L’émotion est la première raison d’être de l’antéposition. (Blinkenberg 1933 : 54)
Introduction
Dans la majorité des cas, le système linguistique français suit un modèle substantif-adjectif, et les recherches sur l’adjectif (Wilmet, 1980 ; Noailly, 1999 ; Forsgren, 2004 ; Henkel, 2016) montrent un usage largement dominant de la postposition. Cependant, certains contextes permettent à l’adjectif de s’écarter de cet emploi normatif et de changer de position. Le texte journalistique en est un exemple notable. Dans les titres d’articles, les journalistes privilégient souvent l’antéposition de l’adjectif, dérogeant ainsi à la norme. Ce choix ne relève pas d’une règle systématique mais d’une motivation stylistique et expressive.
En effet, l’antéposition de l’adjectif épithète permet de renforcer la composante énonciative du langage. Contrairement à l’ordre normatif, qui atténue la portée subjective, l’antéposition accentue l’émotion, révèle l’état d’âme de l’énonciateur et souligne des aspects comme l’horreur, la gravité, les dégâts ou encore la joie. Ce choix stylistique confère aux titres une charge affective marquée et répond à des objectifs communicatifs spécifiques.
Le corpus de cette étude s’intéresse aux faits divers, notamment aux titres traitant des accidents, des événements insolites et des attentats terroristes. Les données ont été collectées dans la presse francophone (France, Belgique, Algérie), des pays particulièrement touchés par ces événements à certains moments. Le corpus se compose d’une quarantaine de faits divers.
Cet article a pour objectif d’analyser l’impact de l’antéposition de l’adjectif épithète par rapport à sa position habituelle, en postulant que la postposition diminue l’expression émotionnelle de l’énonciateur. L’étude vise à :
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Identifier les principes qui gouvernent le choix de la position de l’adjectif dans l’écriture journalistique.
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Examiner l’effet produit par l’antéposition dans les titres.
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Comparer la présence de l’antéposition entre les titres et le corps des textes.
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Déterminer les "valeurs possibles" de l’antéposition, c’est-à-dire ses implications en termes d’intensité émotionnelle, de mise en avant de l’information et de stylisation journalistique.
Dans un premier temps, nous mettons en lumière les caractéristiques du style journalistique, en insistant sur les effets recherchés dans les titres. Ensuite, nous comparons la position de l’adjectif entre les titres et le corps des textes afin de mieux comprendre la cohérence stylistique. Enfin, nous analysons les valeurs stylistiques et émotives générées par l’antéposition dans les textes étudiés.
1. Le texte journalistique : quelques données
1.1. Faits divers et écriture journalistique
Dans un premier temps, il convient de comprendre que l’article de presse dépasse la simple fonction d’informer sur l’actualité ou de développer une idée dans un cadre restreint. Il joue également un rôle clé dans le processus de communication, particulièrement dans sa dimension rédactionnelle. En journalisme, un article est un texte qui relate un événement, présente des faits ou expose un point de vue, en s’appuyant sur diverses sources, qu’elles soient orales ou écrites.
Dans Le guide de l’écriture journalistique (2005), Martin-Lagardette met en avant que l’écriture journalistique est avant tout une écriture efficace. Elle se distingue par sa capacité à aller à l’essentiel tout en suscitant l’intérêt du lecteur. Il précise que cette écriture constitue un véritable art : celui de choisir le bon angle pour rendre une information significative ou utile tout en la présentant de façon attractive.
Le contact avec le lecteur obéit à des règles précises, inhérentes au style journalistique. Ces règles ne sont pas anodines. En effet, selon la finalité du média – qu’il s’agisse d’informer, de former ou de (dés)orienter l’opinion, ou encore de garantir une viabilité commerciale – l’écriture doit répondre à trois impératifs : une présentation soignée, une accessibilité large et une forte incitation à la lecture. Cette dernière repose souvent sur le choix d’un titre percutant.
