Introduction
Le courant interactionniste1 a permis de construire l’observation de la classe de langue étrangère2 sur de nouvelles bases. Il ne s’agit plus d’un contrat de transmission de savoir, d’un enseignant/expert à un apprenant/débutant, dans un espace où le rôle de chacun est préétabli, mais, plutôt, d’une collaboration entre co- actants à la base de rapports de places en perpétuel changement.
En effet, si on peut se permettre de croire en une routine liée à la nature même de l’interaction scolaire, une sorte de « scénario ou script, entendu comme une suite de comportements langagiers et corporels prévisibles » (Cicurel, 1994 : 104), il serait naïf de penser que ce rituel se perpétue, à travers le temps, dans chaque cours de LE. Les acteurs de la classe doivent être perçus comme des membres d’une communauté (Cambra Giné, 2003)3, certes provisoire, mais tout aussi complexe. L’observation de leurs comportements, verbaux et non verbaux, permet de comprendre les enjeux de telles ou telles actions/interactions et de saisir, éventuellement, leurs impacts sur l’enseignement / apprentissage d’une LE. Les échanges qui se construisent tout au long du cours génèrent, chaque fois, des faits nouveaux qui sont autant d’observables à analyser.
Ceci nous a mené à nous interroger sur les particularités de l’enseignement du français langue étrangère en Algérie. Nous nous intéresserons plus particulièrement à la grammaire puisque celle-ci reste, et ce malgré les réformes, la pierre angulaire de l’enseignement du FLE. Toutes les compétences en LE sont envisagées comme subordonnées au savoir grammatical.
Cette représentation est, en partie, due au fait que la première langue de scolarisation, en l’occurrence l’arabe4 , est « enseignée de manière grammaticale » Beacco, 2010 : 82). En conséquence, l’enseignement/apprentissage d’une langue étrangère, en l’occurrence le français, risque d’être envisagé comme fortement normé. Le plus souvent, pendant le cours de grammaire les apprenants se positionnent, en récepteurs. Ils accordent, volontiers, le statut de détenteur de savoir à l’enseignant. Prendre la parole est un risque, puisqu’il expose au regard évaluateur de l’enseignant qui est le seul à pouvoir parler de grammaire.
Dans cette contribution, nous analyserons certaines séquences extraites de trois cours de grammaire5 enregistrés au centre intensif d’enseignement des langues (CEIL) à l’université de Tlemcen. Les cours portent sur la transformation passive/active. Il y est question de travailler les règles de cette transposition, à la base de corpus écrits, constitués essentiellement de phrases canoniques, correspondants au schéma syntaxique (sujet + verbe + complément). Les séquences que nous avons sélectionnées sont caractérisées par une distribution des rapports de places qui n’est plus tributaire du degré de maîtrise du savoir grammatical. Ces moments de travail collaboratif, sur la grammaire, sont basés sur « un dialogue co-construit par l’ensemble des locuteurs » (Cicurel, 1994 : 95) et réinvesti dans une réflexion autour du point traité.
Il ne s’agit plus pour l’enseignant/expert de faire l’exposé de règles sur le fonctionnement de la langue cible (désormais LC) et de proposer à l’apprenant/débutant de les appliquer. Il est plus question d’échafauder une réflexion collective dont la matière première est le discours de l’apprenant. Il nous semble, de ce fait, intéressant de formuler des hypothèses sur ce que nous appellerons la métalangue de l’apprenant et de la percevoir comme un discours spécifique qui informe, autant l’enseignant que le chercheur, sur le processus de construction des savoirs en LE.
1. La métalangue de l’apprenant
Construite à partir du socle de référence et d’influence de l’apprenant6, cette métalangue est un produit particulier de l’activité métalinguistique (Cicurel, 1985 ; Gombert, 1996). Elle est une combinaison de processus conscients, que sont les connaissances et les représentations métalinguistiques, et de processus inconscients d’ajustements, d’auto-évaluations et d’hypothèses, formulées autour de la LC, que sont les connaissances épi-linguistiques (Culioli, 1999)7 Le regard que l’apprenant porte sur les données en LE est, en partie, structuré par des acquis antérieurs en rapport avec son passé scolaire « le discours enseignant n’arrive pas en terrain vierge de toute antériorité » (Trévise, 1994 : 176-177). L’apprenant peut avoir construit, de manière plus ou moins consciente, certaines connaissances et représentations sur la LC. Il peut, également, produire, intuitivement, des énoncés corrects sans être conscient des règles qui les sous-tendent.
