Introduction
La physionomie du monde a changé et son rythme s’adapte de plus en plus aux nouvelles réalités sociales, économiques et culturelles qui y sont incluses. Les territoires connaissent aujourd’hui un métissage sans précédent où sont entremêlées diverses langues et différentes cultures pour une cohabitation équilibrée et fructueuse.
Considérée comme le lieu où se forme l’esprit, s’approprient les savoirs, s’inculquent les attitudes; l’école s’attribue la responsabilité de préparer l’apprenant à découvrir le monde, le déchiffrer, à se lire et donc à lire les Autres. Ainsi le profil de l’apprenant est méticuleusement modelé et son identité est soigneusement construite par le biais des finalités que l’école définit, les démarches qu’elle adopte et les valeurs et sur lesquelles elle s’adosse.
En effet, la société compte sur l’école qui œuvre à préparer un apprenant à son adaptation à un monde pluriel et à son épanouissement en le dotant de moyens lui permettant d’affirmer son identité et le rendre capable d’accepter l’Autre et le respecter dans sa différence. D’ailleurs dans ce sens Abdallah-Pretceille (1999 : 7) avance que :
« Notre modernité se marque par une pluralité dans les formes de socialisation, d’enculturation, d’éducation, de sociabilité, de structuration, de mode d’être au monde et aux autres, plus que jamais, le devoir de chacun est de “savoir qui il veut être” et le devoir de l’école est de savoir quel individu peut-elle, veut-elle et doit-elle former pour la société d’aujourd’hui et de demain ».
1. Prolégomènes
1.1. Problématique
Dans cette perspective, inscrire l’école au rang des processus qui permettent une diversité culturelle, une ouverture sur l’Autre et qui évitent en même temps le repli et l’enferment sur soi, permet au cours de français langue étrangère (FLE) de constituer le terrain idéal pour prendre en charge une problématique qui s’interroge sur la conception du cours de langue, ses contenus et ses finalités. À cet effet, deux questions indispensables s’imposent :
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Comment le cours de français langue étrangère permet-il à l’apprenant de découvrir l’Autre et de le reconnaître comme un individu différent?
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Dans quelles mesures est-il possible de prétendre à une éducation à la différence?
À cet égard, l’approche interculturelle qui s’appuie manifestement sur les notions d’identité, de langue, de culture et d’altérité constitue et s’impose non seulement comme cadre conceptuel de notre présente contribution, mais aussi comme une prise en charge pédagogique qui vise à doter l’apprenant d’outils réducteurs de préjugés et de stéréotypes tout en l’inscrivant dans une approche communicative et d’échange avec l’Autre.
1.2. Objet de recherche et corpus
Notre intervention met en exergue l’intégration de la dimension interculturelle en classe de langue en contexte universitaire et l’expérience est menée auprès des étudiants inscrits en L1 licence d’Espagnol à l’Université Mohamed Benahmed d’Oran 2.
Le corpus de notre étude se constitue d’étudiants inscrits en L1 pour l’année 2020/2021. Ces derniers sont au nombre de 210 inscrits, mais les circonstances sanitaires ont fait que le nombre des présents a été réduit à 170 étudiants, âgés respectivement de 18 à 23 ans.
Ce qui fait la particularité du département de notre intervention est le fait qu’il accueille des étudiants de toutes les régions d’Algérie; particulièrement de l’est et du sud-est du pays : Guelma, Oum El Bouaghi, Batna, Tébessa, Biskra, etc. Les étudiants en question ont peu de connaissances sur l’Espagne.
1.2.1. Le français au département d’espagnol
La formation dispensée à ces étudiants est classique. Elle compte six (6) matières en unités fondamentales, une (1) seule matière pour chacune des unités de méthodologie, de découverte et transversale. Les matières enseignées sont communes entre les diverses spécialités littéraires et ne représentent que des initiations selon la responsable de filière.
Ne disposant pas de programme relatif à la matière au niveau du département, la responsable de filière nous signifie qu’il va falloir mettre en place notre propre programme. Selon le canevas, le « français » est donc une matière transversale dans le parcours de licence d’espagnol. Sa maîtrise passe par la compréhension d’énoncés ou/et de textes lus, la compréhension de documents écrits, et oraux est donc liée à la lecture, et à l’écoute. La maîtrise de l’écrit et de l’oral passe aussi par l’habilité à produire des textes et la capacité à s’exprimer en toutes situations communicationnelles formelle et informelle.
