Les slogans des porte-voix de la nouvelle révolution populaire algérienne « HIRAK » – Quand la revendication et la dénonciation des maux sociopolitiques jouent avec les mots

شعارات‭ ‬الناطقين‭ ‬باسم‭ ‬الثورة‭ ‬الشعبية‭ ‬الجزائرية‭ ‬الجديدة‭ ‬‮«‬الحراك‮»‬‭ - ‬حينما‭ ‬تلعب‭ ‬‭ ‬الكلمات‭ ‬بلمطالبات‭ ‬والاستنكارات‭ ‬السوسيواجتماعية

The slogans of the spokespersons of the new Algerian popular revolution “HIRAK”When the claim and the denunciation of socio-political evils play with words.

Nabila Bestandji

p. 111-133

Nabila Bestandji, « Les slogans des porte-voix de la nouvelle révolution populaire algérienne « HIRAK » – Quand la revendication et la dénonciation des maux sociopolitiques jouent avec les mots », Aleph, 8 (4) | -1, 111-133.

Nabila Bestandji, « Les slogans des porte-voix de la nouvelle révolution populaire algérienne « HIRAK » – Quand la revendication et la dénonciation des maux sociopolitiques jouent avec les mots », Aleph [], 8 (4) | 2021, 25 June 2021, 09 October 2024. URL : https://aleph.edinum.org/4870

Dans cet article, nous voudrions nous intéresser aux slogans de la nouvelle révolution populaire, appelée aussi la révolution du sourire ; le HIRAK. Nous verrons quelles sont les revendications portées par ces porte-voix en nous intéressant particulièrement aux figures de style enrôlées dans la matérialisation d’un bon nombre de jeux de mots et de parodies largement constatés dans notre corpus.

في هذا المقال نود أن نركز على شعارات الثورة الشعبية الجديدة ، والتي دعت أيضًا لأسباب عديدة : ثورة الابتسامة ؛ الحراك. سنرى ما هي الادعاءات التي قدمتها مكبرات الصوت هذه ، مع إيلاء اهتمام خاص لأرقام الكلام المدرجة في تجسيد عدد كبير من التورية والمحاكاة الساخرة التي لوحظت على نطاق واسع في مجموعتنا.

In this article, we would like to focus on the slogans of the new popular revolution, also called for many reasons : the smile revolution; the HIRAK. We will see what are the claims made by these megaphones, paying particular attention to the figures of speech enlisted in the materialization of a good number of puns and parodies widely observed in our corpus.

« … telle qu’elle a été élaborée par la culture de la Grèce antique, la rhétorique peut être considérée comme une théorie de la parole efficace liée à une pratique oratoire ». (Ruth Amossy : 6)

Introduction

Il n’y a d’acte qu’impliqué par et dans le langage et le Hirak, mouvement de protestation populaire nommé par la vox populi « révolution du sourire » qui a occupé le devant de la scène politique algérienne pendant près de deux ans (2019-2021), ne déroge pas à cette règle.

Nonobstant sa dimension politique, la « révolution » qu’il engage se manifeste dans une sorte d’insubordination linguistique qui a conduit à la mise en scène d’un spectacle langagier que réalise une prolifique néologie lexicale intégrée dans une hybridation linguistique assumée s’actualisant dans des jeux de langue où l’humour, « civilisant la violence de ses acteurs, se construit comme une arme politique » (Zenati 2021) prenant corps dans les slogans qui la portent. La « révolution politique » attendue a engendré une révolution poétique : de « Yetnahaw Ga3 » à « vendredire », la crise politique en Algérie a alimenté une production discursive prolifique.

Sans porter d’interrogation systématique sur le rôle du langage et de ses jeux dans l’organisation sociale du sens et sans interroger les dispositifs énonciatifs qui ont gouverné à sa genèse, le présent texte présentera, dans une perspective purement taxinomique, les outils nécessaires à la compréhension de la construction des énoncés mis en scène et les figures de style qui les intègrent. C’est, d’un mot, de la construction d’un corpus en vue d’une interrogation en profondeur d’une langue en agitation dans un contexte de crise politique qu’il sera question.

Exploitant un corpus composé de 264 photographies réunies lors des manifestations1 qui ont émaillé la ville d’Alger, la démarche empruntée, rigoureusement empirico-inductive, laissera les faits « suggérer les variables importantes, les lois, et, éventuellement, les théories unificatrices » (Beaugrand 1988 : 8).

Inscrite dans une perspective théorique prenant en charge l’analyse argumentative des discours en situation de crise, cette contribution ouvre la possibilité à une exploitation systématique des slogans portés par un dispositif énonciatif scénarisant le contexte social, culturel et historique dans lesquels ils se déploient.

1. Les slogans : définition, caractéristiques et formulations

Phrase généralement courte énonçant une règle d’action, une appréciation ou un jugement d’ordre moral, le slogan peut revêtir sur le plan structurel plusieurs formes signifiées par un mot, un syntagme ou une phrase. Le slogan désigne étymologiquement

« le cri de guerre des combattants écossais avant de s’élancer au combat ayant pour but de les encourager à lutter et à effaroucher les ennemis. »

Utilisé pour la première fois en 1513, il 2« constitue l’énoncé qui, par sa forme, aussi bien que par ses effets illocutoires, se rapproche le plus du proverbe. » (Navarro Dominguez 2005 : 270) Sa scansion imprime une forme poétique aux revendications portées par les manifestants qu’il galvanise et dont il capte l’attention.

Condensé, sous une forme directe ou indirecte, dans des accroches travaillées par des énonciateurs exprimant des positionnements, des revendications, des pensées, le slogan se présente comme :

« Une formule frappante [dont] la force […] peut aussi résider dans son caractère ludique. La publicité, qui multiplie les jeux de mots et les allusions, en fait un emploi massif, mais le slogan politique en use aussi largement. Une formule dont le pouvoir d’incitation excède toujours le sens explicite fait penser à la force de frappe du slogan qui ne se limite pas cependant aux jeux formels qui offrent une prime de plaisir. Si le slogan agit sur le public, c’est parce qu’il l’amène à activer des significations implicites qui s’appuient sur un savoir commun et des croyances partagées. [le slogan] puise sa force de persuasion et de séduction dans ce qu’il exprime entre les lignes plus que dans ce qu’il pose explicitement. » (Grunig 1990)

Générer des images fortes, parlantes et unificatrices est l’ambition des mots encapsulés dans ces énoncés. La force du slogan est assurée par la dimension poétique qui les structure, réduit les tensions dénoncées et conscientise les citoyens qui se livrent à une confrontation d’idées plutôt qu’à un affrontement physique :

« Ces manifestations-là sont un cri de la population qui dit : on est là. Il y a quelque chose de festif et, ultimement, de positif dans ces démarches-là. Je pense que l’humour est l’élément numéro un pour dédramatiser des situations et pour passer des messages de façon moins confrontante. »

Cette dimension, non guerrière et apaisée lors des manifestations de 2019, a été largement saluée à travers les médias du monde qui n’ont pas manqué de spécifier cela à plusieurs reprises dans leurs interventions ou leurs articles.

