Islam et rhétorique politique en Algérie: légitimité et argumentation

الإسلام والبلاغة السياسية في الجزائر: الشرعية والحجة

Islam and Political Rhetoric in Algeria: Legitimacy and Argumentation

Lamia Karrah

p. 205-223

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Lamia Karrah, « Islam et rhétorique politique en Algérie: légitimité et argumentation », Aleph, 205-223.

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Lamia Karrah, « Islam et rhétorique politique en Algérie: légitimité et argumentation », Aleph [En ligne], mis en ligne le 25 décembre 2025, consulté le 29 décembre 2025. URL : https://aleph.edinum.org/15699

Le discours politique se présente comme un système de pensée porteur de références idéologiques, tout en étant un acte de communication visant à convaincre, à agir et à obtenir l’adhésion, en utilisant différentes stratégies. Il constitue un champ de bataille symbolique où se livrent des luttes pour la domination ou la conciliation.

Les motivations d’ordre politique et sécuritaire, notamment la nécessité de mettre fin au terrorisme et à ses ravages, qui ciblent la population et les infrastructures en Algérie, ont donné naissance à la politique de «Réconciliation nationale», promue par le président algérien Abdelaziz Bouteflika. Ce projet est devenu une thématique récurrente dans ses discours présidentiels et a été soumis au peuple algérien par référendum.

Dans ses discours, le président Bouteflika a souvent recours au discours religieux pour renforcer ses arguments et donner davantage de crédibilité à ses propos, en établissant un lien entre le projet de charte de réconciliation nationale et les principes de l’Islam, notamment en citant des versets coraniques et des traditions prophétiques. Ces discours interviennent dans un contexte socio-politique marqué par une réelle confusion, où le président tente de sortir le pays de ce qu’on appelle la «décennie noire», tout en faisant face à l’opposition de ceux qui ont souffert des conséquences de cette période. Entre opposants et partisans du projet de loi, la mission du président consiste à trouver une formule d’union nationale, d’où son recours au discours religieux.

La «Réconciliation nationale» est devenue une thématique récurrente dans les discours du président algérien, marqués par un rappel de la situation critique du pays et de sa volonté de le sortir de cette crise, tout en mettant fin à la division sociale.

الخطاب السياسي يظهر كنظام للأفكار يحمل مراجعات أيديولوجية، بينما يعتبر فعلاً اتصالياً يهدف إلى إقناع الآخرين، والتحرك والحصول على التأييد باستخدام استراتيجيات مختلفة. إنه يشكل ساحة معركة رمزية حيث يدور صراع للسيطرة أو التوفيق.

الدوافع السياسية والأمنية، وخاصة ضرورة وضع حد للإرهاب والدمار الموجه للسكان والبنية التحتية في الجزائر، أدت إلى ظهور سياسة "المصالحة الوطنية"، التي دعا إليها الرئيس الجزائري عبد العزيز بوتفليقة. أصبح هذا المشروع موضوعاً متكرراً في خطاباته الرئاسية وقدم للشعب الجزائري عن طريق الاستفتاء.

في خطاباته، يلجأ الرئيس بوتفليقة غالباً إلى الخطاب الديني لتعزيز حججه ومنح مزيد من المصداقية لمقترحاته من خلال إقامة رابط بين مشروع ميثاق المصالحة الوطنية ومبادئ الإسلام، بما في ذلك استشهاده بآيات من القرآن الكريم والتقاليد النبوية. تأتي هذه الخطب في سياق اجتماعي وسياسي مميز بالارتباك الحقيقي، حيث يحاول الرئيس إخراج البلاد من ما يُعرف بـ "العقدة السوداء"، وفي الوقت نفسه يواجه المعارضة من الذين عانوا من عواقب هذه الفترة. بين المعارضين وأنصار مشروع القانون، يتمثل مهمة الرئيس في العثور على صيغة للوحدة الوطنية، ولذلك فإنه يلجأ إلى الخطاب الديني.

أصبحت "المصالحة الوطنية" موضوعاً متكرراً في خطابات الرئيس الجزائري، مما يؤكد على تذكير البلاد بالوضع الحرج وإرادته في إخراجها من هذه الأزمة، مع وضع حد للانقسام الاجتماعي.

Political discourse presents itself as a system of thought carrying ideological references, while also an act of communication aimed at convincing, acting, and obtaining adherence through various strategies. It constitutes a symbolic battlefield where struggles for domination or conciliation take place.

Political and security motivations, particularly the necessity to put an end to terrorism and its ravages targeting the population and infrastructure in Algeria, gave rise to the policy of “National Reconciliation,” promoted by Algerian President Abdelaziz Bouteflika. This project has become a recurrent theme in his presidential speeches and was presented to the Algerian people through a referendum.

In his speeches, President Bouteflika often resorts to religious discourse to reinforce his arguments and lend his proposals greater credibility by establishing a connection between the National Reconciliation charter project and the principles of Islam, citing Quranic verses and prophetic traditions. These speeches take place in a socio-political context marked by real confusion, where the president seeks to pull the country out of what is known as the “dark decade,” while facing opposition from those who suffered its consequences. Between opponents and supporters of the bill, the president’s mission is to find a formula for national unity, hence his recourse to religious discourse.

“National Reconciliation” has become a recurrent theme in the speeches of the Algerian president, emphasizing the reminder of the country’s critical situation and his will to lead it out of this crisis, while putting an end to social division.