1.2.2. Une nouveauté pour le département d’espagnol : quelles pratiques et quels objectifs?
Si nous avons décidé d’intégrer la dimension interculturelle dans l’enseignement du français pour les étudiants inscrits en L1 langue espagnole, c’est parce que notre cours s’inscrit dans une logique de FOI (français sur objectifs interculturels). S’agissant d’une matière de l’unité transversale, les acquis de cette dernière serviraient, à cet effet, à l’assimilation des autres matières de la spécialité. Autrement dit, le cours de FLE se charge d’enseigner les faits culturels espagnols en langue française.
Intégrer la dimension interculturelle dans le cours de français revient au fait que :
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Les étudiants reçoivent un enseignement basé majoritairement sur le volet linguistique de la langue.
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Les données sur le pays sont rarement évoquées
Certains enseignants se tiennent à l’écart par rapport à la pratique. L’intérêt pour nous est donc de :
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Connaître l’Espagne et les Espagnols
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Faire ressortir les clichés et les stéréotypes qu’ont ces étudiants sur l’Espagne & les Espagnoles.
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Mener l’apprenant vers une représentation plus objective de l’Autre
Et à partir de cela, un balisage théorique s’impose et sera détaillé dans les lignes qui suivent.
1.3. Langue et culture : jamais l’une sans l’autre!
1.3.1. De la langue et de la culture
La langue définie comme un code ou un système arbitraire constitué de la combinaison d’un signifiant et d’un signifié se rattache de plus en plus à sa culture.
N’étant pas uniquement un outil de communication, mais un ensemble de signes linguistiques, vocaux, graphiques et gestuels; la langue constitue par voie de conséquence le symbole d’identité par excellence, qui est intimement liée à sa culture. En effet, Ferdinand de Saussure a démontré que l’unité linguistique n’a de valeur que si elle se réfère au bain de son utilisation (la communauté parlante).
Encourager et former l’apprenant à s’accepter et à accepter l’Autre dans sa différence suppose une compréhension et une analyse des plus approfondies de la notion de culture. En fait, l’apprenant aborde la culture cible avec son propre répertoire de représentations, de valeurs et de croyances, c’est-à-dire celles se rapportant à sa culture — source (ou d’origine) c’est pourquoi il est important et urgent de définir la notion de culture. Cette dernière consiste en une notion polysémique et qui ne cesse d’être placée au centre des recherches anthropologiques, sociologiques et didactiques, et ce compte tenu de la complexité des champs qu’elle recouvre.
Toutefois la définition commune veut que la culture ne soit pas un objet stable, mais un être vivant qui agit, influe et évolue d’une manière continue. Dans ce sens, le théoricien Taylor (1871 : 12) avance une définition centrée sur les éléments qui composent la culture « La culture ou la civilisation prise dans son acception au sens large est cet ensemble complexe composé par la connaissance, la croyance, l’art, la morale, la loi, les coutumes et toutes les autres compétences et habitudes acquises par l’homme en tant que membre d’une société ».
Dans la même veine analytique, Laplatine (1987 : 116) expose les aspects d’enculturation et d’héritage et déclare que « La culture est l’ensemble des comportements, savoirs et savoir-faire caractéristiques d’un groupe humain ou d’une société donnée, ces activités étant acquises par un processus d’apprentissage et transmises à l’ensemble de ses membres. »
Ainsi Porcher et Faro - Hanoun (2000 : 120) supposent que « Toute langue singulière fonde une vision du monde singulière » c’est dire que la transition d’une langue vers une autre implique nécessairement de mener une analyse profonde où sont mises en avant les distinctions culturelles des deux langues.
Blanchet (2007 : 22), quant à lui, définit la culture comme étant :
« La culture est un ensemble de schèmes interprétatifs, c’est-à-dire un ensemble de données, de principes et de conventions qui guident le comportement des acteurs sociaux et constituent la grille d’analyse sur la base de laquelle ils interprètent les comportements d’autrui (comportements incluant les comportements verbaux, c’est-à-dire les pratiques linguistiques et les messages) ».
