Éléments d’introduction et mise en problématique
L’enseignement-apprentissage du français langue étrangère s’opère selon diverses approches et exploite des supports des plus variés. En effet, l’enseignement par le texte littéraire permet d’allier l’enseignement d’une langue à sa culture permettant ainsi à l’apprenant une expérience linguistique et culturelle richissime et immersive. C’est dans cette perspective que le texte littéraire admet d’explorer les coutumes, les valeurs et les perspectives culturelles des francophones. Le choix du texte constitue, par voie de conséquence, une phase clé car ce dernier se doit d’être adapté au niveau des apprenants mais aussi aux intérêts et objectifs pédagogiques pour relever des défis linguistiques et culturels appropriés.
Recourir à la fable en classe de FLE en tant que genre littéraire, offrant une combinaison unique de narration captivante et d’enseignement moral, s’avère être une approche avantageuse à bien des égards en proposant de nombreux privilèges tels que le modelage d’un apprenant capable de faire preuve de discernement, d’analyser de manière critique et donc de comprendre l’implicite culturel de la langue d’apprentissage ; l’apprenant s’engage d’une manière ludique et significative dans la construction de son savoir. L’importance de la fable réside dans son habileté à inculquer des valeurs et des morales à travers des animaux anthropomorphisés ou des personnages fictifs.
Estimée pour sa capacité à être revisitée, la fable continue de faire l’objet de plusieurs réécritures dans le but d’assurer une pertinence et une accessibilité dans les contextes contemporains. De surcroît, il est évident que la constante évolution de la société entraine un changement des enjeux qui la caractérisent, ainsi les problématiques traitées autrefois par la fable telles que la justice, les relations sociales ou encore la corruption sont largement enrichies par celles relevant du monde actuel comme les avancées technologiques, les inégalités sociales, etc. Exploiter la fable, en tant que support traitant des sujets délicats ou controversés d’une manière détournée et adaptée à un lectorat d’une société contemporaine, nous mène à formuler le questionnement suivant :
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Comment adapter la fable pour qu’elle reste pertinente dans des contextes culturels contemporains ?
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Dans quelles mesures la réécriture permet-elle de préserver l’essence et l’intégrité de la fable ?
Dès lors, les concepts de réécriture littéraire et de l’adaptation culturelle constituent l’ossature du présent travail et s’imposent comme une assistance pédagogique de l’apprenant en classe de FLE en lui offrant l’opportunité d’apprendre une langue étrangère et d’en maîtriser les compétences.
1. Méthodologie et présentation du corpus
1.1. Méthodologie
Cette section précise le dispositif d’enquête retenu pour décrire et analyser la réécriture scénique de « La Cigale et la Fourmi » en contexte de FLE. L’objectif est d’assurer la traçabilité des opérations (constitution du corpus, critères de codage, modalités d’analyse) et la réplicabilité minimale du protocole, afin que les résultats discutés ultérieurement puissent être appréciés quant à leur portée.
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Type d’étude. Étude de cas qualitative, centrée sur un dispositif réel d’enseignement-apprentissage.
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Contexte. 2ᵉ année secondaire (filière Langues étrangères), Oran ; 18 apprenant·es (15–17 ans) dans une séquence intégrant lecture, réécriture et mise en voix.
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Procédure. Repérage puis codage des transpositions selon cinq dimensions : générique, temporelle, culturelle, personnages, linguistique. Chaque occurrence est illustrée par un exemple sourcé (réplique/didascalie) et rapprochée d’indicateurs d’activité : engagement et prise de parole, argumentation (marqueurs d’opinion, connecteurs), mise en voix (prosodie, gestion des tours).
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Stratégie d’analyse. Usage d’une grille opératoire de réécriture permettant d’identifier les déplacements de forme et de sens, la variation de registre et leurs effets sur les tâches d’oral ; triangulation données × catégories × exemples et lecture croisée pour fiabiliser les codages.
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Considérations éthiques. Autorisations de l’établissement et des familles ; anonymisation des prénoms ; crédit d’auteur au professeur pour la réécriture scénique ; respect du droit de courte citation ; conservation sécurisée des traces.
Conclusion méthodologique. Ce protocole combine exigence descriptive (codage documenté) et prudence inférentielle (triangulation/lecture croisée), ce qui en renforce la fiabilité et la transférabilité. La section suivante explicite la question de la réécriture et présente la matrice des transpositions mobilisée pour l’analyse.