En ce qui concerne les faits divers, ce terme désigne des événements du quotidien tels que les accidents, vols, crimes, disparitions, meurtres, catastrophes ou découvertes. Ces événements, regroupés dans une rubrique spécifique, ne relèvent pas d’un genre journalistique particulier et sont souvent perçus comme secondaires. Pourtant, ils font régulièrement la une des journaux en raison de leur capacité à capter l’attention du public.
Selon Barthes (Essais critiques, 1964), le fait divers se distingue par sa nature immédiate et autonome, n’impliquant aucun élément implicite. À ce titre, il se rapproche davantage de la nouvelle ou du conte que du roman. Il soutient également que les faits divers forment une catégorie des "inclassables", un répertoire d’événements qui renvoient à l’histoire, aux peurs et aux rêves de l’humanité. Ainsi, pour Benhamou (1997 : 58), « les faits divers sont universels, intemporels et récurrents par les situations qu’ils retracent ». Cette universalité explique pourquoi les journalistes concentrent leurs efforts sur des titres attractifs, résumant souvent l’événement de manière saisissante dès les premières lignes.
Contrairement aux titres d’articles classiques, qui demandent une lecture approfondie pour être compris, les titres de faits divers condensent l’information en un aperçu direct. Les détails contextuels (réponses aux questions Qui, Quoi, Où, Quand, Comment et Pourquoi) sont ensuite développés dans le corps de l’article. Le titre, dans ce cas, agit comme un appât, jouant sur des ressorts tels que l’effet de surprise, l’insolite ou le mystère.
1.2.L’adjectif épithète : antéposition vs postposition
L’adjectif joue un rôle essentiel dans la structuration du langage. Selon Wilmet (1986), « les adjectifs nous aident à structurer le monde qui nous entoure, ils participent à la détermination nominale et contribuent à l’identification du référent ». Goes (2018 : 591) souligne que l’adjectif modifie le substantif qu’il accompagne, enrichissant ainsi le sens de l’expression. Par exemple, dans l’expression une lumière éclatante, l’adjectif éclatante intensifie et précise la qualité de la lumière.
En français, la position de l’adjectif – avant ou après le substantif – a un impact significatif sur la perception du lecteur. Noailly (1999 : 91) note que l’ordre SA (Substantif + Adjectif) est le plus courant, mais l’inverse (AS) reste répandu. Par exemple, la différence entre une grande maison et une maison grande ne se limite pas à la syntaxe : elle suggère des nuances dans l’intention ou le contexte.
Abeillé et Godard (1999 : 10) précisent que la position de l’adjectif est influencée par des facteurs stylistiques, pragmatiques ou discursifs. L’antéposition, souvent perçue comme plus subjective ou emphatique, peut refléter une intention particulière du locuteur. À l’inverse, la postposition tend à mettre en avant des aspects descriptifs ou factuels. Ainsi, dans l’expression un vieil ami, l’antéposition de vieil accentue la relation personnelle, tandis que dans un ami ancien, la postposition insiste sur la durée passée de l’amitié.
De Vogüé (2009) observe que la tendance à l’antéposition, influencée par l’anglais, se développe dans des contextes spécifiques. Cependant, comme le souligne Fox (2012 : 61), lorsque l’adjectif est antéposé, il perd une partie de son indépendance et s’intègre davantage au substantif. Cette interaction reflète une relation sémantique étroite, souvent exploitée dans des expressions figées ou poétiques (un doux parfum, une belle journée).
Enfin, Nølke (1996 : 48) propose que la focalisation de l’adjectif varie selon sa position. Un adjectif postposé, comme dans un homme généreux, est plus autonome, mettant en lumière sa propre signification, tandis qu’un adjectif antéposé, comme dans un généreux donateur, s’intègre davantage au nom pour former une unité conceptuelle.
