Tamaziɣt deg uɣerbaz azzayri. D acu-tent tgensas tisnilsanin i d-yefka uselmed d ulmad-ines seg 1996 ar 2017 ?

Tamazight à l’école algérienne. Quelles représentations linguistiques a engendrées sa pratique d’enseignement-apprentissage de 1996 à 2017 ?

اللغة الأمازيغية بالمدرسة الجزائرية، ما هي التمثلات اللسانية التي أنتجها تعليمها وتعلمها بين 1996-2017 ؟

The Amazigh language in the Algerian school, what are the linguistic representations that its teaching and learning produced from 1996 to 2017?

Sadouni Idir MEKSEM Zahir

p. 71-96

Sadouni Idir MEKSEM Zahir, « Tamaziɣt deg uɣerbaz azzayri. D acu-tent tgensas tisnilsanin i d-yefka uselmed d ulmad-ines seg 1996 ar 2017 ? », Aleph, 8 (2) | 2021, 71-96.

Sadouni Idir MEKSEM Zahir, « Tamaziɣt deg uɣerbaz azzayri. D acu-tent tgensas tisnilsanin i d-yefka uselmed d ulmad-ines seg 1996 ar 2017 ? », Aleph [], 8 (2) | 2021, 25 February 2021, 13 October 2024. URL : https://aleph.edinum.org/4225

Dans cette contribution, nous examinerons les représentations et les conceptions de la langue amazighe chez les apprenants scolarisés en Kabylie, ces représentations et conceptions engendrées par son enseignement-apprentissage au sein de l’école algérienne. Dans ces représentations, il s’agit d’appréhender l’utilité supposée d’apprendre tamazight, et la place qu’on lui accorde à côté d’autres langues enseignées dans le système éducatif algérien. Cela pour voir si environ vingt ans (1996-2017) d’expérience d’enseignement-apprentissage ont permis aux locuteurs amazighophones (élèves) de se construire une image positive de leur langue en l’apprenant à l’école.
En deuxième lieu, nous tenterons d’élucider la nature du lien qu’entretiennent ces élèves entre le tamazight de l’école et la variante locale qu’ils pratiquent dans la vie extra-scolaire.

في هذه المساهمة سنقوم بتحليل التمثلات ومفاهيم المتعلمين والمتمدرسين بمنطقة القبائل بخصوص اللغة الأمازيغية. هذه المفاهيم والتمثلات تم انتاجها أثناء عملية التعليم وتعلم في المدرسة الجزائرية. بخصوص هذه التمثلات، سنقوم بتناول الفائدة المرجوة لتعلم الأمازيغية ومكانة هذه اللغة بين قريناتها في المنظومة التربوية الجزائرية. وهذا سيسمح لنا بالتحقق من أن المتعلم الناطق باللغة الأمازيغية قد أنتج صورة إيجابية بخصوص لغتهم في المدرسة وذلك من خلال عشريتين كاملتين : 1996-2017. هذا من جهة؛ ومن جهة أخرى سنحاول أن نفك الابهام عن العلاقة التي تجمع التلاميذ باللغة الأمازيغية في المدرسة والتنوع اللغوي المستعمل خارج المدرسة.

In this contribution, we will examine the representations and conceptions of the Amazigh language among learners educated in Kabylia, these representations and conceptions generated by its teaching-learning within the Algerian school. In these representations, it is about apprehending the supposed utility of learning Tamazight, and the place that it is given alongside other languages taught in the Algerian education system. This is to see whether around twenty years (1996-2017) of teaching-learning experience have enabled Amazigh-speaking speakers (pupils) to build a positive image of their language by learning it at school.
Second, we will attempt to elucidate the nature of the link these students have between school Tamazight and the local variant they practice in extra-curricular life.

Agzul

Deg umagrad-a, ad nessekyed tigensas d tinektiyin yerzan tamaziɣt ɣer yinelmaden n Tmurt n Leqbayel. Tigensas d tnektiyin-a kkant-d deg uselmed d ulmad-ines deg uɣerbaz azzayri. Deg wayen yerzan tigensas-a, ad nwali ma tella kra n lfayda i yetturajun seg ulmad-is, akked wadeg i as-yettunefken ɣer tama n tutlayin-nniḍen yettwaselmaden deg unagraw n usegmi azzayri. S wanect-a, ad nwali ma ssawḍen yimsiwal imazɣawalen (inelmaden), deg tarmit ɛecrin n yiseggasen (1996-2017) deg uselmed-almad, ad d-bnun tugniwin tufririn ɣef tutlayt-nsen s ulamd-is deg uɣerbaz.
Seg tama-nniḍen, ad neɛreḍ ad negzu taɣara n wassaɣ i sɛan yinelmaden-a d tmaziɣt n uɣerbaz akked tsenfelt tadigant i ssemrasen berra i uɣerbaz.

Awalen igejdanen

Tinektiyin, aɣerbaz, tigensas tisnilsanin, tamaziɣt, tasenfelt tadigant

Introduction

La langue, initialement outil de communication interindividuelle (sociale), et objet socialement partagé, elle ne peut échapper au fait d’être objet de représentations à l’instar d’autres objets (religion, travail, mariage, immigration…) Denise Jodelet définit la représentation comme : «  […] une forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social.  »1

Le partage de cette forme de connaissance et de cette réalité par les membres de la communauté contribue à cohésion du groupe. C’est, en fait, en partie, par l’appartenance à cet univers commun que ces membres se reconnaissent les uns les autres.

Dans le même ordre d’idées, Agnès Millet explique qu’ :

On peut considérer les représentations comme un élément non négligeable de la connaissance d’un objet, puisque le jeu des diversités cognitives et sociales de représentations construit les multiples facettes de cet objet. La connaissance des représentations entre alors à son tour dans la dynamique de la connaissance, ordonnant les différents points de vue permettant peut-être un regard sur d’autres regards.2

L’étude de la langue mérite de s’intéresser, outre ses aspects intrinsèques, aux représentations sociales construites à son égard. Cela peut éclairer une facette de cet objet qui est à rechercher chez les locuteurs ou le public exposé, d’une quelconque manière, à elle.

Pour Henri Boyer : «  Les représentations sociolinguistiques sont […] une catégorie de représentations sociales/collectives, donc partagées.  »3 Les représentations sociolinguistiques permettent de réguler les relations à la langue en question, à ses usages et ses usagers. Ces représentations peuvent faire de la langue un objet dont la fonction ne se résume pas en la communication, mais bien au-delà de cela, un enjeu identitaire, à titre d’exemple.

Tamazight, langue première des peuples autochtones de l’Afrique du Nord, n’a connu que récemment une introduction aux systèmes éducatifs de certains des pays de ce vaste territoire. En Algérie, c’est durant l’année scolaire 1995-1996 que l’état algérien a décidé de l’introduire dans son système éducatif, après une forte résistance populaire (le boycotte scolaire en Kabylie 1994-1995). On assiste alors au passage de la langue amazighe d’une langue maternelle marginalisée à une langue enseignée.

Il importe de rappeler que cette langue a depuis longtemps constitué une revendication essentielle pour laquelle les militants, notamment en Kabylie, ont livré de durs combats pour la reconnaissance identitaire. En effet, l’engagement dans le combat pour la reconnaissance de la langue et la culture amazighe en Algérie a impliqué toutes les catégories sociales (intellectuels, cadres, étudiants, ouvriers, paysans…), et était assumé par les acteurs de différents domaines (politique, culturel et scientifique). Salem Chaker explique que :

«  […] cette conscience est d’abord l’apanage du peuple, des couches qui vivent effectivement cette langue et cette culture et non celui des “élites” qui, depuis le début de l’histoire berbère, ont tendance à se comporter en transfuges culturels.  »4

La mobilisation était donc massive, et la conscience de la nécessité de cet engagement en faveur de leur langue maternelle était visible dans les actions répétées (grèves, marches, meeting…), une mobilisation couronnée d’un boycotte d’une année scolaire, en guise de rejet d’un système éducatif au sein duquel leur langue maternelle est exclue. Cette mobilisation fructueuse a donné lieu à un acquis majeur : son introduction au système éducatif algérien.