2. Les figures de style comme arguments d’éloquence rhétorique des slogans

Assumant, assurant une franche dimension esthétique, le slogan est un théâtre propice au déploiement de toute sorte de figures de style.

En son sein, les figures donnent le rythme, créent une complicité où l’autrui est invité à déchiffrer l’énigme. Comme des clins d’œil, ils aguichent tout en continuant à dénoncer et à porter haut la voix de la contestation dans un cadre discursif gouverné par l’argumentation et l’explication.

En effet, loin d’être une simple fantaisie ou un ornement du discours la figure engage non seulement, la signification de l’énoncé puisque par elle, « l’effet de sens produit ne se réduit pas à celui qui est normalement engagé par l’arrangement lexical et syntaxique occurrent » (Molinie : 1992 : 152), mais également une fonction poétique innée, très présente dans les slogans, qui apparaît comme l’une des caractéristiques majeures de cette dernière et qui est repérable « dès que le signifiant importe autant que le signifié, dès que le contenu du message est inséparable de sa forme. […] : tout slogan est rhétorique. » (Navarro Dominguez: 2005 :275)

Partant de cette perspective, les slogans seront observés comme des formulations à buts rhétoriques3 usant d’éléments divers afin de capter l’attention, de séduire et de persuader le plus de monde possible dans un temps limité. Pour une meilleure visibilité, les figures de style repérées seront classées selon la quadripartition proposée par : Catherine Fromilhague qui suit le modèle suivant : « figure de diction, figures de construction, figures de “mots” — ou tropes — et figures de pensée […] les trois premières catégories (dites figures micro-structurales)4 et la dernière catégorie des figures de pensée (dites figures macro-structurales)5 » (Fromilhague : 1995 : 8).

De manière globale, cette classification regroupe les figures de style comme outils d’expressions d’art discursif opérant sur trois niveaux : le sens, la sonorité et leur position dans l’énoncé. Leur emploi est totalement dépendant de la volonté de l’énonciateur, qui, agissant en maître du discours, entreprend d’imbiber ses dires de sens et d’émotions pour séduire, convaincre, faire réagir, faire adhérer ou « modifier son système de croyances et/ou son attitude comportementale. » (Kerbrat-Orecchioni 1980 : 84)

Les figures de style installent des manières douces et ludiques enrobant les mots en marquant les esprits et en impactant leur manière d’être au monde.

3. Les figures de la révolution pacifiste algérienne

Pour une meilleure lisibilité, il ne sera pas superflu de présenter le corpus de l’étude en fonction de la nature des figures mobilisées. C’est ainsi qu’il a été opéré le choix de les passer en revue dans deux parties où les figures seront classées en fonction du niveau d’expression : micro-structurales et macro-structurales. Il sera associé à chaque figure un exemple l’illustrant, un commentaire et une traduction.

3.1. Les figures de style micro-structurales

3.1.1. Les figures de diction

Ces figures englobent des figures de modification de mots qui sont essentiellement des « formes de néologismes liés à des phénomènes d’adjonction, de suppression ou de permutation qui peuvent affecter les phonèmes, graphèmes, ou groupe syllabique » (Fromilhague 1995 : 22), ou des figures de continuité phonique qui constituent l’une « des formes de répétition où la chaine de mots est appréhendée comme une suite d’objets sonores et musicaux qui impriment généralement un rythme à l’énoncé ». (Fromilhague 1995 : 23)

3.1.1.1. Transformation par modification du mot

L’aphérèse est une figure de troncation impliquant la suppression d’un ou plusieurs phonèmes au début d’un mot : « tansyou ! ! touche pas à mon Algérie ! ! ! » (tansyou, réduction du mot « attention »), reproduction humoristique du mot « attention » tel qu’il est prononcé par des locuteurs ne maîtrisant pas le français.

L’apocope est une figure de troncation qui consiste à supprimer la ou les dernières syllabes d’un mot. « Boutef6 ! si un jour tu quittes ce monde, évite le colonel Amirouche7 dans l’autre… »

L’épenthèse transforme la prononciation d’un mot en y insérant un phonème qui n’a aucune raison d’y être. Le but est soit rythmique ou humoristique :

  • Filez. Détournement de la marque Fila.

  • Voleurs. Détournement du logo Volvo.

  • Samtine. Il s’agit d’un détournement du logo Samsung en le faisant correspondre au mot arabe signifiant : « embêtant »/« agaçant ».

  • Nullité. Détournement du logo Nutella.

  • InKappable. Détournement du logo Kappa.

  • BouNETFLIXka — Saison 5 annulée. Ce slogan amalgame le nom de Bouteflika avec le service de vidéo à la demande NETFLIX.

Le mot-valise résulte de la fusion d’éléments empruntés à deux mots, elle est donc une sorte de collage formel et sémantique. « Ce sont des formes liées à des phénomènes d’adjonction, de suppression ou de permutation qui peuvent affecter phonèmes, graphèmes, ou groupe syllabique ». (Fromilhague : 2017 : 22) Les mots-valises sont à l’origine de néologismes fantaisistes et ludiques.

  • La maladie l’algéritite due à une bactérie bouteflikacoque — CAT : ATB — (peupliciline) 45 g chaque vendredi. Constructions savantes référant au langage médical afin de signifier que l’algéritite, maladie qui touche l’Algérie, dont le nom est un néologisme reprenant : la partie seine : Algérie et le suffixe ite (employé souvent dans la dénomination des maladies) aurait été causé par Bouteflika vu comme un agent bactériologique à l’origine des maux dont souffre le pays. Le peuple : peupliciline (néologisme construit grâce au même principe) représenterait le remède.

  • Le virus Bouteflikanium est de retour, protégez-vous avec le Hirakium. Ce Slogan reprend la terminologie médicale pour désigner Bouteflika comme un virus duquel il serait possible de se protéger grâce au Hirak.

  • Boutef HAK FINGER. Détournement de la marque Tommy Hilfiger pour dire : tiens un doigt/faire un doigt d’honneur.