1.2. Présentation du corpus
Présentation du corpus. Le corpus analysé se compose de trois ensembles complémentaires:
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un texte de réécriture scénique de la fable « La Cigale et la Fourmi » rédigé par l’enseignant ;
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un dossier d’extraits dialogués et de didascalies, auxquels s’ajoutent les consignes de classe effectivement données aux élèves ;
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des notes d’observation recueillies in situ au cours des séances. Ces trois strates documentaires offrent un matériau cohérent : le script « cœur » (réécriture) donne la structure et la dynamique textuelle, les fragments dialogués/didascalies renseignent la mise en voix et l’agir langagier, tandis que les notes d’observation contextualisent les conditions réelles de l’activité (déroulé, réactions, ajustements pédagogiques).
La réécriture retenue a été élaborée par M. Sidahmed Khalifa, enseignant de langue française, dont les pratiques de classe et la qualité des productions pédagogiques sont régulièrement saluées dans l’établissement. L’expérimentation s’est déroulée auprès d’une classe de 2ᵉ année secondaire — filière Langues Étrangères (2AS.LE) durant l’année scolaire 2017–2018, au lycée Benhadria Ahmed (commune d’Oued Tlelet, circonscription administrative du sud d’Oran). La classe ciblée rassemblait 18 apprenants, âgés de 15 à 17 ans, engagés dans une séquence articulant lecture de la fable, réécriture et mise en scène.
L’inscription curriculaire est explicite : ce travail relève du Projet pédagogique n° 02, destiné aux filières littéraires, intitulé « Mettre en scène un spectacle pour émouvoir ou donner à réfléchir ». Dans ce cadre, l’objectif d’étude porte sur le discours théâtral, et l’intention communicative est formulée comme « dialoguer pour raconter ». La consigne de réécriture scénique se décline ainsi en tâches successives (adaptation, distribution des voix, didascalies, travail prosodique), puis en échafaudage d’activités d’oral (répétitions, gestion des tours, accentuation).
Enfin, le corpus a été constitué selon un principe d’authenticité des traces : les documents utilisés sont ceux effectivement produits et mis en œuvre en classe, puis collectés sans remaniements (hors anonymisation) afin de préserver la matérialité des usages (lexique, registres, gestes professionnels). Cette option permet de décrire, au plus près, les transpositions opérées par la réécriture et les effets didactiques observables, tels qu’ils seront analysés dans la suite de l’article.
2. Réécriture et adaptation : cadres, croisements, articulations
2.1. La réécriture du texte littéraire au carrefour des disciplines
Afin d’enrichir le patrimoine littéraire et moral de l’humanité, il convient de souligner que les fables de La Fontaine transcendent les frontières culturelles et linguistiques pour s’inscrire dans une dynamique nouvelle, celle de la réécriture littéraire. Celle-ci se définit, selon David (1994), comme une « modification d’un écrit déjà-là », ou encore, d’après Gagnon et Dolz (2018 : 31), comme « la production d’une nouvelle version de texte ou des variantes (changements locaux) dont l’analyse relève de méthodes linguistiques ». Cette démarche repose ainsi sur deux opérations fondamentales à savoir ; la créativité et la transformation.
La réécriture constitue donc une passerelle entre le passé et le présent où il est question de relier l’héritage du passé aux défis du présent tout en insufflant une dynamique revitalisante et une nouvelle vie à des thèmes et problématiques immortels.
Dans cette optique, la réécriture d’un texte littéraire implique trois opérations essentielles : la reprise, l’adaptation et la réinterprétation d’une œuvre préexistante. Ce processus offre ainsi aux générations contemporaines l’opportunité de redécouvrir des chefs-d’œuvre du patrimoine littéraire sous un prisme renouvelé, à la fois original, esthétique, pertinent et intellectuellement stimulant. D'abord d'origine linguistique, désignée initialement sous le terme de dialogisme par Bakhtine puis d’intertextualité par Kristeva, la notion de réécriture a progressivement trouvé sa place au sein du champ de la poétique, notamment grâce aux travaux de classification de Gérard Genette (Palimpsestes, 1982). En effet, la réécriture permet d’analyser et d’exploiter les liens intrinsèques entre les textes littéraires, ceux-ci ne constituant nullement des entités autonomes, mais interagissant continuellement avec d’autres textes, discours et traditions afin de donner naissance à des œuvres nouvelles, empreintes de leur héritage. Ce concept, après s’être enraciné dans la théorie littéraire, a progressivement migré vers le domaine de la didactique, où il s’est imposé comme une approche pertinente en classe de FLE. À cet égard, Daunay et al. (2012 : 16) considèrent que la réécriture littéraire constitue « un syntagme raisonnablement stable et opératoire pour une appréhension du réel qu’elle vise à décrire, à expliquer ou à transformer ». Toutefois, selon Reuter et al. (2013), cette notion peine encore à s'inscrire pleinement dans le répertoire des concepts fondamentaux en didactique.