Dans les premières années de son expérience à l’école algérienne, son enseignement a été mené de façon aléatoire. Les enseignants étaient livrés à eux-mêmes, car ils n’ont pas bénéficié d’une formation pédagogique adéquate, en plus de cela, ils manquent d’outils pédagogiques (programmes et manuels scolaires) leur permettant de s’orienter dans l’enseignement cette langue. Cela montre bien que l’introduction de la langue amazighe à l’école algérienne s’est faite hâtivement, et témoigne, selon Zahir Meksem du «  […] manque d’une stratégie claire et réfléchie qui aurait dû accompagner, dès le début, l’introduction de la langue à l’école.  »5

Puis en bénéficiant du statut de langue nationale depuis 2002, et après la refonte éducative mise en œuvre par le ministère de l’Éducation nationale, on a procédé à l’élaboration de moyens pédagogiques et didactiques (programmes et manuels) adoptant une approche méthodologique (l’approche par compétence) susceptible d’orienter son enseignement.

L’enseignement de la langue amazighe, en Algérie, soulève encore des interrogations d’ordre pédagogique et scientifique concernant les outils adéquats qui permettront d’asseoir son enseignement-apprentissage à l’école  ; les démarches d’enseignement-apprentissage à suivre  ; la norme à enseigner et le traitement des variations régionales (locales) dans le cadre de cette mise en œuvre  ; la disposition des élèves à son apprentissage  ; et tant d’autres interrogations.

Il est donc important de s’interroger sur les retombées de cette stratégie préconisée par le ministère de l’Éducation nationale à l’égard de l’enseignement de tamazight, que ce soit sur le plan de la langue elle-même ou sur le plan des locuteurs.

Dans cette contribution, nous examinerons les représentations et les conceptions de la langue amazighe et de son enseignement-apprentissage chez les apprenants, ces représentations et conceptions engendrées par son enseignement de 1996 jusqu’à 2017, soit vingt ans (environ) d’expérience au sein de l’école algérienne. Et nos données sont recueillies par entretiens.

1. Cadre méthodologique

1.1. Objectifs de l’enquête

Cette contribution se veut une petite évaluation des retombées de la politique linguistique éducative algérienne à l’égard de la langue amazighe sur les natifs de cette langue. Pour Mohamed Benrabah : «  […] cette politique linguistique tournera à la chasse au français et aux langues “maternelles” que sont le berbère et l’arabe algérien.  »6 Cela ne manquera pas d’influer sur le sort de la langue amazighe en Algérie, sa place à l’école et aussi sur les représentations des locuteurs amazighophones à l’égard de leur langue.

Il s’agit dans cette contribution, premièrement, de rendre compte des représentations de la langue amazighe en tant que langue enseignée à côté d’autres langues dans le système éducatif algérien, et de l’utilité supposée de l’apprendre. Cela pour voir si vingt ans d’expérience d’enseignement ont permis aux locuteurs amazighophones (les élèves) de se construire une image positive de leur langue en l’apprenant à l’école.

En deuxième lieu, nous tenterons d’élucider la nature du lien qu’entretiennent ces élèves avec le tamazight de l’école et avec la variante locale qu’ils pratiquent dans la vie extra-scolaire. Et comment cela influence-t-il leur motivation de l’apprendre  ?

Nous tenterons alors de traiter les questionnements suivants.

1.2. Questionnement principal

Quelles sont les représentations et conceptions que la pratique de l’enseignement-apprentissage de la langue amazighe a-t-elle générées chez les élèves, après près de vingt ans d’expérience au sein de l’école algérienne  ?

1.3. Questionnements dérivés

  1. Quelle place, le tamazight occupe-t-il, dans leurs représentations, parmi les langues enseignées à l’école algérienne  ?

  2. Comment se représentent-ils la langue amazighe scolaire par rapport à la variété locale qu’ils pratiquent  ?

  3. Comment cela influence-t-il la motivation de l’étudier  ?

1.4. Hypothèses

  1. Vu la situation de la langue amazighe sur le marché linguistique algérien, vu l’ouverture au monde permise par les outils de communication modernes, et enfin vu les difficultés auxquelles son enseignement est confronté au sein de l’école algérienne, les représentations sociolinguistiques des élèves ne seraient pas en faveur de la langue amazighe, comparée aux autres langues : l’arabe (langue des institutions)  ; le français et l’anglais (langues de modernité et d’ouverture).

  2. Vu la forte variation qui traverse la langue amazighe, ce qui rend difficile de prendre en charge toutes ses variétés, dans le cadre d’un enseignement linéaire et commun à tout le pays, les élèves valoriseraient plus la langue de la scolarité que leur variante locale.

  3. Selon que leur variante locale est proche de celle apprise à l’école, ils seraient plus motivés à l’apprendre.

1.5. Public de l’enquête

Pour la constitution de notre échantillon, nous avons choisi des élèves ayant commencé à étudier la langue amazighe depuis l’école primaire. Tous les enquêtés étudient encore la langue amazighe au moment du déroulement de l’enquête. Il est constitué d’élèves adolescents dont l’âge va de 11 ans à 17 ans. Le public de l’enquête est donc composé de collégiens et de lycées.

Notre enquête est menée entre aout et septembre 2017, dans la ville de Sidi-Aïch, dans la wilaya de Béjaia. Parmi les collégiens et lycées sollicités, seules 17 personnes ont accepté de participer et de répondre aux entretiens.

Nous avons réalisé un entretien7 semi-directif avec chacun d’eux.

1.6. Technique de recueil des données

Nous avons opté pour l’entretien comme technique de recueil des données, car il

«  […] est l’instrument de l’exploration des faits dont la parole est le vecteur principal. Ces faits concernent les systèmes de représentation (pensées construites) et les pratiques sociales (faits expériences).  »8

Pour sa construction, notre entretien est organisé en deux thématiques. La première est composée de trois questions concernant les représentations sociolinguistiques de la langue amazighe, comme langue enseignée, à côté d’autres langues dans l’école algérienne. Nous avons cherché à identifier, chez les personnes interrogées, la présence ou l’absence de l’utilité d’apprendre cette langue. À cela s’ajoute la place qu’ils lui accordent, dans le cadre des contacts de langues à l’école et de sa proximité avec les langues enseignées, à savoir l’arabe, le français et l’anglais.

La seconde thématique, composée de quatre questions, concerne les représentations que les élèves ont de «  Tamazight de l’école  », d’un côté, et de leur variante locale de l’autre. Il s’agit ici de comprendre la nature du lien que nos informateurs ont avec ces deux pratiques linguistiques et sociolinguistiques citées. Pour cela, nous avons amené les enquêtés à parler de leur(s) langue(s) de communication ordinaire, puis nous leur avons demandé de définir la langue amazighe selon leurs conceptions. Et en dernier lieu, nous avons tenté de voir si ces représentations et les éventuels statuts attribués à la langue amazighe et la variante locale exercent une influence sur leurs motivations d’apprendre la langue amazighe à l’école.

Voici donc les principaux résultats auxquels a abouti notre enquête.

1.7. Les réponses aux questions de l’entretien

S’agissant d’un entretien, il faut rappeler qu’un interviewé peut donner plus d’une réponse à une question. Les pourcentages sont calculés selon les récurrences des réponses et non selon le nombre des enquêtés puisqu’un même élève peut émettre plus d’une réponse à la même question. Ces réponses seront rangées dans des catégories différentes. Cette clarification aurait le mérite d’éviter une confusion lors de la lecture des pourcentages des réponses qui seront donnés. Voici donc l’analyse des réponses obtenues dans les entretiens que nous avons menés.

2. Les deux thématiques

2.1. Première thématique

Les résultats qui seront présentés dans cette thématique concernent le premier questionnement de notre problématique, et tenteront donc de vérifier notre première hypothèse qui avance que : «  Vu la situation de la langue amazighe sur le marché linguistique algérien, vu l’ouverture au monde permise par les outils de communication modernes, et enfin vu les difficultés auxquelles son enseignement est confronté au sein de l’école algérienne, les représentations sociolinguistiques des élèves ne seraient pas en faveur de la langue amazighe, comparée aux autres langues : l’arabe (langue des institutions)  ; le français et l’anglais (langues de modernité et d’ouverture).  »

2.1.1. De l’utilité d’apprendre la langue amazighe à l’école

Par la question «  Quel bénéfice peut vous apporter l’apprentissage de la langue amazighe, dans ta vie  ?  », à partir des discours des élèves interrogés, nous cherchons à savoir s’il y a dans leurs conceptions une utilité à apprendre la langue amazighe. Puis des réponses obtenues, et selon leurs récurrences, nous avons pu établir certaines catégories de réponses qui constitueraient, pour nous, les éléments que les élèves considèrent comme étant les plus importants et les plus marquants dans leur cursus d’apprentissage de cette langue à l’école. Ces mêmes réponses peuvent être également interprétées comme les attentes des enquêtés vis-à-vis de l’apprentissage de la langue amazighe, puisqu’ils sont dans un cursus d’apprentissage non encore achevé. Nous présenterons donc les catégories établies, et chacune d’elles sera suivie de quelques exemples des réponses recueillies chez nos enquêtés.

