Pour une présentation du traitement lexicographique du français algérien dans le Dictionnaire Historique de la langue française

المعالجة المعجمية " لمفردات اللغة الفرنسية المستحدثة بالجزائر" في المعجم التاريخي للغة الفرنسية 

For a presentation of the lexicographical treatment of Algerian French in the Dictionnaire Historique de la langue française

Sami Mabrak

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بحث إلكتروني

Sami Mabrak, « Pour une présentation du traitement lexicographique du français algérien dans le Dictionnaire Historique de la langue française », Aleph [على الإنترنت], 9 (1) | 2022, نشر في الإنترنت 05 avril 2022, تاريخ الاطلاع 23 novembre 2024. URL : https://aleph.edinum.org/5539

Le présent article aborde un sujet qui relève du domaine de la lexicographie francophone contemporaine. Il s’agit d’analyser comment le Dictionnaire Historique de la langue française (le Robert Historique, baptisé désormais le RH) traite le lexique français dont le premier usage a été attesté en Algérie. Pour ce faire, à partir des entrées du RH, nous avons constitué un corpus de tous les mots français ayant été attestés pour la première fois en Algérie (28 mots). Ensuite, en adoptant une méthode descriptive- analytique et comparative, nous nous sommes intéressés à étudier la manière dont ces mots sont traités par le RH. En fait, notre objectif est de démontrer comment ces mots sont classés et définies par le RH. Enfin, il nous importe de préciser que les résultats de notre étude permettront également de proposer une définition de ce que nous entendons par l’expression « français algérien ».
La présente étude nous a permis de confirmer que le RH applique le même traitement lexicographique sur l’ensemble du lexique français, y compris le français algérien. En revanche, si le RH définit et recense les usages de tout le lexique français contemporain, dans le cas du français algérien, il ne s’intéresse qu’aux mots attestés dans la période coloniale (1830-1962). Ce choix lexicographique s’applique également sur la description des usages contextualisés des mots du français algérien. Par conséquent, le RH définit le français algérien en adoptant une démarche de sélection historique limitée. Autrement dit, le français algérien est constitué uniquement et exclusivement à partir des mots attestés la première fois en Algérie durant la période coloniale.

This article addresses a topic that falls within the domain of contemporary French lexicography. It is about analyzing how the Historical Dictionary of the French language (Le Robert Historique, now called le RH) deals with the French lexicon, the first use of which has been attested in Algeria. To do this, from inputs from HR, we have created a corpus of all the French words having been attested for the first time in Algeria (28 words). Then, by adopting a descriptive-analytical and comparative method, we are interested in studying how these words are handled by HR. Actually, our aim is to demonstrate how these words are classified and defined by HR. Finally, it is important for us to point out that the results of our study will also allow us to propose a definition of what we mean by the expression »Algerian French".

The present study allowed us to confirm that the HR applies the same lexicographic treatment to the whole of the French lexicon, including Algerian French. On the other hand, if the HR defines and lists all the uses of the entire contemporary French lexicon, in the case of Algerian French, it is only interested in words attested in the colonial period (1830-1962). This lexicographical choice also applies to the description of the contextualized uses of Algerian French words. Therefore, HR defines Algerian French by adopting a limited historical selection approach. In other words, Algerian French is made up solely and exclusively from words attested for the first time in Algeria during the colonial period. Enter your abstract here (an abstract is a brief, comprehensive summary of the contents of the article). Enter your abstract here (an abstract is a brief, comprehensive summary of the contents of the article).

يعاجل املقال أحد املواضيع املتعلقة ابملعجمية الفرنسية املعاصرةـ إذ نتعرض ابلتحليل للطريقة اليت يعتمدها املعجمالتارخيي للغة الفرنسية يف رصد وترتيب وتعريف مفردات اللغة الفرنسية اليت كان اول استخدام هلا يف اجلزائر. من اجل ذلك، مت اعداد مدونة تتكون من مجيع مداخل املعجم التارخيي للغة الفرنسية واليت مت استقاءها من مفردات فرنسية كان اول استخدما هلا يف اجلزائر. إلجناز هذه الدراسة، مت االعتماد على منهجية وصفية وحتليلية ومقارنة، حيث مت الوقوف على املعاجلة املعجمية ملدونة الدراسة من انحية الرتتيب والتعريف. يف األخري، ومن خالل نتائج هذه الدراسة، حناول اقرتح
تعريف ملصطلح الفرنسية اجلزائرية algérien( .)français مسحت الدراسة ابلوقوف على ان املعجم التارخيي للغة الفرنسية يتبىن نفس املعاجلة املعجمية لكل مفردات اللغة الفرنسية مبا يف ذلك املفردات الفرنسية اليت كان اول استخدام هلا يف اجلزائر. جتد اإلشارة ابن املعجم التاريخ للغة الفرنسية
يرصد فقط املفردات الفرنسية الذات املنشأ اجلزائري وكذا استخداماهتا يف الفرتة االستعمارية من 1830 - .1962

Introduction

En consultant le Robert. Dictionnaire Historique de la langue française, baptisé désormais par le RH, nous avons constaté que ce dernier réserve une expression particulière pour désigner un certain nombre d’entrées principales, à savoir : français algérien. En lisant la définition lexicographique de ces entrées « mot fralg »,1 il s’est avéré qu’elles ont été attestées la première fois en Algérie. Du point de vue lexicographique, cette expression permet dans le cas du RH, de distinguer entre d’une part les mots français ayant été attestés la première fois en France (en hexagone) et, d’autre part, ceux attestés en Algérie, précisément durant la période coloniale.

À la suite de ce constat, il nous a semblé important de nous intéresser au traitement lexicographique appliqué par le RH aux mots fralg, en comparaison au traitement lexicographique adopté pour le reste du lexique français, dit français hexagonal. Pour ce faire, nous avançons l’hypothèse suivante : le RH applique le même traitement lexicographique sur l’ensemble du lexique français, quelle que soit l’origine géographique de leur première attestation.

Pour étudier cette problématique, nous avons constitué un corpus à partir de toutes les entrées qualifiées par le RH comme des mots fralg (28 entrées principales).

Tenant compte de la nature de la problématique de l’étude, nous avons opté pour une méthode analytique-descriptive et comparative. En fait, notre étude commence par analyser et décrire la manière dont le RH traite (le classement et la définition) les entrées constituées à partir des mots fralg. Ensuite, nous comparons ce traitement par rapport à celui qui est appliqué sur l’ensemble du lexique français hexagonal.