Se déclinant en plusieurs sous-catégories : culture nationale, culture de masse, culture populaire, culture scientifique, culture littéraire, culture cinématographique, la culture est le propre de l’Homme et toutes les cultures comptent pour elles des ressemblances et des divergences, un patrimoine commun et un patrimoine singulier, des moments de gaieté, d’autre d’enfermement, mais le plus important et le meilleur voit le jour lors de leur rencontre, tout en préservant ce qui ne peut être transgressé. Il s’agit ici d’une réflexion fortement appuyée par Louis Porcher et Violette Faro-Hanoun (2000 : 123) avancent, à cet effet, que la vraie richesse réside dans « les rapports qu’elles cultivent entre elles et qui les amènent à communiquer sans perdre leur spécificité ».
1.3.2. Au-delà des limites culturelles : la dimension interculturelle en classe de FLE
Aborder les concepts de langue et culture dans une classe de FLE conduit inévitablement à la dimension interculturelle, car cette dernière place l’altérité au centre d’une dynamique d’ouverture.
En effet, l’avènement d’Internet, des réseaux sociaux et les avancées extraordinaires en matière de technologie ont réussi à abolir les distances, à abréger le temps et à transformer le monde en un village global où le marché des langues est hautement sollicité pour communiquer avec l’Autre et accéder à sa culture.
Ne constituant pas l’exclusivité d’une seule et unique discipline, l’interculturel est pluridisciplinaire et gagne du terrain depuis plus de trente ans déjà en didactique des langues et selon Clanet (1989 : 10) :
« Qui dit interculturel dit, en donnant tout son sens au préfixe “inter”, interrelation, interconnaissance, interaction, échange, réciprocité… et en donnant tout son sens au mot “culture” : reconnaissance des valeurs, des représentations symboliques, des modes de vie auxquels se réfèrent les autres (individus, groupes, sociétés) dans leur relation avec autrui et dans leur appréhension du monde; reconnaissance des interactions et interrelations qui interviennent entre multiples registres d’une culture et entre les différentes cultures » (Clanet, 1989 : 10)
C’est dire que l’interculturel devient une nécessité non négligeable en classe de FLE, car elle veille à assurer la communication, l’échange, le partage, la complémentarité, l’interaction, mais surtout la reconnaissance de l’Autre et de sa culture. Effectivement, l’interculturel en tant que démarche tend à préparer l’apprenant à se mouvoir dans un environnement multiculturel, à s’adapter avec autrui, à refuser toutes sortes de stéréotypes et par conséquent de gérer intelligemment ses relations humaines avec l’Autre.
Aujourd’hui, les cultures s’entremêlent, interagissent, se nourrissent les unes des autres, évoluent, se fusionnent pour offrir le meilleur d’elles-mêmes. En fait, ce sont ces interactions qui définissent l’interculturel :
« L’interculturel doit être désormais perçu comme “interaction” dans le cadre des échanges langagiers et des dispositifs sociaux. Il est cet espace où se rencontrent les acteurs de cultures différentes pour interagir dans un but précis sans préjuger de l’autre. C’est en définitive le problème de l’identité qui est au cœur des préoccupations didactiques. L’interculturel représente ainsi une alternative où l’apprenant doit découvrir l’autre pour faire resurgir ses propres représentations linguistiques et culturelles ». (Guidere 2002 : 3)
Aussi,
« Le cours de langue constitue un moment privilégié permettant à l’apprenant de découvrir d’autres perceptions et classifications de la réalité, d’autres valeurs, d’autres modes de vie… Bref, apprendre une langue étrangère, cela signifie entrer en contact avec une nouvelle culture ». (Beacco 2000 : 15)
Et elle doit doter l’apprenant de moyens lui permettant de prendre du recul par rapport à son propre système de référence. En fait, ce premier pas de prise de conscience culturelle et relativisme se fait en trois temps :
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Se décentrer : il s’agit, à ce niveau, de refuser tout ethnocentrisme réducteur pour parvenir à une vision du monde la plus objective possible et d’admettre en même temps l’existence d’autres visions différentes de la sienne. Autrement dit, l’apprenant se doit ici d’adopter une posture qui lui permet de se voir autrement, de savoir remettre en question sa personne et sa culture.