2.1.2. Référence à une connaissance linguistique et métalinguistique

Dans cette catégorie, il est question de réponses affichant les attentes des élèves d’acquérir des connaissances à propos de langue amazighe à l’école. Cette même catégorie peut aussi servir d’indices de ce que ces élèves ont appris à l’école, concernant les connaissances linguistiques et métalinguistiques. Dans ce sens, certains des élèves que nous avons interviewés savent précisément quels types de connaissance ils espèrent trouver (ou ont-ils acquis) à l’école. Nous avons donc regroupé les réponses en deux sous-catégories que voici :

2.1.2.1. L’acquisition et l’enrichissement du lexique

29,41 % disent que l’utilité d’étudier la langue amazighe est d’apprendre de «  nouveaux mots  ». Voici quelques exemples des réponses recueillies :

  • Enquêté n° 1: «  Ad issineɣ kra n wawalen deg uɣerbaz.  » (J’apprendrai certains mots à l’école.)

  • Enquêté n° 9: «  Ad issineɣ awalen ijdiden.  » (J’apprendrai de nouveaux mots.)

  • Enquêté n° 11: «  Ttissineɣ awalen i ssexdamen s taɛrabt, alors ilaq ad ten-nesxedmeɣ s teqbaylit, s tmaziɣt.  » (J’apprends des mots utilisés (exprimés) en arabe, alors qu’il faut que je les utilise en kabyle ou en tamazight.)

  • Enquêté n° 15: «  Ad tissine awalen.  » (Tu apprendras des mots.)

Nous faisons remarquer que ces réponses peuvent nous renseigner sur le fait que ces élèves s’attendent à apprendre une nouvelle forme de la langue amazighe à l’école.

2.1.2.2. L’apprentissage de la grammaire et de l’écrit

Il s’agit ici de certains aspects métalinguistiques de la langue au sujet desquels les élèves s’expriment clairement en les nommant précisément. Cette sous-catégorie compte 17,64 % des réponses.

  • Enquêté n° 6 : «  Ad issineɣ daɣen la grammaire, l’orthographe…  » (J’apprendrai aussi la grammaire, l’orthographe…)

  • Enquêté n° 8: «  Ad issineɣ amek ikettben la langue i heddreɣ.  » (J’apprendrai comment on écrit la langue que je parle.) La phrase de cette élève dévoile chez elle une certaine de conscience de la nécessité du passage à l’écrit en langue amazighe.

  • Enquêté n° 14: «  Ad issineɣ amek i tt-ɣɣaren, amek i tt-ttarun.  » (J’apprendrai comment on lit, comment on écrit dans cette langue.)

Avec un taux de 47,05 % des réponses, nous déduisons que presque la moitié des enquêtés voient dans l’apprentissage de la langue amazighe à l’école une opportunité pour la manier techniquement par la connaissance ces éléments linguistiques et métalinguistiques.

2.1.3. Référence à la maitrise de la langue amazighe

Il s’agit, d’une part, d’une maitrise plus approfondie de la langue du quotidien. D’autre part, les attentes se penchent vers l’acquisition d’un outil de communication dépassant celui de la sphère locale, pour accéder à une maitrise plus élargie, c’est-à-dire aller vers la connaissance d’autres parlers et variantes de la langue amazighe. Dans ce sens, nous pouvons organiser les réponses des élèves dans ces deux sous-catégories :

2.1.3.1. L’approfondissement de la connaissance de la langue

  • Enquêté n° 7: «  Ad issineɣ ad hedreɣ.  » (J’apprendrai à parler)

  • Enquêté n° 12 : «  Ad tissine ayen ur tessine ara.  » (Tu connaitras ce que tu ignores.)

  • Enquêté n° 13 : «  Ttissineɣ ayen ur ssineɣ ara.  » (J’apprends ce que j’ignore.)

  • Enquêté n° 14: «  Ad issineɣ tutlayt n tmurt-iw.  » (J’apprendrai la langue de mon pays.)

  • Enquêté n° 16 : «  Ad tissine lewayeǧ ɣef la langue-nneɣ.  » (Tu connaitras des choses à propos de notre langue.)

Cela veut dire que les élèves arrivent à l’école avec du déjà-là, et qu’ils comptent sur l’apprentissage qui y est dispensé de leur offrir une meilleure connaissance de la langue. Cette sous-catégorie enregistre un taux de réponse de 29,41 %.

2.1.3.2. L’ouverture vers les autres variantes de la langue

Pouvoir communiquer avec les autres kabylophones en utilisant des variantes autres que les leurs, c’est l’attente qu’expriment 17,64 % des élèves interrogés.

  • Enquêté n° 3: «  Asmi ara yi-d-heddren at Tizi-Wezzu, ad asen-ttarraɣ s la langue-nsen.  » (Quand des gens de Tizi-Ouzou me parlent, je leur répondrai en leur langue.)

  • Enquêté n° 4 : «  Ma rueɣ ɣer Tizi-Wezzu, ad ɛelmeɣ d acu i heddren.  » (Si je vais à Tizi-Ouzou, je saurais ce qu’ils disent.)

  • Enquêté n° 5: «  […] Amek i ihedder wayi, amek i ihedder waye.  » (Comment parle celui-ci, comment parle l’autre.)

Il est clairement énoncé que l’apprentissage de la langue amazighe à l’école leur permettrait de communiquer avec des interlocuteurs pratiquant une variante de la langue amazighe autre que la leur.

Il faut faire remarquer que cette catégorie, avec ses deux composantes, enregistre un taux de 47,05 % des réponses émises, ce qui veut dire que c’est presque la moitié des élèves qui partagent cette attente.

2.1.4. Référence à une utilité civilisationnelle

Il s’agit dans cette catégorie de conceptions d’ordre civilisationnelles de l’utilité d’apprendre la langue amazighe. Les réponses incluses dans cette catégorie évoquent d’une part l’histoire, et d’autre part la culture, c’est la raison pour laquelle nous les avons réparties en deux sous-catégories.

2.1.4.1. Connaissance de l’histoire

23,52 % des élèves disent que l’apprentissage de la langue amazighe contribue à la connaissance de leur histoire. Certains autres font référence aux origines ancestrales de leur langue, et cela suffit pour susciter leur intérêt pour l’apprendre. Voici quelques réponses des élèves.

  • Enquêté n° 2 : «  Ad nissin ayen iran imiren… akkit.  » (Nous connaitrons ce qui s’est passé avant… et tout.)

  • Enquêté n° 8 : «  Llan les textes i d-iskanayen ttarix n leqbayel.  » (Il existe des textes qui montrent l’histoire des Kabyles.)

  • Enquêté n° 9 : «  التعرف على التاريخ  » (connaitre l’histoire.)

  • Enquêté n° 17 : «  Ǧǧan-tt-id yimezwura-nneɣ.  » (Nos aïeux l’ont légué.)

2.1.4.2. Connaissance de la culture amazighe

17,64 % des élèves interrogés évoquent une utilité liée à l’approfondissement dans la connaissance de leur culture. Voici les propos faisant référence à la culture dans les réponses recueillis.

  • Enquêté n° 6 : «  Ad issineɣ la culture. La culture berbère neɣ tamaziɣt.  » (Je connaitrai la culture. La culture berbère ou amazighe.)

  • Enquêté n° 15 : «  Ad tesɛu la culture.  » (Tu acquerras la culture.)

  • Enquêté n° 16 : «  Ad tissine lewayeǧ ɣef la culture.  » (Tu connaitras des choses à propos de la culture.)

