La ville : creuset de métissage culturel et d'innovations linguistiques

المدينة: وعاء للتنوع الثقافي والابتكارات اللغوية

The city: a crucible of cultural blending and linguistic innovations

Hind Belkacem

p. 93-99

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Hind Belkacem, « La ville : creuset de métissage culturel et d'innovations linguistiques », Aleph, 11(5-2) | 2025, 93-99.

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Hind Belkacem, « La ville : creuset de métissage culturel et d'innovations linguistiques », Aleph [En ligne], 11(5-2) | 2025, mis en ligne le 16 juin 2024, consulté le 23 décembre 2024. URL : https://aleph.edinum.org/11452

وفي هذه المساهمة، نقترب من المدينة؛ هنا كنتاج للغات. يجب أن يؤخذ في بعده متعدد الثقافات وبالتالي تعدد اللغات من خلال خطابه. في الواقع، المدينة هي مساحة تنظمها الممارسات الاجتماعية والثقافية التي ترمز إلى الهويات اللغوية في كثير من الأحيان. بعبارة أخرى، إنه مكان للحياة تتكاثر فيه الاستخدامات اللغوية. المجالات المفضلة لهذه الاستخدامات هي التبادلات التلقائية في البيئات الحقيقية والحضرية مثل الجامعة. لذلك، سنصف ونحلل الإبداع المعجمي في حديث الطلاب الشباب في جامعة مستغانم. يُظهر هذا التحليل الذي تم إجراؤه على الكائنات الجديدة، والذي أنتجه الطلاب، أن الإبداع المعجمي يظهر في خطاب الطلاب كعلامة على الانتماء إلى مجموعة اجتماعية معينة. بعبارة أخرى، يندد الموضوع المتكلم بأسلوب التعبير المشبع بالمصطلحين الجزائري والفرنسي.

Cette contribution explore la ville en tant que produit des langues, abordant sa dimension multiculturelle et donc plurilingue à travers ses parlers. La ville se révèle comme un espace façonné par des pratiques sociales et culturelles, symbolisant des identités linguistiques souvent changeantes. Elle représente un lieu de vie où les usages linguistiques se multiplient, en particulier dans les échanges spontanés en milieu urbain comme à l’université. Nous analysons la création lexicale dans le discours des jeunes étudiants de l’université de Mostaganem. Cette analyse des néologismes, produits par les étudiants, révèle que la création lexicale est un signe d’appartenance à un groupe social particulier. En d’autres termes, les locuteurs dénoncent un mode d’expression imprégné de termes algériens et français.

In this contribution, we delve into the city as a product of languages, approaching its multicultural and therefore plurilingual dimension through its dialects. The city emerges as a space structured by social and cultural practices, symbolizing language identities that are often fluid. It serves as a living environment where linguistic uses proliferate, especially in spontaneous exchanges in urban settings such as the university. We describe and analyze lexical creation in the speech of young students at the University of Mostaganem. This analysis of neologisms, produced by the students, reveals that lexical creation appears in students’ speech as a sign of belonging to a particular social group. In other words, speakers denounce a mode of expression imbued with Algerian and French terms.

Introduction 

L’homme s’est toujours interrogé sur l’univers dans lequel il évolue et s’est toujours inspiré de son environnement pour s’exprimer. En tant qu’interlocuteur, l’étudiant se présente comme témoin de sa ville et de son espace. Par sa créativité linguistique, il parvient à exprimer sa vision du monde et sa pensée.

Ces locuteurs étudiants s’engagent quotidiennement dans une bataille, confrontés aux différentes langues en présence et à tous ceux qui peinent à les utiliser. L’université offre ainsi un cadre à partir duquel de nouveaux mots se créent, s’appuyant sur l’immédiateté pour exprimer les langues et leurs relations mutuelles. Pour ce faire, l’étudiant puise dans les différentes langues en présence, où se croisent les variétés linguistiques qu’il côtoie quotidiennement dans le paysage sociolinguistique algérien.