Dans le cadre de cette étude, nous mobilisons un certain nombre de termes dont le sens nécessite un éclaircissement.

Le terme « traitement lexicographique » renvoie à la méthode adoptée par les lexicographes dans la compilation des dictionnaires. Cette méthode est fondée principalement sur deux structures.

  1. La macrostructure renvoie à la forme extérieure du dictionnaire, à la manière dont les entrées principales et secondaires sont ordonnées et à la nature du lien établi entre elles. (Mabrak, 2018 : 30-35)

  2. La microstructure renvoie au contenu, à la manière avec laquelle le lexicographe définit les entrées principales et secondaires et aux informations qui les sous-tendent. Ainsi, elle renseigne sur la structure de la définition lexicographique et le système de renvoi au sein de chacune d’elles. La notion de la microstructure entretient également un rapport avec la typologie et le classement des informations intégrées dans la définition lexicographique (Mabrak 2018 : 186-214 et Dotoli & Boccuzzi 2012 : 33).

1. Le français en Algérie

Pour aborder le sujet du français algérien, il nous semble inéluctable de commencer par présenter quelques repères historiques qui remontent à deux périodes importantes, à savoir : la période coloniale (1830-1962) et la période d’après l’indépendance (de 1962 à aujourd’hui).

1.1. Le français en Algérie durant la période coloniale (1830 – 1962)

Avant 1830, l’année de la colonisation française, l’Algérie jouissait d’un paysage sociolinguistique diversifié. Les Algériens communiquaient au quotidien en parlant l’arabe, le turc et le berbère. Pour l’arabe par exemple, il comptait quatre registres, à savoir : l’arabe classique (Fusha), l’arabe standard, l’arabe dialectal des cultivés et les dialectes arabes (Taleb Ibrahimi, 2007 : 208).

Quant à l’historique du français en Algérie, il remonte au début de la période coloniale en 1830. Au début de cette dernière, les colons ne parlaient pas uniquement le français. Il y avait également des colons espagnols, italiens et maltais ; chacun parlait la langue de son pays d’origine (Morsly, 2007) et (Taleb Ibrahimi, 2007 : 212). Pour faire face à cette réalité sociolinguistique complexe et préoccupante, le système colonial français avait opté pour la mise en place d’une politique linguistique aux court, moyen et long termes. Tout d’abord, la France a commencé par l’officialisation progressive du français en Algérie comme l’une des priorités impératives et urgentes (Morsly, 2007). Ce dispositif adopté par le pouvoir colonial avait pour objectif d’officialiser le français comme moyen de communication entre les communautés résidantes en Algérie : colons français, colons d’autres nationalités, et les Algériens. En fait, le français a été imposé « au peuple algérien par le feu et le sang a constitué un des éléments fondamentaux utilisés par le pouvoir colonial pour parfaire son emprise sur le pays conquis » (Taleb Ibrahimi, 2007 : 212).

Le système colonial français avait misé également sur le rôle de l’école dans l’enseignement du français pour qu’il soit largement utilisé par les Algériens, mais aussi par les colons parlant d’autres langues étrangères telles que l’espagnol, l’italien et le maltais (Morsly, 2007). Pour Taleb Ibrahimi (2007 : 212), l’imposition du français par le biais de l’école n’avait pas réussi, car « la scolarisation n’a finalement touché qu’une faible partie de la population ».

Par ailleurs, pendant la période coloniale (1830-1962),

« l’attitude des Algériens par rapport à la langue française a radicalement changé, après l’avoir catégoriquement refusée, les Algériens se sont retrouvés obligés de revendiquer la scolarisation à l’école française et apprendre le français ; dans la mesure où cela constituait un passage obligé pour accéder à la fonction publique, aux professions libérales et aux emplois économiques. Malgré cela, après presque 130 ans, la scolarisation des Algériens n’a pas dépassé les 15 % en 1954… sur le terrain de la lutte, les Algériens ont compris également qu’il fallait maîtriser la langue de l’occupant pour le contrer » (Taleb Ibrahimi, 2007 : 212).

1.2. Le (s) statut(s) du français en Algérie après l’indépendance (1962)

Selon Taleb Ibrahimi (2007 : 213), l’usage du français s’est généralisé après l’indépendance bien plus que celui que nous retrouvons durant la période coloniale. Effectivement, juste après 1962, le français était resté largement utilisé comme moyen officiel de communication à l’administration et comme moyen d’enseignement à l’école. Dans le même contexte historique, Blanchet (2006 : 2) explique ce paradoxe par le fait que « le modèle politique français a eu des effets considérables sur le système étatique qui a été mis en place dans l’Algérie indépendante, y compris notamment une gestion centralisatrice de la question linguistique » (Blanchet, 2006 : 2).

1.3. La politique linguistique en Algérie

La question politique, dite politique linguistique se définit comme étant la manifestation « des choix conscients concernant les rapports entre langue(s) et vie sociale » (Calvet, 1993, 1996 : 11). En fait, pour Morsly (2007 : 44), la politique linguistique a pour objectif de régler des problèmes et pour répondre aux questions et aux exigences, « c’est agir sur les langues, de gérer les communications sociales, en définissant quelles langues doivent être utilisées et dans quels contextes ». Par ailleurs, la politique linguistique remplit sa fonction symbolique comme vecteur identitaire et sa fonction pratique comme moyen de communication (Zenati, 2004).

En outre, la politique linguistique permet de distinguer et de désigner entre les langues pratiquées celle qui est considérée comme la langue nationale, la langue officielle et la langue co-officielle. Quant au français, selon Taleb Ibrahimi (2007 : 214), il est considéré comme langue seconde ou langue étrangère privilégiée. Quant au discours officiel, il reconnaît l’arabe standard et le français comme deux langues officielles (Derradji, 1999).

