadidja

Ce prénom, lorsqu’il désigne l’épouse du prophète, présente, en inhérence, les sèmes :

  • macrogénériques : /humain/, /féminin/, /arabophone/.

  • Mésogénérique : /foi/, /Islam/.

  • Microgénérique : /épouse du prophète/, /mère des croyants/.

  • Spécifiques : /1re épouse du prophète/, /1re musulmane/.

Toutefois, Hébert fait remarquer qu’

« en contexte, grâce à l’actualisation de sèmes afférents, tous les types de noms propres sont susceptibles de contenir les quatre types de sèmes : spécifiques, micro-, méso- et macrogénériques. La dénomination des sèmes investissant une structure sémantique variera, en langue, selon le nom considéré et, en contexte, selon le nom et le texte analysés. » (Hébert, 1996 : 42)

Ainsi, les noms propres sont en principe porteurs de peu de sèmes inhérents, par contre, en discours, l’afférence contextuelle leur permet d’avoir les sèmes micro-, méso-, macro- génériques et spécifiques. La série de noms propres, analysée plus haut, dans l’exemple (15), en est un exemple caractéristique.

Du point de vue de la sémantique interprétative, les sèmes sont présents ou s’effacent selon l’emploi du nom en question, ce qui peut créer alors une sorte de jeu d’actualisation ou de virtualisation de sèmes, lequel est décisif dans l’interprétation des énoncés. À ce propos, Hébert (1996 : 42) précise que les sèmes macrogénérique, mésogénérique, microgénérique et spécifique se trouvent parfois virtualisés, en fonction de l’être auquel le nom propre est attribué. Les énoncés (17) et (18) exemplifient cela.

(17) Anis, le plus jeune chardonneret de la volière est très sensible au froid.

Le nom Anis est donné à un animal → le sème macrogénérique /humain/ est virtualisé.

(18) Le dernier de la fratrie, Antar, joue dans l’équipe de football minime de la ville.

Le nom Antar est donné à un enfant → les sèmes mésogénérique /épopée préislamique/, microgénérique /héros arabe/, et spécifiques /valeureux/, /chevaleresque/, etc. sont virtualisés.

Dans (17) et (18), on parle de virtualisation de sèmes plutôt que de leur annulation, parce que, généralement, tout nom propre est attribué en référence à l’un de ses précédents porteurs.

Certes, la vision de Hébert permet de traiter similairement le sens des noms propres et celui des noms communs dans une analyse discursive; du reste, elle peut conduire à penser que la différence lexicale entre noms communs et noms propres repose simplement sur le fait que les premiers ont plus de sèmes inhérents que les seconds, mais moins de sèmes afférents. Cependant, l’inconvénient de cette approche interprétative défendue par Hébert est qu’elle ne prend pas en considération les spécificités du nom propre qui l’empêchent de fonctionner comme un nom commun12.

La sémantique interprétative ne présente pas une théorie générale du sens du nom propre, elle se limite à l’explication des effets de sens qui peuvent découler de ses emplois en discours. Néanmoins, cela change considérablement des sémantiques classiques qui « ne s’intéressent vraiment qu’au sens en langue et soutiennent que tous les noms propres en sont dépourvus » (Hébert, 1994 : 44). Force est de constater que la sémantique interprétative ne rejette pas, hors du système de la langue, le nom propre, et qu’elle est en mesure de décrire les phénomènes de sens que l’usage de celui-ci génère, en situation d’énonciation.

Conclusion

Ayant inscrit leurs travaux dans le sillage des logiciens dont ils ont mesuré les limites des approches estimées inopérantes, les linguistes ont affiné le traitement sémantique du nom propre. Ils ont prouvé à travers les réflexions portant sur le prédicat de dénomination, le contenu ou encore à travers les vues propres à la sémantique interprétative, la portée signifiante du nom propre.

Néanmoins, il ne faut pas perdre de vue que l’analyse et la description proposées, dans le cadre des réalisations linguistiques concernant la question du sens du nom propre, ne permettent toujours pas de clore le débat soulevé par celle-ci, et continuent, alors, d’entretenir des interrogations. Il n’est donc pas simple, en dépit des multiples recherches effectuées dans le domaine de la langue, de donner des réponses précises et complètes à cette délicate question.

