L’analyse du discours médiatique : l’implicite dans les interactions radiophoniques d’Alger Chaîne III

Kheira Yahiaoui

p. 67-86

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Kheira Yahiaoui, « L’analyse du discours médiatique : l’implicite dans les interactions radiophoniques d’Alger Chaîne III », Aleph, Vol. 2 (2) | 2015, 67-86.

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Kheira Yahiaoui, « L’analyse du discours médiatique : l’implicite dans les interactions radiophoniques d’Alger Chaîne III », Aleph [En ligne], Vol. 2 (2) | 2015, mis en ligne le 25 juin 2016, consulté le 03 décembre 2024. URL : https://aleph.edinum.org/462

Nous proposons dans cet article l’étude de l’implicite dans les pratiques médiatiques et plus particulièrement les interactions radiophoniques de la station Alger chaîne III. Ainsi, le scénario du déroulement de ces interactions pousse à l’émergence d’un implicite particulier. Afin d’atteindre cet objectif, nous avons travaillé sur un corpus composé des interactions enregistrées et transcrites en vue de vérifier les différentes manifestations de l’implicite dans ce genre de discours et par quel moyen est comblée l’absence du support non verbal.

« The analysis of media discourse: the implicit interactions in radio channel Algiers III »
We propose in this paper the study of implicit in media practices and particularly the interactions radio station Alger chain III. Thus, the scenario of how such interactions pushes the emergence of a particular implied. To achieve this goal, we worked on a corpus composed of interactions recorded and transcribed to verify the various events of default in this kind of discourse is filled by what means the absence of non-verbal support.

تحليل الخطاب الإعلامي : التفاعلات الضمنية في قناة راديو الجزائر III

الملخص : نقترح في هذه الورقة دراسة ضمنيا في ممارسات وسائل الإعلام وخصوصا محطة الإذاعة التفاعلية الجزائر III. وهكذا، فإن سيناريو هذه التفاعلات يدفع لظهور خاص للضمنية. لتحقيق هذا الهدف، عملنا على مجموعة من التفاعلات تم تسجيلها ونسخها للتحقق من الأحداث المختلفة في هذا النوع من الخطاب في غياب الدعم غير اللفظي.

Ce texte a déjà l’objet d’une communication à l’université de Chlef. https://frama.link/CdsqSSaF
Il a été remanié pour sa publication, au titre d'une édition originale, dans la revue.

Introduction

Depuis l’analyse conversationnelle et l’analyse du discours, les domaines qui s’intéressent à l’étude des discours oraux authentiques se sont remarquablement élargis en regroupant des disciplines autres que la linguistique : la sociologie, la psychologie, l’ethnographie, la philosophie et bien d’autres. Cet engouement pour l’analyse des discours authentiques oraux est apparu suite au renoncement à la linguistique saussurienne (linguistique de la langue) et l’adoption de la linguistique de la parole. Effet de mode ou prise en compte de l’importance de ce domaine (oral) dans l’interprétation des discours sociaux. Les recherches en linguistique interactionniste se multiplient en passant en revue toute situation d’échange impliquant une présence de deux individus allant de la forme la plus familière (la conversation) à l’interaction institutionnalisée. Chacune de ces formes révèle une spécificité qui la différencie de l’autre. Dans ce contexte, nous avons choisi de travailler dans le domaine des interactions verbales et précisément « les interactions radiophoniques d’« Alger chaîne III ».

Partant de la constatation que les interactions radiophoniques de la chaîne d’expression française Alger Chaîne 3 sont régies par les mêmes règles que les interactions quotidiennes, notre question de recherche est la suivante : l’implicite existe-t-il dans les interactions radiophoniques Comment se manifeste-t-il

Notre réflexion s’attellera donc, dans un premier temps, à préciser certains concepts en rapport avec l’implicite et, dans un second temps, à montrer comment ce dernier fonctionne dans ce type de discours.

L’implicite

« On nomme sens implicite tous les sens qui n’est pas directement lié au signifiant d’un message, mais qui est anticipé, prémédité, à partir des signifiés normalement associés de ce massage. » (Lalaoui-Chiali, Fatma Zohra 2008 : 123.)

