Introduction
La conversion fulgurante du paysage médiatique et des pratiques journalistiques constitue une réalité incontournable à l’ère numérique. Les avancées technologiques ont engendré une transmutation profonde quant à la production de l’information, sa diffusion et sa consommation. De nos jours, les médias traditionnels se retrouvent confrontés à de nouvelles menaces et engagements provoqués par l’émergence de nouvelles plateformes et méthodes de distribution. Cette évolution instantanée agit non seulement sur le journaliste mais aussi sur le public. Cet article propose d’explorer les divers aspects de cette transformation, en examinant ses implications sur le paysage médiatique global ainsi que sur les pratiques de consommation de l’information. Nous nous interrogeons sur l’interaction du journaliste avec son auditoire et sur l’accès à l’information par ce dernier. Nous essayons également de savoir quels contenus intéressent le plus le consommateur. En analysant ces changements, nous pourrons mieux comprendre les défis et les opportunités auxquels sont confrontés les médias et les professionnels de l’information dans ce nouvel environnement médiatique en constante évolution.
1.Présentation du corpus et méthodologie
Afin d’approfondir notre travail sur le plan méthodologique, nous avons élaboré un questionnaire que nous avons soumis à l’attention de vingt (20) individus, couvrant une tranche d’âge allant de 30 à 60 ans. Ces individus sont subdivisés en deux catégories, à savoir :
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Enseignants
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Retraités
En outre de ces deux catégories, nous avons mené des entretiens avec trois buralistes dans la ville de Sidi Bel Abbes. Le choix de cette démarche vise à obtenir leur perspective sur la situation économique de la presse écrite.
La sélection de ces catégories découle de la réalisation préalable d’autres travaux portant sur les entreprises de la presse écrite en Algérie (Batache, Bouzar, Arkoub, 2021, p. 2)1. Dans le cadre de cette étude, nous avons collecté des données qualitatives et quantitatives dans le but d’appréhender directement les perspectives des lecteurs, des consommateurs de médias et des vendeurs de journaux sur divers aspects du sujet, tels que leurs habitudes de consommation de l’information en ligne ou sous format papier, leurs préférences en termes de contenu (actualités locales, nationales, internationales, éditoriaux) et de format en ligne (articles textuels, vidéos, podcasts2) ainsi que leurs opinions sur les défis auxquels la presse écrite est confrontée actuellement sur le plan économique et intellectuel.
2. Le rôle de la presse écrite dans la société
Avant d’entamer ce point sur le rôle de la presse écrite en Algérie, il serait judicieux de définir et d’expliquer ce concept. Selon Patrick Charaudeau, « La presse est essentiellement une aire scripturale faite de mots, de graphiques, de dessins et parfois d’images fixes sur un support papier. »3 Cet ensemble inscrit ce média dans une tradition écrite caractérisée par un rapport distancié entre celui qui écrit et celui qui lit. Il souligne que la presse, dans sa forme traditionnelle, repose principalement sur l’écriture, représentée par des mots, ainsi que sur des éléments visuels tels que des graphiques, des dessins et parfois des images fixes. L’idée principale est que la presse, en tant qu’entité médiatique, communique principalement à travers le langage écrit et visuel, imprimé sur du papier. Cela met en avant l’importance du support papier dans la transmission de l’information par les médias traditionnels, en insistant sur le rôle central du texte et de l’illustration dans la narration journalistique.
La presse écrite est également connue sous le vocable de « presse papier », englobant divers supports tels que journaux, magazines et revues. C’est le médium médiatique le plus ancien, dont les origines remontent à plusieurs siècles. Son dessein principal réside dans la diffusion d’informations, l’influence sur l’opinion publique et l’instigation du débat démocratique.
Elle se distingue par sa capacité à approfondir l’analyse et à explorer les sujets avec minutie, décryptant les détails et exposant une diversité de perspectives. Ses domaines d’intérêt s’étendent non seulement à la politique, l’économie, la culture et la société, mais également au sport, au divertissement et aux services, incluant l’achat, la vente de biens et la publicité.