Introduction

Le discours politique, tel que l’analyse Ruth Amossy, s’inscrit dans une démarche argumentative visant à persuader un auditoire d’adopter une position particulière, tout en agissant sur ses perceptions et ses émotions. En ce sens, le discours politique ne se limite pas à une simple transmission d’idées; il engage une dynamique complexe d’influence susceptible de transformer les opinions, attitudes et comportements des individus. Cette capacité de persuasion s’étend au-delà des seules dimensions rationnelles, en touchant aux représentations collectives et à l’ordre social dans son ensemble. Le discours politique, comme le souligne Bronckart, constitue un instrument privilégié d’intervention dans le débat public, destiné à influencer les décisions d’un groupe en le convainquant de la validité d’une position politique face à un enjeu donné. Ainsi, le langage politique n’est pas seulement un moyen d’expression, mais aussi un vecteur d’action et de transformation sociale.

Dans le cadre de cette étude, nous nous proposons d’examiner les discours du président algérien Abdelaziz Bouteflika sur le projet de réconciliation nationale, un programme phare de son mandat. Cette réconciliation intervient dans un contexte post-guerre civile, où l’Algérie, marquée par une décennie de violences et de dévastation, cherche à sortir du cycle du terrorisme et des conflits internes. En 1999, année de son élection à la présidence, Bouteflika hérite d’un pays en proie à l’instabilité politique et sécuritaire. Son programme, centré sur le rétablissement de la paix et de la sécurité, constitue une réponse à la nécessité de reconstruire les fondements d’une société algérienne profondément ébranlée. Dans cette optique, le président a lancé le projet de la « Charte pour la paix et la réconciliation nationale », visant à pacifier le pays et à instaurer une période de réconciliation après les années de violence.

Le processus de réconciliation nationale s’est inscrit dans une logique pragmatique de consolidation de la paix, apparaissant comme une solution de dernier recours dans un contexte de fragilité institutionnelle. Cette politique s’est rapidement imposée comme un thème récurrent dans les discours de Bouteflika et a été soumise à la validation du peuple algérien par référendum. Pour en assurer l’adhésion, Bouteflika a déployé un éventail de stratégies discursives sophistiquées, en mobilisant non seulement des arguments politiques et sociaux, mais aussi des ressorts de nature religieuse. Il a en effet utilisé des citations coraniques, des hadiths et un vocabulaire propre à la culture islamique pour légitimer ses propos et instaurer un climat de confiance auprès de ses concitoyens, afin de renforcer la légitimité morale de son initiative.

Face à cette prédominance du discours présidentiel, il est légitime de se questionner sur les mécanismes de persuasion qu’il mobilise, ainsi que sur l’influence qu’il exerce sur l’opinion publique. Dès lors, cette analyse interroge le rôle structurant du discours politique dans la construction d’une narration collective et la formation d’un consensus social autour de projets politiques d’envergure nationale.

1. Pertinence du corpus et cadre méthodologique

L’analyse du discours constitue l’approche méthodologique centrale de notre étude, car elle permet d’examiner les discours présidentiels en tant qu’actes de langage ancrés dans des contextes sociaux et politiques spécifiques. Selon la conceptualisation de D.Maingueneau, l’analyse du discours ne se limite pas à l’étude de structures linguistiques isolées, mais s’efforce de saisir l’articulation dynamique entre l’énonciation et son contexte social, qui comprend les interactions intertextuelles, les rapports de pouvoir et les enjeux idéologiques présents. Cette perspective permet d’examiner la manière dont le discours présidentiel s’inscrit dans un réseau complexe d’interactions sociales et d’interdiscours, où les discours antérieurs et contemporains sont réactualisés, réinterprétés et mobilisés pour façonner un discours politique cohérent et, surtout, persuasif.

Le discours présidentiel, tel que nous le concevons, est un produit élaboré, fruit d’une articulation entre l’intention énonciative du locuteur et les paramètres contextuels, discursifs et institutionnels qui influencent sa production. Ce dernier se construit à travers une série de stratégies discursives et argumentatives dont l’objectif principal est de susciter l’adhésion du public à des propositions politiques spécifiques. Dès lors, notre analyse se concentre sur l’identification et l’examen minutieux des différentes stratégies persuasives employées dans les discours présidentiels de la campagne référendaire de 2005, afin d’en comprendre l’efficacité dans la construction du consensus autour de la réconciliation nationale en Algérie.

En ce qui concerne le choix du corpus[1], bien que daté de 2005, il demeure pertinent pour plusieurs raisons. D’abord, la nature des stratégies rhétoriques, des mécanismes de persuasion et des thématiques politiques abordées dans ces discours, bien que caractéristiques d’une époque précise, demeure d’une grande pertinence pour l’analyse du discours politique contemporain. En effet, ces techniques discursives, qui relèvent des formes classiques de persuasion, continuent de structurer les discours politiques actuels et peuvent servir de référence pour l’étude des dynamiques discursives dans un contexte de transition politique.

De plus, le corpus choisi revêt une importance historique et sociopolitique majeure. La campagne référendaire de 2005, en Algérie, articulée autour de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, constitue un tournant décisif dans le processus de transition post-conflit du pays. Analyser les discours qui ont accompagné cette campagne permet d’identifier les enjeux sous-jacents à la réconciliation nationale, mais aussi de saisir les tensions, les débats idéologiques et les stratégies de légitimation mobilisées dans un contexte de sortie de la guerre civile. Dès lors, l’étude de ce corpus n’est pas seulement justifiée par sa pertinence pour l’analyse du discours politique en tant que tel, mais également par son apport essentiel à la compréhension des dynamiques politiques et sociales qui ont façonné l’Algérie de l’après-conflit.