Donc, le sens implicite est un sens qui dépasse le signifiant d’un message, qui dépasse le sens littéral de l’énoncé. Il indique que le langage n’est pas transparent, qu’il y a toujours des contenus dérivés qui viennent se greffer sur le contenu littéral d’un énoncé.

Souvent, les locuteurs ne parlent pas directement ou explicitement ils utilisent la formulation indirecte pour faire passer un message ou un point de vue sans pour autant assumer la responsabilité de cet acte :

« on a bien fréquemment besoin à la fois de dire certaines choses, et de pouvoir faire comme si on ne les avait pas dites, de les dires, mais de façon telle qu’on puisse refuser la responsabilité de leur énonciation. » (Ducrôt 1980 : 5).

De ce fait, l’implicite est une formulation indirecte d’un message qu’on peut dire explicitement, mais pour des raisons de convenance, on recourt à la formulation implicite.

Parler directement en se contentant du sens implicite est plus simple, voire même plus clair et pour le locuteur (qui énonce) et pour le récepteur (qui interprète).

« Or, on ne parle pas toujours directement. Certains vont même jusqu’à dire qu’on ne parle jamais directement qu’« il fait chaud ici » ne signifie jamais qu’il fait chaud ici, c’est selon, « ouvre la fenêtre », « ferme le radiateur », « est-ce que je peux tomber la veste il fait frais ailleurs », « je n’ai rien de plus intéressant à dire », etc. Bref, ce serait l’indirection qui serait la règle. » (Kerbrat-Orecchioni 1998 : 5.)

Ces exemples que propose Kerbrat-Orecchioni illustrent bien que l’énoncé ne doit pas être interprété en se référant au sens explicite (sens superficiel), mais selon le sens implicite (sens profond) de l’énoncé.

La formulation indirecte peut causer des malentendus ou déboucher sur une non-compréhension au cas où l’autre partenaire n’arriverait pas à déceler l’implicite : « la formulation implicite est parfois plus efficace, mais elle est toujours plus risquée que la formulation explicite. » (Kerbrat-Orecchioni 1998 : 295.)

Les sens implicites

L’interprétation d’un énoncé ne doit pas rendre compte seulement de son sens littéral, explicite, mais aussi des différents sens implicites de cet énoncé. De ce fait, le contenu d’un énoncé peut être formulé soit de façon explicite soit de façon implicite, ce que notamment souligne Kerbrat-Orecchioni en reformulant la schématisation de la production d’un énoncé qu’a proposé Grice :

Donc, dans les contenus implicites nous avons deux catégories : le présupposé et le sous-entendu. On distingue généralement ces deux catégories :

« Dans cette partie d’implicite, on oppose traditionnellement les présupposés, implicite produit par le message linguistique lui-même, aux sous-entendus, implicite plus directement en rapporte avec les données situationnelles et les activités d’interprétation des interlocuteurs. » (Vion 2000 : 225.)

Ainsi, Vion propose de nommer le présupposé « implicite » à cause de sa localisation au niveau de la phrase et le sous-entendu « implicitation » puisqu’il est plus étendu que » « implicite ». De même, Ducrôt distingue entre l’implicite de phrase « présupposé » et l’implicite de l’énoncé « sous-entendu ».

Moeschler, pour sa part, établit une classification de l’implicite en deux catégories : les implicites sémantiques et les implicites pragmatiques. Il affirme :

« Je dirais qu’un implicite sémantique est le produit du seul matériel linguistique, alors que les implicites pragmatiques sont liées à des règles et des normes discursives. » (Moeshler 1985 : 35.)

En dehors du problème de nomination pour distinguer le présupposé du sous-entendu, nous dirons que la différence entre ces deux formes d’implicites réside dans le moyen de l’interprétation. Le présupposé est interprété en se référant au seul contenu linguistique de l’énoncé, tandis que le sous-entendu est interprété en se référant au contexte et à l’environnement discursif de sa production.

Pourquoi ne parle-t-on pas directement Pourquoi recourt — on souvent à des formulations qui dépassent le sens littéral d’un énoncé Pourquoi, en un mot recourt-on à l’implicite

Le recours aux formulations indirectes en l’occurrence à l’implicite est un acte très récurrent dans l’usage. Nous pouvons aller jusqu’à dire que la majorité des individus ne parlent pas directement puisque la langue leur attribue deux façons de produire les énoncés : soit de manière explicite (dire ce qu’on a directement et explicitement) soit de manière implicite.