La présence et la pratique du français en Algérie entretiennent un rapport direct avec le système éducatif (Arezki, 2008). Durant la période d’arabisation de l’école fondamentale (1970-1980), celui-ci a reculé au profit de la langue arabe. Par conséquent, il était enseigné comme langue étrangère dans les cycles primaire, moyen et secondaire (Taleb Ibrahimi, 2007 : 213). En revanche, à l’université, il apparaissait sous deux formes ; d’abord comme langue d’enseignement notamment dans les spécialités médicales et scientifiques, ensuite comme objet d’étude dans les départements de langue et littérature française. Selon Blanchet (2006), le français en Algérie était directement concerné par les réformes de 1962 à 2004. L’Algérie a créé et installé officiellement un Centre National des Réformes du Système Éducatif « CNRSE » (Ferhani, 2006). Avec ces réformes, le français est enseigné comme langue étrangère. Paradoxalement, et selon l’enquête menée par Blanchet (2006 : 3) dans les villes Alger…, 20 % des élèves interrogés ont le français comme langue maternelle.

1.4. Les pratiques linguistiques francophones en Algérie

La pratique du français par les Algériens est passée par plusieurs étapes importantes, notamment en 1988, l’année qui a marqué l’émergence d’un mouvement politique ayant pour objectif l’ouverture démocratique et la liberté d’expression. Par conséquent, durant cet évènement politique et historique important, les Algériens faisaient appel à tout système linguistique disponible comme moyens d’expressions, de communications et de revendication. Le français est parmi ces systèmes linguistiques ayant rempli un rôle important (Derradji, 1999). Dans le même contexte d’analyse, Morsly (2007) rejoint les propos de Derradji (1999) en confirmant que le français est

« un partenaire obligé de la situation sociolinguistique en Algérie. En outre, le français occupe aujourd’hui une place importante comme moyen d’information, de communication et d’expression par la presse écrite, les médias audiovisuels et l’édition » (Taleb Ibrahimi, 2007).

Ce contexte sociolinguistique avait un impact direct et visible, selon Derradji (1999 : 15), sur la créativité lexicale des locuteurs algériens en langue française. Bien évidemment, ces créativités ne respectaient pas forcément la « norme exogène du français standard. » En fait, « l’écart n’est perçu par le sujet parlant comme une faute par rapport aux règles normatives, mais plutôt comme une façon d’être, une volontaire affirmation de soi qui se réalise par l’exercice d’un travail sur toutes les potentialités de la langue française ».

Dans le même contexte, Derradji (1999 : 15) poursuit son analyse de l’usage du français par les Algériens en précisant qu’il s’agit d’un « mode d’expression ou un usage (du lexique entre autres) de cette langue qui puise sa normalité du sentiment collectif partagé par l’ensemble des membres de la communauté linguistique à propos d’un écart référentiel ».

Si Calvet (1999) met en exergue la valeur de l’usage d’une langue en fonction de sa fonction « plus une langue sert et plus elle se valorise » ; pour le français en Algérie, c’est justement cet usage qui, selon Derradji (1999 : 15), est perçu par les Algériens comme « manifestation d’une identité culturelle et sociale bien particulière ».

Après cette brève présentation de l’historique de l’usage du français en Algérie par rapport à une réalité sociolinguistique complexe ancrée2, nous passons à présent à la présentation des résultats de notre étude portant sur la méthode lexicographique selon laquelle les mots fralg sont traités par le RH.

2.Traitement du français algérien dans le RH

Comme nous l’avons précisé dans l’introduction, le traitement lexicographique est une notion fondée à base de composants essentiels et obligatoires, à savoir : la macrostructure et la microstructure.

2.1. La macrostructure du RH

Pour présenter la macrostructure du RH, il est nécessaire de commencer par analyser la manière dont ses entrées3 principales et secondaires sont constituées et nous interroger sur les critères de leur sélection à partir du corpus. Ensuite, il nous importe de questionner la manière dont ces entrées, principales et secondaires, sont mises en ordre.

2.1.1. La constitution des entrées à partir des mots fralg

Selon la préface du RH, Alain Rey précise que les entrées, principales ou secondaires, de ce dictionnaire sont constituées uniquement et exclusivement à partir du lexique français contemporain. Le recours au lexique français ancien dépend de la valeur lexicographique que ce dernier apporte pour la définition du lexique français contemporain (REY, 2010 : 7)4. Ce choix lexicographique s’applique bien évidemment sur l’ensemble des mots français, quelle que soit l’origine géographique de leur première attestation, y compris, par conséquent, les mots Fralg.

En analysant le corpus5 de notre étude, il s’est avéré que le RH recense les mots Fralg attestés uniquement et exclusivement dans la période coloniale (1830-1962), comme le démontre le tableau ci-dessous.

Table N° 1. Exemple des mots Fralg attestés pendant la période coloniale

Entrée principale (Fralg)

Attestation

Entrée principale (Fralg)

Attestation

Darbouka

1830

Baraquer

1899

Maboul

1830

Fellaga

1915

Zouave

1831

Wali

1950

Barouf

1861

Harki

1961

Source : Rey, 2010.

Ce choix et cette démarche lexicographiques démontrent clairement que le RH ne reconnaît pas les mots Fralg attestés la première fois en Algérie après l’indépendance (1962). Cela permet de dire par conséquent que la reconnaissance des mots Fralg et leur intégration dans le RH, et donc dans le lexique français dépendent de la présence de la France en Algérie pendant la période coloniale. Ce constat nous amène à soulever une question importante et centrale concernant le statut des mots Fralg attestés la première fois en Algérie depuis l’indépendance (1962). Dans ce même contexte, il nous importe de souligner que les dictionnaires français de langue générale tels que Larousse ou le Robert récupèrent un nombre important des mots Fralg attestés la première fois en Algérie après 1962. À titre d’exemple, la version en ligne du dictionnaire Le Robert définit les mots fralg suivants : «  Hijab »6, « Wech »7 et « Bled »8. C’est parce que ces mots fralg sont attestés après l’indépendance que le RH ne les reconnaît pas, et donc il ne les définit pas comme des entrées ayant le même statut lexicographique que ceux constitués à partir des mots fralg attestés en Algérie pendant la période coloniale.

2.1.2. Mots français dérivés des mots Fralg

Le RH s’intéresse également à recenser tous les mots considérés comme formes lexicales dérivées à partir des mots Fralg. Étant donné que le RH adopte un classement étymologique, alphabétique et chronologique9, les mots français dérivés des mots Fralg sont traités comme des entrées secondaires classées sous les entrées principales (bases de dérivation qui sont des mots Fralg).

