D ism-is, d awal-is, « Tel nom, tel propos » (Proverbe kabyle)
Introduction
Le patronyme est un support de notre identité. C’est un héritage familial inaliénable. Il nous parvient du fond des âges comme une chaine qui nous lie à un ancêtre. À cheval entre la science du langage et l’histoire, ce nom si familier à notre mémoire recèle parfois le code d’accès qui perce le secret d’énigmes séculières.
Dans cette heureuse association historico-identitaire que l’investigateur attentif complètera selon ses besoins, il arrive que les patronymes résistent à l’usure du temps. Du point de vue de la loi, le nom de famille est un patrimoine protégé par le Code civil. Il a valeur de propriété privée. La loi permet, en effet, de modifier son nom ou de procéder à son changement, mais consacre son caractère personnel. Un changement de patronyme doit obligatoirement faire l’objet d’une publicité pour vérifier l’éventualité d’une opposition puisqu’il a valeur de propriété privée inaliénable. À sa naissance, l’enfant algérien reçoit deux noms propres : le patronyme de son père et un ou plusieurs prénoms. Les parents ont le libre choix des prénoms, mais l’enfant portera obligatoirement le nom patriarcal. L’ordonnance 75-58 du 26 septembre 1975 portant code civil considère le nom et les prénoms comme un attribut de la personnalité identifiant la personne. Cette ordonnance a permis la nomination des personnes qui étaient dépourvues de noms et identifiées sous SNP (Sans Nom Paronymique). Depuis la publication de cette loi, les dépositaires des registres d’état civil sont tenus de ne pas reproduire ce sigle SNP lors de la délivrance des copies conformes des actes d’état civil.
Dans ce contexte, une problématique assez évidente et pertinente se pose d’elle-même. Elle se résume dans la suivante interrogation : Comment sont construits historiquement les patronymes en Algérie ?
1. Aperçu théorique
La grammaire traditionnelle définit le nom propre par opposition au nom commun, « commun » à tous les individus de l’espèce, « propre1 » lorsqu’il s’applique à « un seul être ou objet pris en particulier, il individualise l’être, l’objet ou la catégorie qu’il désigne. Paris, Provence, Anglais. Les noms propres prennent une majuscule »2.
Pour Martinet, il est difficile parfois d’accepter la définition de l’entité unique des noms propres, entre autres, celle de l’identification des mots par une majuscule initiale, « par exemple, les Russes, les Françaises, les Corses qui ne sont pas des noms propres, alors que l’est, la désignation des langues correspondantes, le russe, le français, le corse, qui eux, n’ont pas droit à la majuscule »3.
Pour Gary –Prieur, la lecture des principales grammaires conduit à la conclusion suivante : « distingués d’abord des noms communs sur une base sémantique (désignation d’un individu, d’une espèce), ils sont ensuite plus ou moins oubliés dans le chapitre consacré au nom, mais ils réapparaissent comme cas particulier sur le plan morphologique (problèmes de genre et du nombre) »4.
Pour la grammaire arabe, il faut revenir à Sibawayh et au commentateur de son kitab, Zaïd – Al-Sirafi pour montrer dans quel système s’insère le nom propre « et quelles sont les conséquences pour la conception de l’opposition nom propre/nom commun5. »
Le nom propre est avant tout pour Sibawayh un nom déterminé (m’rifa) : « il y a cinq sortes de ma’rifa : les noms qui sont des emblèmes (a’l am h asa, c’est - à-dire les noms propres), le nom qui a un complément annectif déterminé (l m u d a f ilà l – ma’rifa), l’article (al alif wallàm, c’est – à – dire le nom précédé de l’article déterminé), les noms démonstratifs et le pronom personnel (H II, 5 : D I 104) 6. »
À cet effet, Genevieve Humbert relève que « l’opposition nom propre/nom commun est absente 7» et que le nom déterminé est une catégorie de nom propre.