Avec un taux de 41,16 % des réponses, à la première question, regroupées dans cette catégorie, nous pouvons constater qu’elle constitue une catégorie très investie. Cela peut nous renseigner sur le fait qu’une conception de type folklorique de la langue amazighe est fortement présente chez ces élèves.

2.1.5. Perspectives professionnelles

Les interviewés dans cette catégorie ont exprimé des attentes liées à l’avenir. Ils disent que leur apprentissage de la langue amazighe peut déboucher sur une perspective professionnelle.

  • Enquêté n° 4 : «  Zemreɣ ad d-ffɣeɣ d tacixet n tmaziɣt.  » (Je pourrais devenir enseignante.)

  • Enquêté n° 6 : «  Izmer ad d-ffɣeɣ d tacixet n tmaziɣt. Izmer ad ketbeɣ un livre.  » (Il se peut que je devienne une enseignante. Il se peut que j’écrive un livre.)

2.1.6. De l’évidence d’apprendre la langue amazighe

Certains de nos enquêtés ont eu du mal à trouver une réponse précise à la question de l’utilité de l’apprentissage de la langue amazighe. Toutefois, cela ne peut être interprété comme une reconnaissance d’une éventuelle inutilité de l’apprendre, car tous ont déclaré l’aimer et être motivés à l’étudier à l’école.

  • Enquêté n° 5 : «  Ad efeɣ […] Walu… nekki, ttibbiɣ-tt kan.  » (J’apprendrai […] Rien… moi, je l’aime juste comme ça.)  ;

  • Enquêté n° 11 : «  Ur tesɛi ara lfayda, meɛna nekki ɣur-i tesɛa.  » (Elle ne procure pas de bénéfice, mais moi, je l’aime.) Dans la phrase de cette élève, nous pouvons identifier le fait qu’apprendre la langue amazighe à l’école relève de l’évidence, c’est-à-dire qu’elle n’a pas à justifier une chose aussi ordinaire.

Ces deux dernières catégories sont celles qui présentent les taux les plus faibles des réponses. En fait, sur dix-sept élèves, il y a deux seulement qui évoquent le domaine de l’enseignement, cela veut dire que ces jeunes élèves sont conscients de la position réelle de la langue amazighe sur le marché linguistique algérien et des exigences au niveau du marché de l’emploi. Et il y a également deux élèves qui répondent, à la question de l’utilité d’apprendre la langue amazighe, qu’elles l’apprennent simplement parce qu’elles l’aiment.

En somme, en réponse à la première question de l’entretien, les élèves interviewés affirment qu’il y a utilité à apprendre la langue amazighe à l’école, et aucun sujet de notre échantillon n’a exprimé une inutilité. Quant aux explications fournies concernant leurs réponses, elles diffèrent des uns aux autres. Ainsi après les avoir présentées supra, nous récapitulons les taux enregistrés dans ce tableau :

Classement

Catégories

Pourcentages des réponses

1

Référence à une connaissance linguistique et métalinguistique

47,05 %

Référence à la maitrise de la langue amazighe

47,05 %

2

Référence à une utilité civilisationnelle

41,16 %

3

Perspectives professionnelles

11,76 %

De l’évidence d’apprendre la langue amazighe

11,76 %

Tableau n° 1 : Classement des catégories selon les pourcentages

Ainsi la majorité des sujets de notre échantillon tendent vers la maitrise de langue amazighe et de ses outils linguistiques pour des raisons communicationnelles et techniques (pour l’écriture). Viennent en deuxième position les considérations civilisationnelles dans son apprentissage. Enfin et en troisième position, viennent, à un taux égal, des considérations identitaires (liées à l’évidence d’apprendre sa langue)  ; et pragmatiques (liées à un avenir professionnel).

2.1.7. La place de la langue amazighe par rapport aux autres langues

Ici, il s’agit de mettre en évidence les langues que les élèves préfèrent parmi celles qu’ils apprennent à l’école. Nous présenterons d’abord, dans le premier sous-titre, les classements des langues dans l’échelle de préférence des différents élèves, et quelles sont les positions les plus récurrentes que la langue amazighe occupe. Ensuite, dans le deuxième sous-titre, nous exposerons les explications données par les élèves pour justifier leurs choix.

2.1.7.1. Les places données aux langues dans l’ordre de préférence

En posant la deuxième question : «  Fais le classement des langues que tu apprends à l’école, de 1 à 4 selon que tu les préfères.  », nous visons à recueillir, chez les élèves la valeur accordée à la langue amazighe, et ce en la mettant dans une sorte de concurrence avec les trois langues enseignées (arabe, français, anglais).

Dans ce tableau, nous donnons pour chaque langue le nombre d’élèves qui l’ont classée dans chacune des quatre positions. Ainsi la lecture horizontale nous donne quelles langues sont les mieux classées selon l’ordre de préférence des élèves. Quant à la lecture verticale, elle nous donne une vue globale des positions occupées par une langue. Nous donnons également le pourcentage de chaque position occupée par une langue.

Amazigh

Anglais

Arabe

Français

1re position

06 élèves (35,29 %)

04 élèves (23,52 %)

02 élèves (11,76 %)

07 élèves (41,17 %)

2e position

06 élèves (35,29 %)

05 élèves (29,41 %)

01 élève (05,88 %)

04 élèves (23,52 %)

3e position

05 élèves (29,41 %)

06 élèves (35,29 %)

02 élèves (11,76 %)

03 élèves (17,64 %)

4e position

00 élève

(00 %)

02 élèves (11,76 %)

12 élèves (70,58 %)

03 élèves (17,64 %)

Tableau n° 2 : Classement des langues selon les préférences

De ces chiffres, nous déduirons que le français est la langue la plus estimée, parmi toutes celles que nos enquêtés étudient. Suivie, avec une légère infériorité, par la langue amazighe, puis l’anglais vient en avant-dernière, et en dernier lieu l’arabe, avec seulement deux élèves qui disent la préférer en première position.

Cependant si nous descendons les positions l’une après l’autre, et ce pour chaque langue, nous nous apercevrons que la langue amazighe est fortement investie dans les deux premières positions. Cela veut dire que 70,85 % des élèves classent la langue amazighe, dans leur échelle de préférence, soit en première ou en deuxième position, et ce à parts égales (35,29 % dans chaque position).

Ce graphique nous met la lumière sur les décalages qu’il y a entre les positions occupées par chaque langue dans l’ordre de préférences des élèves enquêtés.

Figure n° 1 : Classement des langues selon les préférences

Figure n° 1 : Classement des langues selon les préférences

À la lumière des données illustrées dans ce graphique, nous pouvons remarquer que c’est seulement le français et la langue amazighe qui sont les plus investies dans les deux premières positions. Il est aussi judicieux de faire remarquer que la langue amazighe est la seule langue à ne pas être classée en dernière position.

2.1.7.2. Qu’est-ce qui motive ces choix  ?

Avec la troisième question : «  Peux-tu expliquer les raisons de ce classement  ?  », nous visons non seulement à avoir les raisons de leurs classements et de la place accordée à la langue amazighe dans leurs préférences, mais aussi à compléter la première question, celle de l’utilité de l’étudier.

Dans ce sous-titre, nous exploiterons ce par quoi les enquêtés ont justifié la place qu’ils donnent à la langue amazighe, pour dégager des catégories qui nous éclaireront en plus les représentations qu’ils ont de cette dernière. En fait, un sujet en argumentant la préférence (ou non) d’une langue donnée parmi les autres, il nous livre à quoi elle lui sert. Faut-il faire remarquer qu’une langue jugée inutile ne peut pas être préférée par rapport à celles qui le sont  ?

Nous exposerons ici, seulement, les propos des élèves qui ont classé la langue amazighe en première position, et les propos de ceux l’ayant classé en deuxième position. Comme nous l’avons mentionné dans le tableau n° 2, le nombre d’élèves ayant comme première langue préférée est de 6 élèves  ; et le nombre de ceux l’ayant comme deuxième langue préférée est aussi de 6 élèves.

