Introduction
La féminisation linguistique ouvre encore une fois le débat sur l’illogisme de certaines langues, à leur tête, la langue française. En effet, si la langue française est sentie comme illogique, par la pensée commune, c’est en raison des contradictions enracinées dans son système et qui, à plusieurs reprises, ne manquent pas de flotter à la surface en frappant à sa stabilité, notamment, l’incohérence du système du genre grammatical. À dire vrai, la langue française n’a pas encore réussi à justifier le protocole de l’attribution du genre grammatical à certains mots appartenant à son lexique ni à justifier la logique qui est à l’origine des règles d’accord en genre, la raison pour laquelle le système du genre grammatical en langue française apparaît comme l’un des systèmes les plus emblématiques.
Afin de mieux comprendre le contexte des incohérences définissant le système du genre grammatical en français, les linguistes ont remis à la surface des règles qui datent de plusieurs années et qui ont orienté l’usage jusqu’à nos jours, à titre d’exemple, la règle d’accord en genre d’après laquelle le masculin l’emporte sur le féminin. Introduite dans l’usage depuis le XVIIe siècle, cette règle résume parfaitement la logique qui a présidé à la genèse des grammaires, dont celle de Nicolas Beauzée (1767)1, pour qui le masculin l’emporte naturellement dans la mesure où « Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité de mâle sur la femelle »2. On en conclut donc que la logique de la règle principale d’accord en genre ne s’inspire en aucun cas de la réalité sociale dominante à l’époque, mais qu’elle est plutôt une image réfléchie d’une croyance qui admet l’infériorité de la femme face à l’homme.
Les réflexions grammaticales et, en particulier, celles portant sur le genre grammatical se sont par la suite succédé. Le même siècle a été marqué par l’une des plus grandes révolutions linguistiques de l’histoire de la langue française et des sciences du langage : la masculinisation de la langue française. Ainsi, Andrey De Boisregard, qui s’est exprimé sur la question, a précisé qu’ : « Il faut dire : cette femme est poète, est philosophe, est médecin, est auteur, est peintre ; et non : poétesse, philosophesse, médecine, autrice, peintresse »3. On en déduit que la langue française n’est pas essentiellement masculine.
Deux siècles après, le sujet a été à nouveau abordé, mais cette fois-ci du point de vue critique qui présume la langue française comme une langue qui favorise le genre masculin au détriment du genre féminin. À la lumière de cette réflexion critique, plusieurs idées ont vu le jour, on en note, la proposition d’une féminisation immédiate de la langue. En effet, ce choix longuement réfléchi espère, entre autres, rendre à la langue sa cohérence et à la femme sa valeur, mais avant tout, corriger une idéologie fondée sur des croyances subjectivement sexistes et misogynes.
Certes, il est tôt pour parler officiellement d’une révolution linguistique alors que sa légitimité est en cours de discussion, mais cela n’empêche pas que les esprits s’ouvrent de plus en plus à la nouvelle pratique en l’adoptant dans leurs textes et leurs discours. Des écrivains, des journalistes et des hommes politiques se lancent dans sa défense, en se l’appropriant en tant que pratique linguistique véhiculant une prise de position idéologique et politique en faveur de l’égalité des sexes dans la langue et la société.
La divergence des positions politiques reflète en quelque sorte la pluralité des points de vue sur la question de la féminisation linguistique, le monde francophone par exemple oscille entre deux points de vue opposés, l’un qui encourage l’intégration de la nouvelle pratique linguistique dans l’usage, comme c’est le cas au Québec, l’autre qui s’y oppose radicalement, comme c’est le cas en France. Certes, il est plus qu’évident que les variations4 du français évoluent distinctivement en fonction de l’histoire et de la géographie, mais cela ne justifie en aucun cas les hésitations de la France face à la synchronisation de la langue française à l’actualité culturelle et sociale qui domine la France et le reste de la francophonie, l’omniprésence de la femme dans le monde professionnel.
Il paraît que le français utilisé en France ne se distingue pas uniquement de ceux de la francophonie5, mais également de ceux employés dans des pays non déclarés francophones et au niveau desquels le français est langue d’usage, à l’instar de l’Algérie. Influencé par les différents systèmes linguistiques présents sur le même territoire, le français de l’Algérie6 se démarque de celui de la France par ses mots, ses accents et même par sa grammaire, il s’agit en définitive d’une variation qui est définie selon Remysen (2020 : 03) comme suit : « la variation affecte toutes les composantes de la langue, sans exception ».
En matière de féminisation, le français algérien semble d’un premier regard plus tolérant (à l’oral comme à l’écrit), car passer de pharmacien à pharmacienne, d’auteur à auteure et/ou autrice, de directeur à directrice est automatique, on peut même dire que la féminisation y est déjà et que le français algérien ne suit pas la logique de la langue de référence7. Nous partons de ce constat qui fait paraître le français algérien moins résistant à la féminisation linguistique en opposition avec celui de la France afin de nous interroger sur les motifs de la non-résistance à la féminisation, mais également de confirmer ou d’infirmer si : le français algérien est moins résistant à la féminisation lexicale ? La femme est aussi moins visible dans le français algérien autant que dans le français de la France ?
