Comment se fait la rencontre entre Slimane Benaissa et Bertolt Brecht  ?

GUERMAT-BENHIMI Fatma

p. 103-117

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GUERMAT-BENHIMI Fatma, « Comment se fait la rencontre entre Slimane Benaissa et Bertolt Brecht  ? », Aleph, Vol. 4 (1) | 2017, 103-117.

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GUERMAT-BENHIMI Fatma, « Comment se fait la rencontre entre Slimane Benaissa et Bertolt Brecht  ? », Aleph [En ligne], Vol. 4 (1) | 2017, mis en ligne le 25 décembre 2017, consulté le 21 décembre 2024. URL : https://aleph.edinum.org/924

Pour imposer l’art théâtral dans la société algérienne durant, voire même après la colonisation, les hommes de théâtre algériens se sont inspiré de la structure théâtrale occidentale. Quant aux textes de théâtre, on a commencé par la traduction de textes français en arabe littéraire ou dialectal. Étaient traduits Molière, Brecht, Beckett, Ionesco… etc. ainsi commence l’emprunt, tout en ajoutant ensuite des éléments de la culture populaire, comme le conteur, la «  Halka » (le cercle). Cette fusion a permis l’implantation du genre théâtral en Algérie. Ce nouvel art devient depuis, le meilleur moyen pour se raconter et défendre la cause algérienne lors de la guerre de libération. Après l’indépendance, cette fusion a continué à marquer l’écriture théâtrale algérienne. Comme il est démontré dans le texte de Benaissa, Les fils de l’amertume. Cependant, le théâtre devient le monde où se reflète le malaise profond de l’homme du XXème siècle  ; les crises identitaires, idéologiques, politiques voire, culturelles. Le théâtre marque alors un rapport étroit avec les autres littératures, comme le conte raconté, marqué de plus en plus par l’oralité.

In order to impose theatrical art in Algerian society during, and even after, colonization, the Algerian theatremen were inspired by the Western theater structure. As for the theatre texts, it began by translating French texts into literary or dialectal Arabic. Were translated Moliere, Brecht, Beckett, Ionesco ... etc. and thus began the borrowing, and then adding elements of popular culture, such as the lector, the Halka (the circle). This fusion allowed the implantation of the theatrical genre in Algeria. This new art has since become the best means of telling and defending the Algerian cause during the war of liberation. After the independence, this merger continued to mark Algerian theatrical writing. As it is demonstrated in the text of Benaissa, The sons of bitterness. However, the theatre becomes the world where the profound malaise of the man of the 20th century is reflected ; Identity, ideological, political and even cultural crises. The theatre then marks a close relationship with other literatures, such as the narrated tale, marked more and more by the orality.

بغرض فرض الفن المسرحي داخل المجتمع الجزائري خلال، بل و أيضا بعد، الحقبة الاستعمارية، استقى رجال المسرح الجزائريين وحيهم من الهيكل المسرحي الغربي. و فيما يتعلق بالنصوص المسرحية، تمت ترجمتها من اللغة الفرنسية إلى اللغة العربية الفصحى أو العامية أولا و كانت نصوص موليير و برشت و بيكيت و يونسكو...إلخ تترجم هي الأخرى. و من هنا ظهر الاقتراض مع إدراج بعض عناصر الثقافة الشعبية كالراوي والحلقة. و قد ساهم هذا الدمج في غرس الفن المسرحي في الجزائر و ترسيخه. ومن هذا المنطلق، أصبح هذا الفن الجديد الوسيلة المثلى لقصّ القضية الجزائرية و الدفاع عنها خلال حرب التحرير المجيدة. وقد ساد هذا الدمج بعد الاستقلال و استمر في تمييز الكتابة المسرحية الجزائرية مثلما يتجلى في نص بن عيسى « ابن الحسرة ». بيد أن المسرح بات يشكل عالما يعكس الضيق العميق لرجل القرن العشرين و كذا الأزمات الهوية و العقائدية و السياسية و حتى الثقافية. لذا فإن للمسرح علاقة وطيدة مع الأنواع الأدبية الأخرى مثل ما هو الحال بالنسبة للحكاية التي تميزها الشفهية أكثر فأكثر.