  • Bouteflesqa — Eleska li telsek sompiti (Bouteflesqa la colle qui colle sans pitié). Ce slogan signifie que l’ancien président s’accroche solidement à son poste.

  • Gouvernement Guilty Boutexit. Ce slogan détourne le slogan anglais : Gouvernement Guilty Brexit, qui a été scandé lors du Brexit, le « Br » a été remplacé par Boutef pour lui demander de sortir « exit ».

  • Non à Buddha-Flika. Ce slogan s’est axé sur la posture de buddha : statique et sans mouvements.

  • Non à Abdelaziz Kabila. Ce slogan amalgame Bouteflika à l’ancien président dictateur du Congo Laurent Kabila.

  • J’espère en finir avec l’éternullité. Ce slogan met en avant ce qu’ils estiment être une éternelle nullité

  • L’Algérie est insississable. Ce slogan amalgame le mot : insaisissable et le patronyme Sissi relatif à l’homme militaire et président de l’Egype.

3.1.1.2. Transformation par continuité phonique

L’allitération est une répétition de consonnes dans un énoncé. La soumam la ivyan nouvambar houwa albayan (Ni Soumam ni Evian, Novembre est la déclaration).

L’assonance est la répétition de voyelles dans un énoncé. Chantons sous la pluie — one two tree viva l’Algérie. La première partie de ce slogan est une reprise de la comédie musicale de 1952 associée à la « célèbre » devise scandée par les supporters de l’équipe nationale algérienne, mais aussi lors d’autres manifestations non sportives : 1, 2, 3 vive l’Algérie.

L’homéotéleute consiste dans le fait de répéter un son (voyelle, consonne ou ensemble de sons) à la fin de plusieurs mots successifs :

  • Berd chta kharjin kharjin (froid, pluie nous sortons, nous sortons).

  • Boutelsi9a Eles9a li telse9 (Boutelsika la colle qui colle).

  • Ata2jil, at3dil, ara7il (Report, ajustement, départ). Ce slogan décrit les étapes que le gouvernement devra suivre (selon le peuple).

  • Ya Didouche ya 3mirouche ljazair klawha lew7ouch (Oh Didouche, Oh Amirouche l’Algérie a été mangée par des monstres). Ce slogan est un appel aux anciens moudjahidines : Didouche Mourad et le colonel Amirouche, deux symboles de la libération nationale.

La paronomase rapproche des mots qui ont des sonorités identiques ou similaires. Ces mots peuvent être des homonymes ou des paronymes :

  • Poutine ricane Bensalah chicane. Ce slogan fait référence à la rencontre du président Poutine avec Bensallah en marge du sommet Russe-Afrique tenu à Sotchi. Durant cette réunion, le chef d’État intérimaire algérien a assuré à son homologue russe que les marches en Algérie étaient maîtrisées et qu’elles ne concernaient qu’une petite partie de la population. Ces propos ont fait sourire le président russe et ont mis en colère la population algérienne.

  • On ne veut pas de Iben Salah (Fils de Salah). Ce slogan insinue que Ben Salah est le fils/progéniture/disciple de….

  • Cha3b Camel rah dedkom. La pancarte reprend le packaging de la marque de cigarette Camel — le mot Camel veut dire en algérien tout, dans ce slogan la traduction littérale est la suivante : tout un peuple est contre vous.

  • Haniwna N’haniwkom. La pancarte reprend le packaging de la boisson alcoolisée Heineken — Laissez-nous en paix nous vous laisserons en paix.

  • Rat le bol. Le mot ras a été remplacé par : rat qui est un rongeur, un nuisible que l’on doit généralement éradiquer.

  • Mal barré — votre système nuit gravement à notre santé. Détournement de la marque et du packaging du paquet de cigarettes Marlboro pour insinuer que les gens du gouvernement sont en mauvaise posture face au peuple.

  • Après l’application de l’article sans 2 on demande l’application de l’article sans eux. Ici, un jeu de mots est à noter, les Algériens veulent l’application de l’article 102.

L’onomatopée est une figure de style formée par un procédé phonétique qui imite un son produit par un être vivant ou un objet : Yes we can toz you can’t. Cette formule fait référence au slogan de l’ancien président américain Barak Obama. En effet, ce dernier a scandé : YES WE CAN lors de sa campagne présidentielle de 2008, cette phrase a fonctionné comme un leitmotiv qui l’a suivi jusqu’à son élection. Sa reprise par le peuple est une manière de dire : oui nous pouvons et « toz » (son de flatulence) vous (le système) vous ne pouvez pas arriver à vos fins).

En ce qui concerne les figures de dictions, les jeux sonores ont été mis en avant par les manifestants qui, sans doute, conscients de la gravité et de l’importance de la situation ont apparemment pris le parti d’affronter le gouvernement avec beaucoup d’humour, de sous-entendus et de détournements.

En effet, cette révolution a exhibé un visage souriant, mais déterminé non seulement au régime, mais aussi au monde. Les slogans ont travaillé à dire, mais aussi à insinuer la nécessité de changer de régime, de ne pas accepter la relève que voulaient imposer les agents du gouvernement et que le salut ne peut venir que du peuple souverain.

Aphérèses, épenthèses, mots-valises, allitérations assonances, homéotéleute, paronomases et onomatopées ont été retrouvées dans notre corpus ; la plupart d’entre eux ont été enrôlés afin d’exprimer l’insistance des manifestations et leur détermination à vouloir continuer la lutte face au régime, mais aussi leur volonté claire à maintenir leurs revendications (refuser le cinquième mandat de Bouteflika, refuser l’ingérence de l’armée dans le choix du prochain président, etc.). Les slogans exhibés avaient aussi pour but de diminuer la valeur de la personne nommée (en l’occurrence Bouteflika) en le désignant par le diminutif : Boutef qui avait probablement comme visée de réduire de sa personne et du respect que les citoyens doivent habituellement à leur chef d’État.

Aussi, il est aisément remarquable que dans ces figures un bon nombre de tournures donnent du rythme aux slogans et les rendent plus accrocheurs (Berd chta kharjin kharjin, Boutelsi9a Eles9a li telse9). Certains reprennent des noms de marques comme Fila, Volvo, Nutella que les manifestants ont détourné dans le but de dénoncer le régime en place.

Aussi, des détournements d’autres marques portant sur des produits « nocifs pour la santé » (Marlboro, Heineken, Camel, etc.) ont été opérés pour exprimer non seulement le rejet du peuple, mais aussi la nocivité du système.