Afin de répondre à notre problématique, nous verrons dans un premier temps, les différentes positions politiques de la féminisation linguistique dans la francophonie. Ensuite, nous nous passerons en revue les notions de la féminisation linguistique et du genre grammatical. Et pour finir, nous présenterons les différentes stratégies de féminisation lexicale qui seront ensuite prises en considération dans l’analyse de notre corpus.
1. Prolégomènes à l’étude
1.1. La féminisation linguistique dans la francophonie : positions politiques
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Au Québec. Le Québec était l’un des premiers pays francophones (Elmiger, 2011 : 71) à réclamer la féminisation des noms de fonctions, de métiers, de grades et de titres. Après plusieurs discussions, l’idée a été bien reçue, la première moitié du XXe siècle a été marquée par la publication du premier manuel de féminisation (1986) par l’Office québécois de la langue française et qui s’intitule « Titres et fonction au féminin. Essai d’orientation de l’usage ». Comme l’indique son titre, ce manuel propose une invitation claire à abandonner l’usage des noms de métiers et de fonctions conjugués au masculin pour désigner des femmes. Il propose le recours à des formes féminines qui ont été supprimées de l’usage et/ou de procéder par la création de nouvelles formes lexicales féminines afin de combler le manque lexical lié à l’absence des représentations féminines dans le français québécois et de faire disparaître l’inégalité des genres de la langue.
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En Belgique. En 1994, le Conseil supérieur belge de la langue française avait publié son premier manuel qui recommande la féminisation des noms de métiers, fonctions, grades et titres désignant des femmes. Dans sa troisième édition, le manuel belge rappelle que la féminisation de la langue française a pour objectif d’assurer la visibilité des femmes dans le monde du travail, d’intégrer des formes linguistiques plus respectueuses à l’égard des femmes et d’encourager l’accès des femmes à des fonctions réservées à l’homme, d’une part, et de fournir un cadre linguistique qui favorise la création des désignations féminines afin de minimaliser la hiérarchie des sexes dans la langue, d’autre part (Le Conseil supérieur de la langue française, 2014 : 05). De ce fait, les francophones belges sont invités à respecter l’usage simultané du masculin et du féminin (doublets complets/abrégés) et d’éviter le recours au masculin générique qui entraîne des ambiguïtés sémantiques.
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En Suisse. En Suisse, l’histoire de la féminisation linguistique (voir sur ce sujet, l’article de Matthey, 2000 : 69-75) trace les différentes initiatives de la féminisation de la langue qui espèrent aller de l’égalité sociale entre les hommes et les femmes vers la représentation égalitaire des deux sexes dans la langue et le discours.
En 1991, la Chancellerie fédérale avait publié son premier manuel de féminisation, « la féminisation non -sexiste des textes législatifs et administratifs » qui encourage comme l’indique son intitulé la rédaction non sexiste dans les textes officiels. En 2000, la même institution avait publié son deuxième manuel intitulé « guide de formulation non -sexiste des textes administratifs et législatifs de la confédération » qui recommande le renoncement à l’usage du masculin générique et invite les francophones suisses à l’usage des doublets, des termes épicènes et la féminisation des articles8.
En France. En 1986, le Premier ministre Laurent Fabius avait ordonné, à travers une circulaire, la féminisation des noms de métiers, fonctions, grades ou titres dans tous les documents administratifs et officiels. Sa décision était prononcée à la suite des travaux de la commission de terminologie chargée de féminisation présidée par Mme Benoite Groult sur la possibilité de la féminisation des noms de fonction et de métiers en 1984. -
Une deuxième circulaire recommandant la féminisation des appellations masculines a été publiée en 1998 par le Premier ministre Lionel Jospin. Elle stipule qu’ :
« Il convient de recourir aux appellations féminines pour les noms de métier, de fonction, de grade ou de titre dès lors qu’il s’agit de termes dont le féminin est par ailleurs d’usage courant (par exemple, la secrétaire générale, la directrice, la conseillère). Je vous invite à diffuser cette pratique dans les services placés sous votre autorité et à l’appliquer dans les textes soumis à votre signature. »9
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En 2019, l’Académie française reconnaît enfin la féminisation des noms de métiers et de fonctions en tant qu’une pratique linguistique correcte et obligatoire et annonce qu’ :
« En ce début du XXIe siècle, tous les pays du monde, et en particulier la France et les autres pays entièrement ou en partie de la langue française, connaissent une évolution rapide et générale de la place qu’occupent les femmes dans la société, de la carrière professionnelle qui s’ouvre à elles, des métiers et des fonctions auxquels elles accèdent sans que l’appellation correspondant à leur activité et à leur rôle réponde pleinement à cette situation nouvelle. Il en résulte une attente de la part d’un nombre croissant de femmes, qui souhaitent voir nommer au féminin la profession ou la charge qu’elles exercent, et qui aspirent à voir combler ce qu’elles ressentent comme une lacune de langue. »10
Afin de mieux comprendre l’origine de la tension qui est derrière la pluralité des positions politiques, nous passerons en revue, dans ce qui suit le concept de la féminisation linguistique.