1. Problématique et hypothèses 

Peut-on s’exprimer quand les mots nous échappent ? Doit-on alors en trouver d’autres ? Est-il nécessaire d’en créer de nouveaux, plus adaptés, plus ciblés et porteurs de sens ?

Cette recherche vise à proposer une lecture descriptive et analytique de cette création lexicale afin de comprendre, d’une part, la spécificité de ce langage imprégné de mots métissés, et d’autre part, à comprendre cet acte libérateur pour dénoncer leur appartenance à un groupe social particulier.

Pour ce faire, nous avons choisi de réaliser des enregistrements à l’aide d’un microphone dissimulé, avec la complicité d’une intermédiaire qui s’est autorisée à se glisser, munie d’un magnétophone, au sein d’un groupe d’étudiants pour recueillir un corpus oral le plus spontané possible.

1.1. Définition

Néologisme Nous entendons par néologisme toute création lexicale réalisée d’une manière intuitive dans un espace régi par le contact des langues. En effet, c’est une motivation consciente et donc volontaire à double tranchant, tantôt communicative pour la simple raison qu’elle implique l’être humain qui, de son côté, ne peut se passer du langage, et tantôt ludique, car ces créations linguistiques confèrent un caractère esthétique voire extrêmement plaisant.

En effet, la création lexicale, phénomène urbain contemporain, permet non seulement de résoudre un problème relatif au répertoire lexical, mais également de retrouver le plaisir de créer des néologismes dans une situation de complicité. Il est certain que tout hybride évoque une dimension ludique et distrayante du langage, dimension qui caractérise essentiellement tout message humain dans une situation de contact de langues et de cultures.

1.2. Description

Cette interpénétration lexicale est née de cette dualité linguistique, soulignant ainsi son « imaginaire linguistique »1. À partir des exemples tirés du corpus, deux types de néologismes se sont manifestés. Dans le premier cas, on observe un hybride lexical avec comme morphème basique une racine française et l’adjonction des désinences arabes. Quant au deuxième cas, nous rencontrons des lexèmes arabes avec comme affixes dérivationnels (suffixe) de la langue française pour former un nom d’action ou un nom d’agent (sur des bases nominales ou verbales).

Les échanges enregistrés sont imprégnés de termes hybrides. En effet, face à des situations gérées par le plurilinguisme, bon gré ou malgré lui, le locuteur étudiant se retrouve à osciller d’une langue à une autre non pas parce qu’il ne trouve pas l’équivalent, mais parce qu’il voudrait ainsi garder le sens tel qu’il le vit dans sa langue maternelle ou dans sa langue d’adoption.

Le locuteur pose ainsi le problème de la langue parlée en Algérie, une langue métissée qui se retrouve imprégnée de mots empruntés à d’autres langues.

2. présentation et analyse des items du corpus

Choufable [ʃufabl]
« machetouch ntouma Houda ! gatelkoum…kinetzewedj mʕa wahed…. — je ne demande pas qu’il soit beau, mais qu’il soit choufable ».

C’est une forme hybride qui se compose d’un morphème lexical arabe : «chouf» [ʃuf] qui signifie «voir  »  ou «regarder» en français, et du morphème dérivationnel «—able  », comme le montre l’exemple, ce suffixe servant à former des adjectifs est lié directement au radical. En effet, «choufable », dans la chaîne parlée, aura la fonction d’adverbe. Cet hybride linguistique a pour signification «avoir la possibilité de le contempler ou de le regarder en face  ».

Dégoûtage [degutaʒ] 
 « hambouk khelouna chwiya mlkraya hadroulna chwiya ʕl+++.- dégoutage melkraya wellah, rani gaʕ m-digutija ….  »

Forme hybride qui se compose d’un morphème lexical «   »dégoût  »« [degu] et d’un affixe dérivationnel «   »— age  »« , c’est un vocable qui n’existe pas dans la langue française. Cet hybride linguistique est utilisé notamment à l’oral par une communauté plutôt jeune qui voudrait extérioriser leur spleen quotidien et leur lassitude de la vie.