Table N° 2. Mots Fralg traités comme entrées principales et entrées secondaires

Entrée principale (Fralg)

Attestation

Entrées secondaires (Fralg)

Attestations

Maboul

1830

Maboulisme

1883

Maboulof

1893

Chaparder

1859

Chaparderie

1863

Chapardeur

1859

Chapardage

1871

Source : Rey, 2010.

Il nous importe de rappeler ici que le RH ne recense pas les mots français dérivés à partir des mots Fralg attestés après l’indépendance (1962). Cela nous permet de conclure que le RH applique le même choix chronologique dans la constitution des entrées principales et des entrées secondaires.

2.1.3. Mots fralg « noms propres » traités comme entrées principales

En analysant le corpus de notre étude, nous avons constaté que le RH recense également, comme entrées principales, les mots fralg ayant le statut « nom propre ».

À titre d’exemple, le RH traite le nom propre « Fatma » comme entrée principale, pour laquelle il précise qu’il s’agit d’un nom propre attesté en Algérie : il relève donc des mots fralg. En revanche, parmi tout le corpus de notre étude, « Fatima » est le seul nom propre recensé par le RH parmi la liste qui devrait être longue des noms propres ayant existé en Algérie pendant la période coloniale. Ce constat nous amène à nous interroger encore une fois sur la constitution des entrées principales du RH à partir des noms propres.

FATMA n.f. inv. reprend (1900) l’arabe Fāṭima, nom de la fille de Mahomet et prénom très répandu parmi les musulmanes.
◆ Dans le contexte colonial algérien, il désignait une femme du Maghreb et spécialement, dans le français d’Afrique du Nord colonisée, une employée de maison arabe (en français d’Algérie, on disait surtout mauresque dans ce sens). ◆ Ces valeurs ont disparu, mais l’argot français de France avait repris le mot, avec le même contenu xénophobe que mousmé ou niakoué, au sens général de femme, qui a vieilli. (Le RH 3765)

Il est tout à fait légitime de nous demander comment et pourquoi le RH considère le nom propre « Fatma » comme faisant partie du lexique français contemporain dont l’origine de la première attestation est l’Algérie pendant la période coloniale. En revanche, il existe en Algérie d’autres variations morphologiques du même nom, par exemple : «  Fatima » et « Fatoume ». En lisant le deuxième paragraphe de la définition de l’entrée « Fatma », nous pourrons avoir un élément de réponse à notre question, qui reste néanmoins insuffisant. En fait, selon la définition, le RH a retenu le nom propre

« Fatma » comme un mot fralg et par conséquent comme entrée principale, car il était utilisé pour désigner les femmes du Maghreb ou les femmes employées de maison arabe. Il nous semble important de poser, en concluant cette section, que le RH s’intéresse aux noms propres utilisés en Algérie pendant la période coloniale en fonction de leurs représentations socioculturelles de la réalité historique algérienne.

2.1.4. Mots fralg relevant de la langue générale et de la langue de spécialité

Le dictionnaire historique, par définition10, véhicule une notion complexe aussi bien sur le plan théorique que sur le plan pratique. En fait, l’un des éléments relatifs à cette notion porte sur l’identification et la clarification des limites entre le lexique appartenant à la langue générale et celui de la langue de spécialité. Dans cette perspective (Hamze 2012 : 25), propose une approche fondée sur l’usage réel du lexique dans la société ; un mot de langue générale est utilisé de façon courante par l’ensemble des locuteurs de la communauté linguistique, tandis que l’usage du terme technique et scientifique est réservé aux spécialités dans des contextes précis (Mabrak 2021).

En analysant notre corpus, nous avons constaté que le RH traite des mots fralg qui relèvent à la fois de la langue générale et de la langue de spécialité. Nous notons également que ce choix lexicographique s’applique sur l’ensemble du lexique français, y compris le français algérien. Nous prenons comme exemple les entrées principales « Droper » et « Baraquer » :

DROPER v. intr. et tr. a succédé à adroper (1869), mot d'argot militaire d'Algérie, et serait alors pris à l'arabe algérien dreb « frapper ». Mais l'anglais to drop (off), « laisser tomber », constitue peut-être un second emprunt pour l'emploi transitif.
◆ L'emploi intransitif vaut pour « aller vite, se hâter ». Le transitif pour « apporter rapidement » (quelque chose). (Le RH 3142)

BARAQUER v. intr., attesté seulement en 1937 (Tharaud in T. L. F.), est emprunté à l'arabe baraka « s'agenouiller, s'accroupir », verbe tiré de la racine brk- signifiant « genou ».
◆ Le mot, attesté assez tard par la littérature, a dû être employé au moins depuis le début du XXe s., par les troupes françaises (ou francophones) du Sud algérien (méhariste est attesté en 1899), à propos du dromadaire (méhari) lorsqu'il s'accroupit pour permettre au cavalier de monter en selle. Il s'emploie aussi transitivement, pour « faire baraquer (un dromadaire) ». (Le RH 1106)

Pour l’entrée principale « Droper », le RH précise qu’elle a un usage dans le domaine militaire comme synonyme aux verbes « frapper » ou « laisser tomber ». Quant à l’entrée principale « Baraquer », le RH indique qu’elle a été attestée dans le domaine littéraire depuis le début du XXe siècle pour faire référence au « dromadaire (méhari) lorsqu’il s’accroupit pour permettre au cavalier de monter en selle ».

Le choix lexicographique - adopté par le RH quant au traitement du lexique de la langue générale et celui de la langue de spécialité - nous amène à avancer le questionnement suivant : comment le lecteur pourrait-il savoir préalablement avant de consulter le RH que tel ou tel mot de langue générale ou de langue de spécialité est traité et défini ou non ? Ce questionnement nous semble légitime dans la mesure où le dictionnaire, par définition, est censé aider le lecteur à trouver des informations lexicographiques sur le lexique, et non pas le laisser dans une situation de doute et d’incertitude si le mot recherché figure ou non dans le RH, comme étant un dictionnaire historique.

2.1.5. Le classement des entrées constituées des mots français algériens

Sur l’ensemble du lexique français, y compris le lexique considéré comme français algérien, le RH applique le même classement fondé sur trois critères complémentaires, à savoir : critère étymologique, critère alphabétique et critère chronologique (Mabrak, 2020 : 181).