1.2. La féminisation de la langue
Il semble difficile d’associer une définition complètement objective à la notion de la féminisation linguistique, une part de la difficulté tient à la pluridisciplinarité du concept de « féminisation » qui se trouve au centre de nombreuses réflexions en sociologie, philosophie et politique… la raison pour laquelle les linguistes font appel à d’autres champs disciplinaires que la linguistique afin de justifier certaines irrégularités langagières se rapportant à la question de l’invisibilité de la femme dans la langue et le discours. On comprend donc que la féminisation n’est pas une affaire essentiellement linguistique, alors que la féminisation linguistique est avant tout une affaire de langue, c’est ce que confirme également le linguiste Jean Szlamowicz en ces termes :
« La féminisation des noms de métiers constitue en revanche une véritable question linguistique même si elle est la plupart du temps abordée de manière polémique et non objective. Il s’agit en tout état de cause d’une question de discours, d’usage, de morphologie et d’histoire de la langue et certainement pas de conformité morale ou politique. »11
En effet, la féminisation linguistique est née d’une réflexion critique qui remet en cause la thèse selon laquelle la langue reproduit la réalité sociale, une réflexion inspirée par le déséquilibre définissant le lien entre la réalité sociale et linguistique de la femme, et en fonction duquel l’objectif premier de la féminisation linguistique serait de synchroniser la langue à l’évolution sociale.
En se basant sur ce constat ainsi que sur la définition qu’associe la Commission terminologique chargée du vocabulaire concernant les activités des femmes à la notion de la féminisation linguistique : « la féminisation des noms de professions et des titres vise à combler certaines lacunes de l’usage de la langue française ».12 Nous pouvons dire que la féminisation de la langue répond initialement à un besoin de désignation relatif à la femme en particulier et qui justifie l’utilisation des noms masculins pour désigner des métiers et des fonctions occupés par des femmes.
Afin de dépasser cette controverse linguistique, la féminisation linguistique met en action des règles et des lois qui orientent le processus de la féminisation de la langue. Elle se sert des procédés flexionnels et dérivationnels permettant l’introduction de nouveaux substantifs féminins (néologismes) correspondant aux substantifs masculins existants, comme c’est le cas pour les noms de fonctions, métiers, grades et titres. En l’occurrence, plusieurs obstacles se mettent face à cette pratique, on en note : les collisions sémantiques (entraîneur/entraîneuse), l’euphonie, la lourdeur des textes… De surcroît, la féminisation linguistique encourage, entre autres, le recours à d’autres stratégies ainsi que l’usage des formes épicènes (neutre/générique) et la double flexion (l’usage simultané des deux formes, masculines et féminines à l’oral comme à l’écrit). Il est important de signaler que les stratégies de féminisation ne sont pas identiques et se diffèrent d’un manuel à un autre, c’est pourquoi il est souvent difficile de présenter une version universelle.
Il faut cependant distinguer la féminisation linguistique de la féminisation syntaxique, si la première s’intéresse uniquement au lexique, la deuxième s’occupe des règles d’accord en genre dans les textes et les discours (le cas des adjectifs, articles…). (Elmiger, D., Tunger, V., 2014)
1.2.1. Le système du genre grammatical
Selon le bon usage :
« Le genre est une propriété du nom, qui le communique, par le phénomène de l’accord, au déterminant, à l’adjectif épithète ou attribut, parfois au participe passé, ainsi qu’au pronom représentant le nom. Il y a deux genres en français : le masculin, auquel appartiennent les noms qui peuvent être précédés des articles le ou un, et le féminin auquel appartiennent les noms qui peuvent être précédés des articles la ou une. »13
Le système du genre grammatical en langue française trouve ses origines dans le latin qui répertorie ses mots en fonction de trois genres distincts : le masculin et le féminin pour les noms désignant des référents animés et le neutre pour les noms désignant des référents inanimés. Des trois genres latins, le français n’en a gardé que deux, le féminin et le masculin pour les noms désignant des référents animés ou inanimés. Cette distribution a été maintes fois critiquée, car en français, l’accord en genre se fait en fonction de trois genres, le masculin pour désigner les référents masculins (animé/inanimé), le féminin pour désigner les référents du sexe féminin (animé/inanimé), et le masculin générique pour les deux genres. D’après, l’Office québécois de la langue française, « le masculin générique. N. m. Genre masculin employé pour désigner autant les hommes que les femmes. Exemple : l’employé ».14
D’emblée, si nous comparons les deux systèmes, nous pouvons comprendre que le masculin générique avait remplacé le neutre en latin. Or, les manuels de la grammaire française en disent le contraire, en règle générale, le masculin générique peut référer au masculin comme au féminin, il inclut les deux genres, alors que neutre en latin était réservé pour désigner uniquement les référents inanimés.