Dans son article intitulé « La presse écrite en Algérie : positionnements médiatiques et enjeux linguistiques », Hadj Miliani met en exergue le développement incontestable de la presse écrite et des médias au cours des années 80 et 90. Ces derniers revêtent désormais une importance croissante en tant que vecteurs essentiels de la communication sociale et culturelle4. Toutefois, il souligne que la compétition linguistique entre les organes de presse de même langue, ou entre les périodiques arabophones et francophones, dissimule des considérations prosaïques du marché, en se concentrant uniquement sur les chiffres réels des tirages et en négligeant systématiquement les données relatives aux invendus. Dans cette optique, il fournit des statistiques sur l’essor de la presse privée, qui est passée de 51 titres en 1989 à 291 titres en 2008. Dans une démarche similaire, Belkacem Mostefaoui dresse un bilan précis de la presse privée, soulignant que les données actualisées par le ministère de la communication au 31 mars 2011 témoignent d’une nouvelle progression du nombre de quotidiens, atteignant 51 pour les titres en langue arabe et 44 pour les titres en langue française5.
Batache, Bouzar et Ouali dans « L’industrie de la presse écrite en Algérie : de l’entreprisation au défis de la numérisation », une étude récente en 2021, signalent à leur tour que parmi les attributs inhérents au journal, il convient de distinguer deux valeurs distinctes : une valeur marchande et une valeur sociale. En effet, outre sa vocation commerciale en tant que produit destiné à la vente, le journal remplit également une fonction sociale essentielle, agissant en tant que service d’information et de divertissement au service de la collectivité. Ils ajoutent aussi qu’en raison du contexte économique prévalant en Algérie depuis 2014, la presse écrite, tout comme d’autres moyens médiatiques, connaît une diminution significative de ses revenus.
Il est indéniable que la presse écrite en Algérie se trouve dans une situation précaire, étant confrontée à une menace imminente. Cette menace découle principalement du déclin constaté dans la pratique de la lecture au sein de la société. En effet, avec l’évolution des modes de consommation de l’information et l’avènement des médias numériques, le nombre de lecteurs de journaux imprimés a considérablement diminué. Cette tendance est exacerbée par les difficultés économiques rencontrées par le secteur de la presse écrite, notamment la baisse des revenus publicitaires et la hausse des coûts de production. Ainsi, la presse écrite algérienne est confrontée à un défi majeur pour maintenir sa pertinence et sa viabilité dans un paysage médiatique en évolution rapide.
3. De la presse écrite à la presse numérique
L’émergence d’internet a profondément transformé le paysage médiatique en rendant l’information plus accessible, donnant ainsi une voix à une diversité d’acteurs : producteurs de contenus, journalistes, lecteurs, etc. Il a également favorisé l’accélération du cycle d’actualité quotidienne, tout en suscitant des interrogations profondes quant aux modèles commerciaux traditionnels.
Il est indéniable que l’avènement d’internet a provoqué une expansion considérable de la diversité des sources d’information en un laps de temps remarquablement court. Alors que cet outil d’information assure une mise à jour instantanée et continue sur les événements se déroulant à travers le monde, il est crucial de reconnaître que la lecture d’un journal imprimé ne trouve un écho favorable qu’auprès d’une portion restreinte de la population, principalement parmi les fervents adeptes de lecture. En effet, tandis que l’accès à l’information numérique s’est généralisé, une certaine nostalgie persiste quant à l’expérience sensorielle et immersive qu’offre la manipulation d’un journal physique, réservée à une frange particulière de la société qui valorise la tangibilité et l’authenticité de cette pratique6.