Nous commençons par la réponse dominante. En fait, sur ces 12 élèves, 06 ont déclaré, clairement, que cela est dû au fait qu’elle leur est facile à apprendre. Voici les réponses émises :

  • Enquêté n° 02 : «  Ma d tamaziɣt, deg wasmi i nebda akken deg 4e AP, ssneɣ-tt. Umbeɛd ttibbiɣ-tt.  » (quant à la langue amazighe, depuis que nous avons commencé en 4AP, je la connaissais. Ensuite, je l’ai aimé.)  ;

  • Enquêté n° 3 : «  D tamaziɣt i isehlen akk akter n tiyi i leqraya.  » (la langue amazighe est plus facile que toutes les autres pour l’apprentissage)  ;

  • Enquêté n° 7: «  Tamaziɣt, axaer d tin i yi-isehlen.  » (la langue amazighe, car c’est elle qui m’est facile)  ;

  • Enquêté n° 10 : «  Tamaziɣt, teshel-iyi. Ttibbiɣ-tt. Fehmeɣ-tt. Ssneɣ-tt.  » (la langue amazighe, elle m’est facile. Je l’aime. Je la comprends. Je la connais.)  ;

  • Enquêté n° 11 : «  Tamaziɣt, axaer nnumeɣ-tt. Heddreɣ-tt yakan.  » (la langue amazighe, car j’en ai l’habitude. D’abord, je la parle.)  ;

  • Enquêté n° 12 : «  Tamaziɣt, fehhmeɣ ɣur-s.  » (La langue amazighe, je comprends (pendant son cours)).

D’un autre côté, nous avons 4 élèves qui justifient leurs choix par le fait qu’elle est la langue de leurs origines. C’est donc la dimension identitaire qui a animé ce choix.

  • Enquêté n° 9 : «  Axaer tamaziɣt d ayen i heddreɣ, d lael-inu.  » (car la langue amazighe, c’est ce que je parle, c’est mes origines.)  ;

  • Enquêté n° 13 : «  Tamaziɣt, axaer d la langue-iw. Deg-s i d-kkreɣ.  » (la langue amazighe, car c’est ma langue. C’est en elle que j’ai grandi)  ;

  • Enquêté n° 14 : «  Tamaziɣt acku d tutlayt ay heddreɣ, yerna d tutlayt n tmurt-iw.  » (la langue amazighe, car, c’est la langue que je parle, et c’est aussi la langue de mon pays.)  ;

  • Enquêté n° 15 : «  Tamaziɣt, d ayen i nhedder. D la langue-nneɣ.  » (la langue amazighe, c’est ce que nous parlons. C’est notre langue.).

Enfin, il y a une seule élève (Enquêté n° 8) qui explique son choix par le fait qu’elle éprouve du plaisir à parler la langue amazighe : «  Tamaziɣt, ttafeɣ le plaisir mi ara tt-heddreɣ. Tamaziɣt n sse.  » Quant à l’enquête n° 5, il n’a donné aucune justification à son choix.

En somme, concernant cette troisième question, les motifs qui ont poussé les élèves à préférer la langue amazighe en première ou deuxième position sont majoritairement deux. Il y a en premier lieu, des raisons pragmatiques, qui s’expriment par la facilité d’apprendre la langue amazighe, mieux que les trois autres langues à l’école. Et ce à un pourcentage de 50 % des réponses. Puis viennent en deuxième lieu des raisons identitaires, qui s’expriment par l’appropriation de la langue amazighe, ce qui suffit pour la préférer aux autres langues étudiées à l’école. Et ce à un pourcentage de 33,33 % des réponses.

2.1.8. Synthèse

Dans cette synthèse, nous allons répondre, à la lumière des résultats obtenus de notre enquête, au premier questionnement de notre problématique qui est la suivante : «  Quelle place, le tamazight occupe-t-il, dans leurs représentations, parmi les langues enseignées à l’école algérienne  ?  »

Concernant la question de l’utilité supposée d’apprendre la langue amazighe, il faut commencer par rappeler qu’aucun sujet participant à notre enquête n’a dit que son apprentissage n’a pas d’utilité. Ce qui peut, à priori, renseigner sur l’existence de représentations positives à son égard. Quant aux réponses que les élèves ont émises, la majeure partie d’entre elles disent que l’apprentissage de la langue amazighe est utile pour/à :

  • Mieux la maitriser, et ce pour des raisons communicationnelles  ;

  • Connaitre ses outils linguistiques, et ce pour des raisons techniques (l’écriture)  ;

  • Acquérir et renforcer l’ancrage civilisationnel (culture et histoire).

Pour ce qui est des langues que ces élèves préfèrent, nous avons obtenu que la majorité des élèves mettent le français en première position avec un pourcentage de 41,17 % des réponses, suivie directement par la langue amazighe avec un pourcentage de 35,29 % des réponses. Les deux autres langues suivent avec des pourcentages moins forts : 23,52 % pour l’anglais et 11,76 % pour l’arabe. Et en nous penchant sur les langues préférées en deuxième position, nous avons obtenu que la langue amazighe est la langue la mieux investie dans cette position, avec un pourcentage, également, de 35,29 %. Dans la deuxième position, le français avec un taux de 23,52 % a enregistré un écart considérable par rapport à celui de sa première position. Nous rappelons, encore une fois, que seule la langue amazighe a eu un taux de 00 % dans la dernière position dans l’échelle de préférences des langues étudiées chez les élèves interviewés. Tout ceci fait que la langue amazighe est l’une des langues préférées des élèves, ce qui renforce l’idée que ces derniers ont des représentations positives de leur langue.

Pour justifier leurs préférences des langues en question, les élèves ayant mis la langue amazighe en première et en deuxième position, ont répondu en faisant référence à ces deux raisons les plus récurrentes :

  • La facilité de son apprentissage par rapport aux trois autres langues de l’école  ;

  • Le fait qu’elle soit leur langue suffit pour la préférer aux autres langues étudiées.

Ceci dit, nous concluons que les élèves ont des représentations positives de la langue amazighe et du français, comparées aux trois autres langues apprises à l’école. De ce fait, nous constatons notre première hypothèse est infirmée.

2.2. Deuxième thématique

Dans cette deuxième partie de notre enquête, il est question du lien entre la variante locale pratiquée par l’élève, et la langue qu’il apprend à l’école. Nous avons réservé à cette thématique trois questions qui nous aideront à mettre au jour les représentations qu’ils ont de l’une et de l’autre. En fait, ces trois questions de la deuxième thématique de l’entretien sont conçues pour répondre au deuxième questionnement de notre problématique, et ainsi vérifier la deuxième hypothèse qui avance que :

«  Vu la forte variation qui traverse la langue amazighe, ce qui rend difficile la prise en charge de toutes ses variétés, dans le cadre d’un enseignement linéaire et commun à tout le pays, les élèves valoriseraient plus la langue de la scolarité que leur variante locale.  »

Quant à la quatrième question, elle concerne les retombées de l’existence ou non d’une différence entre la variante locale de l’élève, et la langue amazighe étudiée à l’école, sur la motivation des élèves à apprendre la langue amazighe. Cette dernière est conçue pour pouvoir vérifier la dernière hypothèse qui avance que : «  Selon que leur variante locale est proche de celle apprise à l’école, ils seraient plus motivés à l’apprendre.  »

Nous exposerons donc, ci-dessus, les réponses recueillies pour chaque question de cette deuxième thématique de l’entretien, et vers la fin, nous récapitulerons le tout pour pouvoir répondre aux deux derniers questionnements de la problématique, et par là même, vérifier ces deux hypothèses citées.

2.2.1. Des langues de la communication quotidienne des élèves

La question : «  Que parles-tu à la maison, dehors, et entre amis  ?  » vise, d’abord, à recenser les éventuelles langues utilisées dans la communication ordinaire, par nos enquêtés. Ensuite, nous visons à recueillir les noms qu’ils donnent à la forme de la langue amazighe – au sens générique – qu’ils pratiquent.

Dans les réponses recueillies, nous avons noté, d’un côté, que 09 élèves ont fait référence à une pratique langagière monolingue en disant qu’ils parlent le Taqbaylit ou le Tamazight. D’un autre côté, les 08 autres font référence à des pratiques langagières plurilingues, en citant Taqbaylit/Tamazight et le français  ; Taqbaylit/Tamazight, le français et l’arabe ou encore Taqbaylit/Tamazight, le français, l’arabe et l’anglais.

Voici donc les données recueillies, bien illustrées dans le tableau suivant.