« Comme toutes les langues romanes (sauf le romain), le français a perdu le neutre que le latin possédait à côté du féminin et du masculin. Le neutre servait souvent à désigner les êtres inanimés (objets, sentiments, qualités…), tandis que les êtres animés (humains, animaux familiers) étaient systématiquement désignés grâce aux genres féminin et masculin. »15
À vrai dire, prédire le genre grammatical d’un mot en langue française définit l’une des tâches linguistiques les plus complexes, pour les natifs comme pour les étrangers. Généralement, cette tâche à tendance de se simplifier face aux noms désignant des référents animés, parce que le genre grammatical est dans ce cas-là motivé par le genre biologique ou social du référent en question (être humain ou animal). En revanche, prédire le genre grammatical des noms désignant des référents inanimés semble plus compliqué, car l’assignation du genre n’est par contre déterminée par aucune indication physiologique. À ce sujet, certains linguistes ont fourni des efforts afin de pouvoir distinguer le genre du mot en se basant sur des indices étymologiques, morphologiques, sémantiques, phonétiques… (voir sur ce sujet l’article de Jeanmaire, 2010 : 72).
Le système du genre grammatical est différent d’une langue à une autre, si certaines langues présentent quatre genres, à l’instar du russe (Archaimbault, 2007), d’autres langues n’ont que trois genres, comme c’est le cas pour le latin et l’allemand aujourd’hui. Il y a également des langues qui présentent un système de genre binaire, le cas de l’arabe et quelques langues romaines comme le français, alors que d’autres ne marquent pas le genre, à l’instar de l’anglais. Un argument de plus qui renforce la thèse selon laquelle le genre grammatical ne suit pas la logique du genre naturel.
En effet, nous croyons fort à l’idée selon laquelle le genre d’un mot est d’une grande valeur sémantique, il est l’un des traits définitoires qui marquent un mot d’un autre. Prenons le cas du couple lexical, un barbe16/une barbe, d’un premier regard, l’article qui précède le mot semble le premier indice (morphologique et phonétique) permettant l’accès au sens. En anglais, les mots ne sont pas marqués, ils peuvent référer au masculin comme au féminin, cependant, cela n’entraîne aucune ambiguïté sémantique, ce qui nous pousse à nous interroger sur l’utilité grammaticale et sémantique du genre.
1.2.2. Les règles de la formation du féminin en français
La première préoccupation des linguistes qui réclament la féminisation de la langue est l’actualisation des règles de formation des substantifs féminins, qui ont orienté le processus de la féminisation des noms masculins jusqu’à nos jours. Actuellement, le débat s’ouvre souvent sur la possibilité de leur généralisation.
En français par exemple, le féminin s’obtient généralement par l’ajout du – e final à un mot masculin, voire l’exemple : écrivain/écrivaine, ce procédé dérivationnel constitue l’un des procédés les plus productifs, cependant, il y a quelques cas particuliers, qui nécessitent le doublement de la consonne finale. Le tableau17 suivant montre les cas les plus fréquents :
-el |
devient |
-elle |
Intellectuel |
intellectuelle |
-eau |
devient |
-elle |
Chameau |
chamelle |
-en |
devient |
-enne |
Italien |
italienne |
-on |
devient |
-onne |
Vigneron |
vigneronne |
-et |
devient |
-ette |
Cadet |
cadette |
-er |
devient |
-ère |
Conseiller |
conseillère |
-x |
devient |
-se |
Amoureux |
amoureuse |
-f |
devient |
-ve |
Veuf |
veuve |
-c |
devient |
-que |
Turc |
turque |
-eur |
devient |
-euse |
Voleur |
voleuse |
-teur |
devient |
-trice |
Facteur |
factrice |
Toutefois, il existe des exceptions à la règle générale de la formation du féminin :
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Certains noms féminins présentent une finale différente, ces mots passent donc du masculin au féminin par l’agglutination d’un suffixe – sse à la forme masculine. Aujourd’hui, ce procédé dérivationnel est rarement sollicité dans la formation des féminins des noms, car il s’attribue une fonction dévalorisante. (maitre/maitresse18, maire/mairesse19, docteur/doctoresse…)
-
Certains noms ne présentent pas une forme particulière en passant d’un genre à un autre, le cas des formes épicènes comme : peintre, architecte, médecin…
-
Certains noms ont une forme particulière pour chaque genre, à titre d’exemple : homme/femme, sage femme/maïeuticien…
-
Il se trouve également que certains noms masculins n’ont pas de formes féminines équivalentes. Afin d’expliquer cette controverse lexicale, les linguistes prétendent que ce blocage face à leur féminisation pourrait être d’une origine linguistique ou idéologique.
Afin de trancher et de dépasser ce blocage nominal, certains linguistes ont proposé de nouvelles stratégies visant la féminisation du lexique. Ces stratégies qui se trouvent notées en détail dans l’ouvrage de Michael Lessard et Suzanne Zaccour, « Grammaire non sexiste de la langue française. Le masculin ne l’emporte plus ! » seront brièvement mentionnées dans les lignes qui suivent.
2. Cadre théorique et méthodologique
2.1. Les stratégies de féminisation d’une langue
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Le retour à des formes historiques. La féminisation linguistique encourage la restauration des formes féminines qui ont été supprimées de l’usage à la suite de la masculinisation de la langue au XVIIe, de ce fait, il serait plus convenable de parler d’une re-féminisation de la langue.