Les slogans savants impliquant culture et savoir historique mis en circulation actualisent tout à la fois des références à l’histoire de l’Algérie qu’à l’actualité économique à travers les détournements de noms de marque.

Un nombre important de formes amalgamées donnant naissance à des néologismes actualisant une dualité entre deux pôles opposés : celui du mal souvent incarné par la personne de l’ancien président vu comme un bacille.  Boutelikacoque, une colle : Bouteflesqa, une maladie. Bouteflikanium, ou un personnage statique : Bouddha-flika ; et celui du contre-pouvoir lui administrant de la peupliciline, du Hirakium pour protéger l’Algérie des éventuels scénarios catastrophes comme ceux vécus par d’autres pays considérés comme vivant sous des dictatures (l’Égypte de Sissi ou le Congo de Kabila). Grâce à ces tournures, les manifestants ont rejeté : l’éternullité en affirmant qu’ils étaient insississables.

D’autres slogans ont fusionné deux idées, celle de la nécessité d’appliquer l’article 102 de la constitution et de repousser les tenants du système dénoncé. Les suites énonciatives : sans 2/sans eux sous-entendent dans un rapprochement phonique le référent 102.

Le rapport de force entre les manifestants et le système dénoncé s’est aussi réalisé dans les pancartes portant les inscriptions : « on ne veut pas d’Iben Salah ». En effet, le [i] rajouté à Ben, apporte un sens appuyé de : « fils de Salah ». Par cet amalgame « ben » et « Ibn » les manifestants rejettent l’idée d’une succession et renforcent l’affirmation de leur volonté d’atteindre un régime démocratique.

3.1.2. Les figures de construction

Ces figures englobent toutes les formulations ayant une particularité morpho-syntaxique. Ce sont des « figures géométriques opposées sur la transparence du langage ». (Ducrot O et T. Todorv : 1979)

L’épitrochasme, énumération et accumulation sont des figures d’amplification, qui donne du rythme à l’énoncé produit. Elle est constituée d’une suite/énumération de termes brefs de même catégorie, de même nature grammaticale ou de sens proche : Wanted — Le con – l’abruti — le truand.

Le parallélisme ou hypozeuxe ; répétition et apposition de deux structures syntaxiques identiques :

  • Nous sommes la vie, nous sommes l’Algérie.

  • Peuple connecté, système déconnecté. Ce slogan fait référence au lien solide tissé par le peuple à travers toutes les régions du pays.

L’anaphore rhétorique est la répétition d’un mot ou d’un groupe de mots au début de plusieurs énoncés qui se suivent.

  • 5eme mandat, 5eme fawda (5eme mandat, 5eme débandade).

  • Nation, nation, nation, ils se sont emparés du mot, mais pas du sens. Ce slogan montre que le peuple est persuadé que le système ne connait pas la valeur/signification du mot nation.

  • Watani khir men cheb3at batni, Watani khir men el frach el 9otni, ta7ya el jazair (mon pays, mieux que mon ventre rassasié, mon pays mieux que le lit molletonné, vive l’Algérie)

  • Ana chawi, Ana 9bayli, Ana tergui, Ana 3arbi, Ana mzabi, Ana jazairi – Je suis chawi, je suis kabyle, je suis tergui, je suis arabe, je suis mozabite, je suis algérien. Ce slogan détruit les velléités de division du peuple algérien.

  • 3achriya bayda, silmiya, silmiya (Dizaine blanche, pacifiste, pacifiste). Ce slogan fait référence aux marches entreprises par le peuple qui ne voulait surtout pas recourir à la violence et aux confrontations avec les forces de l’ordre.

  • Watani, watani, watani touma watani. (Mon pays, mon pays, mon pays puis mon pays). Ce slogan met en avant la priorité du peuple : le pays.

L’épiphore  « place le même mot ou groupe à la fin de deux ou plusieurs membres de phrase ou phrases » (Dupriez 1984 : 46). Elle est utilisée pour créer un effet rythmique : Berd chta rana kharjin, kharjin. (Froid, pluie, nous sortons, nous sortons)

L’antépiphore est une répétition d’un groupe de mots au début et à la fin d’un paragraphe : Partez partez, pas de dialogue, partez partez !

L’épanadiplose consiste en la reprise à la fin d’une phrase du même mot que celui utilisé en début de phrase : Leave méen leave – Partez veut dire partez.   Ce slogan reprend la formule de l’organisation politique du Royaume-Uni eurosceptique et pro-Brexit qui a fait campagne pour que le pays quitte l’Union européenne en 2016.

  • Tera7lou ya3ni tera7lou (partez veut dire partez)

  • Watani, watani, watani touma watani (mon pays, mon pays, mon pays puis mon pays)

L’épanalepse consiste en la reprise d’un groupe de mots au début d’une proposition : Aw jay, Aw jay el 3isyan el madani (Elle arrive, elle arrive la désobéissance civile)

  • La tamdid la tamdid yas9ot bedwi wa said, La tamdid la tamdid nebnou blad men jdid, La tamdid la tamdid echa3b faye9 ou 3nid (Pas de prolongation, pas de prolongation, tombe Bedwi et Said, pas de prolongation, pas de prolongation, on reconstruit le pays de nouveau, pas de prolongation, pas de prolongation, le peuple est réveillé et têtu)

L’anadiplose est une figure qui consiste dans le fait de répéter un mot de la fin d’une phrase ou d’une proposition au début de la suivante : Get up stand up. Stand up for your rights (Lève-toi, lève-toi défend tes droits). Ce slogan est une reprise de la chanson mythique de Bob Marley ; cette chanson demande aux peuples de se lever, de combattre l’oppression et de revendiquer leurs droits. 

La concaténation consiste à mettre bout à bout des morceaux de phrases afin de constituer une chaine.

  • L’Algérie n’est pas pour vous, vous qui avez martyrisé le pays, pays du 1 million et demi de chahides (Martyrs)

  • It’s time !! Time of the final countdown. (Il est temps, il est temps pour le dernier compte à rebours). Ce slogan est la reprise d’une célèbre chanson Rock des années 80. Il insinue que le compte à rebours est lancé et que le moment est venu pour les anciens du système de quitter la scène politique.

Le polyptote est l’utilisation de plusieurs variantes flexionnelles du même mot : Je vote, tu votes, il vote, nous votons, ils profitent. Ce slogan fait référence à toutes les occasions données par le peuple au gouvernement lors des précédentes élections afin de changer les choses. Cependant, rien n’a changé.

La dérivation est une figure qui consiste à employer, dans un même énoncé, des mots dérivés de la même racine :

  • Libérez la liberté

  • Nous sommes un régiment contre le régime, partez ! Ce slogan fait référence au nombre important de manifestants.