La métalangue de l’apprenant, ainsi définie, nécessite une prise en charge de la part de l’enseignant, car elle peut informer sur l’évolution du mode de construction et de perception des données propres à la LE. Elle est l’instrument de mesure d’un processus de conceptualisation, en construction, que l’apprenant peut révéler, si l’interaction lui en donne l’occasion.
À travers les fragments de règles ou les hypothèses, qu’il s’aventure à formuler, l’apprenant tente « de donner un sens à des relations mentales nouvelles qui s’imposent à lui dans une situation particulière qu’il rencontre et à laquelle il souhaite apporter une solution » (Viselthier, 2001 : 198). Le regard que l’enseignant porte sur ces « tentatives de conceptualisation » (ibid.) occasionne, souvent, des moments de réflexions grammaticales favorables au processus de conceptualisation. Ces réflexions offrent à l’apprenant la possibilité de tester ses propres « modèles métalinguistiques » (Besse & Porquier, 1984 : 113) en formulant de nouvelles hypothèses -à valider/invalider- sur le fonctionnement de la LC.
2. Modalités de prise de parole et métalangues d’apprenants
L’activité métalinguistique en classe de grammaire, en FLE, est particulière en ce sens que l’objet langue devient en même temps outil de description du fonctionnement de cette langue. Les métalangues des apprenants, où se côtoient mots ordinaires et terminologie grammaticale, obligent l’enseignant à un travail d’ajustement et d’écoute qui concerne, d’un côté, le savoir grammatical à enseigner/apprendre et, de l’autre, l’outil LE qui sert de vecteur de ce savoir.
Si l’apprenant se positionne lui-même (auto-centation), en tant que demandeur d’ajustement, il prend la parole de son plein gré, sans l’aval de l’enseignant. L’enseignant peut, de son côté, choisir d’engager l’apprenant dans un échange où il sera question de focaliser sur un problème d’apprentissage (exo-centration). La métalangue de l’apprenant devient alors le point de départ d’un travail collectif du groupe classe.
L’auto-centration et l’exo-centration constituent les deux axes sur lesquels nous baserons notre analyse. Le schéma interactionnel propre à chacune des deux situations est intéressant à décortiquer, autant du point de vue de la dynamique interactionnelle que de celui de la thématique des échanges. Pour ce qui est de l’exo-centration, nous avons répertorié trois cas de figure sur lesquels nous avons jugé bon de nous pencher.
2.1. L’exo-centration, le savoir en construction qui se révèle
2.1.1. Les gloses épi-grammaticales
Les métalangues des apprenants sont parfois porteuses de significations grammaticales naïves8 sur le système de fonctionnement de la langue. Lorsque le sujet apprenant se fait à sa manière grammairien il produit des gloses « c’est-à-dire une métalangue non totalement contrôlable » (Culioli, 1999 : 74). Ces gloses, que nous qualifions d’épi-grammaticales, sont les traces, d’une activité épi-linguistique inconsciente et/ ou intuitive.
Observons l’exemple suivant, extrait du cours n° 1
EN : Mais le mot active ça (ne) vous dit rien//..ça vient de quel verbe//
E1 : Il y a action. Le verbe
EN : Je retiens ça
E2 : DIRECT/
EN : Direct & pourquoi direct//.c’est-à-dire il fait l’action c’est lui qui fait l’action//..c’est dans ce sens// d’accord. donc il y a l’action et on montre bien que c’est le sujet qui fait l’action
Dans cette séquence, il s’agit de trouver le verbe agir. L’enseignant veut expliquer aux apprenants que dans une phrase à la forme active le sujet fait l’action. La réponse d’E1, bien qu’incohérente, crée un rapport entre l’action et le verbe. L’enseignant l’accepte en guise de première tentative. E2 propose le mot direct qui est repris et dévié de son sens, ordinaire, vers une signification nouvelle et conjoncturelle.