Exemples : peintresse, poétesse, procuratrice20, prophétesse -
L’application des règles de base. En règle générale, la formation du féminin en langue française procède par l’ajout d’un – e final à une forme masculine, cet exercice implique dans certains cas des modifications morphologiques et phonétiques (doublement de la consonne finale).
Exemples : avocat/avocate21, recteur22/rectrice, boulanger/boulangère, artiste/artiste… -
Il y a également certains cas irréguliers à l’instar des noms qui s’emploient indifféremment pour les deux genres (épicènes).
Exemples : architecte, artiste, peintre…
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La féminisation selon l’usage. La féminisation linguistique propose des solutions à l’absence des représentations féminines dans la langue et le discours, pour ce faire, elle procède soit par le recours aux différents procédés de formation de mots (dérivation, composition, emprunt…), soit par le recours à l’usage qui constitue l’une des sources les plus fécondes.
En effet, le discours social met le locuteur francophone dans l’obligation de faire recours à sa propre créativité lexicale, pour ce faire, ce dernier se sert des différents procédés de création lexicale en manipulant sa propre langue (néologisme) ainsi que d’autres langues étrangères (emprunt) afin de dépasser ce blocage lexical.
Exemples : une auteur, une auteure23, une autrice, une authoresse…
Cette stratégie prête à confusion par rapport au choix entre les différentes variations de formes (morphologiques) que puisse avoir le nom en question.
Le remplacement des substantifs. Il s’agit dans ce cas-là de procéder par le remplacement du substantif masculin par son équivalent féminin (prud’homme/prud’femme). Cette règle nous fait penser à certains noms de fonctions et métiers réservés uniquement aux femmes, comme pour « sage-femme » qui offre une possibilité très limitée selon cette stratégie.
Exemples : sage-femme/maïeuticien24, homme-grenouille/femme-grenouille…
La féminisation des termes étrangers selon la langue d’origine. En langue française, le genre des noms empruntés à d’autres langues prête à la confusion, en règle générale, ces noms s’attribuent le même genre associé dans la langue source, alors que certaines langues emprunteuses, à l’instar de l’anglais, ne gardent pas le genre en tant que catégorie grammaticale, ce qui complique davantage la tâche.
Exemples : un clown/une clown…
Les néologismes et les nouvelles graphies. L’introduction de nouvelles normes et formes graphiques à la langue s’inscrit dans la tentative de passer à la rédaction épicène25, quoique cette stratégie réformatrice ne peut être appliquée du jour au lendemain, elle ne manque pas de faire peur aux puristes, qui y voient une déformation de l’orthographe, à l’instar de l’Académie française qui l’a qualifiée de « péril mortel »26. Nous présentons ci-dessous les principales balises de cette stratégie :
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La féminisation ou masculinisation des désignations de personnes : un docteur/une docteur…
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L’usage du tiret et point médian : tout. e. s /tout-e-s…
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L’avancement du féminin dans le cas de la double flexion : les étudiantes et les étudiants…
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Le remplacement de la désignation « mademoiselle » par la désignation « madame » : Mesdames les étudiantes et Messieurs les étudiants…
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La féminisation ostentatoire. Introduite récemment dans l’usage, cette nouvelle stratégie a été signalée pour la première fois dans l’ouvrage de Susanne Zaccour et Michaël Lessard, « Grammaire non sexiste de la langue française : le masculin ne l’emporte plus ! ». Pour les auteurs :
« La stratégie de féminisation ostentatoire s’intéresse moins à l’origine ou au processus de formation des formes féminines qu’au résultat. Elle préconise l’emploi de la forme féminine la plus différente de son homologue masculin. Si un mot a uniquement une forme masculine, on se demandera s’il existe un synonyme possédant une forme féminine ».27
La féminisation ostentatoire part donc du principe que la nouvelle forme féminine doit être d’une morphologie et une phonétique différente de celle de base (la forme masculine), toutefois, les critères d’évaluation que fixe cette stratégie pourraient diminuer la possibilité de sa généralisation. Selon Susanne Zaccour et Michaël Lessard, les principaux critères de choix doivent répondre positivement aux questions suivantes :
« 1° La forme féminine se distingue-t-elle de manière nette à l’écrit et à l’oral de la forme masculine ?
2° Est-ce qu’une forme féminine utilisée ailleurs dans la francophonie se distingue davantage de la forme masculine ?
3° Est-ce qu’une forme féminine anciennement utilisée se distingue davantage du masculin ?
4° Vaut-il la peine de recourir à un néologisme pour signaler le féminin ?