L’usage de l’implicite peut être justifié par un simple plaisir de recourir au niveau profond de la langue.

On peut utiliser la formulation indirecte pour un simple plaisir de recourir au niveau profond de la langue. Ainsi, l’échange est valorisé, il devient de plus en plus intéressant au moment où la langue devient un jeu de devinette et de cache-cache. Or, ce plaisir de la formulation indirecte peut poser problème quand on n’arrive pas à l’interpréter : « … plus grands sont les risques qu’on ne parvienne pas, quelle catastrophe, à trouver le sens caché par L dans l’énoncé… » (Kerbrat-Orecchioni 1998 : 227.)

Il se peut aussi que l’implicite soit introduit comme moyen d’atténuation dans des cas où la formulation directe risque d’offenser ou de menacer la face positive de l’autre. Enfin, on ne peut pas, pour des raisons de convenance, utiliser l’expression directe. (Kerbrat-Orecchioni 1998 : 227.)

L’usage de l’implicite n’est pas conditionné par les raisons que nous avons évoquées précédemment vu que les locuteurs trouveront toujours une raison pour user de la formulation indirecte ou de l’implicite.

Ces grands axes posés, il convient de passer en revue les types d’implicite repérés dans notre corpus, constitué d’interactions radiophoniques entendues sur la radio algérienne émettant en langue française, la Chaîne III.

Le présupposé

Avant de passer à l’analyse du présupposé dans les interactions radiophoniques, nous suggérons de présenter quelques définitions de ce type d’implicite.

Il est reconnu que le présupposé est inscrit dans l’énoncé, il peut être interprété en dehors du contexte :

« (nous considérons comme présupposé toutes les informations qui sont ouvertement posées […]. Elles sont automatiquement entraînées par la formulation de l’énoncé, dans lequel elles se trouvent intrinsèquement inscrites, quelle que soit la spécificité du cadre énonciatif. » (Kerbrat-Orecchioni 1998 : 25.)

Donc, n’importe quelle personne peut aisément comprendre le présupposé en fonction du composant linguistique et contextuel de l’énoncé :

« Les sens implicites que constitue le présupposé sont donc liés à l’énoncé, et indépendants de leur apparition dans un contexte précis. » (Lalaoui-Chiali 2008 :124-125.)

À partir de ces deux définitions, nous dirons que le présupposé est lié à l’énoncé et que le contexte n’a aucune influence sur son interprétation.

Il faut souligner que c’est l’énonciateur qui assume la responsabilité du présupposé et il ne peut en aucun cas s’en détacher. En plus, le présupposé laisse le posé intact et n’entre pas en contradiction avec lui.

Afin de distinguer le présupposé du sous-entendu, il existe un test de comportement syntaxique constitué de trois étapes :

  • Examiner la compatibilité de l’énoncé avec des enchaînements contraires

  • Transformer l’énoncé en une interrogation

  • Examiner le contraire de l’énoncé.

Nous allons nous référer à ces étapes pour analyser quelques énoncés que nous
avons repérés dans les interactions radiophoniques retenues pour l’analyse.

Séquence 1 (1)

Séquence 1 (1)

1. Examiner la compatibilité de l’énoncé avec des enchaînements contraires du posé et du présupposé

Énoncé + le contraire du posé PP
Il faut se vacciner contre la grippe + la grippe n’est pas dangereuse  contradiction.
Énoncé +  le contraire du présupposé P.
Il faut se vacciner contre la grippe + ne faites pas vos vaccins  contradiction.

Nous constatons que ces enchaînements sont et incohérents et s’inscrivent en contradiction les uns par rapport aux autres. Ce premier test permet déjà de poser l’hypothèse que l’énoncé examiné est un présupposé et non un sous-entendu.

2. Transformation de l’énoncé en une interrogation

Est-ce que + énoncé
Est-ce qu’il faut se vacciner contre la grippe

L’interrogation totale porte sur le posé et non sur le présupposé. La réponse par oui ou par non implique l’énonciateur dans la prise de décision. Aucune hypothèse n’est écartée et la parole de l’énonciateur ne souffre aucune mise en crise : elle neutre à l’égard de toutes les hypothèses que supportera l’énonciateur. Elle le laisse face à ses choix.