À cet effet, la réécriture, en tant que concept, repose sur des principes fondamentaux. En premier lieu, l’allusion instaure un dialogue subtil entre l’auteur, le texte-source et le lecteur, enrichissant ainsi l’interprétation de l’œuvre. Viennent ensuite la transposition, l’amplification et l’ellipse, qui interviennent dans la modification du texte originel en retranchant ou en ajoutant des éléments, conférant ainsi à l’écrit une nouvelle dynamique. Ces procédés génèrent des réécritures capables de captiver le lecteur et d’adapter le texte d’origine à divers contextes. Enfin, le troisième principe repose sur la parodie et le pastiche, dont la finalité est de subvertir ou de revisiter les conventions stylistiques de l’écriture initiale..
De surcroît, la réécriture d’une œuvre littéraire, telle qu’une fable, ne saurait se limiter à une simple transposition linguistique. Elle requiert une approche réfléchie intégrant plusieurs dimensions essentielles. L’auteur doit tout d’abord s’assurer d’une compréhension approfondie de l’œuvre source, afin de distinguer les éléments fondamentaux à préserver de ceux susceptibles d’être repensés. Il lui appartient également d’identifier le public cible, condition indispensable pour répondre à ses attentes, à ses besoins et à son univers de références. Cette démarche s’accompagne d’une familiarisation avec la culture de réception, incluant ses valeurs, ses codes et ses spécificités socioculturelles. Enfin, il est primordial de définir les objectifs poursuivis par la réécriture, qu’ils soient culturels, pédagogiques, émotionnels ou esthétiques, afin d’orienter les choix d’adaptation de manière cohérente et pertinente.
2.2. Réécriture littéraire et adaptation culturelle : quelles relations?
Comme il a déjà été souligné, la réécriture d’une œuvre littéraire ne se limite pas à un simple exercice de style : elle constitue un acte créatif porteur de sens, qui permet à la fois de préserver et de renouveler le patrimoine littéraire. En transcendant les barrières temporelles et culturelles, cette démarche s’inscrit dans une volonté de transmission et d’actualisation, particulièrement précieuse dans l’enseignement du FLE, où elle favorise l’articulation entre héritage classique et sensibilité contemporaine. Réécrire, c’est ainsi adapter un texte à différents niveaux ; linguistique, culturel, idéologique ou encore pédagogique, afin d’en faire une œuvre accessible, pertinente et porteuse de significations nouvelles, sans pour autant trahir l’essence du texte source. L’adaptation culturelle constitue un véritable pilier du processus de réécriture littéraire, dont les origines remontent à l’Antiquité. Dès cette époque, il apparaissait nécessaire de remodeler les œuvres littéraires et théâtrales en vue de leur transposition dans des contextes culturels hétérogènes. Il ne s’agissait pas seulement de traduire un texte, mais d’en restituer l’esprit, les références et les valeurs, tout en les rendant intelligibles et significatives pour un nouveau public. Dans cette perspective, l’adaptation devient un acte de médiation interculturelle, exigeant à la fois fidélité et créativité.
Selon Donald M. Taylor et Fathali M. Moghaddam (1994 : 91), « l’adaptation culturelle est un processus dynamique qui se produit lorsque deux cultures se rencontrent ». Cette dynamique suppose un échange réciproque de valeurs, d’idées et de pratiques, dans lequel chaque culture exerce une influence sur l’autre tout en étant transformée en retour. Loin de se réduire à une simple opération de surface, consistant à gommer les divergences culturelles, l’adaptation culturelle requiert une lecture approfondie des référents culturels ainsi qu’une intercompréhension fine de leurs significations respectives.