5° Le nom a-t-il un synonyme dont la forme féminine est plus prononcée ? »28
2.2. Cadre méthodologique
Notre étude vise à présenter l’état des lieux de la féminisation du français utilisé en Algérie, pour ce faire, nous avons procédé à la vérification de l’usage de certains noms de fonctions référant aux femmes dans les articles de la presse algérienne d’expression française, le cas des trois quotidiens algériens : El Watan, La Liberté et le Soir d’Algérie, ainsi que dans quelques textes officiels extraits du Journal Officiel de la République algérienne. Plus précisément, nous nous sommes intéressé aux articles parus durant le premier semestre de 2021, car nous trouvons que le contexte social et politique du pays durant cette période (la reprise de la vie sociale après la crise sanitaire de la Covid-19, les annones de recrutement, l’emprise du télétravail, les remaniements ministériels…) avait favorisé la publication des articles relatifs à notre sujet.
La première étape de la constitution de notre corpus a consisté en la sélection des articles de journaux à la suite d’une recherche automatique lancée sur le moteur de recherche Google, les résultats obtenus nous ont permis à la fois d’avoir un regard général sur les noms de fonctions se référant aux femmes les plus récurrents ainsi que les différentes variations de formes (morphologiques) que puissent avoir ces noms. Cependant, l’impossibilité de la récupération de certaines pages web nous a empêché de toucher à tous les noms de fonctions se rapportant aux femmes, ce qui met en question la représentativité de notre corpus. Afin de dépasser ce bruit dû à la recherche sur le web, nous avons limité les mots-clés de notre recherche au nombre de 35 termes, cités ci-après : actrice, ambassadrice, architecte, artiste, auteur, aviatrice, avocate, capitaine, cheffe de, députée, directrice, docteure, doyenne, écrivaine, entraîneur, ingénieur, inspectrice, juge, magistrate, mairesse, médecin, ministre, pharmacienne, philosophesse, poétesse, présidente de, procureure, professeure, réalisatrice, rectrice, romancière, scénariste, secrétaire générale, sénatrice, technicienne. Ces termes ont été extraits des trois manuels de féminisation linguistique publiés par des institutions francophones officielles dans trois pays différents :
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Femme, j’écris ton nom… Guide d’aide à la féminisation des noms de métiers, titres, grades et fonctions, 1999 ;
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Mettre au féminin guide de féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre, 3éd. 2014 ;
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Au féminin guide de féminisation des titres de fonction et des textes, 1991.
Précisons qu’afin de mieux assurer la représentativité de notre corpus, la sélection de ces termes était en fonction des critères suivants :
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les noms désignant indifféremment les deux genres (épicènes) ;
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les mots qui ont des formes féminines différentes (variations) ;
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les noms dont le féminin entraîne des dérivations sémantiques.
Ensuite, nous avons trié manuellement notre premier corpus constitué de 1444 articles, afin d’éliminer les éléments inutiles (les redondances) et de garder les éléments correspondant à nos besoins. Notons qu’il y avait des nuances d’usage entre les trois quotidiens choisis et le journal officiel de la République algérienne, car certains noms figurant sur les trois quotidiens n’ont pas été signalés sur le journal officiel de la République algérienne. Nous avons constaté également que le nombre des occurrences des noms de fonctions qui réfèrent aux femmes était inférieur à celui qui implique des hommes ; ce qui reflète l’écart entre la présence féminine et masculine sur le marché du travail.
En fin de compte, nous nous sommes lancé dans l’analyse descriptive de notre corpus en fonction des stratégies de féminisation mentionnées dans le manuel de grammaire non sexiste (2017) écrit par Susanne Zaccour et Michaël Lessard :
3. La féminisation en acte
3.1. Le retour à des formes historiques
AuteurAuteure, autrice.
Après avoir étudié la fréquence d’utilisation des formes féminines : autrice, philosophesse, peintresse et poétesse dans les articles de presse francophone algérienne, nous avons remarqué que les noms philosophesse et peintresse étaient complètement exclus de l’usage, alors que autrice et poétesse ont été fréquemment utilisées. De surcroît, il est à noter que le nombre d’occurrences du nom autrice est moins élevé par rapport au nombre d’occurrences du nom auteure qui était plus adopté, voir la représentation de la fréquence des occurrences selon les deux quotidiens mentionnés ci-dessus :
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Liberté : Autrice 20 %, Auteure 80 %
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El Watan : Autrice 34.8 %, Auteure 65.2 %
Nous ne pouvons cependant pas dire que le recours à des formes historiques est fortement suivi dans la formation du féminin dans le français algérien, même s’il y a une adéquation entre les formes historiques féminines utilisées par les journalistes francophones en Algérie et celles utilisées dans le monde francophone.
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L’application des règles de bases. L’ajout d’un « e » final
Masculin |
Féminin |
Auteur |
Auteure |
Député |
Députée |
Écrivain |
Écrivaine |
Ingénieur |
Ingénieure |
Magistrat |
Magistrate |
Procureur |
Procureure |
Professeur |
Professeure |
Dans le but de vérifier si la règle principale dans la formation du féminin est respectée, nous avons procédé par la vérification de la présence des féminins des noms de fonctions suivants : auteur, député, écrivain, ingénieur, magistrat, procureur et professeur dans les articles de la presse francophone algérienne. Il a été constaté que les formes féminines correspondant aux formes masculines précitées présentent une finale différente, en d’autres termes, ces noms présentent un suffixe distinct (e final) de celui de la forme masculine. Sur le Bon Usage, ces mêmes formes masculines (un auteur, un ingénieur, un professeur sont considérés) sont considérées comme des formes épicènes (Larivière, 2009), c’est-à-dire, que ces noms de fonctions masculins peuvent être associés indifféremment aux deux genres.