L’antanaclase consiste dans l’emploi d’homophones qui ne sont pas synonymes dans la constitution d’un jeu de mots :

  • J’ai testé ce régime et je n’ai pas maigri, alors je change de régime. Faisant référence à ce processus qui conduit à la perte de poids, le mot régime, dans ce slogan, invite à se délester du poids du système dénoncé.

  • Le seul mandat que vous méritez est un mandat d’arrêt ! Jeu de mots avec la polysémie de la lexie « mandat » qui renvoie au mandat électif pour lequel postule le président en exercice et le mandat de dépôt souhaité par le peuple.

L’asyndète consiste dans le fait de supprimer tous les liens logiques et de coordination d’un énoncé : Nous sommes venus, nous avons vu, nous allons vaincre. Ce slogan reprend la phrase célèbre de Jules César : Veni Vidi Vici (je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu), elle désigne toute entreprise qui s’achève avec succès.

L’aposiopèse concerne l’« interruption du déroulement syntaxique attendu, typographiquement marquée par des points de suspension : la phrase reste inachevée ». (Fromilhague 1995 : 35) 

  • Jawa3 cha3bek yaklek… (Affame ton peuple il te mangera). Ce slogan détourne la phrase tronquée et empruntée par Ahmed Ouyahia à Abu Jafar Al-Mansur : « affame ton chien il te suivra ; engraisse-le il te mangera ». Ne reprenant que la première partie de la phrase, Ouyahia a été pris à son propre jeu au moment où les manifestants complètent sa citation en affirmant que s’il affame son peuple, ce dernier le mangera.

  • Enerdjzair pour une révolution qui dure… très longtemps. Ce slogan reprend le slogan des piles Energizer, connues pour leur résistance et leur longévité. Le nom du produit a été détourné dans une construction amalgamée : Énergie et Djazair (Algérie).

La ponctuation, matérialisée par l’utilisation de points d’exclamation, modalise le rapport entretenu entre l’être et son monde ; elle est souvent employée afin d’exprimer un rapport d’indignation ou d’enthousiasme :

  • Foutez la paix à notre Algérie ! ! Ce slogan marque clairement l’appropriation de l’Algérie par le peuple

  • Quand l’algérien veut, l’Algérie peut !! Ce slogan reprend et détourne le proverbe : quand on veut, on peut afin de montrer la volonté du peuple et leur détermination à changer les choses.

  • Nous n’avons plus de slogans dégagez !

Le chiasme apparaît comme la disposition en croix/symétrie en miroir de deux mots ou deux expressions :

  • Kouna cha3b bidoun rais, wa l2an rais bidoun cha3b (On était un peuple sans président et là le président est sans peuple).

  • Le problème de la cause est qu’elle ne négocie pas avec la cause du problème.

L’antithèse consiste à mettre côte à côte dans un même énoncé des termes ou des idées ayant des sens opposés. « Cette figure ne cherche pas la conciliation des contraires » (Levesque 2017 : 141). Elle consiste donc à rapprocher deux termes opposés afin d’accentuer la différence.

  • Nous voulons la paix pas le désordre !

  • Algérie pleure, Algérie crie, Algérie meurt, Algérie vit, Algérie

L’oxymore rapproche des termes sémantiquement incompatibles, deux mots aux sens inattendus. Cette figure crée un énoncé à l’apparence contradictoire :

  • Plus de morts-vivants, l’Algérie suffoque ! !

  • Révolution du sourire. Ce slogan fait référence au caractère pacifique des manifestations en Algérie.

La gradation est une succession de termes d’intensité croissante ou décroissante qui peut donner un effet d’intensification de diminution progressive de la force du discours employé : Le peuple s’est levé, marche, cour vers sa liberté ! !

L’hypallage concerne l’association syntaxique de deux mots dont l’un d’eux qualifie en réalité un troisième mot à proximité :

  • Système malade, Système gangréné, nous allons l’amputer

  • Le système pourri est comme un arbre maudit, il faut le déraciner depuis la racine

  • Petit Macron occupe-toi de tes gilets jaunes l’Algérie est trop grande pour toi. Ce slogan a pour but de diminuer de la valeur du président français — en le considérant comme un petit garçon non encore mûr pour exprimer un avis dans la cour des grands.

  • Le système se demande qui organise les marches — le peuple se demande qui écrit les lettres du président — vous nous dites on vous dit. Ce slogan est assez ironique, car il insinue le fait que les lettres de Bouteflika ne seraient pas écrites par lui, étant donné sa maladie.

L’ellipse consiste à ne pas mettre volontairement un mot nécessaire à la construction initiale de l’énoncé :

  • Danone, parce que je le vaux bien. Ce slogan reprend la formule de L’Oréal et remplace le produit de beauté par : Danone qui est une marque de produits laitiers. Ce slogan vient en réponse à A. Ouyahia qui, lors de ses interviews, a proclamé que le peuple n’avait pas besoin de manger de yaourt (qui était selon lui un luxe dont le peuple pouvait se passer).

  • Thank you, next (Merci, au prochain)

Un nombre important d’épitrochasmes, de parallélismes, d’anaphores rhétoriques, d’épiphores, d’antépiphores, d’épanadiploses, d’aposiopèses, d’hypallages, etc. sont occurrents dans notre corpus. Deux nébuleuses s’affrontent :

  • d’un côté, le nous, le peuple, le pays, el watan, l’Algérie dans toute sa diversité qui veut vivre en paix prônant la silmiya (le pacifisme). Une Algérie nouvelle démocratique libérée, unie et connectée qui veut s’accrocher au monde moderne sous la coupe d’un leader.

  • De l’autre côté, une fawda (anarchie) imposée par un système vu comme : « mafieux », « malade », « gangréné », « pourri », « coupable », « nécrosé », « désordonné » et « décadent » et que le peuple ne veut pas reconduire pour un cinquième mandat. Les revendications formulées en quatre langues (français, algérien, arabe, anglais) demandent à l’unisson à ceux qu’ils les déconsidèrent de : partir, irhalou, leave, tetnahaw.

Les revendications des manifestants ont donné le ton accentué par le jeu prosodique employé dans leurs pancartes. Des exclamations signifiaient l’indignation, la colère, la stupéfaction, d’autres l’impatience, la fermeté et la résistance, mais aussi, pour leur majorité la détermination et la volonté de voir les choses changer ont ponctué les slogans des manifestants.