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Se mettre à la place de l’autre : l’apprenant apprend désormais à faire preuve d’altérité en changeant de position pour prendre justement conscience de la différence et donc au relativisme culturel.
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Coopérer : lors de cette dernière étape, l’apprenant entre en action directe et effective avec l’autre en adoptant le principe de filtration; communiquer et échanger c’est bien, mais savoir se préserver et éprouver une forme de résistance face à l’autre garantit ce va-et-vient interculturel.
2. Un programme qui prend en charge l’aspect interculturel
Ainsi le cours de français que nous dispensons au département d’espagnol au profit d’étudiants inscrits en première année de licence — tronc commun — (L1) représente le lieu idéal et le moment propice pour toucher de près les modalités de la rencontre de deux cultures au minimum. S’inscrivant dans une approche communicative, le cours de FLE prend en charge de manière exclusive la facette culturelle de la langue; le volet linguistique est assuré par les enseignants hispanophones. En fait, pendant le cours de FLE, il s’agit d’un face-à-face de plusieurs cultures sources, puisque notre public est issu des différentes régions du pays, avec une culture cible (espagnol, culture de la langue d’études).
De ce fait, le programme que nous avons conçu, s’étale sur deux semestres, et vise à doter les étudiants inscrits en L1 de compétences langagières/communicatives/transversales et culturelles, leur permettant, dans un premier temps, de mieux gérer la matière, mais aussi l’ensemble de leur formation et dans un second temps de se préparer à admettre l’Autre dans son hétérogénéité. Recouvrant les quatre compétences, le programme se dresse comme suit :
La compréhension de l’écrit |
Module 1 : adopter une stratégie efficace de lecture |
La production de l’écrit |
Module1 : c’est très beau! |
La compréhension de l’oral |
Module1 : suivre un récit de voyage |
La production orale |
Module1 : qui sommes-nous? |
Pour la réussite du cours, certains prérequis sont recommandés, ils sont indispensables à l’apprentissage et doivent être installés ou rappelés pour exploiter le programme. Ils s’inscrivent de ce fait dans une perspective intelligible permettant de bien agencer et hiérarchiser les nouvelles données. L’étudiant doit connaitre la typologie textuelle ainsi que les moyens linguistiques de chaque type, et avoir le sens du débat, et de l’échange.
À toute production pédagogique, des objectifs doivent être formulés afin de structurer et organiser le processus d’enseignement — apprentissage. Afin de déterminer les connaissances à acquérir et les compétences à développer, les objectifs dressés pour le programme élaboré sont donc scindés en trois parties; il s’agit dans un premier temps de conduire progressivement l’apprenant vers la lecture et l’écriture de différents types de texte et de le former, par la suite, à la production de tous types de textes authentiques oral ou écrit qui pourraient exister tels quels dans la réalité sociale (se présenter, raconter, décrire, etc.). Nous visons ici la vraisemblance communicative en langue française.
De plus et au-delà de la prise en charge de l’aspect communicatif, il s’agit de conduire l’apprenant à faire usage de tous les outils linguistiques inhérents à chaque typologie textuelle tels que le lexique mélioratif, les adjectifs qualificatifs, les verbes de perception, les procédés explicatifs, le discours rapporté, etc.
L’objectif principal demeure relatif à la dimension culturelle où cet enseignement se doit de faire connaitre et acquérir quelques aspects de la culture espagnole, de faire découvrir les rites et les traditions espagnoles, d’établir une comparaison entre la culture cible et la culture source et donc de pouvoir par la suite lutter contre les idées reçues et les préjugés pour s’adapter au mode de vie espagnol.