Quoi qu’il en soit, l’étude présentée montre que des théories sémantiques sont applicables au nom propre et que d’autres ont été élaborées spécialement pour expliquer ses emplois, à l’instar de celles du prédicat de dénomination, et du contenu. Ces dernières représentent, en linguistique française, les approches les plus importantes, en matière de définition du sens du nom propre et de description de son fonctionnement sémantique, dans la grande diversité de ses usages. Ainsi, le nom propre peut avoir un sens relevant du prédicat de dénomination ou un contenu relevant du référent. Il peut alors faire l’objet d’une analyse de la linguistique de la langue et du discours, et partant, d’une sémantique référentielle comme d’une sémantique interprétative, chargée de rendre compte de la production de sens des noms propres en contexte situationnel. Du reste, les approches sémantiques du nom propre se démarquent des traditions linguistiques de la sémantique classique (attachée à la notion théorique du sens conceptuel renvoyant à une catégorie ou à une classe), et ouvrent la voie à une réflexion articulée autour des problématiques liées au sens des noms propres.

1 Les premières études importantes ne remontent qu’aux années 1980.

2 Dumpty cité par Engel (1984 : 431).

3 Dans les sémantiques classiques, le seul sens pertinent est celui de la dénotation.

4 Les exemples cités constituent déjà un corpus homogène, exhaustif et représentatif de l'objet de l'étude présentée.

5 Mill (1843), Kripke (1972).

6 Frege (1892), Russell (1956), Searle (1969).

7 Le nom propre, dénomination encore impropre, n'est pas un substantif comme un autre. Il porte en son sein les conditions de sa particularisation et

8 Variante phonétique kabyle du prénom arabe Fatma.

9 Titre du roman autobiographique de Fadhma Aït Mansour Amrouche (1968).

10 Titre du roman de Yasmina Khadra (2008).

11 Titre du roman de Kamel Daoud (2017).

12 Dès lors où les sèmes spécifiques du nom propre renvoient à son référent initial et ne constituent pas des traits conceptuels, il devient

Engel Pascal. 1984. « Le sens d’un nom propre », Archives de philosophie, 47, 431-448.

Frege Gottlob. 1892. Écrits logiques et philosophiques. Paris. Seuil.

Gary-prieur Marie-Noëlle. 1994. Grammaire de nom propre. Paris. PUF.

HÉbert Louis. 1996. « Fondements théoriques de la sémantique du nom propre ». in M. Léonard & E. Nardout-Lafarge (dir.): Le texte et le nom, Montréal. XYZ. 41-53.

Jespersen Otto. [1924]. La philosophie de la grammaire. Paris. Minuit. 1971.

Kleiber Georges. 1981. Problèmes de références : descriptions définies et noms propres. Metz. Université de Metz.

Kripke Saul. 1972. La logique des noms propres (Naming and Necessity). Paris. Minuit.

Leroy Sarah. 2004. Le nom propre en français. Paris. Ophrys.

Mill John Stuart. [1843]. Système de logique déductive et inductive, Paris, Alcan. 1896.

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Russell Bertrand. 1956. Logic and knowledge. Londres. Allen and Unwin Ltd.

Searle John Rogers. [1969]. Les actes de langage. Essai de philosophie du langage. Paris. Hermann. 1972.

Touratier Christian. [2000]. La sémantique. Paris. Colin. 2004.

Vassant Annette. Mot et phrase : « Dire quelque chose de quelque chose ou de quelqu’un » et la théorie de l’incidence de Gustave Guillaume. In: L’Information Grammaticale, N. 107, 2005. pp. 17-38.

1 Les premières études importantes ne remontent qu’aux années 1980.

2 Dumpty cité par Engel (1984 : 431).

3 Dans les sémantiques classiques, le seul sens pertinent est celui de la dénotation.

4 Les exemples cités constituent déjà un corpus homogène, exhaustif et représentatif de l'objet de l'étude présentée.

5 Mill (1843), Kripke (1972).

6 Frege (1892), Russell (1956), Searle (1969).

7 Le nom propre, dénomination encore impropre, n'est pas un substantif comme un autre. Il porte en son sein les conditions de sa particularisation et à ce titre il est l'équivalent d'un syntagme nominal constitué d'un substantif et d'un déterminant. Il prédique sans sortir de sa sphère propre et est ainsi marqué par un régime incidentiel interne : incidence d'une matière notionnelle, qui le particularise en en faisant un être unique, à une matière formelle qui l'inscrit dans le système comme relevant du domaine du nom, même si les choses ne vont pas de soi. Voire Anette Vassant 2005 pour mesurer les problèmes posés par la théorie de l'incidence de G.Guillaume et le nom propre.

8 Variante phonétique kabyle du prénom arabe Fatma.

9 Titre du roman autobiographique de Fadhma Aït Mansour Amrouche (1968).

10 Titre du roman de Yasmina Khadra (2008).

11 Titre du roman de Kamel Daoud (2017).

12 Dès lors où les sèmes spécifiques du nom propre renvoient à son référent initial et ne constituent pas des traits conceptuels, il devient nécessaire d’interroger les définitions d’afférence et d’inhérence en relation avec le nom propre.

Hania Akir

Université Abderrahmane Mira — Bejaia

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