Introduction
Au sein de la communication pédagogique, particulièrement dans le contexte des interactions interculturelles, l’élément fondamental pour un enseignement et un apprentissage efficaces réside dans l’analyse transactionnelle préliminaire menée par l’agent premier du processus pédagogique - l’éducateur. Cette analyse concerne la relation enseignant-apprenant au sein des conflits en classe. Elle sert à la fois d’outil de résolution des conflits et de source d’inspiration pour la réalisation des actions pédagogiques, facilitant des échanges fluides tout en atténuant le risque de discorde culturelle. Pour parvenir à cela, la prise de conscience de soi est impérative, aboutissant à la maîtrise des gestes, du langage corporel et de la disposition mentale en tant que soi initiateur. De plus, un examen contemplatif des univers culturels croisés, étroitement interdépendants au point de former la base permettant de prédire les réactions culturelles potentielles des apprenants, est essentiel.
Cet article génère un discours méticuleusement élaboré découlant d’une exploration d’un échantillon de littérature, de pratiques pédagogiques et de contributions scientifiques dans le cadre universitaire algérien. Des thèmes tels que la salle de classe en tant que domaine de communication et de médiation, le milieu culturel des apprenants et des éducateurs, le lien entre enseignement-apprentissage et enculturation, et enfin, la pédagogie interculturelle, sont minutieusement examinés ici. Cet examen est informé par les lectures et les expériences des auteurs dans le domaine de la didactique des langues étrangères.
1. La Salle de Classe de Langue en tant que Nexus de Communication et de Médiation : Repenser la Coexistence
Comprendre ses apprenants est une nécessité dictée par les désirs conjoints d’une prestation pédagogique efficace et de résultats d’apprentissage fructueux. Cela pousse les éducateurs à être moralement enclins à plonger dans l’univers socio-culturel de leurs apprenants, particulièrement d’un point de vue interculturel. Par conséquent, cela implique de découvrir les éléments qui enrichiraient l’apprenant en langue étrangère tout en évitant toute forme de déculturation préjudiciable.
L’objectif est d’inculquer chez l’apprenant en langue étrangère le désir de communication, souligné par une maîtrise suffisante, facilitant une acculturation sécurisée, comme le souligne Claude Lévi-Strauss :
« La valeur d’un objet est déterminée par sa relation aux autres… Ce qui est désespérément désiré n’a de valeur que parce que quelqu’un le possède. Un objet indifférent devient essentiel en raison de l’intérêt qu’y portent les autres : le désir de possession est avant tout une réponse sociale. Et cette réponse sociale doit être comprise en termes de pouvoir, ou plutôt d’impuissance : je veux posséder parce que si je ne le fais pas, je ne pourrais peut-être pas obtenir l’objet si j’en ai besoin à l’avenir; l’autre le conservera toujours. Par conséquent, il n’y a pas de contradiction entre la propriété et la communauté, l’arbitraire et l’arbitrage. » (Levi-Strauss in Barsotti 2002-1)
Les interactions entre les éducateurs en langues étrangères et les apprenants favorisent souvent une atmosphère ouverte, en supposant l’absence de perturbations culturelles découlant de déficits communicationnels résultant de l’ignorance ou d’une absence totale de sensibilisation aux valeurs fondamentales respectives. Cette carence primordiale doit être empêchée de se transformer en méfiance, voire en défiance, entre l’éducateur et l’apprenant. Comme le souligne Bernard Barsotti :
« La représentation se communique…; cette formule encapsule l’alchimie de l’échange. La communication authentique de ma représentation ne se produit que lorsque je la transmets aux autres, l’exprimant à travers l’extériorisation du langage. » ( Barsotti 2002-1)
Guider les apprenants vers la formation d’opinions, de perspectives du monde et l’affinement des compétences de raisonnement tout en communiquant implique d’inculquer des valeurs tout en leur permettant de les diffuser, favorisant ainsi le développement de principes d’action. Cela nécessite que l’éducateur endosse le rôle d’éducateur-conscient qui comprend leur rôle de médiateur. En transmettant diverses représentations collectives et individuelles, l’éducateur doit transcender ses propres représentations pour transmettre des représentations sociales qui façonnent intrinsèquement les efforts éducatifs.