3. La dernière étape invite à examiner l’antonyme de l’énoncé

Énoncé + ne  pas.
Il ne faut pas (se) vacciner contre la grippe.

Ici, comme dans le cas de l’interrogation, l’aderbialité signifiée par la négation porte sur le posé et non sur le présupposé.

Nous pouvons, en conséquence conclure que le présupposé est maintenu à la fois dans l’interrogation est dans la négation. La règle des trois tests permet de poser que l’énoncé examiné correspond dans la logique qui le porte à un présupposé et non à un sous-entendu.

Séquence 1 (2)

Séquence 1 (2)

Un peu plus loin dans l’interaction, nous avons repéré l’énoncé suivant : « l’Algérie a fait un grand effort cette année » sur lequel nous avons appliqué les mêmes critères d’analyse de détermination de type d’énoncé que le segment précédent, pour identifier son type : s’agit-il d’un présupposé ou d’un sous-entendu

Énoncé : l’Algérie a fait un grand effort cette année.
PP : L’Algérie a fait des efforts auparavant.
P : l’Algérie fait des efforts.

1. Examiner la compatibilité de l’énoncé ave des enchaînements contraires du posé et du présupposé

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Là encore, à l’instar de la première séquence, les substitutions aboutissent à la production d’énoncés incohérents, sémantiquement non acceptables.

2. Transformation de l’énoncé en une interrogation : est ce que + énoncé.

Est-ce que l’Algérie a fait des efforts cette année

Ici, l’interrogation porte sur une partie de l’énoncé « cette année ». En effet, la question confirme le point de vue PP que l’Algérie a fait des efforts auparavant.

3. La dernière étape de l’analyse linguistique consiste à examiner le contraire de...

l’énoncé : Énoncé + ne pas.
L’Algérie n’a pas fait d’effort cette année.

Cet énoncé confirme que l’Algérie a fait des efforts auparavant et par voie de conséquence, confirme le présupposé.

Suite à ces étapes, nous dirons que le présupposé « L’Algérie a fait des efforts auparavant » est maintenu dans

Est-ce que l’Algérie a fait des efforts cette année et
dans/L’Algérie n’a pas fait d’effort cette année

L’implicite sémantique, ou ce qu’on appelle couramment « le présupposé » est un moyen par lequel l’implicite s’inscrit au niveau de l’énoncé, c’est-à-dire l’interlocuteur peut l’interpréter en se référant au seul contenu sémantique. Ainsi, dans l’interaction radiophonique qui se base essentiellement sur le support verbal, le recours à ce type de stratégie argumentative est très récurrent dans la mesure où l’implicite, qui intègre en son sein les conditions de son interprétation, n’implique pas une négociation.

Les sous-entendus

Généralement, pour déceler le sous-entendu, il faut relier l’énoncé avec le contexte d’énonciation : les sous-entendus ne sont pas codifiés dans les composants lexicaux et syntaxiques ils sont dépendants du contexte, donc liés à l’énonciation. (Lalaoui-Chiali : 126.)

Cela dit, les sous-entendus résultant de l’association des facteurs internes surtout des facteurs externes à l’énoncé, et surtout du contexte qui joue un rôle primordial dans la constitution de cet implicite. Il s’agit entre autres « des informations qui sont susceptibles d’être véhiculées par un énoncé donné, mais dont l’actualisation reste tributaire de certaines particularités du contexte énonciatif ». (Kerbrat-Orecchioni 1998 : 39.) Donc, le contenu implicite du sous-entendu n’est pas déterminé par le sens des constituants de l’assertion, mais dépend essentiellement de l’environnement discursif de celle-ci.

Dans le cas du sous-entendu, l'énonciateur n'est pas tenu d'assumer la responsabilité du propos seul l'énonciateur, sur le plan pragmatique, est tenu d'assurer la responsabilité de l'interprétation des énoncés.

À signaler enfin que le sous-entendu ne résiste pas obligatoirement à la négation et à l’interrogation, de même qu’il peut être indifférent par rapport au posé (le laisser intact) ou entrer en contradiction avec lui.

Nous examinerons dans ce qui suit, pour illustrer les propos tenus, quelques énoncés que nous avons tirés de notre corpus des interactions radiophoniques.