  1. Critère étymologique : il permet de regrouper les mots selon leur dérivation, c’est à dire, en fonction de leur appartenance à des familles lexicales. Par conséquent, au sein de chaque famille lexicale, il y a un mot qui sert comme base de dérivation pour les autres mots considérés comme formes dérivées. C’est ainsi que le RH distingue entre le mot qui sert comme entrée principale et les autres mots de la même famille considérés comme entrées secondaires.

  2. Critère alphabétique : il a pour objectif de mettre en ordre les mots (bases de dérivation traitées comme entrées principales) selon un classement alphabétique. Quant aux mots fralg ayant plusieurs variations morphologiques, comme c’est le cas du nom propre « Fatma », le RH se réfère à leur usage contextualisé pour choisir la variation à retenir, par conséquent adopter l’orthographe de cette variation qui permettra son classement alphabétique.

  3. Critère chronologique : Quant aux mots - formes dérivées - traités comme entrées secondaires, ils sont mis en ordre à l’intérieure de l’entrée principale selon un classement chronologique ; c’est à dire, le RH commence d’abord par définir les mots (entrées secondaires) en fonction de la date de leur première attestation, en commençant bien évidemment par le plus ancien pour arriver au plus récent.

En examinant le tableau 2, il est possible d’observer que les entrées secondaires « Maboulisme » - attestée en 1883 - et « Maboulof » - attestée en 1893 - sont mises en ordre selon un classement chronologique sous l’entrée principale « Maboul » - attestée en 1830 - dont l’année de sa première attestation est la plus ancienne par rapport au reste de sa famille lexicale.

Il nous importe de signaler que le critère chronologique n’est pas toujours appliqué de façon systématique sur l’ensemble des entrées secondaires. Par exemple, sous l’entrée principale « Chaparder » attestée en 1859, le RH classe trois entrées secondaires, à savoir : « Chaparderie » attestée en 1863, « Chapardeur » attestée en 1859 et « Chapardage » attestée en 1871 (Tableau 2). Si le RH classe selon un ordre chronologique les deux entrées secondaires « Chaparderie » et « Chapardage », il n’applique pas la même mise en ordre sur l’entrée secondaire « Chapardeur », qui est attestée après l’entrée secondaire « Chaparderie » alors que cette dernière est mise en ordre avant l’entrée secondaire « Chapardeur ». Ce constat nous permet de soulever une autre interrogation par rapport à l’application des mêmes principes lexicographiques et choix méthodologiques dans le traitement du lexique français en général et du français algérien en particulier. C’est vrai que cette interrogation ne représente pas une grande difficulté en terme du traitement du lexique ou en termes de recherche dans le RH, néanmoins, il semble plus pertinent que les principes lexicographiques et les choix méthodologiques soient les mêmes à appliquer et de la même façon dans le traitement de l’ensemble du lexique français, tout en sachant qu’il s’agit d’un dictionnaire de référence.

Après cette section consacrée à la présentation du traitement lexicographique des mots fralg à travers la macrostructure du RH, nous passons à présent à la présentation de la manière dont il définit ces mots.

2.2. La microstructure

La microstructure, dite définition lexicographique, est par définition un texte rédigé par un lexicographique sous la forme d’article (nomenclature) ayant pour objectif de donner des informations sur la forme, sur le sens et les usages des entrées des dictionnaires (Cf. Mabrak, 2018 : 186-190, Dotoli & Boccuzzi, 2012 et Dotoli, 2008).

2.2.1. La transcription phonétique

La première information que donnent les dictionnaires de langue en général sur les entrées est la transcription phonétique. Dans le cas du RH, ce dernier ne donne pas cette information, probablement par ce qu’il s’agit d’un dictionnaire historique et non pas un dictionnaire de langue générale. Effectivement, on s’attend que les dictionnaires de langue générale, tels que Larousse ou le Robert, donnent ce type d’information dans la mesure où ils sont destinés à un usage scolaire et didactique ; les lecteurs (apprenants) ont besoin de connaître comment telle ou telle entrée se prononce. Or, le lectorat supposé du RH est censé connaître la prononciation des mots car on suppose que le RH est destiné aux enseignants, aux chercheurs et au public cultivé de façon générale.

Dans le cadre de notre étude portant sur le français algérien, l’analyse du corpus permet de confirmer que la phonétique des mots Fralg n’est pas transcrite. Ce qui permet de dire que le RH applique le même choix lexicographique sur l’ensemble du lexique français, c’est-à-dire, ne pas transcrire la phonétique des entrées.

2.2.2. La catégorie grammaticale

La catégorie grammaticale fait partie des informations d’ordre métalinguistique que fournissent les dictionnaires de langue générale. Elle renseigne le lecteur sur la nature lexicale de l’entrée avant même de lire sa définition et de découvrir ses usages contextualisés. Dans le cas du RH, nous avons constaté qu’il indique la catégorie grammaticale de l’ensemble du lexique français, y compris bien évidemment le lexique du français algérien. Notons que l’indication de la catégorie grammaticale pour les mots fralg aide le lecteur à avoir des informations préalables sur l’entrée avant même de lire sa définition lexicographique. L’importance de cette information grammaticale est due au fait que l’orthographe de certains mots fralg pourrait sembler étranges aux yeux des lecteurs.

Nous prenons l’exemple des entrées principales suivantes : « Fatma », « Agha », « Barka », « Mechta » et « Yaouled ». Il semble presque clair et évident que l’orthographe de ces entrées pourrait conduire le lecteur francophone à penser qu’elles sont étranges et ne correspondent pas à l’orthographe courante de la langue française générale. C’est dans ce sens que l’indication de la catégorie grammaticale de l’entrée des mots fralg pourrait faciliter l’accès à la définition de l’entrée, connaître son évolution étymologique et comprendre ses usages contextuels.

2.2.3. La définition lexicographique des mots fralg

En nous basant sur l’analyse du corpus de notre étude, nous avons conclu que le RH élabore la définition lexicographique des mots fralg à partir de quatre informations particulières et essentielles, à savoir : (i) raconter comment et par quel moyen les mots Fralg sont entrés dans la langue française ; (ii) indiquer dans quelle région géographique algérienne les mots Fralg ont été attestés la première fois ; (iii) traduire le sens des mots Fralg par un équivalent en langue française hexagonale, ou l’expliquer par une paraphrase et (iv) recenser uniquement et exclusivement les usages des mots Fralg datant de la période coloniale.