La distinction entre le nom déterminé (ma’rifa) et le nom indéterminé (nakira) se fait à partir d’une caractérisation morphologique (présence ou absence du tanwîn) : kitabu-kitabun.
Sur le plan sémantique, le système du nom propre chez Sibawayh est tel qu’il considère que « certains noms sont conçus pour désigner un objet unique… 8», mais al-sirâfi, dans son commentaire, utilise l’expression ismgins pour le nom commun et ism ‘alam pour le nom propre9 : parmi ces animaux, certains ont un nom générique (ism gins) et un nom propre (ism’ alam) : lion… renard, par exemple sont leurs noms génériques, comme « homme », « cheval ». Et, ils ont des noms propres :
« Usâma, Tu’ala par exemple…, qui sont comme Zayd et Amr pour les êtres humains (II, 202, V°, 1.15 n sq) 10. »
Le nom était initialement constitué par un vocable unique, puis il est devenu nécessaire de lui adjoindre des accessoires comme le nom de père. Dans la série des vocables qui servent actuellement à nommer une personne, deux d’entre eux sont essentiels, parce qu’ils se retrouvent toujours, le nom de famille au patronymique et le prénom. Le nom se transmet par filiation11.
Faire usage de son nom est à la fois un droit et une obligation, le nom est protégé en droit - on peut contester le droit de porter indument le nom que l’on porte soi-même ou mon ancêtre a porté si l’on en ressent un préjudice au moins moral12.
C’est une dénomination particulière à chaque individu qui permet de distinguer les membres d’une même famille et les homonymes, il est choisi par les parents et donné à chacun au moment de la rédaction de l’acte naissance.
Tout enfant doit recevoir au moins un prénom. La pluralité est cependant usuelle, en principe ; les prénoms doivent être choisis parmi ceux qui figurent aux différents calendriers et dans l’histoire ancienne, mais devant l’intransigeance de certains officiers d’état civil, une instruction de 1996 a élargi les possibilités de choix du prénom, en indiquant aux services d’état civil de respecter les particularismes locaux et les traditions familiales qui doivent systématiquement refuser les prénoms de pure fantaisie ou les vocables qui en de leur nature, de leur sens ou de leur forme, ne peuvent normalement constituer des prénoms13.
Nom particulier, dit aussi membres d’une même famille14.
Nom particulier joint au patronyme et qui distingue chacun des membres d’une même famille15.
Dans l’étude des noms propres arabes, on distingue :
-
* L’Ism Le nom d’ego.
-
Laquab le nom de famille.
-
Le nasab les ascendants
Le patronyme est le support de notre identité. C’est un héritage familial inaliénable. Il nous parvient du fond des âges comme une chaîne qui nous lie à un ancêtre. À cheval entre la science du langage et l’histoire, ce nom si familier à notre mémoire recèle parfois le code d’accès qui perce le secret d’énigmes séculières.
Nous parlons donc en connaissance de cause, puisque la ligature entre la linguistique et les procédures administratives (rectifications volontaires) prend l’ampleur et l’essentiel de nos responsabilités en tant que chercheurs au sein de cette même formation.
Somme toute, cette recherche, par sa nature, ne développe pas les aspects étymologiques, sociolinguistiques et psychologiques suscités par les sans noms patronymiques « SNP ». Analysés néanmoins par Lacheraf et Chaker, ils permettent d’observer des échanges interculturels intéressants d’un point de vue des praticiens linguistes tels que Farid Beremdane et Ouardia Yermeche.
En respectant scrupuleusement les normes lexicographiques, adaptées, toutefois, aux besoins des « SNP », il est inutile de souligner également le mérite de l’approche tant linguistique que sociologique, analyses et commentaires, de l’objet d’étude, à savoir l’origine et la signification du « SNP ».
Cependant, toutes ces propriétés haut de gamme deviennent un handicap pour celui (ou celle) qui souhaiterait voir le sa/sé du « SNP» d’un œil critique. Autrement dit, la démarche de vérification doit correspondre, autant que possible, à la qualité de l’objet de l’observation.