Parmi les objectifs intermédiaires que nous avons assignés au cours, nous citons :
Compréhension de l’écrit (CE) |
Production de l’écrit (PE) |
Entrer dans un document par les phrases amorce. |
Produire un texte pour décrire un lieu. |
Compréhension de l’oral (CO) |
Production de l’oral (PO) |
Repérer la structure d’un reportage/du récit de voyage. |
Parler de soi : se présenter/présenter quelqu’un. |
De ce fait, ce qui est demandé aux étudiants comme opérations cognitives va d’une simple compréhension à un débat. Dans les activités que nous mettons à la disposition de notre public, nous tâchons de varier les consignes pour favoriser ainsi une application et une implication rigoureuses des étudiants; nous proposons de :
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Répondre aux questions (dans le but de comprendre des passages écrits)
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Relever certains indices
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Compléter un tableau avec des données du texte
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Expliquer quelques faits/notions/expressions
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Effectuer des transformations (conjugaison ou autres)
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Synthétiser une information
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Produire une information nouvelle et personnelle
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Débattre le fait culturel proposé (l’étudiant s’inscrit dans le comparatisme culturel)
2.1. La transmission des savoirs culturels de la culture — cible : présentation des supports
Nous convenons avec Courtillon (1984 : 29) que :
Apprendre une langue étrangère, c’est apprendre une culture nouvelle, des modes de vivre, des attitudes, des façons de penser, une logique autre, nouvelle, différente, c’est entrer dans un monde mystérieux au début, comprendre les comportements individuels, augmenter son capital de connaissances et d’informations nouvelles, son propre niveau de compréhension.
Et en vue de bien mener cette approche interculturelle, nous avons intégré des supports où des faits de civilisation sont mis en évidence se résumant comme suit :
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Les faits sociaux : comment les gens vivent-ils ensemble (gastronomie et traditions)
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Les faits esthétiques : les formes d’art ou de création qu’ils aiment ou qu’ils produisent (art, architecture, tourisme)
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Les faits idéologiques : qui renvoient aux croyances et aux opinions (sont intégrés dans les divers faits abordés)
Dans cette contribution, nous présentons seulement les supports relatifs à la compréhension de l’écrit et retraçons des faits de culture dont la finalité comme décrite précédemment est de « Connaitre l’Espagne et les Espagnols » et « Se représenter l’Espagne et les Espagnols ».
Les supports exploités mettent en scène des personnages et des faits d’origine espagnole, car l’objectif premier est de faire acquérir aux apprenants des connaissances sur l’Espagne en tant que nation et berceau de la civilisation ibérique.
À travers l’étude de la langue française et la dimension interculturelle espagnole, les étudiants connaitront davantage l’Espagne et les Espagnols et ouvrent leurs esprits et donc modifient la conception qu’ils ont de l’Autre et de sa vie qui est différente de la leur.
Nous nous attendions bien évidemment à des réactions inattendues et des questions improbables que nous devrions gérer afin de pouvoir atteindre nos objectifs pédagogiques. Il est à rappeler que le rôle de l’enseignant est celui de « médiateur culturel » et que s’il transmet aux apprenants une image subjective (négative ou positive) sur le phénomène donné, c’est cette image-là qui sera ancrée dans l’esprit des apprenants puisqu’elle est liée à la « sensibilisation au fait culturel étranger ». Les conséquences pourront facilement conduire à un échec de la démarche interculturelle ou la naissance de nouveaux préjugés!
Les données culturelles s’inscrivent dans une logique transmissive des savoirs sur la culture cible et sont donc réparties comme suit :
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Architecture (la Sagrada familia, Alhambra, la cathédrale de Notre-Dame du Pilar de Saragosse)
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Art (le flamenco, la Tomatina, Joselito, la jota aragonaise)
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Gastronomie (la paella, la tortilla, le gaspacho)
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Tourisme (les plages de la Catalogne, de l’Andalousie, de Barcelone)
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Traditions (la sieste, le mariage, la colocation)
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Divers (les langues parlées en Espagne, la princesse Leonor d’Espagne)
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2.2. L’identification de soi à travers l’Autre : comparatisme culturel
Une fois les premiers textes exploités, les étudiants s’inscrivent naturellement et instinctivement dans ce que nous appelons le comparatisme culturel et s’adonnent à une démarche contrastive; un concept qui
« …apparaît comme un ensemble de données sociétales, d’habitus sociaux, de valeurs, de coutumes et de représentations culturelles intimement liés à la culture cible qu’il s’agit pour nous de comparer avec la culture source par le biais des textes-supports proposés. » (Courtiollon 1984 : 14)
Le comparatisme se voit donc possible à deux niveaux :
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Faits culturels communs entre les deux cultures : cible et source.