Ce processus implique ainsi une mise en dialogue des imaginaires, une confrontation des sensibilités, et une reconfiguration des codes symboliques. Il s’agit d’un travail subtil d’interprétation, par lequel l’adaptateur tente de préserver l’essence de l’œuvre tout en l’inscrivant dans une autre matrice culturelle. Cette exigence de fidélité et de transposition ouvre la voie à une forme de création seconde, où la réécriture devient un acte d’appropriation respectueuse, porteur de sens et de nouveauté.
Cette démarche d’adaptation suppose, par conséquent, une véritable reconstruction des stéréotypes ainsi qu’une ouverture lucide et bienveillante à l’égard de l’Autre. Elle exige une reconnaissance de ses valeurs, de ses normes, de ses traditions et de ses pratiques, dans le respect de son identité profonde et de son authenticité culturelle. Loin de gommer les différences, l’adaptation culturelle œuvre à leur mise en lumière, dans une logique de compréhension mutuelle et de dialogue interculturel. Même lorsque la société connaît des mutations culturelles profondes, l’adaptation se veut garante d’un équilibre subtil entre transformation et préservation. Elle s’efforce de concilier l’inévitabilité du changement avec la nécessité de sauvegarder ce qui fonde l’essence d’une culture. Ainsi, elle se situe à la croisée de la fidélité au texte d’origine et de l’attention aux sensibilités du contexte d’accueil, contribuant à faire de la réécriture un espace de rencontre, d’échange et de co-construction identitaire.
Ainsi, les « Fables » font l’objet de réécritures, de réajustements et d’adaptations constantes, dans le dessein de refléter les mutations socioculturelles contemporaines et d’aborder des thématiques actuelles telles que la préservation de l’environnement, la protection de la biodiversité ou encore les relations entre l’homme et la nature. Cette pratique, à la fois nécessaire et légitime, ne trouve cependant tout son sens que lorsqu’elle répond à un certain nombre d’exigences essentielles :
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Assurer la pertinence culturelle en procédant à une révision réfléchie des éléments culturels et narratifs, de manière à les rendre cohérents avec le contexte de réception.
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Faciliter l’accès au sens et rendre la lecture plus intelligible, notamment pour des publics issus de cultures et de langues différentes.
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Valoriser la diversité culturelle, tout en mettant en exergue les principes et les valeurs partagés par l’ensemble de l’humanité.
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Encourager l’ouverture à l’Autre, en favorisant le dialogue interculturel et la compréhension mutuelle entre les peuples.
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Transmettre des valeurs universelles, indépendamment des spécificités culturelles du lecteur, afin de faire des « Fables » un vecteur intemporel de sagesse et d’humanisme.
Par cette démarche, l’adaptation ne se réduit pas à une simple actualisation du récit, mais devient un acte de médiation culturelle à part entière, œuvrant à la fois pour la transmission du patrimoine littéraire et pour l’éveil à une conscience éthique et écologique.
3. La réécriture contemporaine de « La Cigale et la Fourmi »
Parmi les fables les plus emblématiques de Jean de La Fontaine, La Cigale et la Fourmi occupe une place singulière par la richesse de ses enseignements et la portée universelle de sa morale. À travers la confrontation de deux personnages antithétiques – la Cigale, insouciante et vouée aux plaisirs éphémères du chant, et la Fourmi, laborieuse, prévoyante et soucieuse de l’avenir – La Fontaine illustre avec finesse des valeurs fondamentales telles que la responsabilité, le sens de l’anticipation, le labeur et l’éthique sociale.
Cette fable met en exergue la nécessité de faire preuve de prudence, d’épargne et de préparation pour affronter les aléas de l’existence. Elle rappelle, en filigrane, que l’insouciance, l’imprévoyance et la quête du plaisir immédiat peuvent conduire à des situations précaires, où le recours à la solidarité ou à la compassion d’autrui devient inévitable. Ainsi, au-delà de sa simplicité apparente, ce court récit moralise sur la sagesse du travail accompli en temps utile, tout en posant un regard critique sur les conséquences de l’irresponsabilité.