3.1.3. Les figures de « mots » ou tropes

Ces tropes sont aussi appelés figures de sens ou de comparaison, ils peuvent être vus comme des détournements ou des transferts de sens : « transfert du sens propre au sens figuré » (Fromilhague 1995 : 56)

3.1.3.1. Figures de « mots » ou tropes 

La métonymie « consiste à substituer à un terme un autre terme qui entretient avec lui une relation de contiguïté » (Pougeoise, 2001 : 166). En somme, cette figure consiste à remplacer la chose désignée par un mot proche d’un point de vue logique (remplacement du contenu par le contenant, du lieu pour l’activité, etc. Selon Bernard Dupriez (1984 : 290), la métonymie est un trope qui « permet de désigner quelque chose par le nom d’un autre élément du même ensemble, en vertu d’une relation suffisamment nette » :

  • Consulte ton Larousse si tu n’as pas compris : dégage ! !

  • Not sure if it’s Algeria or Boollywood.(Pas sure si c’est l’Algérie ou Boolywood)

  • Il n’y a que Chanel pour faire le N° 5. Par un clin d’œil à la marque Chanel ce slogan atteste que le système n’a pas le droit d’imposer un cinquième mandat, car le numéro cinq est une marque déjà déposée.

La synecdoque : Cette figure est un type particulier de métonymie, elle a pour particularité d’attribuer au mot un sens plus large. Elle peut exprimer : le singulier pour le pluriel, donner un quantificateur précis pour un nombre imprécis, la partie pour le tout, l’espèce pour le genre, la matière pour l’objet ou le concret pour l’abstrait.

  • L’algérien défie le système

  • On ne va pas te le redire 100 fois : dégage ! ! !

L’antonomase est le fait d’utiliser un nom propre pour désigner un nom commun ou inversement : Les Dalton – A. Boutef – S. Boutef – Ouyahia – Haddad. Ce slogan reprend une affiche des frères Dalton pour montrer ceux que le peuple considère comme des malfaiteurs.

La périphrase consiste à dire en plusieurs mots ce qu’on pourrait dire en utilisant un seul terme, c’est donc remplacer un terme par un ensemble de mots voulant dire la même chose :

  • La Casa del Mouradia

  • Le pays des 1 million et demi de martyrs refuse le système.

3.1.3.2. Figures de l’analogie 

La comparaison est un rapprochement entre deux termes ayant au moins un élément commun. L’outil de comparaison est exprimé. Selon Dupriez, il existe deux types de comparaison : une « comparaison simple qui n’est pas une image littéraire et qui n’a rien de figuratif et une comparaison figurative qui a une dimension rhétorique et met l’accent sur le comparant. Lorsqu’on parle de figure de style, on évoque ce type de comparaison » :

  • Le système pourri est comme un arbre maudit, il faut le déraciner depuis la racine

La métaphore laisse deviner une similitude entre deux éléments. Elle ira désigner une chose par une autre en se basant sur des traits ou des qualités similaires :

  • Ils pensaient nous enterrer ils ne pensaient pas que nous sommes des graines

  • Nous ne sommes pas des moutons, mais des lions ! Attention ! !

La personnification. Personnifier une chose, un élément naturel ou un animal consiste dans le fait de lui attribuer des qualités humaines afin de le faire parler ou agir. « consiste à attribuer à une chose abstraite ou concrète et inanimée les traits, les propriétés d’un être vivant réel, personne ou animal ». (Ricalens-Pourchot, 2011 : 105)

  • L’histoire se souviendra de nous

  • Si un jour le peuple réclame sa liberté, le destin répondra. Traduction du poème tunisien : Abou Kassim Echabi : Iradet El Hayat (La volonté de vivre).

  • Kitat el jazair tarfod el kachir oua tatlob el Wiskas. (Les chats d’Algérie refusent le Kachir et demandent du Wiskas).

  • Nous refusons d’être présidés par un cadre. Le cadre fait référence au portrait officiel exhibé lors des manifestations publiques pour représenter le président absent.

  • La vérité ne dialogue pas avec le mensonge

Des métonymies, des analogies, des métaphores, des personnifications, des synecdoques, etc. ont été employées par les manifestants pour ridiculiser le mode de gouvernance du pays perçu comme un théâtre.

Les slogans employés ont repris des poncifs connus du grand publique, souvent détournées soit pour qualifier les tenants du système (« Les hommes de l’ombre », « La Casa Del Papel », « Dalton », etc.) ou au contraire pour peindre l’Algérie, les algériens, pays des « 1 million et demi de martyres », « des lions », « des graines », etc.

3.2. Les figures de style macro-structurales ou figures de pensée

Ces figures entretiennent la notion de double langage et sont largement employées « dans le langage des passions, et aussi de l’argumentation surtout celles qui jouent avec la valeur de vérité ». (Fromilhague  1995 : 98) À la différence des figures de style micro-structurales, les figures de style macro-structurales investissent des « ensembles linguistiques aux limites indéfinissables » ; elles ne sont donc pas isolables, elles manipulent les relations logiques et le sens des mots.

3.2.1. Figures de pensée

La métabole consiste à réemployer, dans la deuxième partie d’un énoncé, des mots déjà employés dans la première partie de ce dernier.

  • On était un peuple sans président et là le président est sans peuple.

  • Tous les pays ont une mafia, sauf en Algérie c’est la mafia qui a un pays

La paraphrase concerne la reformulation et le développement étendu d’un mot ou d’un texte.

  • Partez veut dire prenez vos affaires et libérer les chaises

  • Système dégage ma3naha dégage. (Système dégage, cela veut dire dégage).

  • L’Algérie c’est kabyle, arabe, mzabi, tergui, chawi — tous unis main dans la main — pas de division

Le syllogisme. Partant de deux propositions considérées comme plausibles, le syllogisme permet d’établir une déduction vue comme vraie : Tu bouffes du Kachir ? tu es Kachiriste, tu es VIRE ! ! !

L’épiphonème consiste à placer, en guise de conclusion ou d’introduction à un discours, une réflexion stéréotypée qui exprime une opinion générale souvent présentée comme véridique, au début ou à la fin d’un ensemble énonciatif plus vaste.

  • Ni la peste ni le choléra le peuple vous dit bon débarras

  • Tera7lou ya3ni tera7lou. ((Vous allez partir c’est que vous allez partir )

  • Oua 3a9adna l3azma an ta7ya el Djazair. (Et nous avons juré que vivra l’Algérie). – Ce slogan reprend dans sa deuxième partie le refrain de l’hymne national algérien.