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Faits culturels propres à la culture — cible et inconnues (voilés) de la culture source
2.2.1. La présence des données culturelles communes entre les cultures source et cible
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La gastronomie
La tortilla plus connue sous la désignation « frites omelettes » ce plat, à base de patates frites et des œufs, est le plus apprécié des Algériens, peu coûteux et rassasiant. Nous en avons déjà mangé et nous n’en lasserons jamais.
La paella, ce plat d’origine espagnole, franchit les frontières et atterrit en Algérie (à l’ouest surtout); très bon, mais moins riches en ingrédients. Qui ne connait pas le fameux riz au poulet (on pourrait éventuellement rajouter des petits pois ou des poivrons pour plus de couleurs). Étant donné que la paella est à l’origine le plat des pauvres (réalisé avec tout ce qu’il y a dans sa cuisine), certains pointent du doigt la « Karantika » à base de farine de pois chiche (qui elle aussi d’origine espagnole) et lui attribuent le statut d’équivalent. Très modeste, mais personne ne peut s’en passer.
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L’art
Joselito : cet enfant prodige qui a bercé la jeunesse des Espagnoles (et même celle de beaucoup d’Algériens), certains étudiants évoquent Cheb Anouar qui a commencé à chanter très jeune ou Cheb Hasni, chanteur emblématique du style Rai en Algérie (à l’Ouest)
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Les traditions
La sieste : qui a été instauré en Espagne par le Roi Franco (à la suite de la guerre civile espagnole) pour permettre aux pères de famille de cumuler deux emplois; un dans la journée et l’autre un peu plus tard. Les Espagnoles se sont vues infligées une sieste obligatoire de 2 h/jour/la demi-journée ne commencera pour eux que vers 15/16 h et se terminera aux alentours de 20 h ou 21 h.
Faire la sieste implique une vie nocturne assez mouvementée en Espagne, le diner à des heures tardives, les boutiques qui ne ferment pas tôt, etc. Cette pratique n’est plus obligatoire à partir de 2016, car pour le Premier ministre espagnol, il est grand temps de se réveiller!
Certains étudiants originaires d’Oran s’y retrouvent parfaitement, car Oran (en raison de sa localisation géographique et son Histoire) et Sidi Bel Abbes sont pratiquement les deux villes de l’ouest où la vie continue jusqu’à minuit en été, les familles dinent tard; une réalité inexistante dans le reste du pays (à l’est en l’occurrence)
Le mariage : Le troisième exemple concerne deux traits du mariage espagnol, qui sont le cadeau et la fête en elle-même. En Espagne, il est préférable et très courant de remettre une enveloppe aux mariés leur permettant ainsi de s’offrir ce dont ils ont besoin (pour éviter de leur offrir ce qu’ils ont peut-être déjà). Ce qui se fait de plus en plus chez nous en Algérie.
Pour ce qui est de la cérémonie, les étudiants s’identifient également (notamment ceux de l’ouest), quant à la mixité de cette dernière. La pratique est quasi inexistante dans les villes intérieures et celle de l’extrême est (au caractère conservateur), pas de mariage mixte.
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L’architecture
L’architecture espagnole a fortement influencé la ville d’Oran. Parmi les supports exploités, nous avons présenté la Sagrada Familia cette église de Barcelone et la cathédrale de Notre-Dame du Pilar de Saragosse qui renvoient un style architectural gothique. Le palais de l’Alhambra quant à lui est un chef-d’œuvre de l’architecture arabo-musulmane. À ce niveau, les étudiants évoquent l’empreinte architecturale espagnole qui est présente également à l’Oranie, tels que le Fort de Santa Cruz d’Oran, les Arènes d’Oran, etc.
Les étudiants établissent donc des comparaisons avec l’équivalent dans leurs propres cultures, autrement dit, ils puisent spontanément dans leurs propres modèles et l’exploitent comme grille de compréhension des nombreuses données autour de la vie sociale partagée dans la culture cible.
2.2.2. La présence des données culturelles propres à la culture — cible et inconnues de la culture source
Nous passons à présent au deuxième cas du comparatisme culture, là où les faits n’existent que dans la culture cible. À ce niveau, les faits sont facilement transmissibles, mais font l’objet de plusieurs critiques et discussions et certains étudiants condamnent certains faits.