Pour synthétiser les opérations repérées et leurs effets attendus, nous présentons ci-dessous la matrice des transpositions
Tableau 1. Matrice des transpositions et effets didactiques
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Dimension |
Texte source (La Fontaine) |
Réécriture (cas) |
Effets didactiques |
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Générique |
Fable en vers |
Scène dialoguée (théâtre) |
Mise en voix ; interaction ; prosodie |
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Temporelle |
Contexte classique |
Actualisation contemporaine |
Actualisation lexicale/culturelle |
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Culturelle |
Travail / épargne |
Solidarité de voisinage ; enjeux locaux |
Débat éthique ; argumentation |
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Personnages |
Cigale / Fourmi |
+ Narrateur + La Fontaine |
Métalangage ; ironie intertextuelle |
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Linguistique |
Style soutenu |
Registre courant/jeune |
Variation de registre ; adéquation situationnelle |
Afin d’évaluer la pertinence et l’efficacité de la nouvelle version, il conviendrait de l’analyser à travers les éléments que nous résumons dans le tableau ci-après :
Tableau 2. Éléments d’analyse et interprétations
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Eléments |
Interprétations |
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Le contexte culturel |
En procédant à cette réécriture, l’auteur puise dans sa propre culture algérienne pour transcender les frontières du temps et de l’espace, insufflant ainsi une nouvelle vitalité à la fable de La Cigale et la Fourmi. Il s’attache à exploiter les valeurs, les traditions, les pratiques sociales, les croyances ainsi que les principes qui fondent la société algérienne contemporaine. Dans cette perspective, il choisit d’adapter les personnages, les situations et les morales de manière à leur conférer une résonance plus profonde et plus significative pour son public. |
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La génération actuelle, issue de la culture cible de cette réécriture, semble marquer un déficit notable en matière de sens des responsabilités et s’adonner à des pratiques irréfléchies aux conséquences souvent lourdes. À travers la voix du narrateur et le comportement de la cigale, l’auteur dénonce explicitement l’attitude de nombreux individus qui refusent de s'engager dans le travail, privilégient la quête d’un gain facile et aspirent au confort sans consentir à l’effort nécessaire. De manière claire et directe, il met ainsi en lumière des problématiques contemporaines majeures de la société algérienne. — La Cigale |
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À travers sa réécriture, l’auteur a choisi d’opérer une transposition à plusieurs niveaux, dans le but d’apporter un éclairage nouveau à la fable d’origine. Cette transposition se décline sur plusieurs plans : tout d’abord, une migration vers un contexte culturel distinct, celui de la société algérienne, sensiblement différent de la société française d’où est issue la fable initiale. Cette démarche implique une adaptation des valeurs, des principes et des traditions, conférant ainsi une nouvelle identité à l’œuvre. |
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Si dans la version d’origine, les valeurs à transmettre tournent autour de la sacralité du travail et du temps (dépassées selon le narrateur) qui dit : — Le narrateur : |
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L’auteur qui expose une panoplie de valeurs morales apporte des révisions à la finalité de la version réécrite. Si dans la version d’origine la fourmi se montre peu prêteuse et n’accorde pas son aide à la cigale sa voisine, dans la nouvelle version, l’auteur décide de donner un autre sens à l’histoire et fait que la fourmi se rattachant aux valeurs d’entraide et d’empathie de la société algérienne, se montre solidaire avec sa voisine, la soutient et compatit avec elle face aux difficultés qu’elle rencontre. — La fourmi |
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Les ajustements significatifs effectués par l’auteur sur les personnages influence fortement la version réécrite et adaptée en contexte culturel algérien. En effet, la cigale est remplacée par un jeune musicien ou une jeune musicienne avec une guitare à la main reflèterait le riche héritage musical du pays. L’auteur souhaite ici mettre en valeur la musique en tant qu’aspect culturel du pays. La fourmi, quant à elle, est représentée par une femme, artisane et qui travaille dur ce qui met en avant la valeur de l’effort et la persévérance. |
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L’auteur met en évidence des problèmes économiques et universels, notamment ceux liés à la formation et au chômage ce qui offre une perspective réaliste de la société algérienne et des défis auxquels font face les jeunes du pays. |
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L’auteur de la fable réécrite décide de ne pas suivre la structure similaire de la fable d’origine et de rompre avec ; il propose donc une approche novatrice et créative susceptible de donner une nouvelle tournure à l’histoire tout en conservant le message moral et fondamental de la fable. |
4. Discussion
La matrice des transpositions (Tableau 1) met en évidence un déplacement axiologique : la morale classique de la fable — centrée sur l’axe « travail/épargne » — est réaccentuée vers la solidarité et la responsabilité partagée. Ce mouvement n’équivaut pas à une infidélité au texte source ; il procède d’une ré-sémantisation contrôlée où la polyphonie (interventions du narrateur et de « La Fontaine » personnifié) fait affleurer les tensions entre héritage et actualité. Du point de vue théorique, l’intertextualité règle les reprises et écarts, tandis que la transtextualité qualifie les opérations de transformation (changement de genre, actualisation temporelle et culturelle, redistribution des rôles), et que le dialogisme rend compte de la circulation des voix au plateau.