Nature de la pratique langagière

Nombre d’enquêtés

Langue(s)

Pourcentage

Pratique monolingue

08

Taqbaylit

47,05 %

52,93 %

01

Tamazight

05,88 %

Pratiques plurilingues

05

Taqbaylit et français

29,41 %

47,05 %

01

Tamazight et français

05,88 %

01

Taqbaylit, français et arabe

05,88 %

01

Taqbaylit, français, arabe et anglais

05,88 %

Tableau n° 3 : Les langues de communication quotidiennes des élèves

Primo, nous constatons que la majorité des élèves se disent monolingues, mais le pourcentage de ceux qui se disent bi/plurilingues n’est pas loin de celui des monolingues. Ainsi, en prenant en considération les outils technologiques de communication qui s’offrent aux adolescents de cette époque, nous pouvons dire que ces résultats reflètent la réalité de leurs pratiques langagières.

Secundo, ce qui nous intéresse dans les propos recueillis chez nos enquêtés, c’est le nom par lequel ils désignent la langue amazighe (terme générique) qu’ils pratiquent. En fait, 15 élèves sur 17 évoquent la variante locale qu’ils pratiquent par le nom de «  Taqbaylit  ». Et deux parmi eux ajoutent à cette dénomination la région dans laquelle elle est pratiquée, ce qui montre que ces élèves ont conscience de la variation qui traverse la langue amazighe.

  • Enquêté n° 2 : «  S tebǧawit… Taqbaylit. Yemma d tabǧawit, umbeɛd efeɣ lhedra-nni.  » (en parler bougiote… Kabyle. Ma mère est bougiote, après j’ai appris leur parler)  ;

  • Enquêté n° 8 : «  Deg uxxam, s teqbaylit n Sidi-Ɛic […]  » (à la maison, c’est en kabyle, celui de Sidi-Aich).

Nous avons donc un taux de 88,23 % des enquêtés qui considèrent leur langue comme la langue de communication quotidienne «  Taqbaylit  », face à un taux de 11,76 % seulement qui évoque le nom de «  Tamazight  », ce qui correspond à deux sujets sur dix-sept enquêtés.

Nous retenons donc que ces adolescents, dans leurs pratiques langagières, sont fortement enracinés dans leur variante locale qu’ils nomment pour la quasi-totalité «  Taqbaylit  ».

2.2.2. Comment les élèves définissent-ils Tamazight  ?

Par la question : «  Qu’est-ce qu’est Tamazight pour toi  ?  », nous voulons recueillir les termes exacts par lesquels les élèves définiront la langue amazighe. En plus de cela, essayer de découvrir ce qu’ils associent au terme «  Tamazight  ».

En ce qui concerne la définition de «  Tamazight  », les élèves interviewés, ont émis des réponses diverses, mais les plus récurrentes d’entre elles peuvent être regroupées dans les deux premières catégories qui seront présentées. Viennent après deux autres catégories moins investies par rapport à celles qui les précéderont.

2.2.2.1. Référence à l’école

Sur l’ensemble des élèves participants à cette enquête, six ont défini la langue amazighe en faisant référence à l’école ou au domaine scolaire  ; soit un taux de 35,29 % des réponses. Voici quelques réponses à titre illustratif :

  • Enquêté n° 6 : «  D tutlayt i ɣɣaren deg lkuliǧ.  » (c’est une langue qu’on étudie à l’école.)  ;

  • Enquêté n° 11 : «  Tamaziɣt, d ayen i neɣɣar deg lkuliǧ.  » (la langue amazighe, c’est ce que nous étudions à l’école)  ;

  • Enquêté n° 17 : «  Tamaziɣt, nessexdam-itt deg lkuliǧ.  » (la langue amazighe, nous l’utilisons à l’école).

2.2.2.2. Référence aux aïeux

Cette catégorie a également enregistré le même taux que la précédente, c’est-à-dire 35,29 % des réponses. Ici, les élèves, dans leurs définitions, assimilent la langue amazighe à tout ce qui est ancien, racines et ascendance, de sorte qu’ils la perçoivent comme un héritage. Ils la définissent souvent en évoquant une opposition entre leur génération et celles de leurs aïeux. Voici quelques-unes des réponses :

  • Enquêté n° 4: «  D lluɣa, d tutlayt i d-ǧǧan at zik.  » (c’est la langue que les anciens ont léguée.)  ;

  • Enquêté n° 8 : «  D la langue n Leqbayel imezwura.  » (c’est la langue des Kabyles anciens.)  ;

  • Enquêté n° 9 : «  D tutlayt ɣef i nnuɣen lejdud. D tutlayt i heddren zik.  » (c’est la langue pour laquelle ont combattu nos aïeux. C’est la langue qu’on parlait anciennement.)  ;

  • Enquêté n° 13 : «  D ayen i d-ǧǧan lejdud-nneɣ.  » (c’est ce que nos aïeux nous ont légué.)

2.2.2.3. Référence à une langue appropriée

Nous avons enregistré des réponses, moins nombreuses que celles présentées ci-dessus, où les élèves font référence à eux même en définissant la langue amazighe, de sorte qu’ils se l’approprient, et font référence à eux même sans évoquer une discontinuité entre leur génération et celles de leurs aïeux. Cette catégorie a enregistré un taux de 29,41 % de l’ensemble des réponses. En voici deux exemples :

  • Enquêté n° 5 : «  D tutlayt-nneɣ.  » (c’est notre langue.)  ;

  • Enquêté n° 12: «  D tutlayt i nhedder.  » (C’est la langue que nous parlons.)

2.2.2.4. Référence à Tizi-Ouzou

Avec un taux de 23,52 % du total des réponses, cette catégorie est la moins investie de toutes. Mais s’approchant du quart des réponses, nous estimons qu’elle mérite notre attention. Dans cette catégorie, nous avons les réponses qui font référence aux parlers pratiqués dans la région de Tizi-Ouzou. Nous avons constaté que certains de nos enquêtés se représentent les variétés pratiquées dans cette région de la Kabylie, comme étant en sorte de «  langue légitime  ». Nous citons ces deux exemples :

  • Enquêté n° 1: «  […] yella wanda i heddren s tmaziɣt, akka am Tizi-Wezzu.  » ([…] il existe des régions où l’on parle en Tamazight, comme à Tizi-Ouzou.)  ;

  • Enquêté n° 3 : «  Tamaziɣt, d tinna n Tizi-Wezzu.  » (La langue amazighe, c’est celle de Tizi-Ouzou.)

Cette dernière catégorie renseigne sur le fait qu’il existe certains élèves qui nourrissent une représentation négative de leur variante locale. Cela s’explique par le fait qu’ils croient, d’une part, à l’existence d’une «  langue légitime  » qui s’appelle Tamazight, et qui s’oppose à la variante qu’ils pratiquent  ; et d’autre part, que cette «  langue légitime  » est pratiquée dans une région à laquelle ils n’appartiennent pas. À notre sens, l’évocation de Tizi-Ouzou peut s’expliquer, dans le cas de ces élèves, par l’influence des médias et des produits audiovisuels kabyles sur eux. Retenons qu’ils appartiennent à la génération qui a vu naitre un mouvement de création (adaptation) de films pour enfant en kabyle : Pučči, Li Mučučču, Črek, etc. Ce travail accueilli à bras-le-corps par la société a marqué leur enfance. C’est ce qui peut expliquer que ces adolescents érigent en «  langue légitime  » le système linguistique à base duquel cette production, intéressante, est faite. Ajouté à cela, l’influence de la radio, de la chanson et de la télévision.

En somme, comme nous l’avons soulevé plus haut, la définition de la langue amazighe, chez ces élèves, s’appuie sur deux références majeures : la langue amazighe est la langue de l’école et aussi celle des aïeux.

2.2.3. De la motivation d’apprendre la langue amazighe à l’école

Par la question : «  Comment perçois-tu la langue que tu pratiques quotidiennement d’un côté, et celle que tu étudies à l’école de l’autre  ?  », nous voulons savoir si les élèves considèrent que la langue de leur communication quotidienne est différente de celles qu’ils apprennent à l’école, ou bien qu’ils ne les distinguent pas.

Nos données nous révèlent que quinze élèves sur les dix-sept participants ont dit expressément que ce qu’ils appellent le «  Tamazight  » est différent de la langue qu’ils pratiquent en dehors des situations d’apprentissages scolaires, et qu’ils nomment «  Taqbaylit  ». Cela correspond à un taux de 88,23 % des réponses. Il y a seulement deux élèves qui n’ont pas opposé Tamazight à Taqbaylit. Quant à ce qui différencie ces deux systèmes linguistiques, les réponses varient. Nous avons regroupé les différences les plus évoquées dans ces trois catégories.