2. Les hypothèses de travail et l’enquête
Étant donné que le système patronymique Saidéen s’adresse aux officiers d’état civil de grandes agglomérations de la wilaya de Saïda, messieurs : Assas aek,taguine khaled (commune de Saïda),Benmessaouda Mohamed(commune d’Ain sultan),Maasar Mohamed(commune de Sidi Boubkeur, Kafi Benyahia (commune de doui thabet) Bachiri Farid (commune de Ain el hdjar) en général, il nous a paru évident de tester la fonctionnalité et la nature de la thématique auprès de la population. Mais, vu l’impossibilité de nous adresser à une population mixte, nous nous sommes contentées d’une enquête beaucoup moins ambitieuse, réalisée avec l’accord des responsables des services de la direction des moudjahidines de la wilaya de Saïda notamment M Kadi Abdkrim, directeur du centre d’archives, M.Hamdaoui Mohamed, directeur adjoint du même centre ; ainsi que M. Rahmani Mohamed, directeur du théâtre de la wilaya de Saïda. Il s’agit d’une recherche qui, à l’aide d’un questionnaire précodé et quasi post-codé et par la collecte d’informations statistiques, procura des données quantitatives, dont l’observation et l’analyse descriptive apportèrent des données qualitatives.
Le succès du questionnaire n’avait pas de rapport avec la durée du temps que l’on devait mettre pour donner des réponses, nous avons gardé les explications suivantes de l’origine des « SNP » :
Le « SNP » est une étiquette qui se donne aux gens qui venaient du sud algérien ; par exemple :
« SNP « qui venaient de » Gourara et de « Tibelbala » dans la région d’adrar tels que : Baazi, Belbali, Asmouni.
Les SNP qui ont acquis leurs nouveaux patronymes et qui sont d’origine subsaharienne tels que Kanou (Senegal), Soudani (Soudan) ou d’origine du sud du Maroc : Megherbi, Gherbi, Ouednoun ( sud du Maroc).
Le SNP « qui est devenu Tounssi (Tunisie)
Le SNP qui est devenu « Tamentit », comme le montre Ouardia Yeermeche, a acquis le nom patronymique « Tamentit ».
Le nom de Tamentit (prononcé « Tmantète ») serait formé de deux mots berbères ‘aman’ (l’eau) et ‘tit’ (la source), ici associés et affectés, conformément aux règles de la morphologie de la langue berbère, des deux ‘t’ initial et final, les marques du féminin. Cette interprétation souligne l’importance de l’eau pour les premiers habitants de Tamentit, fondée probablement au début du VIe siècle. Tamentit est alimentée en eau par (…) une source16.
3. Étude quantitative des S.N.P et explications vis-à-vis l’administration
-L’analyse des particules filiationnelles (Ben, Bent, Bou, Ould) dans les SNP avant la rectification
Les sans noms patronymiques non rectifiés composés lexicalement sont graphiquement simples et morphologiquement complexes. Ils sont formés sur le plan morphologique à l’aide des bases anthroponymies (Bel - Ben - Bou - Ould ) suivies d’un substantif.
Ils représentent 21.4 % des noms enregistrés dans le premier registre matrice de la ville de Saïda de 1962 et 21.42 % dans le répertoire officiel/tribunal de Saïda 1962. Nous donnons ci dessous, l’inventaire des SNP non rectifiés lexicalement :
Dans le premier répertoire officiel/tribunal de Saïda (1962)17 :
Nombre/500 |
Pourcentage |
|
Composés à base de “SNP” |
2 |
0.4 % |
Composés à base de “OULD” |
17 |
3.4 % |
Composés à base de “Bent” |
12 |
2.4 % |
Dans le premier répertoire officiel/tribunal de Saïda (1965)18 :
Nombre/500 |
Pourcentage |
|
Composés à base de “SNP” |
40 |
8 % |
Composés à base de “OULD” |
1 |
0.2 % |
Composés à base de “Bent” |
1 |
0.2 % |
Dans le premier répertoire officiel/tribunal de Saïda (1966) :On remarque dans ce registre qu’il n’existe que des SNP à base de (Ben - Bou et Ould).