Flixili [flixili] 
«Houda était en train de fléxi gatlek. — flexi wella flixi — flixili saha ça vient de flexibilité  ».

Emprunt intégré qui dérive du substantif “flexibilité”, a subi quelques substitutions. La première comporte une confusion entre la voyelle fermée [i] et la voyelle mi-fermée [e]. Cette confusion est due à l’inexistence de la voyelle mi-fermée [e] dans le système vocalique arabe. La seconde réside dans le morphème dérivationnel arabe qui est postposé, car il est joint à la finale du nom qu’il détermine [li] ce suffixe signifie “pour moi”. En finale, ce morphème, adapté et adopté après son intégration, est réalisé sous la forme de [flixili].

Hechmation : [ħſmasjɔ̃]
 “kima sralek Widad lbareħ mʕa hadek…malki hchemti ?*** -wah hechmet…+++- oh ! ! ! la hechmation…. » 

Hybride linguistique utilisé uniquement à l’oral, signifie, selon le contexte d’emploi : la pudeur ou la honte. Il se compose du morphème lexical arabe ħſm, et de l’affixe dérivationnel “-ation” » lié directement au radical. Ce néologisme a pour signification, dans un contexte géré par le contact de langues, avoir honte ou faire honte à quelqu’un. Ou tout simplement l’action de développer le sentiment de la honte dans un espace dominé par des tâtonnements de part et d’autre.

Hitiste [ħitˁist]
« Tu as parlé à ton homme tu t’es calmée. — wah tu as vu elle s’est calmée. — oui parce que rah hitiste, il a arrêté de travailler ! » 

Hybride très répandu dans le paysage sociolinguistique algérien. Il se compose du morphème lexical arabe [ħitˁ] et du morphème dérivationnel [ist]. Ce suffixe a pour objectif de former, en langue française, des noms d’agent liés à des professions particulières. Le néologisme « hitiste » désigne un jeune sans emploi, désœuvré, et par conséquent rejeté socialement. Le chômeur dépassé, ainsi, par cet état de fait, essaie de « tuer le temps en s’adossant au mur »  (Derradji, 2002, p. 353), d’où l’expression « tenir le mur »2.

Parcœurisme [parkærizm]
« Feriel dat treize. — waaaahhh ! !.— taʕerfi tgoulilha ʕawdili kelma le parcœurisme taʕ beasah —+++ — ʕacli ʕliha le parcœurisme. — yaw le parcoeurisme »

Forme hybride qui se compose d’un affixe grammatical « par », du morphème lexical « cœur », et du morphème dérivationnel « isme », et qui signifie : l’exagération dans l’apprentissage par cœur. Ils ont transformé cette méthode en une doctrine, en quelque chose d’aussi important.

Taxieur [taksijœr]
« Je dors à 3h et je me lève à 7h en plus lyoum djit mʕa wahd taxieur taʕrfi c’est un grand fumeur »

Forme très répandue dans le paysage sociolinguistique algérien. Il se compose du morphème lexical « [taksi] », et d’un affixe dérivationnel « [œr] », qui désigne le chauffeur de taxi. Ce vocable n’existe pas en langue française, en effet, c’est une création purement algérienne. Ce qui nous permet de dire que la création de ce terme est purement relative à sa grande diffusion. Autrement dit, sa création ne se réduit aucunement à la non-maîtrise linguistique, mais bien au contraire, elle est motivée par la brièveté ou par l’économie discursive. (Marquillo Larruy, 2002, p. 20). Celle-ci consiste à réduire, dans la chaîne discursive, des morphèmes considérés comme facultatifs, pour créer un hybride concis et satisfaire ainsi le besoin communicatif. L’exemple « taxieur » pour « chauffeur de taxi » atteste clairement de cela.