Enfin, l’analyse de discours passés, bien qu’ancrée dans un contexte historique précis, s’avère une démarche féconde pour établir des comparaisons avec les discours contemporains. En identifiant les continuums et ruptures dans les stratégies discursives, nous pourrons mieux comprendre les évolutions du discours politique en Algérie, notamment au regard des thèmes, des pratiques rhétoriques et des techniques de persuasion au fil du temps.

2. Persuasion, recours à l’interdiscours et au préconstruit

2.1. L’interdiscours: une dimension centrale du discours politique

L’interdiscours désigne les relations de résonance, de reprise ou de confrontation entre un discours donné et d’autres discours antérieurs ou contemporains. Comme le souligne Maingueneau, « l’interdiscours prime le discours », ce qui signifie que tout discours est irrémédiablement inscrit dans une chaîne d’interactions discursives où l’énonciateur ne se positionne pas comme le créateur absolu de son discours, mais comme un acteur qui s’inscrit dans une tradition discursive plus large, influencé par les discours qui l’ont précédé et ceux qui l’entourent. Dans cette perspective, l’énonciation se conçoit comme un processus dynamique d’intégration et de réactualisation de discours antérieurs, ce qui confère au discours politique un caractère relationnel et contextuel.

Dans le cadre de notre analyse, nous constatons que le discours de Bouteflika repose systématiquement sur des références à des discours antérieurs, qu’il mobilise pour établir la continuité de son projet politique. Par exemple, dans le discours « Discours à propos de la réconciliation nationale » (Conférence des cadres, Alger, 14 août 2005), Bouteflika rappelle une déclaration antérieure faite à l’occasion de l’anniversaire de l’indépendance nationale. Cette référence explicite à une déclaration passée renforce la cohérence et la légitimité de ses positions, tout en établissant un lien temporel entre le passé et le présent. Cette réactivation des discours précédents permet à Bouteflika de consolider son autorité en réaffirmant la constance de ses engagements tout en préparant son auditoire à de nouvelles annonces politiques.

Un exemple concret issu du corpus illustre cette stratégie. Dans le discours « Discours à propos de la réconciliation nationale » (Conférence des cadres, Alger, 14 août 2005), Bouteflika mentionne:

« La veille du 43e anniversaire de notre indépendance nationale, j’avais annoncé que le peuple algérien serait bientôt appelé à se prononcer lui-même sur la réconciliation nationale ».

Par cette reprise d’une déclaration antérieure, Bouteflika instaure une forme de continuité narrative reliant les événements passés à l’action politique présente. L’ancrage de cette annonce dans un moment symbolique majeur, tel que l’anniversaire de l’indépendance nationale, renforce la pertinence de l’initiative de réconciliation nationale en la positionnant comme une étape naturelle du processus de construction nationale. L’auditoire est ainsi amené à percevoir cette réconciliation non seulement comme une nécessité sociale, mais aussi comme une évolution logique et légitime du projet politique algérien depuis l’indépendance.

2.2. Le Recours au discours religieux: légitimation et mobilisation symbolique

Parallèlement à l’interdiscours, une autre stratégie de persuasion essentielle dans le discours politique de Bouteflika réside dans le recours au discours religieux. L’utilisation de références religieuses dans un contexte politique vise à établir un lien entre les principes du projet politique et les valeurs fondamentales d’une société donnée, ici celles de l’Islam. Dans le cas de Bouteflika, cette mobilisation de la religion vise à renforcer la légitimité morale de son discours en l’inscrivant dans un cadre religieux auquel adhère largement la population.

L’exemple le plus significatif de cette stratégie apparaît dans le discours prononcé à Blida à l’occasion de l’ouverture de l’année scolaire 2005‑2006, où Bouteflika cite des versets coraniques pour établir un parallèle entre les principes de la réconciliation nationale et les enseignements de l’Islam. En particulier, les citations des versets de la sourate El Hujurat (verset 10) et de la sourate Al Qassas (verset 56) témoignent de sa volonté de légitimer son projet politique en s’appuyant sur l’autorité morale des textes sacrés. Ces références permettent non seulement de renforcer l’adhésion de l’auditoire musulman en mobilisant des valeurs partagées de fraternité, de droiture et de miséricorde, mais elles ont aussi pour fonction de présenter la réconciliation nationale comme une démarche conforme aux préceptes de l’Islam.

L’usage de ces versets comme arguments d’autorité a un double effet persuasif: d’une part, il cherche à instaurer un lien affectif et spirituel avec les croyants, en les engageant émotionnellement dans la politique de réconciliation; d’autre part, il cherche à inscrire cette politique dans une légitimité divine, présentée comme indiscutable. En s’appuyant sur l’autorité des textes sacrés, Bouteflika non seulement légitime son action politique, mais intègre aussi son discours dans un cadre moral plus large, qui dépasse les seules préoccupations politiques et institutionnelles.

Un extrait du discours du Président Abdelaziz Bouteflika à l’occasion de la rentrée scolaire 2005‑2006 (Blida, 10 septembre 2005) illustre clairement cette stratégie: « Et dans la sourate El Hujurat, verset 10, Allah dit: “Les croyants sont frères, alors réconciliez vos frères” ».