L’enseignant s’approprie les mots de l’apprenant et les interprète en fonction de ce que la situation de communication implique. Ainsi, une phrase directe est une phrase active. Ce mécanisme d’implicature (Grice, 1975) est « une reconstruction de la signification en situation […] [qui] consiste à mettre en relation la signification sémantique de la phrase avec le contexte pour reconstruire l’intention de communiquer du locuteur » (Bange, 1992 :144-145). Pour l’apprenant le rapport syntaxique, entre un sujet groupe nominal et un verbe, dans la construction active, est direct.
Un autre exemple, relativement long, extrait du cours n° 2 révèle une attitude tout à fait différente. L’enseignant écoute les propositions des apprenants, sans les commenter ni leur attribuer de significations particulières. Il va même jusqu’à écarter cette métalangue, qu’il juge complexe, pour encourager la classe à user de mots plus simples :
EN : D’accord. donc aucune des phrases ne peut être mises à la forme passive sauf la vendeuse pèse les tomates les tomates sont pesées par la vendeuse. pourquoi//.. pourquoi les autres phrases ne peuvent pas être mises à la forme passive. pourquoi on ne peut pas dire une heure a été duré le cours 100 ans a été vécu par mon grand-père 60 k s’est pesé par [//
E1 : Le complément du verbe
E3 : On ne peut pas le détacher du verbe
E1 : Il est collé
EN : D’ACCORD/
E3 : Contrairement à tomates c’est un complément d’objet direct on peut le : :[
EN : Un complément d’objet direct n’est pas un complément du verbe//
E3 : On (ne) peut pas- on(ne) peut pas détacher le- mon grand-père a vécu il manque quelque chose on(ne) peut pas dire ma grand-mère a vécu
EN :(il) y a-(il) y a plus simple comme explication
E1 : Asémantique. sémantiquement on ne peut pas [
EN : N’allez pas chercher trop loin restez simples ..qu’est-ce que 50 m2 une heure 100 ans 1500,00 DA 60 k ont en commun. qu’expriment ces morphèmes//
EX : Des mesures
EN : Ils expriment des mesures
E1 : Une mesure n’accède pas à la transformation passive//
EN : Donc vous avez la règle suivante. qu’il vous faut compléter. les verbes qui servent à exprimer une mesure faire une estimation de mesure faire 60 m mesurer coûter valoir peser vivre durer et qui sont toujours suivis d’un chiffre ou d’un nombre [
EX : Ne peuvent être mis [
EN : Ne peuvent être mis à la forme passive\ en réalité ils sont faussement transitifs et le complément n’est pas un vrai complément d’objet. on a un complément de mesure..
Les propositions des apprenants dénotent d’une connaissance des règles de fonctionnement des phrases passives et actives. L’enseignant leur demande de réagir face à des constructions incorrectes qu’il a lui-même proposées. Les apprenants identifient les syntagmes une heure et 100 ans comme des compléments du verbe et reprennent, par leurs propres métalangues, la règle qui fait que ces compléments ne sont pas déplaçables : on ne peut pas le détacher, il est collé.
E3 se risque à la formulation d’une règle grammaticale pour décrire le fonctionnement des syntagmes en question. L’enseignant le suit dans sa démarche et lui demande plus d’explications sur cette nouvelle proposition. Rapidement, l’apprenant se rétracte et choisit d’aller vers une formulation moins risquée on ne peut pas dire ma grand-mère a vécu. Cette réaction peut être le résultat « d’une automatisation qui ne permet plus le retour à la conscience, par oubli des règles à l’origine de cette automatisation » (Trévise, 1994 : 173). L’apprenant sait que les propositions sont incorrectes mais il ne peut pas expliquer pourquoi.