2.2.3.1. Tamazight langue de l’école vs Taqbaylit langue du quotidien

Cette réponse a déjà été mentionnée supra, mais en posant la présente question, nous avons remarqué qu’elle est la première différence soulevée par la majorité des élèves. Cette catégorie est en réalité un prolongement de la définition qu’ils ont donnée de la langue amazighe, puisque beaucoup la définissent comme étant la langue de l’école. En plus de cela, dans les présentes réponses, les élèves précisent leur propos en opposant cette «  langue de l’école  » à la «  langue du quotidien  ». Voici donc quelques exemples.

  • Enquêté n° 3 : «  Mačči kifkif. Mačči d yiwet. Taqbaylit nhedder-itt deg berra. Tamaziɣt nhedder-itt deg la classe.  » (ce n’est pas la même chose. Ce n’est pas la même langue. Le Taqbaylit, nous le parlons dehors. Le Tamazight, nous le parlons dans la classe.)  ;

  • Enquêté n° 8 : «  Llan kra n wawalen mačči kifkif gar wamek i nhedder nekni d wamek i llan deg tmaziɣt i neɣɣar.  » (entre ce que nous parlons, et le Tamazight que nous étudions, il y a certains mots qui sont différents.)

  • Enquêté n° 10 : «  Taqbaylit, ssneɣ-tt deg uxxam. Tamaziɣt deg uɣerbaz.  » (Le Taqbaylit, je l’ai appris à la maison. Le Tamazight à l’école.).

La distinction entre Tamazight «  langue de l’école  » et Taqbaylit «  langue de l’extra-scolaire  » a enregistrée un taux de 64,70 %. Avec ce pourcentage dépassant la moyenne, nous pouvons déduire que cette représentation est enracinée chez ces élèves.

2.2.3.2. Une langue pure vs une langue contenant des emprunts

Dans leurs représentations, Tamazight est une langue pure de tout élément étranger. Il s’agirait d’une langue qui se suffit à elle-même, n’ayant pas besoin de recourir aux emprunts pour exprimer quoi que ce soit, tandis que le Taqbaylit est toujours défini comme étant une langue «  tachée  » d’emprunts de français et d’arabe. Voici quelques-unes des réponses à ce sujet.

  • Enquêté n° 1 : «  Tamaziɣt n lkuliǧ… d awalen… ur nessexlaḍ ara les langues-nniḍen. Ma d tin i nhedder deg uxxam, deg berra akkit… nessexlaḍ kullec.  » (Le Tamazight de l’école… c’est des mots… où nous n’introduisons pas d’autres langues. Quant à celle que nous parlons à la maison, dehors, et tout… nous y mélangeons tout.)  ;

  • Enquêté n° 6 : «  Taqbaylit, cɣel kecment-d daxel-is les langues-nniḍen. Ma d tin i neɣɣar deg lkuliǧ, neɣɣar-itt akken i tt-sseɣren yakan yimezwura, am Mulud Mɛemri.  » (Le Taqbaylit, inclut à son intérieur d’autres langues. Quant à celle que nous étudions à l’école, nous l’apprenons comme elle était déjà enseignée par les anciens, à l’image de Mouloud Mammeri.)  ;

  • Enquêté n° 13 : «  D tin n lkuliǧ i iseḥḥan akter n tin n uxxam, xaṭer tinna n lkuliǧ, nessexdam-itt s tmaziɣt propre akkit, ur d-neggar ara les langues-nniḍen. Tin n berra nessexlaḍ deg-s taɛrabt akkit.  » (c’est de l’école qui est plus juste que celle de la maison, car dans la première, nous utilisons la langue amazighe toute propre, nous n’y introduisons pas d’autres langues. Celle du dehors, nous y incluons l’arabe.).

Nous signalons que les propos inclus dans cette catégorie ont enregistré un taux de 41,17 % des réponses recueillies. Ces propos recèlent des représentations favorables à la forme scolaire de la langue amazighe, et défavorables et négatives vis-à-vis de leur variante locale. Cela amène ces élèves à juger que la langue amazighe qu’ils apprennent à l’école est la langue pure, la langue authentique, donc plus juste que celle pratiquée dans leur vie quotidienne.

Concernant cette question portant sur la perception de la langue pratiquée en dehors de l’école et celle étudiée à l’école, en considérant les résultats exposés, dans leur globalité, nous concluons que les représentations positives vont au Tamazight, plutôt qu’au Taqbaylit. Beaucoup d’exemples appuient ce constat, mais les plus marquants sont ceux où les enquêtés disent clairement que le premier est mieux que le second  ; le premier est mieux élaboré que le second (grammaire, orthographe…). Certains autres font appel à l’exemple de l’arabe standard qu’ils nomment «  lfuṣḥa  » et l’arabe dialectal qu’ils nomment «  ddarǧa  » pour expliquer la différence entre le Tamazight et le Taqbaylit. Ils érigent ainsi le Tamazight au rang de langue «  standard  » et le Taqbaylit en dialecte.

Enfin, la dernière question : «  Cela rend-il facile ou difficile l’apprentissage de la langue amazighe  ?  » vise à faire surgir chez ces élèves la motivation ou la démotivation à l’apprendre. Nous avons été surpris de constater qu’aucun des sujets de notre enquête n’a exprimé un rejet quant au fait d’apprendre la langue amazighe à l’école. Les discours animés par le sens commun prônent que l’apprentissage de la langue amazighe influence négativement sur les résultats scolaires des élèves, cependant aucun des enquêtés n’a soulevé ce point qui les concerne directement.

2.2.4. Synthèse

Nous récapitulons en rappelant que les élèves interviewés distinguent les deux formes de la langue amazighe auxquelles ils sont confrontés. Ils nomment «  Taqbaylit  » la langue pratiquée en dehors des situations scolaires et «  Tamazight  » celle qu’ils apprennent à l’école. Quant aux représentations de l’une et de l’autre, ils considèrent «  Tamazight  » comme une langue, par opposition à «  Taqbaylit  » une langue du quotidien. Ils considèrent également que la première est une langue pure et authentique, tandis que la seconde est faite de mélange de langues. Parallèlement aux représentations positives de la «  Tamazight de l’école  », majorité d’entre eux avouent qu’il s’agit d’une langue difficile à acquérir par rapport à Taqbaylit. Néanmoins, cela ne les empêche pas de se prononcer favorablement vis-à-vis de son apprentissage.

Sur ce, notre deuxième hypothèse se voit confirmée, puisqu’à défaut de présence de leur variante locale à l’école, les élèves croient qu’elle est moins utile et moins prestigieuse que celle qu’ils étudient.

Concernant la troisième et dernière hypothèse, nos résultats montrent qu’elle est infirmée, car ces élèves se montrent tous favorables et motivés à l’apprendre, quoiqu’ils disent que leur variante locale est différente de la langue qu’ils étudient à l’école.

Conclusion

Cette enquête visant à explorer les représentations linguistiques que les apprenants ont de la langue amazighe, leur langue, pour voir ce qu’en pensent les adolescents, après environs vingt ans de son introduction à l’école algérienne. Cela a besoin d’être étudié dans le cadre d’un travail dépassant l’espace d’un article. Néanmoins, nous voulons – autant que faire se peut – mettre sous le prisme de la démarche scientifique, les discours dits du sens commun concernant l’enseignement de la langue amazighe et de sa réception auprès des élèves.

En fait, des idées circulent sur le fait que «  Les élèves ne veulent pas l’apprendre la langue amazighe  »  ; «  C’est une langue difficile à apprendre  »  ; «  Qu’elle constituerait un obstacle pour leur scolarité  »  ; etc. Nous sommes partis de ces discours de «  sens commun  », et nous avons conçu des questions visant à déceler ce qu’en pensent les élèves, les personnes directement concernées par l’apprentissage de cette langue.

Comme nous l’avons exposé dans l’analyse des réponses aux entretiens menés, nous concluons que les élèves (adolescents) sont, pour la quasi-totalité, favorables à l’apprentissage de la langue amazighe à l’école. Ils y associent des attentes liées à sa maitrise pour s’en servir à des fins de communication. Ils affirment qu’il y a utilité à l’apprendre, comme pour l’enracinement dans la culture et l’histoire, à titre d’exemple. Parmi eux, il existe ceux pour qui le fait qu’elle soit leur langue maternelle donne toutes les raisons de l’apprendre.