Cette entreprise nécessite une pédagogie active et différenciée. Cette approche pédagogique englobe la reconnaissance des disparités représentationnelles, permettant à l’éducateur de transcender son propre univers pour plonger dans le monde de l’apprenant. Ce processus symbiotique enrichit l’apprenant grâce aux actions réflexives de l’éducateur, favorisant une attitude positive envers l’interaction avec l’autre.
Antoine de Saint-Exupéry observe pertinemment : « Si tu diffères de moi, frère, loin de me léser tu m’enrichis ». (Saint-Exupéry in A.N.P.A.S.E -1986 -7) Cette prise de conscience, que l’autre nous enrichit, incarne la confiance à la fois en soi-même et en l’autre - un « co-protecteur » des valeurs, des principes, des représentations et des préjugés - non pas nécessairement pour les adopter, mais pour mieux les comprendre. Cette dimension est intrinsèque au processus d’enseignement et d’apprentissage des langues étrangères.
2. Cultures enseignantes et cultures apprenantes, vers la réconciliation
L’idée d’un apprenant typique est absente, car chaque apprenant se distingue par son unicité. Ceci découle de leur éducation sociale préalable à l’école, conduisant à des stratégies d’apprentissage variées issues d’environnements extrascolaires diversifiés. Les apprenants diffèrent en termes de connaissances acquises, de comportements, de rythme de travail, d’intérêts et de profils pédagogiques. Par conséquent, il incombe à l’éducateur de proposer, d’observer et de réguler leurs actions didactiques et pédagogiques sans se reposer uniquement sur leurs propres idées préconçues.
Dans cette optique, les éducateurs questionnent les méthodes d’apprentissage en relation avec la communication des représentations. L’expression de leurs opinions et points de vue sur le monde en tant qu’éducateurs, qui sont également influencés par leurs environnements socio-professionnels même s’ils les transforment, peut encourager une rupture avec des approches d’enseignement et d’apprentissage décontextualisées.
Par conséquent, tout programme d’enseignement-apprentissage doit tenir compte des représentations de l’apprenant, les éducateurs les guident tout en encourageant leur exploration d’autres domaines en utilisant leurs idées et principes uniques, afin d’améliorer et d’élargir leur univers socioculturel. Cela adresse, dans une certaine mesure, le malaise ressenti par les éducateurs : celui de la déconnexion, du rejet et de l’évitement de l’échec scolaire - une manifestation souvent observée dans leur absentéisme.
L’éducateur cultive chez l’apprenant, en particulier chez son « ça » social, en offrant un soutien didactique; la pédagogie du tutorat en est un exemple central. Grâce à leur participation active, les éducateurs contribuent réellement au développement de l’apprenant en inculquant une perspective linguo-culturelle du monde. En conséquence, un futur citoyen doté d’une représentation de la communication socio-culturelle, à la fois générale et spécifique, est forgé.
La surdité culturelle doit être éradiquée en faveur de l’écoute des autres. Apprendre l’art de l’écoute a des implications pour les dimensions cognitives, affectives et, surtout, identitaires d’un individu, à tel point qu’il modifie considérablement son orientation comportementale. Par conséquent, chaque éducateur est incité à contempler l’aspect vital de l’écoute culturelle. Une telle contemplation engendre des pratiques novatrices, façonnant les contours de leurs actions pédagogiques.
Aucune représentation ne sera perçue comme hégémonique tant que l’enseignement et l’apprentissage des langues étrangères ne faciliteront pas la coordination et l’alliance de toutes les représentations (éducateur-apprenant) censées donner naissance à de nouvelles représentations communes concernant la communication pédagogique dans la salle de classe de langue, notamment au sein d’un programme réfléchi.
Une présentation objective des représentations communes dépend fortement de l’intervention délibérée de l’éducateur dans l’installation des représentations, avec la participation collaborative de leurs apprenants. Une pédagogie de soutien ne doit pas nécessairement impliquer l’individualisation de l’action pédagogique, ce qui pourrait marginaliser le deuxième partenaire - l’apprenant - en le mettant de côté. La pédagogie contemporaine se concentre en effet sur leur développement.