Il convient de remarquer que pratiquement chaque être dispose de connexion, lui permettant ainsi de diffuser des contenus et d’engager des discussions à travers les commentaires par une multitude de sources et de plateformes selon ses intérêts et ses préférences. Cette flexibilité est rendue possible par la multitude d’applications disponibles sur les téléphones, lui permettant ainsi de suivre les événements en temps réel grâce aux notifications. Ainsi se dessine une nouvelle facette de la lecture, axée sur la concision et l’instantanéité7.
Le passage aux médias en ligne a changé la façon dont les médias gagnent de l’argent. Aujourd’hui, ils dépendent largement de la publicité sur internet et des abonnements numériques pour générer des revenus8. Beaucoup de médias traditionnels ont dû changer leur manière de faire pour rester pertinents à l’ère du numérique. Le coût élevé de l’impression et de la publication dans le secteur de la presse traditionnelle est un défi majeur. Les journaux imprimés nécessitent des ressources importantes pour la production, la distribution et la gestion des stocks physiques. Ces coûts peuvent inclure l’achat de papier, d’encre, de presses d’impression, de machines de distribution, ainsi que les salaires des employés impliqués dans chaque étape du processus. En comparaison, la presse numérique élimine bon nombre de ces coûts en permettant la distribution en ligne des contenus sans avoir besoin de supports physiques.
La concurrence des journaux d’information gratuits est également un défi pour la presse écrite traditionnelle. Ces journaux gratuits, souvent distribués dans les grandes villes ou dans des zones à forte densité de population, offrent aux lecteurs un accès gratuit à l’information, généralement financé par la publicité. Pour les lecteurs qui cherchent simplement à obtenir les nouvelles sans avoir à payer pour un abonnement, ces journaux gratuits peuvent constituer une alternative attrayante aux journaux traditionnels payants9.
En conséquence, la presse écrite traditionnelle est confrontée à une baisse des ventes et des revenus publicitaires, car les lecteurs se tournent de plus en plus vers des sources d’information gratuites ou vers des plateformes numériques. Cela crée une pression financière supplémentaire sur les journaux traditionnels, les obligeant à revoir leurs modèles économiques et à trouver des moyens innovants de s’adapter à un paysage médiatique en évolution rapide.
Dans cette perspective, Dominique Greiner met en exergue les répercussions substantielles des évolutions technologiques sur le secteur de l’édition et de la presse. Il souligne que cette transformation engendre une restructuration profonde de l’économie dans son ensemble. En effet, l’avènement de l’économie numérique requiert des investissements considérables, indispensables pour s’adapter aux nouvelles exigences du marché et tirer profit des opportunités offertes par le monde digital.
C’est pourquoi, dans ce contexte, les annonceurs et les agrégateurs se positionnent comme les principaux bénéficiaires de cette dynamique économique. Ces acteurs tirent avantageusement parti des possibilités offertes par le numérique pour promouvoir leurs produits et services, et ainsi étendre leur emprise sur le marché médiatique en mutation.
4. Analyse des données et résultats
À la suite du dépouillement du questionnaire et de l’analyse des réponses obtenues, les données révèlent que l’usage du numérique est devenu une pratique quotidienne, particulièrement adoptée par les jeunes participants à cette étude. Ces derniers soulignent que par souci de commodité et par manque de temps, ils préfèrent télécharger des applications qui leur permettent de rester informés. Ils avancent également que les frais d’abonnement sont nettement moins élevés que pour le format papier, en plus de leur engagement dans les interactions et de leur rôle actif dans la diffusion de l’information en participant aux commentaires et en partageant des contenus. Ce qui paraît plus engageant pour ces jeunes cherchant des nouvelles qui correspondent à leurs centres d’intérêt et à leurs préoccupations personnelles que la lecture passive d’un journal. Ils affirment également privilégier les contenus visuels proposés sur les sites d’actualités, où l’information revêt un attrait illustratif et compréhensible grâce à des éléments tels que les vidéos, les images et les infographies. Dans ce sens, Dominique Greiner dans « La presse écrite face au défi du numérique » souligne que « La presse écrite souffre d’un manque de réactivité, alors que les techniques disponibles (réseau wifi, téléphonie mobile…) permettent à chacun d’être producteur de contenu en apportant un témoignage, en partageant un son, une vidéo, une image.10 »
À travers ces motivations, il est opportun de souligner que l’internet demeure un instrument de diffusion rapide et accessible en temps réel grâce à la mise à jour constante par rapport à la presse écrite qui ne fournit, d’après eux, que des informations datées. Cette comparaison met en lumière la nature dynamique et instantanée de l’internet, qui permet une propagation rapide de l’information à travers divers canaux en ligne. En revanche, la presse écrite est souvent limitée par les contraintes de production, de distribution et de temporalité.