Les résultats de l’analyse de notre corpus montrent que les formes féminines employées en français algérien ne correspondent pas aux mêmes formes féminines utilisées en France, mais qu’elles correspondent plutôt à celles d’usage au Québec, ce qui fait que la féminisation est dans ces cas-là systématique. Toutefois, il importe de noter que la règle principale dans la formation des féminins est respectée et privilégiée.
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L’accord dans certains cas n’entraîne aucune modification (forme épicène)
Masculin |
Féminin |
Architecte |
Architecte |
Artiste |
Artiste |
Juge |
Juge |
Médecin |
Médecin |
Scénariste |
Scénariste |
Les résultats de l’analyse de notre corpus montrent que ses termes s’emploient indistinctement pour les deux genres, ce qui entraîne dans certains cas des ambigüités de compréhension chez le lecteur (voir figure 1). Dans le cas du titre mentionné sur la figure ci-dessous, il nous était difficile d’identifier le sexe du référent en se limitant uniquement au titre, il nous a fallu donc poursuivre la lecture de l’article afin d’identifier le sexe du référent.
Les dictionnaires de langue ne notent aucun équivalent féminin au nom médecin, ce qui fait que ce terme peut être attribué à une personne du sexe masculin comme à une personne du sexe féminin. Il paraît que la féminisation du mot médecin présente des difficultés d’ordre linguistique, premièrement, l’application de la règle de base, l’ajout d’un e final semble impossible, car le féminin médecine est déjà associé à un autre référent, deuxièmement, le recours à des formes historiques, comme pour médecienne (Moyen Âge) considérée aujourd’hui comme archaïsme. Lors de l’analyse de notre corpus, nous avons constaté que pour désigner une femme exerçant la profession de médecin, les journalistes précèdent le nom médecin du substantif féminin femme pour marquer le genre, alors que pour désigner un homme exerçant la profession de médecin, le mot médecin s’attribue une valeur masculine et s’emploie seul.
Il est à noter que l’usage des termes épicènes dans les articles de presse francophone algérienne est en adéquation avec les normes imposées en France.
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La modification de la finale
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Doublement de la consonne finale
Comme nous l’avons déjà signalé, la formation du féminin en langue française s’obtient par l’ajout d’un – e final à la forme du masculin, cependant, cet exercice implique parfois une modification graphique ou phonétique, comme c’est le cas pour les noms masculins à finale consonantique qui exigent souvent un redoublement de la consonne finale :
Masculin |
Féminin |
Doyen |
Doyenne |
Pharmacien |
Pharmacienne |
Technicien |
Technicienne |
Étymologiquement, l’appellation pharmacienne s’emploie pour désigner l’épouse du pharmacien et non la personne exerçant la profession. Aujourd’hui, les femmes ont de plus en plus accès à cette fonction, ce qui fait que la féminisation de l’appellation devient plus qu’obligatoire. L’analyse de notre corpus nous a montré que cette appellation est très récurrente même si son usage n’est pas très répondu en France, tout au moins dans les textes officiels.
En nous basant sur les résultats de la vérification de la présence des féminins des noms de fonctions (voir b., c., d., e., f.) dans les articles de presse francophone algérienne, nous pouvons dire que la féminisation est plutôt systématique et que l’usage des noms féminins ne correspond pas strictement aux normes imposées par la grammaire française.
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De -ier à -ière
Masculin |
Féminin |
Romancier |
Romancière |
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De -teur à – trice
Masculin |
Féminin |
Directeur |
Directrice |
Ambassadeur |
Ambassadrice |
Acteur |
Actrice |
Recteur |
Rectrice |
Réalisateur |
Réalisatrice |
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De -eur à – euse
Masculin |
Féminin |
Entraîneur |
Entraîneuse, entraîneure |
La vérification de la présence des féminins de certains noms de fonctions nous a montré qu’en français algérien, l’usage alterne entre plusieurs formes féminines différentes, voici l’exemple de : entraîneure/entraîneuse (voir figure 2, 3) :
Les deux variations ont été employées comme des équivalents féminins au masculin entraîneur, pour désigner une personne chargée de l’éducation physique. Cependant, lors de l’analyse de notre corpus, nous avons remarqué que la forme féminine entraîneuse peut être associée à un autre référent. Dans le cas de la figure 5, le nom entraîneuse est chargé d’une connotation péjorative (service sexuel). Cela confirme l’idée selon laquelle la féminisation de certains noms de fonctions peut entraîner des glissements sémantiques.
Le suffixe -esse
Masculin |
Féminin |
Maire |
Mairesse, la maire |
Poète |
Poétesse |
L’analyse de notre corpus a montré que le substantif masculin le maire est plus récurrent que les deux substantifs féminins la maire et/ou la mairesse, qui n’étaient signalés que rarement. Cela révèle que certaines fonctions sont encore réservées aux hommes, ce qui explique l’absence de la représentation féminine dans la langue et le discours.