Nous essayerons de démontrer dans cet article l’influence de Brecht sur le théâtre en Algérie et en particulier sur celui de Slimane Benaissa. Les traces de cette influence existent même si les deux hommes de théâtre n’ont pas le même combat, ou la même idéologie. Nous retrouvons les traces de l’emprunt dans des éléments comme le chant, la musique, les narrateurs, certes introduits avant Brecht par Piscator, mais qui sont quand même au service de la distanciation dont Brecht et Benaissa se servent.

Comment se fait la rencontre entre Benaissa et Brecht  ? Autrement dit, quelles sont les traces de l’emprunt de l’esthétique brechtienne  ?

Disciple d’Erwin Piscator, Bertolt Brecht est l’une des figures qui ont influencé le théâtre moderne, ses écrits esthétiques, selon Catherine Naugrette, fournissent

«  la matière de ce qui est sans doute la dernière grande poétique théâtrale de l’époque moderne. Une poétique qui n’est pas seulement du texte, mais surtout de la scène, et qui prend en compte tous les aspects du théâtre, depuis son écriture et sa dramaturgie jusqu’à ses effets et sa réception, en passant par ses différents mécanismes, ses principes et ses techniques. » (Naurguette 2000 : 213.)

Cependant, la présence de Brecht est située dans les deux plans  ; textuel et technique.

Vers les années soixante, les textes du dramaturge allemand dominèrent la scène à un certain moment du parcours du théâtre algérien. En effet, les hommes du théâtre algérien, ne possédant pas encore de textes propres à eux, commencent par l’adaptation ou la traduction de textes étrangers, parmi eux ceux de Brecht. Abderahmane Kaki, Hadj Hamou, Hachemi Nourredine, Abdelkader Alloula, et d’autres encore se sont intéressés aux écrits et à la technique de Brecht. Alloula, pour enrichir son expérience théâtrale, a repris des éléments esthétiques et techniques, voire des supports idéologiques. Car les propos de l’œuvre de Brecht correspondaient au discours politique de l’Algérie après l’indépendance. C’est pourquoi les hommes de théâtre algériens trouvaient normal le recours à l’adaptation des textes qui traitent des problèmes liés à l’édification d’une société socialiste.

L’influence de Brecht est de plus en plus marquée après les années soixante et 70, c’est-à-dire après l’indépendance. Période où chaque homme de théâtre voudra apporter de nouvelles expériences à la scène dramatique. La production est riche entre 63 et 65, différents courants esthétiques se côtoient, des pièces nationales et étrangères sont montées. Différents thèmes sont mis en scène, allant du social au politique. Chaque homme de théâtre s’inscrit dans le courant qui l’attire, Slimane Benaissa, Kateb Yacine, Alloula proposent une lecture politique directe de la réalité sociale. Ils privilégient la critique politico-idéologique, contrairement à Benguettaf, Bouguermouh et Dehimi qui structurent leurs représentations de conflits sociaux.

Pendant cette période, Brecht est considéré comme «  une référence essentielle de l’activité théâtrale en Algérie ». (Cheniki 2002 : 65). Si Alloula insiste dans plusieurs entretiens sur la paternité de Bertolt Brecht, Benaissa, lui, ne déclare pas clairement ce rapprochement, car, selon le dramaturge, les conflits et les ambitions sont différents, mais cela n’empêche guère de s’inspirer de son esthétique. Débutons d’abord par les divergences légères entre les deux hommes.

La poésie au théâtre 

Chacun d’eux voit différemment la place et la fonction de la poésie dans leurs œuvres : Benaissa laissera toujours un espace à la poésie, qui chez lui est une liberté totale. Comme si le dramaturge ne voulait pas que sa création théâtrale soit un simple discours de propagande dénué de toute esthétique. Il ouvre son texte Les fils de l’amertume, publié chez Lansman en 1996, par une longue tirade poétique qui sert à résumer le thème principal. Pour ne pas être lourd, le dramaturge se sert de la poésie libre :