2. Titres de faits divers et fonctions de l’antéposition de l’adjectif épithète
En français, bien que la postposition de l’adjectif soit largement majoritaire, les études de Wilmet (1980), Noailly (1999), Forsgren (2004) et Henkel (2016), basées sur divers corpus, révèlent des résultats très contrastés. Ces résultats prennent en compte des facteurs qui dépassent la simple position de l’adjectif par rapport au substantif : les analyses examinent notamment la relativité expressive de l’adjectif, sa nature, son degré, son intensité, sa détermination nominale, son rôle modificateur, et d’autres aspects. Cependant, le corpus de la présente étude montre un phénomène opposé : l’antéposition est massivement dominante dans les titres de faits divers, avec une occurrence de 95 %, soit 38 titres sur 40.
L’antéposition de l’adjectif dans les titres remplit plusieurs fonctions. Ce choix positionnel repose sur certains critères d’efficacité, qui permettent d’ancrer la dimension énonciative, car certains médias misent sur l’émotion pour transmettre l’information. Ainsi, des éléments tels que la gravité de l’événement, sa nature, le public ciblé, l’expressivité de l’adjectif et d’autres critères sont déterminants. Le travail journalistique ne se limite pas à la structuration des titres : il reflète également le choix des adjectifs, lesquels jouent un rôle crucial. Ces adjectifs sont des marqueurs référentiels propres aux techniques de l’écriture journalistique, qui accorde une attention particulière aux titres afin de susciter la curiosité, d’inciter à la lecture, et d’augmenter l’audience ainsi que la vente d’exemplaires. En d’autres termes, cette dimension commerciale constitue, pour certains médias, notamment privés, une source de financement essentielle.
2.1. Antéposition de l’adjectif et fonction anticipatoire
Placer le lecteur au cœur de l’information dès le premier contact relève de la fonction anticipatoire. Celle-ci capte l’attention grâce à des titres qui mettent en exergue l’essence du sujet dès le début, jouant ainsi le rôle d’accroche au sens journalistique.
L’antéposition de l’adjectif permet d’anticiper, de piquer la curiosité et d’accomplir une fonction évocatrice. Ce procédé incite le lecteur ou le téléspectateur à appréhender la situation avant même de connaître les détails du sujet. Cette construction relève de la fonction phatique, qui vise à maintenir le contact et garantir la communication. Par exemple :
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L’étonnante découverte d’une truffe sauvage sur un toit de Paris. (Le Point, 22.12.2017)
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Une étonnante étoile de mer découverte en Normandie. (Actu.fr, 28.10.2015)
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Un étrange dessin sur les nouveaux billets américains. (Wikistrike.com, 21.01.2013)
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La surprenante technique d’un enfant qui se fait gronder. (LINFO.RE, 06.03.2018)
Dans ces exemples, les adjectifs antéposés comme étonnante, étrange et surprenante qualifient les substantifs (découverte, étoile, dessin, technique) tout en provoquant chez le lecteur une réaction émotionnelle, voire une forme de provocation. Selon De Vogüé, « l’antéposition de l’adjectif a parfois pour effet d’être fortement expressive » (2009 : 46).
Dans d’autres cas, pour renforcer l’impact émotionnel, ce n’est pas un adjectif mais un adverbe ou un nom qui occupe cette position, comme dans les exemples suivants :
5. Du sang partout, des cadavres au Bataclan. (Le Monde, 14.11.2015)
6. L’horreur à Paris. (RFI.fr, 14.11.2015)
Dans l’exemple (5), l’adverbe partout intensifie l’idée d’un chaos dramatique. Dans l’exemple (6), le nom horreurremplace l’adjectif et exprime un état de manière frappante, plus que ne le ferait une phrase descriptive classique. Ces constructions relèvent de l’antéposition expressive, particulièrement adaptée aux faits divers radiodiffusés.