Dominique Greiner ajoute que dans le cadre d’une expérience entamée en 2010 par cinq journalistes de « Libération », ils ont constaté une énorme différence entre les informations traitées par les journalistes et celles mises en avant par Twitter. Ils avancent donc que les réseaux sociaux ne sont pas des médias, mais des canaux de diffusion, les médias produisent l’information, et Twitter la relaie11.
Les participants retraités à cette étude font remarquer que leur motivation à lire des journaux est basée sur un facteur hérité, ayant été initiés à la lecture dès leur jeunesse. Ils ont ainsi développé une préférence pour cette méthode de consommation de l’information. Il convient de souligner qu’à cette époque, ils ne disposaient pas d’alternative comme celles offertes par les nouvelles technologies. Ils perçoivent les journaux comme plus fiables et plus crédibles, car ils sont produits de sources établies et vérifiées.
En réponse à la question « Préféreriez-vous lire le journal imprimé ou consulter les sites d’actualités en ligne ? », certains ont exprimé leur préférence pour la version papier en raison de leur attachement, leur amour pour celle-ci et du désir de discuter de certaines actualités avec leur entourage. D’autres font valoir qu’ils accordent de l’importance à la lecture des textes caricaturaux, des mots croisés, des mots fléchés et aux services fournis tels que les petites annonces, outre la dimension sensorielle appréciée par les personnes âgées, notamment la possibilité de couper les articles et de les conserver.
Certains, ne maîtrisant pas l’outil informatique, expriment également leur préférence pour le format papier en raison de sa tangibilité et de sa familiarité. Ils trouvent que la lecture sur papier est plus confortable que la lecture sur écran d’ordinateur ou de téléphone portable en raison de la taille des caractères et de la mauvaise manipulation.
Dans le cadre de l’entretien mené avec les buralistes et en réponse à la question « Pensez-vous que la presse écrite est menacée par le numérique ? », deux réponses divergentes ont été obtenues. La première affirme tout d’abord que la concurrence des médias en ligne représente un défi majeur pour la presse écrite. Ils ajoutent que grâce à la popularité croissante des médias numériques, les consommateurs sont incités à s’abstenir d’acheter les journaux. Ils suggèrent que l’État devrait prendre des mesures pour contrer cette désaffection en instaurant des « paywalls », comme cela se fait dans de nombreux pays.
La seconde réponse déclare que la jeunesse contemporaine ne possède pas intrinsèquement une culture de la lecture, ce qui explique leur désintérêt pour la presse écrite traditionnelle et leur volonté de changer leur mode de consommation d’informations en fonction de l’évolution de la société contemporaine.
Conclusion
Les modes de vie évoluent et l’essor de l’information numérique prend une ampleur considérable, au détriment de la presse écrite dans notre société, malgré la persistance de quelques inconditionnels attachés au support papier, qui peuvent maintenir cette habitude. Il convient de souligner ici que la diffusion des journaux imprimés risque de diminuer avec le temps et d’entraîner une baisse des revenus publicitaires et des abonnements. Face à cette concurrence féroce des médias en ligne et des plateformes numériques, la presse écrite doit repenser ses modèles économiques afin de s’adapter efficacement à l’ère numérique tout en préservant sa pertinence et son impact dans le paysage médiatique contemporain.