  • Algérie : Seul héros le peuple. Ce slogan reprend une formule connue et ancrée dans l’esprit des Algériens taguée sur les murs de la Casbah peu de temps avant l’indépendance de l’Algérie en 1962. Ce slogan montre que seul le peuple peut agir sur l’avenir du pays et qu’il est son seul sauveur.

L’épiphrase se dit quand une « partie de la phrase qui parait ajoutée spécialement en vue d’indiquer les sentiments de l’auteur ou du personnage » (Dupriez, 1984 : 46), elle englobe une valeur explicative et permet de donner un point de vue personnel sur ce qui a été dit. Algérie marche : je ne veux pas être un futur Harraga. Ce slogan porté par un enfant signifie que ce dernier a envie de rester dans son pays et ne veut pas être obligé d’aller vivre ailleurs.

3.2.2. Le paradoxe

Les figures exposées ci-dessous sont celles qui permettent de réunir deux idées contradictoires qui vont à l’encontre de l’opinion commune.

La prétérition est une figure par laquelle on parle de quelque chose après avoir affirmé que l’on allait le passer sous silence : Inutile de vous dire que vous avez exagéré ! Boutef dégage !

L’apostrophe est une figure qui permet de s’adresser à un absent, à un mort ou à une idée abstraite : Ben M’Hidi tu peux reposer en paix tes fils sont là. Ce slogan s’adresse à un martyr de la révolution qui a donné sa vie pour le pays, le peuple scande ce slogan pour rassurer le martyr et lui dire qu’il n’abandonne pas la cause.

La prosopopée consiste à faire parler un mort, un animal, une chose : SVP, je suis fidèle ne salissez pas mon nom de chien, je suis plus digne que ces traitres.

L’hypotypose est une figure qui permet de se représenter mentalement une situation en permettant l’accumulation de détails. Cette figure permet donc d’animer un énoncé : Vous avez sali notre passé, pris en otage notre future, le présent est à l’hôpital avec « 4 » mandats de suture.

L’ironie consiste à dire une chose en signifiant son contraire : Love the way u lie (j’aime la façon dont tu mens). Ce slogan reprend la chanson d’Eminem, pour signifier que le peuple n’est pas dupe et n’est plus apte à écouter les mensonges du système.

L’interrogation rhétorique est une question qui n’appelle aucune réponse dès lors où cette dernière est contenue en son sein :

  • Boutef why so samat? (Pourquoi aussi embêtant ?)

  • Y’a-t-il des hommes au pouvoir ?

  • Vous le sentez ? le doux parfum de la victoire ? Algériens unis.

La parodie est une imitation moqueuse et satirique d’un style particulier

  • You are not the boss of me now! (Tu n’es pas mon patron). Ce slogan reprend le générique d’une série américaine Malcolm.

  • El Cadre-Coula. Détournement de la marque Coca-Cola pour dire que Bouteflika a Coulé. Ici le mot : « cadre » n’est pas anodin. En effet, en vue de l’état de santé extrêmement dégradé de l’ancien chef de l’État, ce dernier ne faisait plus d’apparitions publiques ; ses partisans l’ont remplacé, lors des meetings, par un cadre.

  • La Casa D’el Mouradia. Ce slogan est un clin d’œil à la série La Casa Del Papel qui met en avant les péripéties d’une bande de voleurs ; dans ce slogan, Papel a été remplacé par Mouradia, siège de la présidence.

  • De 5e mandat tu ne feras pas avec le peuple la force est. Ce slogan parodie la manière de parler du personnage Yoda de la guerre des étoiles, l'un des plus sages et grands maître Jedi de l'Ordre Jedi (force claire).

  • Hana el awane – Le temps est venu. Ce slogan reprend la marque Awane, marque de serviettes hygiéniques, pour signifier au gouvernement que le temps du changement est arrivé.

  • 4e mandat++c’est mal – m’voyez ? Cet énoncé détourne la réplique célèbre d’un des protagonistes de l’émission américaine South Parkle conseiller d’éducation M. Mackey qui, pour donner des leçons de morale, formule : « la drogue c’est mal m’voyer », « Fumer c’est mal m’voyez », etc.

  • Un an (Bouteflika) — Aya Bala3 (le peuple) — YAW TU DÉGAGES. (Un an — allez ferme la — HEY TU DEGAGGES. Ce slogan reprend la célèbre mème8 où Batman donne une claque à Robin, dans ce slogan Bouteflika demande un an de plus pour son mandat et le peuple lui répond par une claque en lui demandant de dégager

  • Silmiya silmiya silmiya silmiya - On a vu le film — dégagez — 9iwwww. Ce slogan reprend dans des bulles une scène de Troie, où le cheval rempli de diables veulent s’infiltrer dans les manifestations ; le peuple répond qu’il a vu le film et leur demande de dégager.

  • Hey you don’t tell me there’s no hope at all – Together we stand divided we fall. (Hé tu ne me dis pas qu’il n’y a aucun espoir - Ensemble nous sommes divisés nous tombons). Ce slogan est une reprise de la chanson des Pink Floyd : Hey you.

  • No country for old men: il n’y a pas de pays pour un vieillard. Ce slogan est la reprise du nom d’un film, elle vise Bouteflika qui est vu comme un vieil homme qui n’a plus de pays.

  • Kachir me if you can (Kachir moi si tu peux) – Ce slogan est une parodie du film Catch me if you can à travers laquelle le peuple défie le gouvernement de le corrompre.

  • Get up stand up get up for your rights (Lève-toi, lève-toi défend tes droits). Ce slogan est une reprise de la chanson mythique de Bob Marley. Cette chanson demande aux peuples de se lever, de combattre l’oppression et de demander leurs droits. 

  • Votre système a besoin d’être rebooté – Voulez-vous formater l’appareil ? Oui — yes — ok. Ce slogan parodie les fenêtres Windows – le peuple ne veut plus relancer le système, mais le remettre à zéro

  • Listening to the wind of change. (Écoutez le vent du changement). Ce slogan reprend la chanson du groupe rock Scorpions, la formule annonce le début d’un changement.

La litote apparait souvent comme une formulation négative. Par son biais, « on dit le moins pour le plus » (Morier 1981 : 232)

  • Non merci, je ne mange pas de Kachir

  • No you can’t (Non tu ne peux pas)

  • Not my president. (Pas mon président). Ce slogan est une reprise d’un slogan de 2017 scandé par des personnes qui ont refusé l’investiture de D. Trump

L’hyperbole est une exagération parfois ironique qui sert à dramatiser, à amplifier une idée ou une situation.