2.2.4. Comment les mots fralg sont entrés dans la langue française

Comme il s’agit d’un dictionnaire historique, le RH s’intéresse à poursuivre le passage par lequel le mot Fralg est entré en usage dans le lexique français.

Le RH adopte une démarche lexicographique particulière dans la définition des entrées principales et secondaires. Il s’agit de rédiger la définition sous la forme des paragraphes. Le premier paragraphe est réservé pour présenter l’origine étymologique de l’entrée et expliquer comment elle est entrée en usage dans la langue française. Ce paragraphe sert également pour tracer l’évolution morphologique et sémantique de l’entrée depuis la première attestation et jusqu’aujourd’hui. Ensuite, le deuxième paragraphe est réservé pour définir le(s) sens contemporain(s). Quant au troisième paragraphe, il sert à présenter les différents usages contextuels de l’entrée, et notamment citer les expressions figées et les proverbes dont l’entrée fait partie des composantes lexicales.

Quant aux entrées Fralg, le RH réserve le premier paragraphe pour présenter leur origine étymologique, c’est-à-dire, donner des informations d’ordre linguistique mais aussi historique permettant de connaître comment le mot Fralg en question est entré en usage dans la langue française. Nous présentons l’exemple de l’entrée « BARRER »

BARRER v., d'abord verbe d'argot (1866, Delvau), est d'origine incertaine : une spécialisation sémantique à partir de barrer, de barre*, se comprendrait à la rigueur d'après le sens de « rayer d'un trait, biffer », d'où « finir ». L'hypothèse d'un emprunt de l'arabe algérien barrâ « va-t'en » est attestée en français d'Afrique du Nord (A. Paraz, Le Gala des vaches). Si le sens de « fuir » était premier, on pourrait penser au jeu de barres comme origine possible.
- Le mot est d'abord attesté dans l'argot des marbriers de cimetière pour « abandonner son travail » ; cet emploi a disparu ; simultanément (1866) se barrer s'emploie pour « s'en aller, fuir » ; cet emploi seul est demeuré vivant dans l'usage familier (Cf. se tirer). ◆ L'emploi transitif de « abandonner (une femme) » est aujourd'hui inusité. En revanche, barrer v. intr. est en usage.
- Le participe passé BARRÉ, ÉE est employé couramment dans la locution familière récente être mal barré « mal parti », au figuré. (Le RH 10899)

En consultant et en analysant le premier paragraphe de la définition lexicographique de l’entrée « BARRER », nous constatons que le RH présente l’origine étymologique de cette entrée en expliquant comment elle est entrée en usage dans la langue française. En fait, le RH donne même des informations sur le sens et les usages du mot, l’origine étymologique de l’entrée, en Algérie.

Par ailleurs, le RH donne également des informations sur la langue par laquelle le mot fralg est passé en langue française. Pour démontrer cela, nous prenons l’exemple des entrées « Barouf » et « Marabout » présentées dans le tableau ci-dessous.

Table N° 3 : Mots Fralg passés par l’intermédiation d’autres langues

Entrée principale (Fralg)

Attestation

Langue de passage

BAROUF

1861

Italien

MARABOUT

1835

Portugais

Le tableau ci-dessus permet de constater que le mot fralg « Barouf » est entré en usage dans la langue française par le biais de l’italien et le mot fralg « Marabout » est entré par le biais du portugais. Cela nous amène à conclure que le RH s’intéresse aux mots fralg, entrés en usage dans la langue française directement ou par l’intermédiaire d’autres langues.

2.2.5. La région géographique algérienne de la première attestation

Pour l’ensemble des mots Fralg, le RH ne se contente pas d’indiquer l’origine géographique de leur première attestation, en l’occurrence l’Algérie. En fait, il précise même la région géographique dans laquelle les mots Fralg ont été attestés la première fois.

Nous prenons l’exemple des entrées « Baraquer » et « Zouave ». Pour l’entrée « Baraquer », le RH précise dans la définition lexicographique qu’elle a été attestée dans le Sud algérien. Quant à l’entrée « Zouave », il indique que sa première attestation a eu lieu dans la région kabyle, au nord algérien.

L’indication de la région de la première attestation représente, selon notre point de vue, un élément essentiel dans la compréhension du contexte dans lequel le mot fralg a été créé, formé, utilisé et attesté. Ainsi, cette information aide le lecteur du RH à comprendre les différents usages du mot fralg en question, notamment ceux qui ont un rapport direct avec la région de la première attestation.

3. Définition du sens des mots fralg

En tant que dictionnaire historique, le RH est censé fournir des informations relatives à l’évolution morphologique et sémantique du lexique français contemporain. Le RH concrétise cet objectif par l’élaboration d’une définition lexicographique permettant d’expliciter et d’expliquer le(s) sens des entrées principales ou secondaires.

Le RH adopte relativement le même modèle sur l’ensemble du lexique français. Dans le cas de la définition de(s) sens des mots fralg, et en fonction de l’analyse du corpus de notre étude, nous avons constaté que le RH adopte deux modèles quant à la définition de(s) sens des mots fralg, à savoir : (i) explicitation du sens des mots fralg par un équivalent en langue française hexagonale et (ii) explicitation de(s) sens des mots fralg par une paraphrase.

En nous basant sur les résultats de l’analyse du corpus de notre étude, il nous est impossible d’identifier les critères selon lesquels le RH choisit entre ces deux modèles pour expliciter le(s) sens des mots fralg.

3.1. Expliciter le sens des mots Fralg par un équivalent en langue française

Selon ce modèle, le RH se contente de proposer un équivalent en langue française hexagonale pour expliciter le(s) sens des mots fralg. Nous prenons l’exemple de l’entrée « Wali », présenté dans la figure ci-dessous.

WALI n. m. est attesté en français v. 1950, par emprunt à l'arabe (algérien) pour désigner le haut fonctionnaire responsable d'une wilaya, en Algérie. C'est l'homologue du préfet français. (Le RH 10579)

Comme le démontre la figure ci-dessus, le RH utilise le mot français hexagonal « Préfet » pour expliciter le sens du mot fralg « Wali ». Ce modèle nous permet de conclure que la distinction adoptée par le RH entre le lexique français hexagonal et le français algérien ne se limite pas uniquement dans la constitution des entrées principales et secondaires. Bien plus, le fait d’expliciter le(s) sens des mots fralg par un équivalent en langue française hexagonale signifie que les mots fralg, malgré leur intégration dans le RH, sont toujours considérés comme des mots étrangers.