Libérez les mots qui en ces temps obscurs s’égrènent comme un chapelet sans que l’on sache quel dieu ils disent,
Levez la voix pour dire simplement la peine.
Levez les bras pour dire simplement la paix.
Respirez l’air qui est là et dites les tempêtes d’ailleurs.
Que les quelques gouttes d’eau qui imbibent vos lèvres racontent votre soif.
Femmes, soyez laitières de vos mots.
Hommes, soyez généreux de vos dires.
Enfantez en ce soir l’espoir, après tant de nuits d’impasses où les bottes usurpent la lumière aux étoiles, redonnent à la lune ses loups.
Le théâtre est communion.
Dieu est cérémonial.
Pauvres humains que nous sommes, le solennel nous égare.
Alors, essayez de ne pas vous perdre. (p. 11)

Le poème libre ne respecte pas le mettre, il se base sur la diversité des images créées par les comparaisons et les métaphores. Il laisse libre cours à l’expression de la parole de l’ancêtre poète. Grâce à ce poème, l’ancêtre résume l’idée de la pièce, sans donner trop de détails pour aiguiser le suspens, introduit les personnages et les incite à prendre la parole dans un temps où la parole est chèrement payée, et attire l’attention du public qui, comme hypnotisé par le ton de l’ancêtre, est curieux de déchiffrer ses dires.

Slimane Benaissa ne veut pas désamorcer la poésie ou la discipliner, mais donner libre cours à cet élément qui est pour lui le meilleur moyen de pénétrer les profondeurs du spectateur.

Par contre Brecht, qui est aussi poète, freine continuellement la poésie au profit d’une doctrine.

Le rire cathartique :

Brecht, après avoir milité pour un théâtre épique, politique et didactique, revendique le sérieux, le recul, la distanciation, il se retourne vers le rire, qu’il rejetait au début, et le souci de plaire, pour réduire la distance entre le spectateur et la pièce sans cependant tomber dans le traquenard de la facilité :

«  Renonçons par conséquent à notre intention d’émigrer le royaume du plaisir et… proclamons notre intention de nous y installer. Traitons le théâtre comme un endroit où l’on s’amuse. Mais cherchons à savoir quelle sorte de distraction nous considérons comme acceptable. »1

Benaissa et Brecht se retrouvent dans l’aspiration à un théâtre fait de plaisir et de distraction, chose qui paraît simple, mais difficile à réaliser comme le précise le dramaturge algérien dans l’introduction à son texte Les fils de l’amertume :

«  La difficulté était d’être simple. Le rire, les larmes, le discours, la musique… m’ont aidé à mettre en place la poétique du spectacle permettant d’éviter les pièges du didactisme édifiant. D’autant plus qu’il s’agissait à la fois de sensibiliser un public français et de convaincre un public algérien à travers une parole davantage plurielle et consensuelle. »2

Il continue dans le même texte introductif que la scène est son seul lieu de dignité, d’authenticité et de beauté, et c’est grâce à elle qu’il pouvait «  remonter le malheur à contre-courant et en rire »3

Il est clair que l’amusement existe dans le spectacle et lors de ce spectacle, comme il l’affirme dans une interview réalisée par M. CHENIKI Ahmed :

«  Le public applaudit, rit. Il va sans dire “ça dépend de quel rire”. Je crois que le théâtre a aussi un aspect fête, une communion entre la scène et la salle qui doit être la plus forte possible. […] Cette communion avec le public est la meilleure récompense. »4

Cet amusement permet au public de se distraire et de se débarrasser de la mauvaise énergie, d’où l’effet cathartique du rire.

En revanche, Brecht fait un théâtre qui divise, à cela Benaissa répond :

«  Bertolt Brecht était confronté à son époque, à une tradition théâtrale déjà là, représentée par le théâtre bourgeois qui avait ses visées politiques et idéologiques  ; ce théâtre avait pour mission de colmater et d’occulter les conflits et les classes. Historiquement, Brecht est arrivé à la veille de son éclatement. Donc la division correspondait au sens de l’Histoire. Qu’en est-il de nous aujourd’hui  ? La diversité culturelle est à encourager, c’est-à-dire ce qui fait la richesse culturelle de notre pays. Mais il faut établir un dialogue entre ces cultures et une communication interculturelle. En d’autres termes, on se parle avec ce qu’on est. »5

La différence est claire entre les deux hommes de théâtre, chacun mène un combat et défend une politique propre à son époque, mais cela n’empêche guère de se reposer sur l’esthétique brechtienne pour raconter la tragédie en Algérie, tragédie de la décennie noire.