3. Enseignement et apprentissage et enculturation
L’enseignement et l’apprentissage des langues étrangères deviennent une occasion propice à l’enculturation, par le biais de la langue française, les principes et les valeurs d’appartenance et de référence deviennent intrinsèquement traditionnels. Dans son sens premier, l’enculturation signifie :
« Le processus par lequel un individu acquiert la culture de son groupe, de sa classe, de son segment ou de sa société… Ce processus se limite à l’acquisition de modèles de comportement, y compris le langage, les métalangages, les coutumes, les valeurs, les définitions de rôle et d’autres phénomènes similaires. » (Spindler in André Thévenin 1980 -50)
Dans cette optique, l’éducateur cultive chez l’apprenant une affinité pour les langues, le désir de connaître l’autre à travers sa langue et une envie de rencontres humaines. De cette manière, les apprenants et les éducateurs prêtent attention aux différences, tout en s’appuyant sur les principes et les valeurs inhérents à la langue, à l’histoire et à la culture.
Lors de l’enseignement-apprentissage du FLE, il ne s’agit pas de se mettre en scène, mais de créer un spectacle. L’éducateur devient alors un metteur en scène capable de déployer une esthétique linguistique, un savoir-faire interculturel. Éducateurs et apprenants se transforment en traducteurs de sentiments et d’émotions, en adaptateurs d’attitudes et de gestes, tout en restant enracinés dans leur système socioculturel propre. Car ce sont des acteurs, des artistes de la scène éducative, ils créent un nouvel espace culturel en classe, un lieu de médiation entre différentes cultures, individuelles et collectives, étrangères et communes.
Il s’agit d’artistes conscients qui exercent l’art de la séduction linguistique. Au sens premier, l’art est : « Un ensemble de moyens et de procédés régulés qui visent un certain objectif. » L’art est surtout : « L’expression, à travers des œuvres, de l’idéal esthétique de l’homme; l’ensemble des activités humaines créatrices visant cette expression. » (Le petit Robert 1990 -107)
Ce sont ces moyens corporels et procédés linguistiques que les éducateurs et les apprenants utilisent pour entrer dans l’univers culturel de l’autre. Ces activités permettent aux acteurs de jouer pleinement leur rôle, de se mettre en scène en tant que personnages dans la comédie de l’interculturel. Cette comédie est une source de satisfaction pour ces « aventuriers » du monde des cultures perdues ou à perdre.
La construction culturelle requiert inévitablement une pédagogie culturelle, qui se comprend comme un ensemble hétérogène de connaissances, de règles, d’actions, d’activités, de compétences et de savoir-faire multiples. Lorsqu’il s’agit du métier d’enseignant, il est également question du métier d’apprenant. Il s’agit alors, loin de tout relativisme, d’une authentique initiation à la rencontre avec l’autre.
En prenant en compte tout ce qui compose l’être humain en termes de savoirs, de compétences et d’attitudes dans la formation des éducateurs, ces derniers, avec la contribution de leurs apprenants, faciliteront la réalisation de la rencontre interculturelle, notamment au moyen des premiers enseignements-apprentissages du FLE.
Transmettre à l’éducateur l’attitude d’écoute lui permettra d’entendre et d’écouter ses apprenants, indépendamment de leurs différences inhérentes. Martine Abdallah-Pretceille souligne à juste titre à ce sujet :
« Pour écouter l’autre, et surtout, l’entendre, il faut d’abord lui offrir le contexte, la situation qui lui permet de s’exprimer sans être immédiatement classé, étiqueté ou enfermé dans des jugements. » (Martine Abdallâh-Pretceille 2017-201)
De fait, en développant ce comportement d’écoute grâce à la formation, l’éducateur permet à son tour à ses apprenants d’accéder à une expression libre, sans être classés ou jugés de manière négative. Cette même liberté d’expression que l’apprenant finira par acquérir et à son tour respecter - une condition sine qua non de la rencontre avec l’autre.
La culture de la classe, en tant qu’attitudes multiples envers la langue étrangère, devient alors une œuvre d’art. Il s’agit en effet d’un art d’approcher l’autre sans que cet autre n’emporte les éducateurs et les apprenants. C’est une praxis, une culture à instaurer dans l’univers de la classe.
4. Rencontre et compréhension
La pédagogie interculturelle doit être perçue comme un échange communicationnel où les interactions entre les différentes cultures au sein de l’espace classe servent de toile de fond. L’objectif est de créer du sens et des valeurs auxquels les éducateurs et les apprenants adhèrent.