Séquence 1 (3)

Séquence 1 (3)

L’animateur pose des questions à l’auditrice sur l’âge de son premier enfant qui lui répond qu’il a sept ans. Il compare l’âge de l’enfant de cette auditrice avec celui de l’enfant de l’auditrice précédente sur cela, il affirme à l’auditrice avec qui il se trouve en interaction : « vous êtes un peu plus âgée que celle qui était avant. »

Pour déterminer le type d’énoncé, présupposé ou sous-entendu, nous soumettrons le segment retenu aux critères d’identification mentionnés plus haut :

  1. l’interrogation : est ce que +énoncé

i. Est-ce que vous êtes plus âgée. Ou bien : êtes-vous un peu plus âgée

  1. la négation : ne... pas

Vous n’êtes pas un peu plus âgée.

Nous formulons l’hypothèse que l’énoncé « vous êtes un peu plus âgée » est un sous-entendu. Cette hypothèse est légitimée par les préalables théoriques suivants :

  1. Le sous-entendu ne résiste pas à l’interrogation puisque la question : « est-ce que vous êtes un peu plus âgée peut avoir une réponse négative ou positive (oui ou non) comme, elle peut tout à fait ne pas appeler de réponse.

  2. Le deuxième critère est intégrée dans la séquence où l’animateur ne prend pas la responsabilité du prpos de son énonciation. Il affirmeclairement, dans un discours de justification, qu’il ne le demande que pour faire de simples calculs. Ce discours de justification est à son tour mis en clôture par un rire au début et à la fin de la séquence pour mieux mettre à distance toute velleité de riposte : il clôt la séquence (T4).

Notons que l’auditrice en (T3) à violé « la maxime de manière » dans la mesure où sa réponse n’était pas claire.

Dans cet énoncé, il s’agit d’un implicite de graduation qui se dévoile par le truchement de l’expression substantivale « un peu » à laquelle Ducrôt attribue une valeur positive contrairement à son pendant adverbial peu qui oriente le sémantisme de l'énoncé vers des valeurs négatives.

Séquence 2

Séquence 2

Dans cette séquence, l’animateur dans ses répliques demande à l'auditeur s'il est chauve ou non . Répondant directement à cette interpellation, l'auditeur affirme qu'il n'est pas chauve mais met en scène une « dégénérescence » liée à la vieillesse, un problème de vue. Rebondissant, dans une geste humoristique, l'animateur rétorque : « vous avez dépassé l’ordre, on peut pas tout garder ».

L'analyse que nous proposons de cette séquence s'attardera sur cette dernière réplique. Elle déterminera s'il s'agit d'un présupposé ou d'un sous-entendu.

L’interrogation : est ce que + énoncé : Est-ce que vous avez dépassé l’ordre

Cet énoncé ne résiste pas à l’interrogation dans la mesure où la question portée est incohérente. Et même si on lui suppose quelque cohérente, elle ne peut déboucher sur aucune réponse : elle est close par l'asémantisme qu'elle involue. Cependant, l’auditeur, en transgressant « la maxime de quantité » qui veut que l'acte communicationnel, pour être efficace, doit répondre aux critères de la suffisance et de l'économie, apporte un complément informationnel non demandé par l'animateur. La face est sauve mais la conversation est biaisée.

La négation ne...pas : Vous n’avez pas dépassé l’ordre

Le critère de la négation confirme le résultat obtenu en soumettant l'énoncé au critère de l'interrogation. L’énoncé ne résiste pas à la négation et aboutit également à une inchérence. Nous pouvons parfaitement produire sous forme d'euphémiseme ou de litote les paradigmes suivants : vous n’êtes pas vieux ou vous êtes assez jeune. Mais l’énoncé : vous n’avez pas dépassé l’ordre est, lui linguistiquement non acceptable.

D’autre part, l’énoncé : « vous n’avez pas dépassé l’ordre » peut impliciter : vous êtes jeune. Ce segment peut être interprété par l’autre partenaire comme une ironie puisque l’auditeur est un retraité. Donc l’environnement discursif est incompatible avec cette assertion. En plus, nous avons dit que l’énoncé : « vous n’avez pas dépassé l’ordre » peut avoir comme implicite : vous êtes jeune. Par cet énoncé « la maxime de quantité » ou de « verticité » est transgressée. En plus de ces deux éléments qui montre bien que l’énoncé analysé est un sous-entendu, nous pouvons résumer nos constations dans la liste suivante :

l’énoncé est accompagné avec un rire plus ou moins moqueur qui renseigne sur la présence d’un implicite et pousse l’interlocuteur à interpréter l’énoncé en dépassant le sens littéral des mots.