En citant ce verset, Bouteflika établit une connexion explicite entre les principes de réconciliation au sein de la société algérienne et les enseignements coraniques, insistant sur l’impératif moral de la réconciliation au sein de la communauté musulmane. Cette référence vise à inscrire le projet politique dans une dimension religieuse et, par là, à solidifier sa légitimité auprès d’un public qui perçoit la religion comme un référent fondamental dans sa vie quotidienne.

Dans cette analyse, nous avons démontré que la persuasion dans le discours politique de Bouteflika repose sur une habile mobilisation de l’interdiscours et des ressources symboliques du discours religieux. Le recours à des éléments discursifs préexistants, notamment en réactivant des déclarations passées et en s’appuyant sur des versets coraniques, permet à Bouteflika de construire une légitimité à la fois historique et spirituelle. Ces stratégies visent à renforcer l’adhésion de l’auditoire en établissant des liens émotionnels et intellectuels, tout en inscrivant son projet de réconciliation nationale dans des cadres de référence largement partagés par la société algérienne. Le discours politique, loin de se limiter à une simple démarche argumentative, devient ainsi un espace où les dimensions sociales, culturelles et religieuses se rejoignent pour façonner un message à la fois légitime, persuasif et mobilisateur.

3. Stratégies rhétoriques de légitimation dans les discours de Bouteflika

3.1. Légitimation par les valeurs religieuses et culturelles dans le discours de Bouteflika

Les discours prononcés à l’occasion de la fête de l’indépendance et de la jeunesse, le dimanche 3 juillet 2005, et de l’ouverture de l’année scolaire 2005‑2006, d’Abdelaziz Bouteflika illustrent de manière exemplaire les stratégies rhétoriques sophistiquées qu’il mobilise pour renforcer la persuasion dans son discours politique. À travers l’intégration de références historiques et religieuses, Bouteflika cherche non seulement à légitimer son action politique, mais aussi à susciter une adhésion émotionnelle et intellectuelle au sein de son auditoire. Ces procédés attestent de la centralité du contexte socio-culturel dans la construction de la persuasion rhétorique, où l’articulation entre le politique et le religieux constitue un levier majeur de légitimité.

3.1.1. Les références religieuses comme argument d’autorité

Dans les discours analysés, Bouteflika adopte une stratégie rhétorique fondée sur l’invocation de références religieuses, afin de renforcer la légitimité de ses propositions politiques. Cette approche repose sur l’argument d’autorité, un mécanisme logique et rhétorique où l’orateur fait appel à une source jugée incontestable et légitime, telle que la parole divine, pour soutenir ses positions. En insérant des citations coraniques et des principes religieux dans son discours, Bouteflika tente de construire une relation de congruence entre ses propositions politiques et les préceptes de l’Islam. Selon les théories de l’argumentation, notamment celles développées par Plantin (2004), l’invocation de l’autorité divine dans un discours politique est un moyen de rendre les propositions irréfutables et d’asseoir l’orateur dans une posture de crédibilité incontestée.

À travers cette démarche, Bouteflika se positionne comme un leader pieux et moralement irréprochable, ancrant son autorité non seulement dans ses compétences politiques, mais aussi dans son adhésion publique à des valeurs religieuses partagées. Dans le contexte d’une Algérie profondément imprégnée de religiosité, cette dynamique de rapprochement entre la politique et la religion permet de tisser un lien affectif et intellectuel fort entre l’orateur et son public. En intégrant des termes religieux, l’orateur cherche également à exercer une pression symbolique sur ses opposants, en mobilisant un référent culturel sacré pour discréditer toute opposition qui ne se conformerait pas à ces valeurs.

3.1.2. L’ancrage moral dans la culture et les valeurs algériennes

Loin de se limiter à la simple évocation des principes religieux, Bouteflika déploie également une stratégie de contextualisation culturelle, inscrivant ses propositions dans un cadre moral et social largement accepté au sein de la société algérienne. Par l’usage de termes tels que « solidarité », « ouverture » et « pardon », il cherche à montrer que ses idées sont compatibles avec les valeurs fondamentales de la culture algérienne, en particulier celles liées à l’Islam, considéré comme un ciment de l’unité nationale.

Cette démarche s’inscrit dans une approche de consolidation de l’identité collective, dans laquelle les valeurs religieuses ne sont pas seulement instrumentalisées pour renforcer l’autorité politique, mais aussi pour réactiver les liens sociaux et culturels. L’Islam, en tant que moteur d’unité nationale, est ainsi présenté comme un vecteur de progrès et de tolérance, tout en soulignant l’adhésion à une tradition qui, selon Bouteflika, incarne la grandeur historique et morale du peuple algérien. Ce discours réactive également une lecture de l’histoire nationale selon laquelle la religion, au-delà de sa dimension spirituelle, devient un facteur structurant du tissu social et politique du pays.

3.1.3. La réciprocité énonciative: effacement derrière la voix divine

Une autre dimension significative du discours de Bouteflika réside dans son recours à la doublure énonciative, qui consiste à se placer sous l’autorité d’une instance supérieure, ici la parole divine, afin de renforcer la légitimité du discours. Cette stratégie permet à Bouteflika de se présenter comme un porte-parole de la volonté divine, qui, en s’effaçant derrière des versets coraniques, cherche à minimiser l’impact de sa propre subjectivité au profit de l’incontournabilité morale des messages transmis.