De son côté, E1 propose le terme asémantique pour signifier son incapacité à interpréter l’énoncé 100 ans a été vécu par mon grand-père. Il situe le problème au niveau du sens qu’il n’arrive pas à saisir. Cette proposition, plus ou moins inattendue, est doublement intéressante. Elle permet, en un premier temps, de supposer que l’apprenant ignore que dans une phrase, jugée asémantique, il est question de compatibilités des catégories syntaxiques et non pas d’interprétations possibles ou non. De plus, le jugement grammatical que l’apprenant porte sur cette construction est erroné. le verbe vivre admet un complément d’évaluation, construit directement, mais, qui ne fonctionne pas comme un complément d’objet direct, ce qui rend la passivation impossible9
Sans être encouragé par l’enseignant, l’apprenant peut aller vers une terminologie grammaticale reconnue. C’est le cas de cet exemple, extrait du cours n° 3,
E1 : C’est-à-dire la voix active ..le sujet celui qui fait l’action et la voix passive il reçoit l’action
EN : oui/
E3 : SUBIT L’ACTION/
E1 : Heu oui subit\
EN : Dans la forme passive le sujet SUBIT L’ACTION : : :PARFAIT/.
E1 utilise une métalangue élémentaire et ordinaire sujet10reçoit l’action pour discriminer entre les constructions passives et actives. Ceci ne semble pas déranger l’enseignant. Curieusement, E3 demande la parole pour se mettre en position de « donateur didactique » (Cicurel, 1994 :101) et proposer une terminologie grammaticale reconnue subit l’action. E2 « ne donne aucun signe de ratification » (ibid.) et accepte ce réajustement qu’il répète. L’enseignant valide cette proposition, sans doute plus appropriée, sans pour autant la favoriser. Il parait évident qu’E2 a bien assimilé les notions d’agent (qui fait l’action) et celle de patient (qui subit cette action), même si sa métalangue est peu conventionnelle.
Les gloses épi-grammaticales que nous venons de décrire révèlent un processus de construction des connaissances grammaticales, parfois élémentaire. Celui-ci se résume en une série d’associations verbe / action, sujet / verbe, ou encore, action subie/ phrase passive. C’est le cas, notamment, du premier et du troisième exemple. Cependant, il arrive que ce processus soit plus complexe si les apprenants tentent des explications qui vont au-delà des sollicitations de l’enseignant, comme pour le deuxième exemple.
2.1.2. Quand le savoir grammatical se négocie
Le savoir grammatical n’est pas rigide. Même si dans toute situation d’interaction on aboutit forcément à une règle de grammaire, le cheminement vers cette norme peut être élaboré à partir de la métalangue de l’apprenant. L’enseignant peut choisir de laisser faire l’erreur pour mieux la corriger.
Dans l’extrait suivant (cours n° 3), l’enseignant propose aux apprenants une série de constructions passives et actives. Il demande aux apprenants de les reconnaitre, en un premier temps, puis, d’établir une liste de ce qui caractérise chacune des deux constructions :
EN : les photos sont exposées au musée est-ce que déjà c’est une phrase passive ou une phrase active//
E6 : C’est la voix passive
E8 : Normalement c’est la voix active\
EN : C’est la voix active pourquoi//
E3 :L’absence de par
EN : L’absence de par…d’accord \ donc pour vous par c’est ce qui définit la voix active et la voix passive//
E8 : Heu : : : : : : :
E3 : NON/ l’auxiliaire être aussi
EN : Qu’est-ce qu’il a l’auxiliaire être//
E3 :Dans : :dans la voix passive : :il y a toujours l’auxiliaire être au temps au temps au temps de : :la : :voix active c’est-à-dire si si si le verbe dans la voix active est conjugué par exemple au passé simple on : :on
EN : OUI/ CONTINUE/
E3 :Oui\ heu : : : : on va conjuguer le verbe [
EN : L’auxiliaire
E3 : Oui : : l’auxiliaire au passé simple
La construction, les photos sont exposées au musée, est jugée passive par E6 mais il ne défend pas son jugement face à E8 et E3 qui pensent qu’elle est active. Leur argument est qu’elle ne contient pas de préposition par donc pas de complément d’agent. Au lieu de les corriger, l’enseignant choisit de les interroger sur ce qui, pour eux, caractérise une phrase passive. En plus de la préposition, E3 mentionne la présence de l’auxiliaire et va même jusqu’à s’essayer à formuler une règle grammaticale dans la voix passive : :il y a toujours l’auxiliaire être au temps au temps au temps de : :la : :voix active.