Sur le plan didactique, les transpositions augmentent la pertinence pragmatique du matériau pour des adolescent·es et soutiennent des tâches d’oral exigeantes : prise de parole en interaction, gestion des tours, prosodie et projection de voix. Les extraits qui suivent (Ex. 1–5) témoignent d’une densification des marqueurs d’opinion et des connecteurs argumentatifs, signes d’une entrée plus assurée dans l’argumentation. La mise en scène du conflit de valeurs (aide vs mérite) sert de moteur discursif et crée des situations authentiques de négociation de sens.
Sur le plan langagier, la variation de registre (du soutenu vers le courant/« jeune ») n’est pas seulement un effet de style : elle fonctionne comme un échafaudage entre langue d’étude (métalangage, citations du texte source) et langue d’action(dire, convaincre, répliquer). L’introduction de personnages médiateurs (Narrateur, « La Fontaine ») favorise la mise à distance et l’explicitation des procédés (paraphrase, détournement, ironie intertextuelle), ce qui facilite l’institutionnalisation des savoirs (nommer, catégoriser, exemplifier).
L’instrumentation proposée (matrice des transpositions + série d’exemples) agit comme outil de conception et d’évaluation : elle fournit des critères de fidélité au texte source (ce qui doit rester) et des marges d’actualisation (ce qui peut bouger), tout en rendant observables les indicateurs d’activité (engagement, argumentation, mise en voix). Cette double contrainte — fidélité/actualisation — limite les dérives (caricature, simplisme) et formalise le guidage enseignant.
En synthèse, la réécriture scénique apparaît comme un dispositif de médiation qui articule formation littéraire et développement langagier : elle permet d’apprendre avec la fable, sur la fable, et au-delà de la fable (transfert vers d’autres genres et situations d’oral).
5. Limites et perspectives
La portée des résultats demeure circonscrite par le caractère mono-cas du dispositif et l’absence de mesures quantitatives systématiques, ce qui limite la transférabilité. Le matériau repose, de surcroît, sur une réécriture produite par l’enseignant, exposant à un possible effet d’auteur et à un biais d’observation. Pour éprouver la robustesse des constats, trois prolongements sont proposés :
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des dispositifs mixtes (questionnaires, rubriques critériées, pré/post-tests d’oral et d’écrit) ;
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des réplications sur d’autres corpus (fables, contes, apologues) et dans des contextes variés (urbain/rural, niveaux de classe) ;
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des suivis longitudinaux documentant l’appropriation des marqueurs discursifs et le développement des habiletés d’oral. De telles extensions devraient étayer, nuancer et mieux circonscrire les effets observés.
Conclusion
Cette étude montre qu’une réécriture scénique contextualisée de « La Cigale et la Fourmi» peut articuler médiation littéraire et apprentissages langagiers en FLE. La matrice des transpositions a permis de rendre visibles les déplacements de sens (notamment la réaccentuation de la morale vers la solidarité) et d’objectiver des effets didactiques sur la mise en voix, l’engagement et l’entrée dans l’argumentation (densification des marqueurs d’opinion et des connecteurs). L’introduction de médiations (Narrateur, « La Fontaine ») a favorisé la mise à distance réflexive et l’institutionnalisation des savoirs.
Répondant à la problématique initiale, nous avançons que réécrire un classique, ce n’est ni le trahir ni le figer : c’est ajuster sa forme et ses référents pour en maintenir l’esprit, tout en outillant des tâches d’oral exigeantes et signifiantes pour des adolescent·es. Sous réserve des limites inhérentes à un mono-cas sans mesures quantitatives, la grille opératoire proposée offre des repères transférables pour concevoir, mettre en œuvre et évaluer des séquences de réécriture en FLE. Des dispositifs mixtes, des réplications multi-contextes et des suivis longitudinaux permettraient d’étayer et de nuancer ces résultats, en affinant l’évaluation des compétences orales et des marqueurs discursifs.