Ce procédé permet d’instaurer un rapport de confiance entre l’orateur et son public, non seulement en légitimant ses idées en les associant à des références religieuses universellement respectées, mais aussi en surpassant la critique politique en se présentant comme un simple vecteur de la volonté divine. L’intention sous-jacente est de susciter une adhésion émotionnelle et une approbation intellectuelle qui dépasse la seule sphère politique, s’ancrant dans des fondements religieux et éthiques indiscutables. La présentation du discours comme émanant d’une volonté supérieure tend à renforcer l’unité nationale en orientant l’ensemble des débats politiques vers des valeurs supérieures et collectivement partagées.

Le passage extrait du discours prononcé à Skikda le samedi 20 août 2005 lors du colloque national sur l’offensive du 20 août 1955

« J’ai aussi investi toute la force de mes convictions pour élaborer cette plate-forme qui remet à l’honneur les valeurs qui ont fait la grandeur de notre peuple. Et tout d’abord, respecter le caractère sacré de la vie humaine, réintroduire dans nos mœurs la pratique du pardon, ainsi que celles du dialogue, de l’ouverture, de l’entraide et de la solidarité. Ces valeurs sont celles-là mêmes que porte l’Islam, qui a été et demeure source d’inspiration, de tolérance et de progrès, et le ciment de l’unité du peuple algérien, son rempart contre toutes les tentatives d’aliénation. »

Il est ainsi possible d’approfondir l’analyse des stratégies rhétoriques à travers l’usage des figures de style et du champ lexical religieux. L’utilisation d’une structure parallèle, où les valeurs, telles que « respect de la vie humaine », « pardon », « dialogue » et « solidarité », sont énumérées, confère à l’énoncé une puissance persuasive. Ce parallélisme structurel, à la fois stylistique et cognitif, vise à renforcer, chez l’auditoire, l’assimilation de chacune de ces valeurs, tout en leur conférant un poids moral accru.

L’association explicite entre ces valeurs et l’islam est une manœuvre rhétorique visant à établir une relation de réciprocité entre le politique et le religieux. En proclamant que l’Islam est à la fois une source d’inspiration et un ciment de l’unité nationale, Bouteflika cherche à incarner la continuité entre son projet politique et les traditions spirituelles de son peuple, consolidant ainsi sa légitimité tant sur le plan politique que moral. Cette argumentation circulaire, dans laquelle l’Islam devient à la fois un argument et un principe fondateur de l’unité nationale, accroît la cohérence du discours et le rend difficilement attaquable.

3.2. Une stratégie rhétorique complexe de légitimation politique

3.2.1. La légitimation par la réconciliation et la construction de la confiance

Dans le cadre de la réconciliation nationale, Abdelaziz Bouteflika a déployé une stratégie rhétorique fondée sur l’appel à des valeurs religieuses et culturelles profondément ancrées dans l’identité collective de la société algérienne. L’objectif principal de cette stratégie était de légitimer son projet politique en ancrant ses discours dans un cadre moral et éthique largement partagé par son auditoire. À travers l’invocation de la réconciliation, le président a cherché à renforcer la confiance du peuple en ses propositions, tout en illustrant son action par des principes universels, tels que le pardon et la tolérance, issus tant de l’Islam que du patrimoine culturel national. Ces valeurs ne sont pas seulement des éléments de persuasion, mais aussi des instruments de consolidation du lien social et de la cohésion nationale, visant à rétablir un climat de paix après une décennie de violence. La réconciliation devient ainsi un outil de légitimation non seulement politique, mais aussi morale, inscrivant l’action de Bouteflika dans une continuité éthique qui dépasse les enjeux immédiats de gouvernance pour toucher aux fondements mêmes de la société algérienne. Cette approche contribue à l’établissement d’une relation de confiance entre le pouvoir et les citoyens, tout en affirmant un projet de nation réconciliée, résolue à surmonter ses divisions passées.

L’analyse des discours de Bouteflika révèle l’habile usage de références religieuses et historiques comme stratégies rhétoriques pour légitimer son action politique. Loin de se limiter à un simple recours au religieux, ces stratégies s’inscrivent dans une démarche plus large visant à ancrer ses propositions dans un cadre moral, culturel et historique partagé par l’auditoire. À travers l’argument d’autorité, l’appel à des valeurs religieuses universellement reconnues et l’effacement de sa propre subjectivité au profit d’une voix divine, Bouteflika construit une légitimité qui dépasse les seules dimensions politiques pour toucher aux profondeurs éthiques et identitaires de la société algérienne. Cette démarche rhétorique permet ainsi à l’orateur de renforcer son pouvoir politique tout en consolidant son rôle de garde-fou moral et spirituel de la nation.

Dans le processus de formulation et de défense de la charte de la réconciliation nationale, Abdelaziz Bouteflika a fait un usage stratégique des valeurs et des principes de l’Islam, tout en s’appuyant sur le patrimoine culturel algérien, un héritage riche en valeurs humaines, telles que le pardon, la tolérance, la sagesse, la loyauté et l’honnêteté. Cette mobilisation des références religieuses et culturelles vise à structurer un discours politique cohérent et persuasif, en alignant ses propositions sur des valeurs profondément enracinées dans la société algérienne. L’objectif sous-jacent de cette stratégie est de légitimer politiquement son projet en l’ancrant dans un cadre moral et culturel qui mobilise la conscience collective du peuple.