Si l’enseignant avait sanctionné l’erreur en donnant la parole à E6, il aurait raté l’occasion de voir qu’E3 sait que l’absence de la préposition par n’implique pas forcément que la construction soit active. S’étaler sur ce jugement erroné a permis d’avancer dans la réflexion à propos du corpus, même si la règle proposée par l’apprenant n’est pas applicable à toutes les constructions passives.
Le même cas de figure est illustré par l’exemple suivant (cours n° 2) :
E1 : Je suis contraint à effectuer un roman~.. et la deuxième [
EN : ALORS non&non attendez je suis contraint à effectuer un roman dans le sens d’écrire//
E1 :oui\
EN : Alors on va garder. Écrire~/ je suis contraint à écrire un livre..où est le cod//
EX : Le roman un roman
EN : OK/ et le sujet//
EX : Je
EN : JE/le : sujet de la phrase active devient complément d’agent [
E1 : Donc on dit un rom- le roman [
EN : un roman Cod devient sujet grammatical
E1 : Un roman dont j’ai été contraint de faire [
EX : NON/
Il s’agit, dans cette séquence, de construire une phrase active avec le verbe contraindre pour la transformer, ensuite, à la forme passive. E1 se porte volontaire et propose la phrase je suis contraint d’effectuer un roman, phrase que l’enseignant commence par corriger en substituant au verbe effectuer le verbe écrire.
Tout en sachant que la construction passive de la phrase va empêcher sa transformation, l’enseignant joue le jeu de l’interaction et entame, avec l’apprenant, les étapes intermédiaires de la transformation passive. Au bout de ce travail collaboratif, le groupe classe refuse la proposition d’E1.
Un autre exemple, extrait du cours n° 3, illustre parfaitement ce travail de réflexion qui se fait autour des propositions erronées des apprenants :
EN : Quand vous allez faire la transformation vous allez prendre en considération quoi//.qu’est-ce que vous allez regarder//
E2 : Le verbe
EN : LE VERBE/ TRES BIEN/
E5 : Le temps
EN : Le temps et est ce qu’on doit le changer//
E5 : Oui
EN : Oui/moi je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous. D’accord/ alors imaginez..je vais vous faire un p(e)tit heu je vais vous faire un p(e)tit exemple et vous me dites. vous pouvez ne pas changer d’avis si non vous changez d’avis.
Les apprenants répondent de manière structurée aux sollicitations de l’enseignant. Ils savent que le verbe est le noyau central de toute transformation passive/active. Cependant, il semblerait qu’ils considèrent que la forme passive du verbe correspond à un temps différent de celui de la forme active. L’enseignant ne rejette pas cette réponse, même s’il exprime son désaccord, et entame une réflexion collective sur le temps du verbe dans la transformation passive/ active.
En prenant prétexte des erreurs de jugement des apprenants, l’enseignant les « oriente vers des problèmes grammaticaux susceptibles ‘‘a priori’’11 d’être résolus par le métalangage qui est le leur » (Besse & Porquier, 1984 : 115). Ce travail collectif de destruction / reconstruction du savoir grammatical est élaboré progressivement en fonction des propositions des apprenants.
2.2. L’auto-centration, un appel à l’aide
Les prises de parole spontanées sont relativement rares. Choisir, délibérément, de centrer l’attention du groupe classe et de l’enseignant sur sa propre intervention est un exercice interactionnel auquel peu d’apprenants se risquent.
Nous avons, toutefois, relevé quelques cas récurrents d’auto-centration qui portent essentiellement sur ce que Vasseur (1991 :51) qualifie « de sollicitations explicites ou implicites par lesquelles l’apprenant focalise l’attention sur les données qui lui font défaut en les demandant ». L’intervention initiative de l’enseignant peut être ambigüe ou difficile à comprendre. L’apprenant sollicite alors des explications qui vont lui permettre de proposer une réponse adéquate. Dans ce cas, la demande d’information peut porter sur une structure grammaticale propre à la LC ou sur une difficulté procédurale, si l’apprenant ne sait pas comment répondre.