Fréquence des adjectifs antéposés dans différents types de titres. Par exemple :
Titre |
Source |
Adjectif antéposé |
Fonction anticipatoire |
L’étonnante découverte d’une truffe sauvage sur un toit de Paris |
Le Point |
Étonnante |
Suscite la curiosité et invite à explorer le sujet |
Une dramatique explosion dans un laboratoire scientifique |
Actu.fr |
Dramatique |
Anticipe un événement grave ou impactant |
L’étrange comportement d’un animal marin découvert en Australie |
National Geographic |
Étrange |
Éveille l'intérêt pour l'inconnu |
Ces exemples permettent de mieux illustrer l'idée selon laquelle l'antéposition capte immédiatement l'attention et joue sur la fonction phatique.
2.2. Antéposition de l’adjectif et fonction exclamative
Dans certains cas, bien qu’elle ne soit pas explicitée par une ponctuation, l’antéposition de l’adjectif peut exprimer une exclamation subjective traduisant une émotion. Dans les exemples suivants, les adjectifs banal et spectaculaire illustrent cette fonction :
11. Un banal accident de la route, et l’homme a perdu pied. (La Dernière Heure, 28.10.2005)
12. Un spectaculaire accident de train a eu lieu hier après-midi près de la gare ferroviaire de Boudouaou. (Le Temps, 24.09.2016)
Dans ces phrases, les adjectifs banal et spectaculaire ne se contentent pas de qualifier les événements ; ils introduisent un jugement de valeur et renforcent l’implication émotionnelle du lecteur. Comme l’écrit Blinkenberg, « l’émotion est la première raison d’être de l’antéposition » (1933 : 54).
De Vogüé précise que « l’antéposition peut agir sur le sémantisme du nom pour en modifier la valeur qualitative » (2009 : 47). Cela montre que l’adjectif antéposé apporte une dimension subjective supplémentaire. Le journaliste devient ainsi un témoin direct et investi de l’événement, ce qui n’est pas le cas lorsque l’adjectif est postposé. Comme Goes l’explique, « le déplacement vers la postposition rend les adjectifs plus prédicatifs et informatifs » (2017 : 36).
Tonalité exclamative des adjectifs dans les titres
Titre |
Adjectif antéposé |
Réaction émotionnelle provoquée |
Un spectaculaire accident de train près de Lyon |
Spectaculaire |
Admiration ou choc face à l'ampleur de l'événement |
Une banale dispute vire au drame |
Banale |
Mise en contraste entre banalité et gravité |
Tableau comparatif des occurrences d’adjectifs antéposés dans des faits-divers
Type d’adjectif |
Occurrences |
Exemples |
Fonction principale |
Émotionnel |
20 |
Étonnant, dramatique, spectaculaire |
Captiver et émouvoir |
Intensif |
12 |
Enorme, incroyable, choquant |
Insister sur l'ampleur de l'événement |
Évaluatif |
6 |
Banale, étrange |
Exprimer un jugement subjectif |
Ce tableau montre clairement comment les adjectifs sont utilisés de manière stratégique pour renforcer l'impact du titre.
2.3. Antéposition de l’adjectif et fonction évaluative
Cette fonction se rapporte aux jugements évaluatifs du sujet vis-à-vis de l’événement décrit. En plus d’informer sur l’état d’une question, le journaliste se positionne en évaluateur dès les premiers mots de son article. À cette fin, il antépose l’adjectif, conférant ainsi une valeur subjective et évaluative au substantif.
Les exemples analysés dans cette section sont issus de différents médias, choisis en fonction de leur pertinence pour illustrer les jugements journalistiques liés à des événements marquants, notamment des attentats terroristes récents. Les extraits retenus sont issus d’articles en langue française publiés par des journaux reconnus (Le Parisien, Humanité.fr, Le Figaro, RTBF) et datent d’événements tragiques ayant généré une forte émotion collective. Les adjectifs étudiés ont été sélectionnés pour leur rôle dans la construction d’un jugement explicitement exprimé.