L’animateur peut refuser la responsabilité de son énonciation face à des réactions de l’auditeur comme : vous voulez dire que je suis vieux hein /Donc, l’animateur peut répondre : je n’ai pas dit ça ; ou encore : ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit.

Nous noterons enfin que le sous-entendu n’entre pas en contradiction dans cet énoncé avec le posé : vous n’êtes plus jeune. le pose est intact. Cependant, dans d’autres cas, il peut entrer dans un réseau de contradiction avec lui.

Donc, les deux énoncés que nous avons analysé illustrent bien la présence de ce type d’implicite, le sous-entndu obtenu par le truchement d'éléments verbaux et paaverbaux, dans les interactions radiophoniques.

L’ironie

L’ironie est l’un des moyens par lesquels s’instaure l’implicite dans un énoncé. Selon Kerbrat-Orecchioni l’ironie : « implique une relation d’antonymie, ou tout au moins d’opposition, entre les deux niveaux du contenu ». (Kerbrat-Orecchioni 1998 : 102.) « Donc, nous parlons d’ironie dans le cas présence d’une contraction l’ironie repose sur la contradiction entre deux énoncés. » (Lalaoui-Chiali 2008 :124-125.)

Ces deux définitions montrent que pour conclure à l'ironie, il est nécessaire que deux niveaux ou au moins deux énoncés se trouvent en situation de contradiction. Cette dernière peut être actualisée au niveau linguistique comme au niveau non linguistique, comme dans le cas de l'interaction radiophonique que nous analysons. Le « rire » qui met en clôture l'échange verbal est porteur d'ironie. Cette dernière à son tour est renforcée par une variation du schéma intonatif. C'est par le biais d'un segment à proprement linguistique se combinant à un environnement discursif (texte et contexte) qu'est engendré, dans l'interaction analysée, un effet d'ironie.

Séquence 1 (4)

Séquence 1 (4)

L’animatrice B en parlant d’organisation donne des conseils à ses deux collègues, qui ne sont pas du tout d’accord avec elle. Ils estiment sa demande impossible à satisfaire.

Nous analyserons, dans la séquence, le segment répété sur lequel se manifeste un désaccord : « avec ces gens tout s’organise ».

Cet énoncé est tout à fait compatible avec l’environnement discursif où il est occurrent, aucun élément contextuel ne signifie l’existence d’un implicite [de l’ironie]. A ce niveau, il n y a pas d’ironie puis qu’il n y 'a pas une contradiction entre les deux niveaux de l’énoncé.

C qui engendre un effet d'ironie se situe alors au niveau supralinguistique porté par des éléments paraverbaux. L'énoncé en question est actualisé dans un schéma intonati légérement montant.

Avec ces gensˊ intonation légère montante.
Tout s’organiseˊ intonation légère montante.

Cette réalisation avec intonation montante scinde l'énoncé en deux parties : « avec ces gens » / « tout s’organise ».

L’ironie réside dans la réalisation de cet énoncé avec un ton moqueur ou ironique. L’énoncé comporte un point de vue implicite de l’animateur A qu’on peut interpréter par : avec vous, il n’y a jamais de problème, vous avez toujours la solution. En plus, le mot qui donne un indice de la présence d’un implicite est : « ces gens » qui, par référence au texte de Jaques Brel, actualise dans ce contexte toutes les connotations liées au conservatisme de l'esprit petit bourgeois. L’animatrice a employé ce mot « ces gens » pour designer sa collègue Fouzia qu'elle met ainsi à distance. Une réalisation neutre respectant la bienséance aurait été : avec Fouzia ou impliquant une proximité : avec notre collègue .

Cette mise à distance dépréciative implicitée a été très vite interprétée par sa collègue Fouzia qui intervient en [T7] pour demander à sa collègue des explications en reprenant le segment porteur d'ironie. [L’animatrice (A), dans un discours de justification, moins spontané et par voie de conséquence raisonnablement contrôlé procède au réglage de son discours. Les deux animatrices A/C, se basant sur le savoir qu'elles possède sur leur colllègue Fouzia, ont trouvé que le mode d’organisation qu’elle présente est fatiguant et même impossible].