Nombre/500 |
Pourcentage |
|
Composés à base de “SNP” |
37 |
7.4 % |
Composés à base de “OULD” |
1 |
0.2 % |
Composés à base de “Bent” |
1 |
0.2 % |
Dans le premier répertoire officiel/tribunal de Saïda (1968)19 :
Nombre/500 |
Pourcentage |
|
Composés à base de “SNP” |
16 |
3.2 % |
Composés à base de “OULD” |
4 |
0.8 % |
Composés à base de “Bent” |
4 |
0.8 % |
Dans le premier répertoire officiel/tribunal de Saïda (1970) :
Nombre/500 |
Pourcentage |
|
Composés à base de “SNP” |
23 |
4.6 % |
Composés à base de “OULD” |
3 |
0.6 % |
Composés à base de “Bent” |
3 |
0.6 % |
Dans le premier répertoire officiel/tribunal de Saïda (1971)20 :
Nombre/500 |
Pourcentage |
|
Composés à base de “SNP” |
3 |
0.6 % |
Composés à base de “OULD” |
1 |
0.2 % |
Composés à base de “Bent” |
1 |
0.2 % |
Dans le premier répertoire officiel/tribunal de Saïda (1974) :
Nombre/500 |
Pourcentage |
|
Composés à base de “SNP” |
52 |
10.4 % |
composés à base de “OULD” |
6 |
1.2 % |
Composés à base de “Bent” |
6 |
1.2 % |
Dans le premier répertoire officiel/tribunal de Saïda (1975)21 :
Nombre/500 |
Pourcentage |
|
Composés à base de “SNP” |
6 |
1.2 % |
Composés à base de “OULD” |
2 |
0.4 % |
Composés à base de “Bent” |
2 |
0.4 % |
Dans le premier répertoire officiel/tribunal de Saïda (1977)22 :
Nombre/500 |
Pourcentage |
|
Composés à base de “SNP” |
26 |
5.2 % |
Composés à base de “OULD” |
2 |
0.4 % |
Composés à base de “Bent” |
2 |
0.4 % |
La même tendance est relevée dans les sans noms patronymiques rectifiés (SNP) formés avec “bou” : 3.40 %, 2.80 %, 0.20 %. Cette chute dans l’usage des particules filiationnelles est contrebalancée par deux particules à caractère religieux et mystique comme forme suffixale :“eddine” et préfixale : “abd”.
Ainsi, l’inventaire fait apparaître que les sans noms patronymiques rectifiés (SNP) avec “eddine” sont en augmentation constante et représentent : 0.20 % (1962), 2.20 % (1975), 6 % (2000).
Conclusion
Cette étude est surtout considérée comme de la sociologie – interactionniste – ou de l’anthropologie, la linguistique y restant très “interne”. Cela n’exclut pas bien au contraire, les nombreux apports de la sociologie à l’observation des pratiques sociales des langues, explicites dès Labov. Nous comprenons ainsi pourquoi les rapports sociolinguistique/sociologie (du langage) sont beaucoup moins simples que celui existant entre l’ethnolinguistique et l’ethnologie.
Le démarquage des origines parentales par l’acquisition d’un patronyme différencié annonçait une mise en train d’un travail de deuil de certains référents identitaires. Ainsi des SNP inscrivent le nouveau venu dans une filiation, une histoire ; (le choix) paronymique. Cet acte premier fait exister : il sort l’individu de sa réalité sociale organisée symboliquement par la langue, légalement par la loi qui reconnait la filiation et socio linguistiquement en fondant le sujet SNP dans son histoire singulière.
Le chemin qui mène au nom propre est ici comme ailleurs périlleux tant il s’inscrit au carrefour d’une multitude d’approches et appelle la manipulation de multiples concepts. Il est, au fondement même de ce qui le constitue une quête de reconnaissance menée au nom d’un positionnement éthique.