Tbahdilation [tbahdilasjɔ̃]
« … kima galet houda tbahdilation au sens propre du terme »

Forme hybride qui se compose du morphème grammatical « tbahdel » [tbahdel] qui signifie « faire la honte » en français, et du morphème dérivationnel « ation », ce qui équivaut à l’humiliation.

Tchoumert [tʃumert]
« ilaa malkit ʕaliha win w tchoumert aywa rani n’enseigni… —»

Forme hybride qui se compose du morphème grammatical « tſumer » et du morphème dérivationnel « [t] » qui renvoie à la première personne du singulier « je », signifie « ne plus avoir d’argent », qui dérive du français « chômage », et du néologisme ayant la fonction de verbe « tchoumir », le terme est construit à partir du verbe » chômer ».

Caméraw [kameraw]
« Ils ont voulu fêter ça. — ils ont ramené les gâteaux : : leur mère : :zrari :t. — caméraw rwahhoum. »

Erreur interlinguale qui se compose du morphème grammatical « caméra » et du morphème dérivationnel « [aw] », celui-ci renvoie à la troisième personne du pluriel « ils/elles ». Le substantif « [kamera] » ici dans cet exemple est converti en verbe ayant le sens du verbe « [filme] », qui signifie en forme correcte : « ils ont filmé ».

3. Synthèse

Dans tous les exemples que nous venons de décrire et d’analyser, nous constatons l’enracinement, tel que mentionné par Calvet (2002, p. 281), de tous ces néologismes dans la langue arabe ou française, subissant ainsi des adaptations morphosyntaxiques de la langue d’accueil.

Conclusion

À l’issue de cette contribution, ce qui est évident est que le locuteur algérien va jusqu’à créer ce que les sociolinguistes appellent « le francarabe » en raison de l’interaction entre la langue algérienne et la langue française. Cette « inter-langue hybride », ainsi que l’emploi simultané de deux langues dans un rapport de complémentarité, témoignent de la pluralité, de la richesse linguistique et du rejet de toute forme d’enfermement. L’étudiant universitaire exprime l’interlinguistique et l’interculturel dans lesquels il évolue, évoquant le contact des langues, leur alliance et leur fusion en les adaptant, les adoptant et les pliant à ses habitudes transgressives des normes. En effet, comme le souligne Roulet (1991, p. 17), « La langue n’est pas qu’un outil de communication, c’est un mode de pensée, un système de représentation symbolique, un moyen d’expression du moi, un symbole d’appartenance à un groupe social particulier. » Cette analyse des néologismes, produits par les locuteurs, met en lumière que la création lexicale apparaît dans le discours des citadins comme un signe d’appartenance à un groupe social particulier. En d’autres termes, c’est à travers les rapports sociaux entre les interlocuteurs que la ville se décrit et que le multilinguisme se manifeste. Le sujet parlant dénonce un mode d’expression imprégné de termes algériens et français.

1 Concept mis en place par Anne-Marie Houdebine dans les années 70.

2 Tenir le mur: traduction littérale de chômeur ou de jeune sans activité, ce néologisme a été intégré dans le dictionnaire Hachette, éd 2009, p 769.

Calvet, L. J. (2002). Le marché aux langues : essai de politologie linguistique sur la mondialisation. Plon.

Derradji, Y. (2002). Vous avez dit langue étrangère, le français en Algérie ? Dans Les cahiers du SLADD, n° 1, décembre 2002.

Marquillo Larruy, M. (2002). L’interprétation de l’erreur. CLE international.

Roulet, E. (1991). La description de l’organisation du discours. Crédif - Didier, Paris.

Dictionnaire Hachette. (2009). Export.

1 Concept mis en place par Anne-Marie Houdebine dans les années 70.

2 Tenir le mur: traduction littérale de chômeur ou de jeune sans activité, ce néologisme a été intégré dans le dictionnaire Hachette, éd 2009, p 769.

Hind Belkacem

Université Abdelhamid Ibn Badis - Mostaganem

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