Dans la suite de la séquence, l'interraction se mue en alteraction où l’animatrice Badïa assume la responsabilité de son énonciation en [T8] et affirme qu’elle visait sa collègue par ces propos « ces gens là, c’est-à-dire vous Fouzia ». Donc, l’ironie est introduite par : le ton moqueur et ironique de l’énoncé et l’usage d’un nom pluriel de mise à distance charriant des connotations péjoratives stabilisées et figées dans le discours : « ce gens » pour designer une autre personne.

Séquence 2 (2)

Séquence 2 (2)

Dans l’échange secondaire, l’animateur pose la question à l’auditrice pour savoir si elle est blonde ou brune en (T1). Elle répond en (T2) qu’elle a le teint clair. L’animateur en (T3) répète sa réponse avec un allongement vocalique et un changement en (T1) qui devient une intonation montante en (T3). Dans le même tour de parole, l’animateur cherche des précisions sur ce mot clair (claire foncé) avec un rire qui accompagne les deux niveaux de son tour. En (T4) et (T5) s’installe l’ironie, surtout en (T5) dans l’énoncé : « claire de chez claire [y a Wlidi] » .

Dans cet exemple, nous avons l'énoncé est réalisé dans la même situation que l’exemple précédent puisque il est tout à fait compatible avec le contexte discursif qui environne sa production ; sans s'inscrire en contradiction avec lui.

L’énonce : « claire de chez claire [y a wlidi] » est une ironie. Cette interprétation est confirmée par :

  • l’accentuation dans une intonation montante de la moitié de l’énoncé « de chez claire ».

  • Le recours à un ton moqueur et interrogatif dans un segment clôt par le mot arabe : le mot [y a wlidi] en français (mon fils). Ce changement de code (du français à l’arabe) est ambivalant.

  • Il introduit une proximité entre les protagonistes en les réinstallant dans leur réel linguistique commun et il institue une relation hypocoristique affective. Cette ambivalance révèle une gêne de l'énonciateur et introduit de fait une demande de complicité.

Donc, dans cet exemple l’ironie est portée aussi bien par un support paraverbal que par un support verbal :

  • Le moyen verbal qui se caractérise par le changement de code : du français à l’arabe.

  • Le moyen paraverbal par l’accentuation, le ton moqueur et interrogatif.

La conclusion

Les interactions médiatiques et plus particulièrement radiophoniques témoignent d’une richesse au niveau conversationnelle et linguistique. Sur le plan linguistique, les interactions radiophoniques se distinguent des interactions quotidiennes par l’absence du support non verbal. Ainsi, dans les conversations quotidiennes, le non verbal intervient pour une part non négligeable dans l’acte communicationnel.

Nos interactions sont régies par des règles linguistiques de production et d’interprétation ainsi qu’un ensemble de règles socialement prédéterminées, qui sont propres à chaque communauté : elles sont codifiées et obéissent à un rituel préétabli. Dans le contexte d’une communauté sociale, le locuteur s’astreint à se conformer aux normes et aux valeurs qui gouvernent l’usage de l’implicite et qui déterminent sa nature.

Le fonctionnement de l’implicite dans les interactions radiophoniques, nous le soulignons, est mis en place par le moyen verbal (le présupposée) et par le verbal accompagné par le paraverbal (le cas du sous-entendu et de l’ironie). Les participants parviennent parfois à l’interpréter en se référant à l’environnement discursif et au savoir partagé.

Ducrot, Oswald. 1980. Dire et ne pas dire. Hermann. Paris.

Kerbrat-Orecchioni. 1998. L’implicite. Armand Colin. Paris.

Lalaoui -Chiali, Fatma Zohra. 2008. Guide de sémiotique appliquée. OPU. Oran.

Moeshler, Jacques. 1985. Argumentation et conversation. Elément pour une analyse pragmatique du discours. Hatier /Crédif. LAL. Paris.

Vion, Robert. 2000. La communication verbale .Analyse des interactions. Hachette. Paris.

Kheira Yahiaoui

Ecole Normale Supérieure d’Oran

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