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L’art
Le flamenco : Le Flamenco qui est issu de la tradition vivante remontant à la plus haute antiquité, repose sur trois éléments : le chant (cante), la danse (baile) et la guitare (toques). Cette danse n’a pas de genre unique, mais il existe des centaines de genres de morceaux différents. Cet art du peuple est constamment influencé par le contexte social dans lequel il tire ses origines.
La tomatina : qui se célèbre le dernier mercredi du mois d’aout est née dans des conditions banales, et est devenue aujourd’hui l’un des festivals touristiques le plus attractif en Espagne et au monde.
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Mode de vie/traditions
La colocation est la location par plusieurs locataires (colocataires; filles et garçons) d’un même logement devenant leur résidence principale. Elle peut prendre la forme d’un bail unique signé par tous les colocataires, ou d’autant de contrats de location qu’il y a de colocataires. Celle-ci fait l’unanimité auprès des étudiants et qui la trouvent étrangère à nos traditions, religions et mœurs.
3. Vers une acceptation de l’Autre dans sa différence
Cette première étape incite les apprenants à « observer, décrire et analyser, voire s’auto-analyser, opérer une distanciation et une décentration, intervenir, agir » (Abdallah — Pretceille, 2003, p. 28)
La comparaison a permis aux étudiants une prise de conscience de la diversité culturelle. Cependant, cette étape n’est certainement pas suffisante pour un processus interculturel complet. Cela n’est possible que si l’apprenant a découvert, compris et surtout accepté sa culture source, car plus il prend conscience des critères de classement de sa propre culture et importante sera la souplesse qu’il développera pour objectiver les principes implicites de division du monde de la culture cible (étrangère). Mettre l’accent sur l’altérité garantit une ouverture sur soi et donc une ouverture sur l’Autre, car pour prétendre à une approche interculturelle il est indispensable de réaliser un passage de la description des cultures à leurs compréhensions.
L’approche interculturelle exige que l’apprenant ne considère pas son système maternel (langue et culture) comme un système de référence universel, qu’il prenne conscience qu’il n’existe pas un seul et unique mode et système d’organisation du monde, mais des systèmes qui coexistent. L’apprenant doit mettre en place un processus qui lui permet d’accepter que tous les systèmes soient égaux et que par conséquent aucune langue ou culture n’est au-dessus d’une autre; il faut tout simplement admettre qu’aucune hiérarchie n’est envisageable, car, « Apprendre une langue étrangère, c’est d’abord apprendre à relativiser son point de vue. » (Vigneron. F, 1994 : 45-53).
Conclusion
Afin de répondre à notre problématique de départ, et afin de réussir la démarche interculturelle, nous pouvons avancer que les supports exploités favorisent une évaluation formative que nous jugeons pertinente à ce stade de la démarche interculturelle. Les apprenants seront capables de repérer les ressemblances et les divergences entre leur (s) culture (s) d’origine et la culture espagnole.
Conscient que la diversité constitue la matrice d’un monde en pleine mutation et que l’altérité permet une reconstruction identitaire, l’enseignant de langue doit, à ce niveau, inscrire ses enseignements dans une logique interculturelle en exploitant des supports qui prennent en charge le volet culturel de la langue. Dans cette même perspective, l’approche interculturelle ne peut être réduite à un catalogue de monuments, d’évènements ou de personnages. Le choix des supports et des objectifs devrait viser à préparer et former l’apprenant de FLE à faire face à une réalité sociale, interculturelle, artistique se rattachant au pays et des locuteurs de la langue — culture cible. Pour le cas de notre programme de la L1, il s’agit d’une familiarisation du public d’enquête avec la culture espagnole et d’une sensibilisation aux substances de la culture - cible en transcendant les clichés et les stéréotypes réducteurs qui l’affabuleraient d’une identité préfabriquée et tronquée. Ainsi l’identité des textes et les supports exploités, en plus de connaître l’Autre, permet un renforcement linguistique du français langue étrangère puisqu’il constitue un lieu où la langue s’exerce, vit et évolue.
L’approche interculturelle en classe de FLE permet une émancipation et un épanouissement de l’apprenant puisqu’elle l’initie à la connaissance, à la reconnaissance, à la tolérance, à l’acceptation et surtout à la prise en conscience de soi et des Autres dans leurs différences. A contrario, renoncer à cette approche didactique donnerait lieu à diverses formes de racisme et de violence.