Les exemples ci-dessous ne sont pas des titres, mais des extraits tirés du corps des articles, où les journalistes évaluent les événements :
(13) C’est une vraie boucherie. Un acte d’une exceptionnelle barbarie. (Le Parisien, 07.01.2015)
(14) Lourds bilans toujours provisoires. (Humanité.fr, 13.11.2015)
(15) C’était une guerre, une vraie guerre. (Le Figaro, 14.11.2015)
(16) Il s’agit de la pire tragédie jamais endurée par le pays depuis la Seconde Guerre mondiale. (Le Figaro, 14.11.2015)
(17) L’attaque marque le début d’une longue et effroyable journée. (RTBF, 22.03.2017)
Dans ces extraits, l’adjectif antéposé n’a pas seulement pour objectif de qualifier le substantif. Il exprime un jugement subjectif en mobilisant :
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des adjectifs de jugement (vrai, exceptionnelle, pire),
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des adjectifs quantitatifs (lourds),
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des adjectifs de mesure (longue),
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des adjectifs d’émotion ou de réaction affective (effroyable).
Par exemple, dans (13), l’adjectif vraie, en position antéposée, renforce la gravité de l’événement en l’associant à une image choquante de carnage. Dans (16), l’adjectif pire confère une intensité émotionnelle marquée et souligne la singularité dramatique de l’événement.
Contrairement à la fonction dramatique (voir infra), la fonction évaluative se concentre sur la transmission d’un jugement moral ou émotionnel explicite, sans chercher nécessairement à accroître l’intensité narrative ou à attirer l’attention par un effet spectaculaire immédiat.
2.4. Antéposition de l’adjectif et fonction dramatique
La fonction dramatique, quant à elle, vise à accentuer l’aspect spectaculaire d’un événement pour capter immédiatement l’attention du lecteur. Ici, l’antéposition de l’adjectif joue un rôle dans la hiérarchisation de l’information, en plaçant l’émotion ou la conséquence avant la cause, souvent dans les titres d’articles.
Les exemples retenus proviennent de titres journalistiques consacrés à des faits divers ou des tragédies marquantes. Les titres ont été choisis en fonction de leur capacité à dramatiser un événement par l’emploi d’adjectifs forts en position antéposée. Les sources incluent des articles publiés par des médias en ligne (Linfodrome.com, Lexpress.fr).
(18) Terreur et frayeur à Anyama : violents affrontements à la machette entre des jeunes (Linfodrome.com, 27.02.2018)
(19) Attentats de Paris : une nuit meurtrière à l’effroyable bilan. (Lexpress.fr, 14.11.2015)
Dans l’exemple (18), l’adjectif violents intensifie le substantif affrontements, ajoutant une dimension visuelle et sensorielle au titre. L’adjectif effroyable dans (19) ne se limite pas à qualifier bilan, mais suscite une réaction émotionnelle forte chez le lecteur.
Alors que la fonction évaluative cherche à exprimer un jugement réfléchi sur un événement, la fonction dramatique s’appuie sur une exagération intentionnelle pour accroître l’impact émotionnel. Par exemple, les adjectifs effroyable et meurtrière dans (19) visent à maximiser l’effet choc, en établissant un lien immédiat avec le lecteur.
L’antéposition de l’adjectif remplit des fonctions discursives variées dans le discours journalistique :
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La fonction évaluative, qui reflète le jugement moral ou émotionnel du journaliste vis-à-vis d’un événement, souvent développé dans le corps de l’article.
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La fonction dramatique, qui privilégie une intensification narrative pour capter l’attention, particulièrement dans les titres.
Ces deux fonctions, bien que parfois superposées, répondent à des logiques discursives distinctes : la première est centrée sur l’évaluation subjective, tandis que la seconde s’inscrit dans une stratégie d’accroche narrative et émotionnelle. L’analyse révèle ainsi comment les choix linguistiques des journalistes participent à la construction d’une narration médiatique influençant la réception des événements par le public.