3.2. Expliciter le sens des mots Fralg par une paraphrase

Le RH adopte un second modèle pour expliciter le(s) sens des mots fralg ; il s’agit en fait de proposer une paraphrase permettant au lecteur de connaître et de comprendre ce(s) sens. Nous prenons comme exemple les entrées suivantes : « Chott », « Chakchouka » et « Harka », présentée dans les figues 6, 7 et 8.

CHOTT n. m. est un emprunt (1846) à l'arabe algérien.
❏ Le mot désigne un lac salé, dans les zones subsahariennes du Maghreb. (Le RH 2148)

CHAKCHOUKA n. F., emprunt à l'arabe algérien, désigne une préparation culinaire de légumes (tomates, piments, ail, etc.) cuits dans l'huile, spécialité du Maghreb. (Le RH 1997)

HARKA n. F. est un mot emprunté (1907) à l'arabe maghrébin ḥarka « expédition, opération militaire », issu de l'arabe classique ḥaraka « mouvement ».
❏ Harka a désigné en français (1907), employé à propos du Maroc, un coup de main organisé contre un poste ; ensuite le mot s'est dit par métonymie d'une troupe d'insurgés rassemblés pour opérer un coup de main, puis (1914, J. Jaurès) d'une troupe de supplétifs renforçant l'armée régulière, dans l'armée française d'Afrique du Nord.
- HARKI n. m., « membre d'une harka », est un mot arabe répandu en français vers 1960. ◆ Le mot a pris des connotations particulières avec la guerre. (Le RH 4438)

Selon l’analyse de notre corpus concernant l’explicitation de(s) sens des mots fralg par une paraphrase, il est possible de conclure que le RH fait appel à ce modèle quand il ne trouve pas un équivalent en langue française hexagonale. Par conséquent, ce modèle qui sert pour définir le(s) sens des mots fralg par donner des caractéristiques comme c’est le cas de l’entrée « Chott ».

Dans le cas de l’entrée « Chakchouka », le RH présente la recette de ce plat et la manière de sa préparation. Quant à l’entrée secondaire « Harki », le RH donne des éléments historiques précis permettant d’expliciter le sens de cette entrée en contexte.

4. Les usages des mots fralg pendant la période coloniale

Comme nous l’avons précisé plus haut, en 2.1.1, le RH recense uniquement et exclusivement les mots fralg dont la première attestation date de la période coloniale. Ce choix lexicographique s’applique également sur la définition des usages des entrées constituées à partir des mots fralg.

En fait, le RH se contente de recenser uniquement et exclusivement les usages des mots fralg datant de la période coloniale, comme le démontrent les figures 9 et 10, qui présentent la définition lexicographique des entrées principales « Chaparder » et « Darbouka ».

CHAPARDER v. tr. introduit par l'argot des zouaves d'Algérie (1859), est d'origine inconnue, peut-être de chapar « voler » en sabir algérien ou de cape, par l'ancien picard caper « prendre », ou l'ancien provençal -acapa « dérober ». L'hypothèse d'une formation verbale à partir de chat-pard*, nom donné au tigre sur le modèle de léopard*, n'emporte pas la conviction.
❏ Le mot s'est répandu dans l'usage familier avec le sens de « commettre de petits vols, généralement d'objets ».
❏ CHAPARDERIE n. F. (1863), son doublet plus courant CHAPARDAGE n. m. (1871) et CHAPARDEUR, EUSE adj. et n. (1859) sont apparus immédiatement et sont familiers, comme le verbe. (Le RH 2028)

DARABOUK n. m. ou DARBOUKA n. f. est emprunté (1830) à l'arabe darbukka, darabukka désignant un tambour. Le mot, après une tentative de francisation en darabouque, a été rendu par daraboukah (1840), tarbouka (1853), darabouk (1854), tandis que la forme algérienne a été adaptée conjointement en DERBOUKA (1847).
❏ Introduit à l'époque de la vogue des voyages en Orient, le mot désigne un instrument de musique en poterie dont le fond, de peau tendue, constitue la surface de percussion. (Le RH 2778)

Par ailleurs, le RH applique toujours le même choix dans la reconnaissance et dans l’intégration des mots dérivés à partir des mots fralg. En analysant les deux entrées « Chaparder » et « Darbouka », nous constatons que les entrées secondaires constituées à partir des entrées principales ont été toutes attestées durant la période coloniale.

Conclusion

Le RH distingue explicitement entre le français hexagonal et le français attesté la première fois en Algérie en le qualifiant par le français algérien (Fralg). Malgré cette distinction fondée sur un principe sociolinguistique, le RH applique relativement le même traitement lexicographique sur l’ensemble du lexique français, y compris le français algérien.

Selon la macrostructure du RH, 28 entrées principales sont constituées à partir des mots fralg attestées durant la période coloniale. Il nous semble évident que le RH ne prétend pas de recenser tous les mots fralg attestés durant cette période. Si le RH recense 28 mots fralg (corpus de notre étude), il est clair que le nombre des mots fralg attestés durant cette période serait beaucoup plus important. En revanche, il nous a été difficile d’analyser la manière avec laquelle le RH sélectionne les mots fralg servant d’entrées principales ou secondaires.

Quant à la mise en ordre de sa macrostructure, le RH adopte un classement à la fois étymologique, alphabétique et chronologique. Tout d’abord, en se basant sur un critère étymologique, le RH identifie, au sein de chaque famille lexicale, les mots (bases de dérivation) pour constituer les entrées principales. Ces dernières seront ensuite mises en ordre selon un classement alphabétique. Pour finir, les mots dérivés, servant comme entrées secondaires, seront mis en ordre selon un classement chronologique ; c’est-à-dire, du plus ancien au plus récent. Ce classement est appliqué par le RH sur tout le lexique français contemporain, y compris le français algérien.

Le RH élabore sa microstructure selon un modèle particulier. En fait, le RH n’intègre pas, comme c’est le cas des dictionnaires de langue générale, la transcription phonétique des entrées. Cela s’explique par le fait que le RH est par définition un ouvrage de référence destiné à un usage spécifique et par un public particulier pour lequel la transcription phonétique ne représente pas une information importante ou indispensable. Quant à la catégorie grammaticale, elle constitue la première information que consulte le lecteur. Pour élaborer la définition lexicographique, le RH rédige deux paragraphes ; le premier sert à renseigner le lecteur sur l’origine étymologique de l’entrée ainsi que son évolution morphologique et sémantique sur les plans synchronique et diachronique. Le deuxième paragraphe est réservé pour définir les différents usages contextualisés de l’entrée. Le RH, en élaborant sa microstructure, ne distingue pas entre le français algérien par rapport au reste du lexique français.