3.2.2. Amplification: renforcement argumentatif par répétition

Dans les extraits cités, Bouteflika met en œuvre une stratégie d’amplification qui consiste à répéter et reformuler certains éléments afin de renforcer l’impact de son argumentation. Cette tactique, en insistant sur les valeurs de la réconciliation, telles que le pardon et la tolérance, permet non seulement de souligner leur importance dans le processus de réconciliation nationale, mais aussi de cadrer la réalité politique dans des termes qui résonnent avec les aspirations morales et spirituelles de son auditoire.

L’amplification, en tant que technique rhétorique, vise à maximiser l’effet persuasif en exposant un argument sous différentes formes, afin d’en accroître l’efficacité. Cela permet à Bouteflika de créer une résonance émotionnelle auprès de son public tout en établissant une continuité idéologique entre son discours et les valeurs partagées. Cette démarche rejoint les travaux d’Aristote sur la rhétorique, qui soulignent l’importance de la répétition et de la reformulation pour rendre un argument plus convaincant.

3.2.3. Instrumentalisation des valeurs culturelles et religieuses comme levier de légitimité

Les valeurs jouent un rôle fondamental dans la structuration des interactions sociales et constituent des éléments constitutifs de l’identité collective. (Jean-Paul Breton) Dans le contexte algérien, où la religion et la culture occupent une place centrale, Bouteflika mobilise ces valeurs comme éléments de légitimation pour renforcer la crédibilité de son discours. En soulignant des principes éthiques partagés, tels que la non-violence et la tolérance, il ancre ses propositions politiques dans un cadre moralement acceptable pour son public, tout en mettant en avant les principes fondamentaux de l’Islam.

L’Islam, en tant que système de valeurs universelles et immuables, devient ainsi un instrument de rationalisation et de justification morale des choix politiques du président. En évoquant des préceptes islamiques issus du Coran et du Hadith, Bouteflika tente de recontextualiser la réalité sociale en fonction de références religieuses partagées, créant ainsi une intégration entre le politique et le religieux qui renforce la légitimité de son discours.

3.2.4. Le pardon comme principe éthique suprême

L’insistance sur la pratique du pardon dans le discours de Bouteflika témoigne d’un usage stratégique des valeurs religieuses et morales pour renforcer l’appel à la réconciliation. En s’appuyant sur les enseignements du Coran et du Hadith, il met en avant l’idée que le pardon est une valeur suprême, qui transcende les conflits et permet de restaurer la paix au sein de la société algérienne. Cette valorisation du pardon, en tant que principe moral, fait écho à la figure divine de Dieu, qui, selon le discours islamique, est le premier à pardonner. Par cette analogie, Bouteflika cherche à légitimer la réconciliation nationale en la plaçant sous l’égide d’une valeur religieuse fondamentale.

Cette démarche relève d’une rationalisation morale, dans laquelle le recours à des valeurs éthiques partagées vise à faciliter l’adhésion de l’auditoire. En suivant l’exemple divin, les citoyens algériens sont invités à réconcilier leurs différends au nom de principes religieux et moraux universels. En ce sens, Bouteflika instrumentalise la dimension spirituelle de la réconciliation pour légitimer son projet politique.

3.2.5. L’usage du « nous » dans la construction de l’identité collective

Une autre dimension intéressante du discours de Bouteflika réside dans l’utilisation stratégique du pronom « nous ». L’emploi de ce pronom, à la fois inclusif et collectif, vise à créer un sentiment d’appartenance partagée entre le président et son public. Cette utilisation du « nous » anticipe l’adhésion de l’auditoire en le faisant complice de la mission politique de réconciliation, tout en soulignant l’existence d’une identité commune fondée sur des valeurs partagées.

Ce procédé rhétorique contribue à créer une solidarité collective autour des objectifs du discours, en mobilisant la mémoire collective et les symboles culturels partagés, notamment ceux liés à l’histoire et à la religion. Le « nous » politique se définit ainsi comme une communauté unie non seulement par la culture et la religion, mais aussi par un engagement commun en faveur de la réconciliation et de la reconstruction nationale. Cette stratégie rejoint les théories de la construction identitaire formulées par des auteurs tels que Benedict Anderson, qui soutiennent que l’identité nationale est souvent construite à travers des narrations collectives mobilisant des symboles et des valeurs partagés.

En conclusion, l’analyse des discours de Bouteflika montre l’habileté avec laquelle il a mobilisé les valeurs religieuses et culturelles pour renforcer la légitimité de son discours politique et convaincre son auditoire de la justesse de ses propositions. En s’appuyant sur des arguments éthiques et en mobilisant des valeurs partagées, Bouteflika a réussi à convaincre le public de la pertinence de la réconciliation nationale. Le recours à des références religieuses, telles que le pardon et la tolérance, ainsi qu’à des principes culturels profondément ancrés, a permis de donner au discours une dimension morale et spirituelle, renforçant ainsi l’adhésion des citoyens à un projet politique censé incarner les valeurs de l’Islam et de la société algérienne.

L’utilisation du pronom « nous », enfin, a permis de créer un lien de solidarité collective autour de cette réconciliation, tout en renforçant l’idée d’une communauté nationale unie face aux défis du passé. Par ces stratégies rhétoriques, Bouteflika a réussi à articuler son discours en un projet politique capable de réconcilier l’Algérie avec elle-même, tout en s’appuyant sur des valeurs universelles et partagées pour en garantir la légitimité.