2.5. Antéposition de l’adjectif et fonction phonostylistique
Cette fonction peut apparaître comme une exception, l’effet phonostylistique se manifestant généralement lorsque des adjectifs, de même ordre phonique, se postposent pour créer un ton ou un rythme.
Dans certains titres, l’ordre des mots ne dépasse pas une description objective de l’état de la chose, correspondant à la valeur de base de l’adjectif postposé. La subjectivité de l’auteur y est minimale. Les exemples suivants illustrent ce phénomène :
20. Handicapé, il est kidnappé, frappé et séquestré. (Ouest-France, 28.11.2016)
21. Un chef d’entreprise enlevé, frappé et enroulé dans du ruban adhésif. (Sud-Ouest, 10.01.2018)
22. Un habitant d’Épernon enlevé, frappé et jeté dans le coffre d’une voiture en pleine ville. (L’Écho Républicain, 29.04.2017)
Dans ces exemples, les adjectifs postposés fournissent des informations sur les actes commis, tandis que le substantif initial (Handicapé, Un chef d’entreprise, Un habitant d’Épernon) introduit le sujet de l’action. Si ces substantifs étaient absents, les titres deviendraient simplement une suite d’adjectifs : Kidnappé, frappé et séquestré pour (20), Enlevé, frappé et enroulé pour (21), etc. Cela déplacerait le sujet au corps de l’article, rompant l’effet de préambule offert par la structure actuelle.
Comme le souligne Noailly (1999), « l’antéposition entraîne une altération sémantique », et selon De Vogüé (2009), « la manipulation d’adjectifs repose sur des motivations sémantiques et phonologiques ». En radiodiffusion, cet effet phonostylistique prend davantage d’impact grâce à la dimension sonore.
2.6. Antéposition de l’adjectif et fonction poétique
L’antéposition de l’adjectif peut conférer une dimension poétique à certains titres de faits divers. Comme l’expliquent Chevalier et Blanche-Benveniste (1987), « l’inversion de l’ordre attendu génère un effet stylistique, dépendant du contexte et de l’adjectif employé ».
L’exemple suivant illustre cette dimension poétique, où l’affectivité s’exprime à travers une série d’adjectifs antéposés :
23. Paris attaqué. Paris pour cible. Paris une nouvelle fois meurtrie — et de quelle sanglante, terrifiante, oppressante manière ! (La Dépêche du Midi, 14.11.2015)
Ici, l’antéposition accentue la subjectivité et l’émotion, en enrichissant les connotations affectives et axiologiques. Lagane (2011) précise que « l’antéposition est un trait littéraire qui ajoute une nuance affective ». Ce procédé permet également d’introduire une perspective individuelle, marquant le style poétique d’un titre.
Malgré la brièveté des titres, cet effet poétique peut être prolongé dans le corps de l’article, où d’autres structures linguistiques amplifient la connotation. En ce sens, l’antéposition contribue à un choix esthétique, où le style poétique trouve sa place au sein même de la syntaxe.
Conclusion
L’antéposition de l’adjectif dans les titres de faits divers joue un rôle central dans l’émotion et l’attention qu’ils suscitent. Ce choix syntaxique, souvent en rupture avec la norme, souligne la subjectivité de l’auteur et la fonction manipulative des titres.
Bien que la postposition soit la norme en français, 38 titres sur 40 de ce corpus inversent l’ordre habituel. L’antéposition, qui débute par une qualification marquante, attire l’attention du lecteur et favorise un lien affectif.
Dans le corps de l’article, l’ordre substantif-adjectif est rétabli, soulignant que l’antéposition sert spécifiquement à capter l’intérêt en titre. Les faits insolites encouragent cette inversion, tandis que des thèmes réalistes privilégient la postposition pour une neutralité énonciative.
Ainsi, l’antéposition dépasse une simple variation syntaxique pour devenir un choix stylistique et subjectif, permettant de multiplier les fonctions des titres : émotionnelle, évaluative, dramatique, poétique et démarcative.