  • On est plus chaud que le climat

  • L’Algérie en état de choc laissez la jeunesse la réanimer

L’euphémisme est une figure qui tente d’atténuer le sens des énoncés en évitant ce qui pourrait déplaire, gêner ou choquer : Macron approuve Bouteflika pas étonnant on connait son amour envers le 3e âge – mêle toi de tes oignons. Ce slogan fait référence au fait que le président français se soit marié avec une femme plus âgée que lui ce qui a ouvert une brèche à la moquerie lorsqu’il a annoncé son soutien au président Bouteflika.

L’allusion est une figure qui permet d’évoquer une chose sans la dire explicitement. Sa compréhension est dépendante des connaissances encyclopédiques de l’énonciataire : Macron occupe-toi de ta maman – l’Algérie est plus grande que toi. Allusion à la femme de Macron qui le dépasse de plusieurs années.

La métalepse est une figure qui consiste dans le fait d’insinuer une chose par une autre qui l’accompagne ou qui en est la conséquence : Nous sommes blancs d’espoir, vert de dégout et rouge de colère

L’allégorie est une représentation concrète d’une idée abstraite par l’emploi d’une entité vivante ou palpable pouvant matérialiser la notion en question : Les loups d’El Mouradia

La synesthésie est une figure de style qui repose sur l’alliance de plusieurs perceptions sensorielles.

  • Écoute le peuple – Il te demande de partir.

  • Vous le sentez ? Le doux parfum de la victoire ? Algériens unis.

Les figures de pensée sont occurrentes en nombre dans le corpus par le biais des métaboles, des paraphrases, des épiphonèmes, la parodie et des paradoxes sous toutes ses formes : ironie, prosopopée, apostrophe, interrogation rhétorique, litote, allusion.

L’emploi de ces figures a donné aux protestataires la possibilité de dire avec dérision, sarcasme et moquerie ce qu’ils pensent de leur cible. Le besoin de renouveau s’est laissé lire sur les pancartes qui, pour la plupart, donnaient à réfléchir. En effet, beaucoup d’entre elles reprenaient des slogans politiques stéréotypés et largement connus par la communauté mondiale, des anciennes chansons, des répliques, des titres de films et de séries, des publicités, des plaques de signalisation, des affiches de westerns, autant de récupérations ingénieuses employées afin d’exprimer leur état d’esprit, leur rejet de la politique actuelle et leur fidélité aux valeurs et aux couleurs du drapeau qu’un des slogans résume parfaitement « nous sommes blancs d’espoir, vert de dégout et rouge de colère ».

Conclusion

Avec le Hirak, la rue s’est peuplée de poésie : la rhétorique est dans la rue, la révolution poétique est en marche ; elle s’est nourrie du vivier linguistique algérien, de l’imaginaire des cultures populaires d’origines culturelles différentes et de genres différents.

C’est à coups de parodies, d’ironie, d’insinuations, de jeux de mots que la rue s’est réapproprié le jeu politique.

La force des mots s’est révélée seule capable de se dresser face à tous les maux dénoncés sans jamais succomber à l’affrontement. Les jeux de mots, en spectacularisant l’humour, ont mis à distance toute forme de violence et ont permis aux manifestants de prendre de la hauteur.

1 Il est à signaler que les photographies recueillies ont été collectées lors des manifestations à Alger centre (les manifestations à Alger ont

2 Van Tuan, 2017 : Analyses linguistiques du slogan publicitaire automobile. Linguistique.. ffdumas-01590764 – p. 15.

3 Nous choisissons cet angle d’attaque, car à l’instar d’Aristote, nous considérons que « [la rhétorique] est en quelque façon accessible à tous les

4 Ce type de figures est facilement repérable dans le discours, car leur existence « apparait manifestement et matériellement » (Molinie : 1991 : 153)

5 Ce type de figure regroupe les figures de pensée qui « peuvent affecter la signification de tout un énoncé sans que le signifié des termes qui le

6 Sur le plan pragmatique, l’apocope installe une certaine proximité pouvant aller jusqu’à l’expression de valeurs hypocoristiques (affective). Ici, "

7 Le colonel Amirouche est l’une des figures emblématiques de la révolution algérienne.

8 https://www.lemonde.fr/technologies/article/2012/05/01/le-meme-ou-l-art-du-detournement-humoristique-sur-internet_1693705_651865.html

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https://www.lalanguefrancaise.com/litterature/figures-de-style-guide-complet/

https://www.lemonde.fr/technologies/article/2012/05/01/le-meme-ou-l-art-du-detournement-humoristique-sur-internet_1693705_651865.html

1 Il est à signaler que les photographies recueillies ont été collectées lors des manifestations à Alger centre (les manifestations à Alger ont dénombré le nombre le plus important de participants et ont été les plus largement couvertes non seulement pas les médias, mais aussi par les réseaux sociaux). Il est aussi à signaler que lors de la recherche de notre corpus nous avons constaté que les slogans ont été presque les mêmes sur tout le territoire national. Nous sommes partis d’un corpus brut de 452 photographies que nous avons élagué pour en extraire 264 pancartes.

2 Van Tuan, 2017 : Analyses linguistiques du slogan publicitaire automobile. Linguistique.. ffdumas-01590764 – p. 15.

3 Nous choisissons cet angle d’attaque, car à l’instar d’Aristote, nous considérons que « [la rhétorique] est en quelque façon accessible à tous les esprits, et ne réclame aucune connaissance spéciale […], car tous entreprennent, jusqu’à un certain point, d’attaquer une opinion ou de la soutenir, d’accuser ou de défendre. Mais dans la foule des hommes, certains le font au hasard et sans règle, les autres par habitude qu’ils tiennent de l’exercice » (Aristote). C’est précisément ces exercices rhétoriques que nous allons observer dans notre corpus.

4 Ce type de figures est facilement repérable dans le discours, car leur existence « apparait manifestement et matériellement » (Molinie : 1991 : 153)

5 Ce type de figure regroupe les figures de pensée qui « peuvent affecter la signification de tout un énoncé sans que le signifié des termes qui le composent soit changé » (Fromilhague : 21)

6 Sur le plan pragmatique, l’apocope installe une certaine proximité pouvant aller jusqu’à l’expression de valeurs hypocoristiques (affective). Ici, "Boutef" induit une proximité qui informe le degré de connaissance du personnage. La mise en garde impliquée par l'injonctif "évite" renforce ironiquement cette proximité. .

7 Le colonel Amirouche est l’une des figures emblématiques de la révolution algérienne.

8 https://www.lemonde.fr/technologies/article/2012/05/01/le-meme-ou-l-art-du-detournement-humoristique-sur-internet_1693705_651865.html

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