L’alchimie de l’échange pédagogique réside dans la transformation de la parole en action, réalisant ainsi la mise en œuvre de cette parole. Les dires des acteurs de l’acte d’enseignement-apprentissage du FLE doivent profiter de la multiplicité de sens en lien avec les symboles et mythes fondateurs de la culture de chacun, tout en étant acceptés par les interlocuteurs pour reconnaître ces mêmes symboles et mythes au sein de la salle de classe. Cette acceptation implique la lecture, la traduction et l’interprétation de comportements différents en vue de comprendre l’autre, et par extension, de se comprendre mutuellement dans cet espace limité qu’est la salle de classe.
Il s’agit donc réellement de compréhension, c’est-à-dire de la compréhension de l’autre, avec qui je partage un espace culturel tout en étant suffisamment différent. Ainsi, le sens du débat en classe et du dialogue qu’il sous-tend évolue de la conviction et de la persuasion - caractéristiques de toute communication - vers la solidarité et l’alliance d’idées pour créer une idéologie commune à la classe, composée de plusieurs idéologies individuelles. L’idéologie partagée devient alors lisible et interprétable en termes de comportement et de conduite au sein de la salle de classe de langue étrangère.
À cet égard, l’individualisme doit être écarté, car toute identité de groupe, toute identité dans la communauté, doit signifier la solidarité des biens et des valeurs. Ainsi, l’identité pédagogique des apprenants et des éducateurs doit être cultivée au sein du groupe de la classe. En prenant en compte et en acceptant les différences, une identité pour le groupe de la classe est forgée, reflétant une nationalité composite avec des traditions et des cultures diverses.
L’environnement scolaire est propice aux échanges d’enculturation-acculturation, en particulier les échanges interpersonnels. Ces échanges doivent être actifs et permettre à leurs protagonistes de devenir acteurs de leur formation dans l’altérité. Cela garantit la réalisation de l’interaction, un phénomène auparavant compromis par l’absence d’enculturation-acculturation.
Aucune relation de pouvoir inégalitaire ne doit émerger dans cet environnement, car les conflits internes entraîneront des déséquilibres et une attitude de rejet, voire d’abandon chez les acteurs de la communication pédagogique. Même si Pierre Bourdieu affirme que « l’égalité formelle dans l’inégalité réelle est favorable aux dominants », aucune domination ne doit caractériser les comportements et les attitudes des participants dans la salle de classe, quels que soient leurs horizons culturels. L’enseignement et l’apprentissage des langues étrangères se réaliseront avec la participation de tous les membres de la communauté de classe.
C’est l’une des conditions transcendantes de toute communication et particulièrement dans une perspective interculturelle. Travailler à l’existence de la rencontre interculturelle suppose de connaître l’autre et d’accepter sa différence naturelle et culturelle, afin que les individus agissent dans un esprit d’harmonie, de possession et d’action mutuelle, en oubliant les divisions de Babel.
Conclusion
Penser à l’enseignement et à l’apprentissage des langues étrangères - à la fois leur contenu et leur contenant, leur théorie et leur pratique - nécessite de considérer ce partenaire privilégié qu’est l’apprenant de langue, son histoire, sa langue et sa culture. Ceci est essentiel pour que cet enseignement-apprentissage ait la même signification culturelle, le même sens pédagogique et qu’il tende vers les mêmes objectifs didactiques, en suivant la même voie pragmatique et le même parcours idéel. Comme le souligne Bernard Barsotti de manière judicieuse : « On pourrait être tenté de qualifier ce sens commun de pré-réflexif… il faudrait [alors] parler d’une propriété pré-réflexive de la réflexion. »
À ce propos, Kant distingue trois règles ou maximes du sens commun qui constituent l’art du dialogue dans l’échange d’idées :
« 1. Penser par soi-même,
2. penser en se mettant à la place de tout autre,
3. toujours penser en accord avec soi-même. » (Kant in Barsotti 2002 -55)
Ainsi, la collaboration, l’existence et le devenir du partenariat pédagogique dans le domaine des langues étrangères, imprégné d’interculturalité, préservent leur essence et sont protégés contre toute déperdition culturelle.