3.2. La féminisation selon l’usage
Professeur Professeure29
Magistrat. Magistrate30
Au Québec, le nom professeuse a été préféré à celui de professeure et à celui de professeuresse, alors qu’en France le nom professeur est le plus récurrent, le français algérien, en l’occurrence, alterne entre l’usage de « professeure » et « professeur ».
3.3. Les néologismes et les nouvelles graphies
Le recours à l’alternance des genres, les graphies tronquées, la rédaction épicène, le genre de la majorité ou la déconstruction des stéréotypes n’est pas encore signalé dans les écrits administratifs ni dans les textes de la presse algérienne d’expression française. L’adoption de ces nouvelles normes rédactionnelles n’est pas jusqu’à l’écriture de ces lignes un sujet de discussion en Algérie. De plus, aucune loi linguistique ou politique ne le dicte solennellement.
Cependant, il est important de noter que l’usage des parenthèses pour indiquer le genre (voir fig.) a été signalé dans l’article « sortie de l’ouvrage collectif « j’ai rêvé de l’Algérie : vers une projection intime et réaliste » publié par le quotidien El Watan le 19 janvier 2021, toutefois, aucune note ne justifie l’usage de ces formes graphiques.
Exemple : l’usage des parenthèses
De contacter aussi bien des personnes militantes ou non, journalistes, écrivain (e)s, architectes, psychologues, étudiant (e) s, ayant un rapport amateur ou confirmé à l’écriture. El Watan (en ligne), 19/01/2021
3.4. La féminisation ostentatoire
La féminisation ostentatoire encourage l’usage des féminins correspondent à des formes masculines à condition que la différence entre les deux soit clairement marquée à l’oral comme à l’écrit.
Nous n’avons pourtant signalé aucune notice ou note justifiant l’usage de certaines formes au détriment des autres dans la presse francophone algérienne.
4. Résultats de l’étude
L’analyse descriptive de notre corpus nous a permis de comprendre que :
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Les substantifs féminins désignant des fonctions respectent bien les règles de formation des féminins des noms décrites par la grammaire française ;
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Pour désigner un groupe de personne, dont le genre est inconnu ou dès la présence d’un élément du sexe masculin, les noms de fonctions se conjuguent au masculin (masculin générique) ;
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L’emploi des termes épicènes entraîne parfois des controverses sémantiques, qui empêchent le lecteur de prédire le sexe des personnes en question ;
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L’emploi du masculin générique dans les textes officiels et administratifs est dans le but de désigner le poste en question et non la personne occupant le poste ;
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On ne peut pas dire que la femme est moins invisible dans la langue française employée en France que celle employée en Algérie.
Conclusion
Au final, nous rappelons que l’objectif de notre étude était de présenter l’état des lieux de la féminisation du français algérien. Pour ce faire, nous avons procédé par la vérification de la présence des noms de fonctions référant aux femmes dans un corpus représentatif extraits des articles de journaux francophones édités en Algérie (trois quotidiens algériens) ainsi que dans quelques textes officiels extraits du journal officiel de la république algérienne. La lecture descriptive de notre corpus était orientée en fonction des stratégies de féminisation notées par Susanne Zaccour et Mickaël Lessard dans leur manuel de grammaire non sexiste, cela nous a permis d’identifier les stratégies les plus adoptées dans la féminisation du français algérien, comme : le recours à la règle principale dans la formation du féminin (l’ajout d’un e final), l’emploi des épicènes et le retour à certaines formes historique. Il faut rappeler que, nous avons pris appui sur le constat selon lequel le français employé en Algérie paraît moins résistant à la féminisation, par opposition à celui de la France. En effet, cette prémisse semble vraie, car dans la majorité des cas, la féminisation était systématique, et de ce fait, les noms de fonctions se référant aux femmes étaient conjugués au féminin, sauf dans le cas des épicènes ; on en déduit donc qu’en matière de féminisation de la langue, le français algérien ne respecte pas les normes fixées par la grammaire de la langue française, ce qui fait qu’il est plus ouvert à la féminisation. Cependant, nous ne pouvons pas confirmer si la femme est moins invisible dans le français algérien que dans le français de la France, car l’emploi du masculin générique et l’accord en fonction du genre de la majorité ont été maintes fois signalés, il serait donc intéressant de mener une étude complémentaire qui vise à analyser en détail des règles d’accord et l’emploi du masculin générique dans les textes.
L’analyse de notre corpus a confirmé, d’une part, la possibilité de la féminisation des noms masculins désignant des fonctions selon les différentes stratégies de féminisation proposées, ainsi que la présence des formes féminines pour désigner des fonctions occupées par des femmes n’implique aucune ambigüité de compréhension, d’une autre part, cela nous confirme l’hypothèse selon laquelle la résistance est plutôt d’un ordre politique et idéologique que linguistique.
Yaguello, M. (1989) : « le sexe des mots », éd. Belfond, Paris.