Observons cet exemple extrait du cours n° 1 :
Intervention initiative |
Intervention réactive |
Intervention feedback |
1 |
0 |
0 |
EN « Vous pouvez m(e) donner un exemple en arabe ceux qui disent oui//… » |
||
1 |
2 |
1 |
E2 « En arabe// » |
EN « Al walado akala al khobza (le garçon a mangé le pain) » |
|
E4 « Okila al khobzo min tarafi al waladi [le pain a été mangé par le garçon] » |
EN « Min tarafi [PAR] » |
Cette lecture en trois colonnes12 de la séquence permet de voir que l’apprenant se positionne en initiateur du deuxième échange. La sollicitation de l’enseignant ne provoque aucune réaction mais donne lieu à une séquence qu’on qualifiera de latérale13 Celle-ci profite à l’apprentissage puisqu’elle est initiée par les apprenants.
Dans cet exemple, la séquence latérale semble être provoquée par la sollicitation inhabituelle de l’enseignant. En effet, celui-ci demande, explicitement, l’emploi de la langue source14 E2 préfère confirmer cette requête. En proposant, lui-même, une phrase, l’enseignant encourage E4 qui intervient, spontanément, pour la mette à la forme passive15
La sollicitation d’aide à la production peut se traduire par des questionnements d’ordre procédural. L’apprenant manifeste le désir de participer à l’interaction mais il ne sait pas comment faire :
Intervention initiative |
Intervention réactive |
Intervention feedback |
1 |
0 |
0 |
EN « On les a tous pardonnés~.êtes- vous d’accord//première phrase forme active deuxième phrase forme passive. avec un sujet grammatical qui correspond au cod. c’est correct ou pas// » |
||
1 |
1 |
0 |
E7« Comment on fait// » |
EN « Pour chercher c(e)qui (ne) va pas vous cherchez le sujet et vous cherchez le cod. de la forme active. » |
Dans cet exemple (cours n° 2), E7 demande à l’enseignant de le guider dans son action. Il est demandé aux apprenants de se prononcer sur la correction de la phrase on les a tous pardonnés. Cette construction semble poser problème puisque les apprenants ne réussissent pas à l’évaluer de manière intuitive16 E7, étant dans l’incapacité de porter un jugement sur la phrase, demande à l’enseignant de le guider dans cette tâche.
En initiant une séquence latérale de sollicitation d’aide à la production, l’apprenant met des mots sur ce qui le gène. Il permet à l’action de l’enseignant d’être efficace en ciblant l’obstacle qui entrave le processus de construction du savoir grammatical.
La conceptualisation grammaticale passe aussi par ces phases de questionnement sur la procédure de lecture des données propres à la LC. À travers l’auto-centration, l’apprenant cherche à se donner les moyens de porter des jugements sur les constructions qui lui sont proposées et de manipuler les structures grammaticales correctement.
Conclusion
Le canevas interactionnel traditionnel suppose l’implication, presque forcée, de l’apprenant dans un processus de pseudo-construction du savoir où il n’a pas son mot à dire. Tout lui est dit sous la forme de blocs métalinguistiques à engloutir…en silence ! L’analyse des quelques séquences, proposées dans cet article, a permis de mettre l’accent sur l’apport de la métalangue de l’apprenant dans l’enseignement/ apprentissage de la grammaire en FLE. Même si cette métalangue n’est pas une image fidèle qui rend compte des représentations et connaissances des apprenants, elle occasionne, tout de même, des moments de réflexion collective sur les points à enseigner/apprendre.
Décider de faire parler et d’écouter les apprenants, c’est s’installer dans une sphère de négociation guidée. Tout peut être sujet à débat, à controverse, même le savoir grammatical. Les gloses approximatives des apprenants se nourrissent de représentations métalinguistiques en construction et deviennent des à-peu-près à ajuster, remodeler et structurer en fonction de la situation de classe.
L’enseignant conserve son statut de détenteur de savoir mais cela ne l’empêche pas de poser des hypothèses, d’échafauder des réflexions collaboratives sur ce que lui révèle la métalangue de l’apprenant. Ainsi, les rôles communicationnels sont redistribués au fur et à mesure. L’apprenant sait qu’il a la possibilité de prendre la parole pour contribuer, avec ces propres mots, à une réflexion collective ou pour réagir face à une situation problème qu’il a du mal à résoudre.