4. L’usage stratégique des références religieuses dans les discours de Bouteflika

Nous proposons d’analyser la manière dont Abdelaziz Bouteflika mobilise les références religieuses et culturelles dans ses discours pour légitimer sa politique de réconciliation nationale et renforcer son autorité morale. À travers plusieurs extraits, il dévoile des stratégies rhétoriques subtiles visant à ancrer son discours dans une dimension spirituelle, tout en appelant à la patience, au pardon et à la tolérance. Ce recours à des valeurs religieuses, notamment celles de l’Islam, permet à Bouteflika de créer une alliance entre le politique et le sacré, mobilisant ainsi l’auditoire autour d’une vision collective de guérison et de réconciliation. En analysant les passages sélectionnés, nous explorerons comment ces références servent à dissocier la religion des dérives extrémistes, à légitimer la réconciliation comme une nécessité morale et spirituelle, et à structurer le discours autour de principes éthiques partagés. Nous montrerons également l’efficacité des techniques rhétoriques mises en œuvre, telles que le rythme ternaire et la répétition, qui visent à renforcer l’impact émotionnel et persuasif du discours de Bouteflika.

Premier Extrait: « Il s’agit là de situations qui ne peuvent entraîner que davantage de souffrances et de drames. Et en toutes circonstances, nous demeurerons, par la volonté de Dieu, parmi les patients. »

Cet extrait, issu du discours prononcé à Alger le mercredi 27 octobre 2004, par lequel Bouteflika rend hommage au défunt moudjahid Rabeh Bitat à l’occasion du cinquantième anniversaire du déclenchement de la révolution, inaugure une réflexion sur l’adversité collective et sur la manière dont Bouteflika structure son discours pour préparer psychologiquement son auditoire aux épreuves à venir. Il commence par l’énoncé d’une réalité douloureuse (« davantage de souffrances et de drames »), mais cette présentation des faits est immédiatement nuancée par une dimension spirituelle: la persévérance est évoquée comme une vertu intrinsèquement liée à la patience, qualifiée ici de vertu religieuse (« par la volonté de Dieu »). L’emploi de cette formule établit un lien explicite entre la politique et la foi.

Du point de vue sémantique, la phrase se structure autour de deux polarités opposées: d’un côté, la souffrance et les drames ; de l’autre, la patience, vertu qui permet de surmonter cette souffrance. L’usage du terme « volonté de Dieu » confère une dimension divine à l’attitude de résistance du peuple algérien, soulignant que sa résilience ne repose pas uniquement sur des ressources humaines, mais sur une force transcendante.

Sur le plan rhétorique, cette référence divine participe à une délégation d’autorité, dans laquelle Bouteflika se place en interprète de la volonté divine. En associant la politique de réconciliation nationale à des valeurs religieuses, il crée une alliance entre le politique et le sacré, ce qui renforce la légitimité morale de son action. L’insertion de la patience comme vertu collective du peuple algérien, encouragée par Dieu, contribue aussi à valoriser l’endurance nationale face aux crises et à imposer une vision politique fondée sur des principes spirituels partagés. Cette référence à la patience se transforme ainsi en une stratégie de mobilisation sociale, qui invite l’auditoire à percevoir la réconciliation nationale comme une nécessité morale et religieuse. Elle induit une légitimation par le sacré.

Deuxième Extrait: « L’Algérie a failli ainsi sombrer dans la tourmente du terrorisme. Son État a vacillé, son peuple a été déchiré. Des enfants d’une même famille se sont entretués; des frères, habitants de mêmes villages, de mêmes villes, se sont retrouvés opposés dans une lutte fratricide qui tentait vainement de se dissimuler derrière l’Islam, religion de paix, de tolérance et de fraternité. »

Dans cet extrait du discours prononcé à l’occasion de la Conférence des cadres à Alger le 14 août 2005, Bouteflika décrit de manière tragique et réaliste les ravages du terrorisme en Algérie, en insistant sur la division interne du peuple, déchiré par des violences fratricides. Le champ lexical de la dévastation (« failli sombrer », « vacillé », « déchiré ») s’oppose à la référence apaisante à l’Islam, une religion de paix. Cette opposition entre la violence du terrorisme et la paix promise par la religion sert de prisme moral pour dénoncer les abus commis par les extrémistes.

Sur le plan sémantique, le recours à des termes forts, tels que « enfants d’une même famille » ou « frères », accentue la dimension tragique de la situation. En faisant allusion à la fraternité brisée, il active des ressorts émotionnels puissants, ce qui facilite l’identification de l’auditoire avec les victimes de ces violences. Cependant, la référence à l’Islam comme religion de paix constitue une réfutation implicite: Bouteflika cherche à distinguer l’Islam des dérives terroristes, en réaffirmant que la violence ne saurait être justifiée par la foi. Cette stratégie de légitimation s’appuie sur l’autorité morale de la religion pour invalider les prétentions des terroristes à agir au nom d’Allah. L’opposition entre « l’Islam » et les actions violentes des extrémistes permet de redéfinir l’Islam comme un vecteur de paix et de réconciliation, et de dissocier radicalement le politique et le religieux dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

Par ces oppositions subreptices, il réfute en dissociant la religion de la violence.

L’utilisation du rythme ternaire (« paix, tolérance, fraternité ») à la fin de la phrase souligne l’aspect universel et moral de l’islam et en fait un outil de persuasion pour justifier la politique de réconciliation nationale. La répétition de termes associés à la vertu fait appel à la rationalité morale de l’auditoire, tout en renforçant le lien affectif entre l’identité religieuse de l’Algérie et la politique du gouvernement.