Quant à la place qu’ils lui accordent parmi les autres langues enseignées au sein de l’école algérienne, nous avons noté qu’elle est l’une des deux langues les plus estimées. À côté du français qui enregistre un engouement en première position vient la langue amazighe en deuxième position, suivie respectivement de l’anglais et l’arabe.

Concernant la deuxième partie de l’analyse, réservée à l’éventuelle situation diglossique à l’intérieur de la langue amazighe. Nous avons constaté trois points importants :

  • Les élèves appellent «  Tamazight  » la forme apprise à l’école, et «  Taqbaylit  » la variante locale qu’ils pratiquent dans leur vie quotidienne  ;

  • Ils jugent que leur «  Taqbaylit  » est différent de la langue qu’ils étudient à l’école  ;

  • Les représentations plus positives vont vers le «  Tamazight  » qu’ils conçoivent comme une langue standard, et des représentations moins positives vont vers le «  Taqbaylit  » qu’ils classent comme une langue du quotidien.

Quant à l’influence exercée sur leurs motivations à apprendre la langue amazighe à l’école, nous n’avons enregistré aucun rejet de la part de nos enquêtés qui répondent très clairement pour la majorité par : «  Ttibbiɣ-tt  » (je l’aime).

Pour notre part, nous jugeons, d’une part, qu’une telle enquête doit être généralisée, pour recouvrir plus de régions et, par là, avoir une vision plus claire des représentations sociolinguistiques des apprenants de la langue en ayant un échantillon plus représentatif de la réalité du terrain. D’autre part, les représentations des parents d’élèves doivent aussi être étudiées pour comprendre la part de l’environnement familial dans la construction des représentations des élèves.

1 Jodelet, Denise. [1989]. « Représentations sociales : un domaine en expansion. ». Dans Jodelet Denise (dir.). Les représentations sociales. 2e

2 Millet, Agnès. 1991. « Au cœur des confusions entre l’écrit et l’oral : les représentations de l’orthographe ». Dans Repères. N° 3. Paris : INRP. pp

3 Boyer, Henri. 2001. Introduction à la sociolinguistique. Paris. Dunod. p. 41.

4 Chaker, Salem. [1989]. Berbères aujourd’hui. 2e édition. Paris. L’Harmattan, 1998. p. 110.

5 Meksem, Zahir. 2007. Pour une sociodidactique de la langue amazighe: approche textuelle. Thèse de Doctorat. Laboratoire LIDILEM. Université Stendhal

6 Benrabah, Mohamed. 1998. « Le déni de l’arabisation ». [En ligne]. Dans Libération (quotidien français). 26 juin 1998. Paris. URL : <https://www.lib

7 Les questions des entretiens menés sont fournies comme annexes à la fin de l’article.

8 BLANCHET, Alain et GOTMAN, Anne. [1992]. L’entretien.2e édition. Paris. Armand Colin, 2007. (Coll. L’enquête et ses méthodes). p. 25.

BENRABAH, Mohamed. 1998. «  Le déni de l’arabisation  ». [En ligne]. Dans Libération (quotidien français). 26 juin 1998. Paris. URL : <https://www.liberation.fr/tribune/1998/06/26/algerie-5-juillet-l-usage-exclusif-de-l-arabe-entre-en-vigueur-les-denis-de-l-arabisation_241466>, Consulté le 17 octobre 2020.

Blanchet, Alain et Gotman, Anne. [1992]. L’entretien. 2e édition. Paris. Armand Colin, 2007. (Coll. L’enquête et ses méthodes). 126 P.

Boyer, Henri. 2001. Introduction à la sociolinguistique. Paris. Dunod. 112 P.

Chaker, Salem. [1989]. Berbères aujourd’hui. 2e édition. Paris. L’Harmattan, 1998. 221 P.

Jodelet, Denise. [1989]. «  Représentations sociales : un domaine en expansion.  ». Dans Jodelet Denise (dir.). Les représentations sociales. 2e édition. Paris : PUF, 1991. (Coll. Sociologie d’aujourd’hui). 424 P.

Meksem, Zahir. 2007. Pour une sociodidactique de la langue amazighe : approche textuelle. Thèse de Doctorat. Laboratoire LIDILEM. Université Stendhal-Grenoble III. 524 P.

Millet, Agnès. 1991. «  Au cœur des confusions entre l’écrit et l’oral : les représentations de l’orthographe  ». Dans Repères. N° 3. Paris : INRP. pp. 157-172.

Annexe

Voici les questions de l’entretien auxquelles les participants à notre enquête ont répondu. Les questions sont exposées en kabyke, telles que posées aux élèves, puis une traduction en français est donnée et mise entre parenthèses.

  1. Représentation de la langue amazighe à côté d’autres langues enseignées à l’école

  • D acu n lfayda i tzemreḍ ad tesɛuḍ deg leqraya n tmaziɣt deg tudert-ik/im  ? (Trad. Quel bénéfice peut t’apporter l’apprentissage de la langue amazighe, dans ta vie  ?)

  • Bder-iyi-tent seg tmezwarut ɣer tneggarut akken i tent-tḥemmleḍ. (Trad. Fais le classement des langues que tu apprends à l’école, de 1 à 4 selon que tu les préfères.)

  • Tzemreḍ ad d-tesfehmeḍ d acu i k-yeǧǧan ad tent-tsemyizewreḍ akka ? (Trad. Peux-tu expliquer les raisons de ce classement  ?)

  1. Lien entretenu avec le tamazight de l’école et la variante locale et son influence sur son apprentissage

  • S wacu i theddreḍ deg uxxam, deg berra, gar yimdukal ? (Trad. Dans quelle langue parles-tu à la maison, dehors, et entre amis  ?)

  • D acu i d tamaziɣt ɣur-k/m ? (Trad. Qu’est-ce qu’est Tamazight pour toi  ?)

  • Amek i tettwaliḍ tutlayt i teɣɣarem deg uɣerbaz d tin n uxxam (berra, umdukal…) ? (Trad. Comment perçois-tu la langue que tu pratiques quotidiennement d’un côté, et celle que tu étudies à l’école de l’autre  ?)

  • Anect-a, yessifsus neɣ yessaɛar almad (leqraya) n tmaziɣt ? (Trad. Cela rend-il facile ou difficile l’apprentissage de la langue amazighe  ?)

1 Jodelet, Denise. [1989]. « Représentations sociales : un domaine en expansion. ». Dans Jodelet Denise (dir.). Les représentations sociales. 2e édition. Paris : PUF, 1991. (Coll. Sociologie d'aujourd'hui). pp. 31-61.

2 Millet, Agnès. 1991. « Au cœur des confusions entre l’écrit et l’oral : les représentations de l’orthographe ». Dans Repères. N° 3. Paris : INRP. pp. 157-172.

3 Boyer, Henri. 2001. Introduction à la sociolinguistique. Paris. Dunod. p. 41.

4 Chaker, Salem. [1989]. Berbères aujourd’hui. 2e édition. Paris. L’Harmattan, 1998. p. 110.

5 Meksem, Zahir. 2007. Pour une sociodidactique de la langue amazighe: approche textuelle. Thèse de Doctorat. Laboratoire LIDILEM. Université Stendhal-Grenoble III. p. 16.

6 Benrabah, Mohamed. 1998. « Le déni de l’arabisation ». [En ligne]. Dans Libération (quotidien français). 26 juin 1998. Paris. URL : <https://www.liberation.fr/tribune/1998/06/26/algerie-5-juillet-l-usage-exclusif-de-l-arabe-entre-en-vigueur-les-denis-de-l-arabisation_241466>, Consulté le 17 octobre 2020.

7 Les questions des entretiens menés sont fournies comme annexes à la fin de l’article.

8 BLANCHET, Alain et GOTMAN, Anne. [1992]. L’entretien. 2e édition. Paris. Armand Colin, 2007. (Coll. L’enquête et ses méthodes). p. 25.

Figure n° 1 : Classement des langues selon les préférences

Sadouni Idir

LAILEMM – Abderrahmane Mira université de Bejaia

MEKSEM Zahir

LAILEMM - université de Bejaia

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