Par ailleurs, si le RH recense relativement tous les usages du lexique français contemporain, dans le cas du français algérien, il ne s’intéresse qu’à ceux datant de la période coloniale. Par conséquent, et en nous basant sur l’analyse du traitement lexicographique adopté par le RH, il nous est possible de proposer une définition de ce que signifie l’expression « français algérien » :

Le français algérien est une expression qui renvoie à tous mots datant de la période coloniale : (i) dont la forme et l’usage sont attestés en Algérie ; (ii) qui sont entrés dans le lexique français de façon directe ou par l’intermédiation d’autres langues ; (iii) qui sont transcrits en alphabet français et figurant dans les dictionnaires de la langue française. Après leur entrée dans le lexique français, si certains mots sont restés invariables, certains d’autres sont devenus des bases de dérivations pour former d’autres lexies.

Les résultats obtenus dans cette étude nous encouragent de poursuivre nos travaux de recherches sur la question du traitement lexicographique des mots fralg, notamment ceux dont l’attestation et l’usage datent de la période d’après l’indépendance. Dans la même perspective, il nous importe de nous intéresser au traitement du français algérien dans le cadre du Dictionnaire Des Francophone (DDF) qui réserve un espace pour la description du français tel qu’il est pratiqué en Algérie.

1 Il est à noter que le terme « Fralg » est utilisé pour la première fois par le chercheur Boubakeur Bouzidi (université de Sétif 2) lors de la

2 2 Cf. Chachou, 2013 et Cherrad-Bencherfa & Derradji, 2004.

3 Pour la notion d’entrée dans les dictionnaires en général et dans le RH en particulier, voir Mabrak, 2021).

4 « L’objet du Robert historique est le vocabulaire du français moderne. On n’y a envisagé les mots disparus que lorsqu’ils éclairaient la suite

5 Nous avons constitué le corpus de notre étude à partir de toutes les entrées principales considérées par le RH comme français algérien. Nous

6 https://dictionnaire.lerobert.com/definition/hidjab

7 https://dictionnaire.lerobert.com/definition/wech

8 https://dictionnaire.lerobert.com/definition/bled

9 Le mode du classement alphabétique et étymologique est spécifique au RH. En fait, selon la macrostructure du RH, le lexique français est divisé en

10 Voir (Mabrak, 2021) pour la définition des dictionnaires historiques par rapport aux autres types de dictionnaires

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1 Il est à noter que le terme « Fralg » est utilisé pour la première fois par le chercheur Boubakeur Bouzidi (université de Sétif 2) lors de la première édition du colloque national organisé du 6 au 8 juin 2021 par l’université Oran 2 sur : le français algérien, présentation et état des lieux. Nous utilisons l’expression « mot fralg » pour désigner l’ensemble des mots français, simples ou composés, attestés la première fois en Algérie. Quant au RH, il réserve cette expression uniquement pour les mots français attestés la première fois en Algérie durant la période coloniale. Il est à noter également que le rapport entre le français et le territoire algérien dépasse le fait que ce dernier soit colonisé par la France. Selon Pruvost (2017) dans son ouvrage « Nos ancêtres les Arabes : ce que notre langue leur doit », démontre qu’un nombre important de mots français viennent de l’arabe.

2 2 Cf. Chachou, 2013 et Cherrad-Bencherfa & Derradji, 2004.

3 Pour la notion d’entrée dans les dictionnaires en général et dans le RH en particulier, voir Mabrak, 2021).

4 « L’objet du Robert historique est le vocabulaire du français moderne. On n’y a envisagé les mots disparus que lorsqu’ils éclairaient la suite vivante de l’évolution. L’ancien français est en partie pour nous une langue étrangère : on l’évoque ici en tant que passage obligé vers notre usage d’aujourd’hui, en tant que garant de continuité, en tant que médiateur. De même, la description des mots latins, grecs et, pour les emprunts modernes, des autres sources (italien, espagnol, arabe, anglais, etc.) est, elle aussi, orientée vers leurs effets sur le français moderne. Cependant, dans une telle perspective, l’analyse est ici détaillée suffisamment et la remontée dans le temps » peut affecter des origines très lointaines, indoeuropéennes, sémitiques, voire exotiques, depuis les emprunts amérindiens qui atteignent l’Europe à la Renaissance », préface du RH, 2010.

5 Nous avons constitué le corpus de notre étude à partir de toutes les entrées principales considérées par le RH comme français algérien. Nous énumérons 28 entrées principales, sans compter bien évidemment les entrées secondaires traitées et classées à l’intérieures de ces entrées principales : « Agha », « Baraquer », «Barka», « Barouf », « Barrer », « Chakchouka », « Chaouch », «Chaparder », « Chott », « Crouille », « Darbouka », « Droper », « Fatma », « Fellaga », «Harka», « Kif-kif », « Maboul », « Marabout », « Mechta», « Nouba », « Oualou », « Razzia », «Sloughi », « Soua soua », « Turco », « Wali », « Yaouled » et « Zouave».

6 https://dictionnaire.lerobert.com/definition/hidjab

7 https://dictionnaire.lerobert.com/definition/wech

8 https://dictionnaire.lerobert.com/definition/bled

9 Le mode du classement alphabétique et étymologique est spécifique au RH. En fait, selon la macrostructure du RH, le lexique français est divisé en familles lexicales. Au sein de chaque famille, le RH détermine d’abord le mot «  base de dérivation  » qui sert comme entrée principale. Par conséquent, les entrées principales sont mises en ordre selon un classement alphabétique. Ensuite, à l’intérieur de chaque entrée principale, le RH classe selon un ordre chronologique les entrées secondaires, qui sont en vérité des mots dérivés à partir de la base de dérivation (entrée principale).

10 Voir (Mabrak, 2021) pour la définition des dictionnaires historiques par rapport aux autres types de dictionnaires

Sami Mabrak

École Normale Supérieure de Sétif et CeRLA - Université Lumière Lyon 2

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