Troisième Extrait: « Hier égarés sur la voie de la violence et de la destruction, des Algériens ont retrouvé la voie de Dieu, qui bannit l’effusion du sang de musulmans par d’autres musulmans. Ils ont retrouvé leurs foyers et leur place dans notre société, qui a su surmonter sa douleur en s’appuyant sur les préceptes de notre religion divine. » Conférence des cadres à Alger le 14 août 2005

Ce passage présente une vision rédemptrice de la réconciliation nationale. L’utilisation du terme « égarés » dépeint les extrémistes comme ayant perdu leur chemin, tandis que l’évocation du retour à la « voie de Dieu » et la réaffirmation de l’interdiction religieuse de la violence constituent une condamnation implicite de la violence fratricide. La formulation « bannit l’effusion du sang » fait clairement référence aux enseignements islamiques qui prohibent le meurtre d’un musulman par un autre, en inscrivant la réconciliation comme une nécessité religieuse.

L’introduction de la réconciliation comme voie de retour à la foi ancre cette transformation sociale et politique dans une dimension spirituelle. En soulignant que la société algérienne a « su dépasser sa douleur », Bouteflika présente la réconciliation comme un processus de guérison, où la religion joue le rôle de moteur moral et collectif. Cette construction de la réconciliation comme acte à la fois individuel et collectif confère au projet politique une légitimité transcendante.

La structure ternaire, qui organise cet extrait dans l’énumération des valeurs à promouvoir (pardon, générosité, tolérance) et des objectifs de la réconciliation (assainir les mentalités, apaiser les esprits, panser les plaies), rythme une dimension morale et renforce l’idée que la réconciliation nationale est une démarche sacralisée, en harmonie avec les valeurs profondes de la société algérienne. Le recours au vocabulaire religieux renforce l’idée que la réconciliation nationale n’est pas seulement une politique pragmatique, mais aussi un acte spirituel et moral, en adéquation avec les enseignements islamiques.

L’analyse des extraits du discours de Bouteflika met en lumière l’utilisation stratégique du discours religieux dans la construction de sa légitimité politique et morale. En s’appuyant sur les valeurs de l’Islam, telles que la paix, la tolérance et la réconciliation, il inscrit sa politique de réconciliation nationale dans une dimension sacrée, ce qui lui permet de mobiliser l’adhésion populaire et de refuser les dérives violentes associées à l’extrémisme. En alliant habilement références religieuses et objectifs politiques, Bouteflika cherche à réconcilier la société algérienne avec ses valeurs fondatrices tout en renforçant sa propre autorité morale en tant que leader. Cette analyse souligne également l’importance du rythme ternaire et des répétitions comme moyens de renforcer l’impact persuasif et émotionnel du discours.

Conclusion

À travers nos analyses, il apparaît clairement que Bouteflika a déployé une stratégie discursive sophistiquée en intégrant systématiquement des références religieuses dans ses discours. Ces références, qu’elles prennent la forme d’un lexique spécifique, de citations de versets coraniques ou d’exemples issus de la tradition prophétique, jouent un rôle clé dans la légitimation de ses propositions politiques. Cette approche progressive illustre une volonté délibérée de renforcer son autorité et de garantir l’adhésion populaire à son projet.

En s’appuyant sur des principes religieux jugés sacrés et incontestables par une large majorité de la société algérienne, Bouteflika parvient à doter ses discours d’une légitimité morale, réduisant ainsi les risques de contestation. L’argumentation d’autorité, fondée sur la parole divine et les préceptes de l’Islam, confère à ses propos une force persuasive indéniable et contribue à une solidité éthique qui dépasse le cadre strictement politique.

Cette utilisation stratégique du discours religieux ne se limite pas à une simple référence aux valeurs spirituelles, mais s’inscrit dans une démarche plus large visant à convaincre les Algériens de la pertinence de sa politique de réconciliation nationale. En associant sa vision politique aux principes fondamentaux de l’Islam, Bouteflika cherche à mobiliser l’auditoire sur les plans émotionnel et intellectuel, tout en établissant une connexion profonde entre ses ambitions politiques et les aspirations religieuses et culturelles de la population.

L’évolution de son discours, passant progressivement de l’introduction d’un vocabulaire religieux à l’incorporation de versets coraniques et à l’évocation d’exemples prophétiques, reflète une maturation argumentaire et un renforcement de la légitimité religieuse de ses propos. Cette stratégie discursive témoigne non seulement de sa maîtrise des enseignements religieux, mais aussi de sa capacité à les transposer dans un contexte politique. Il apparaît ainsi qu’il cherche à démontrer que ses propositions ne sont pas seulement une réponse politique à une crise sociale, mais aussi une réponse moralement et spirituellement légitime aux défis nationaux.

En somme, le discours religieux joue un rôle central dans l’élaboration et la diffusion de la politique de Bouteflika, tant sur le plan de la légitimation de ses propositions que sur celui de la mobilisation de l’adhésion populaire. Cette intégration progressive des références religieuses dans son discours constitue une stratégie argumentative profondément réfléchie, visant à mobiliser les valeurs spirituelles de la société algérienne comme levier pour promouvoir la réconciliation nationale. En agissant ainsi, Bouteflika transforme son projet politique en un véritable projet de société, ancré dans les croyances collectives et les aspirations profondes du peuple algérien.

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[1]Tous lesdiscours d’A. Bouteflika peuvent être consultés sur le site officiel de la présidence: http://www.elmouradia.dz/francais/infos/actualite/archives/Reconciliation/suivi de la ville/le nom de la ville. HTM

Lamia Karrah

Université d’Alger 2

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