Les traces de l’emprunt 

Les fils de l’amertume, pièce éditée en 1996 dans la maison d’édition LANSMAN, en France, trace la trajectoire de deux personnages Youcef, le journaliste et Farid le terroriste. Le dramaturge algérien procède par montage en tableaux autonomes, technique très préconisée par Brecht. Nous constatons dans la pièce deux tableaux autonomes  ; le premier raconte la vie de Youcef (le héros). Or son récit ne se fait pas de façon linéaire, la pièce s’ouvre dans le présent du personnage, puis revient à son passé, quand il était enfant  ; portant ses propres jugements sur la guerre de libération, sur l’amour pendant cette période, sur les enseignements religieux et français et l’ambiance de l’indépendance. Il n’y a pas de retour au présent du personnage, son récit s’arrête là. Puis est introduit le deuxième personnage, Farid (l’antihéros), né après l’indépendance. Ce dernier raconte directement au public ses années d’enfance passées dans un foyer déchiré. Il est élevé par sa mère, divorcée, et passe quelque temps avec son père, ancien maquisard. Le personnage poursuit son récit en remémorant le jour de l’aïd où il a perdu son demi-frère, son enseignement, sa rencontre avec d’autres personnages qui ont changé sa vie et sa façon de voir le monde. Jusqu’au moment où il assassine Youcef.

Benaissa divise cette pièce en deux petites pièces, la première se situe dans la période coloniale et la seconde après l’indépendance, la rencontre entre les deux personnages ne se fait qu’à la fin de la grande pièce autour du coup de feu.

Ce montage en tableaux permet aussi au dramaturge de porter son jugement dans la bouche de l’ancêtre ou du narrateur, ainsi comme le précise Brecht :

«  les évènements ne doivent pas se suivre imperceptiblement, il faut au contraire que l’on puisse interposer son jugement. Les parties de la fable sont donc à s’opposer soigneusement les unes aux autres, en leur donnant leur structure propre, d’une petite pièce dans la pièce. »6 Et il poursuit dans son livre qu’en opposition à la forme aristotélicienne, le déroulement est «  sinueux »7 et la progression se fait par «  Bonds »8

L’opposition dans le texte de Benaissa se voit à travers le choix du cadre spatio-temporel. En effet, le premier personnage, Youcef, après avoir reçu la menace de mort, se dirige dans des endroits significatifs  ; telle que la caserne pour voir son cousin Merzak, et le bar pour voir ses amis Rachid et Akli. Cet endroit est ainsi présenté par l’ancêtre :

Ici c’est le Roméo, un bar du centre d’Alger. Bain maure de la pensée, c’est ici que l’on se lave de l’intérieur. C’est dans ces bars que journalistes, cinéastes, hommes de théâtre, artistes-peintres, sculpteurs, luttent désespérément  ; c’est dans ces bas-fonds qu’ils construisent des projets… et finissent par avoir les tripes nouées en occultant leurs talents, pour punir un pouvoir qui les marginalise. (p. 14)

La description ironique de l’espace est symbolique  ; le bar, endroit d’inconscience devient l’espace des grands projets et d’importantes décisions.

Étant enfant, Youcef se trouve dans l’école coranique, où il apprend les préceptes de la religion, dans l’école française où il apprend la langue et la culture française, où il se fait des amis de différentes nationalités et confessions, et dans la mosquée où il fait la prière, enfin dans la rue où il fête l’indépendance. C’est dans cette ambiance que se termine la première petite pièce.

Par contre Farid se trouve généralement dans des espaces clos et où règnent la violence et la mort. Telle que la maison paternelle – bâtie par des anciens maquisards et non des architectes – où il perd son demi-frère, le jour de l’aïd. Il se trouve aussi dans la mosquée où il apprend les principes des terroristes basés sur le meurtre considéré comme djihad. Dans la dernière scène, il est dehors, face à Youcef sur lequel il va tirer un coup de feu. C’est ainsi que s’achèvent la seconde petite pièce et la grande pièce.

La description des espaces faite soit par les personnages eux-mêmes soit par les narrateurs, nous dévoile différentes conceptions de l’espace. Dans la caserne, le bar, la mosquée, voire même son appartement, Youcef parle de vie, de survie, d’espoir, alors que dans la maison du père, la mosquée, même dans la rue, Farid, lui ne voit, n’entend parler que de mort.

L’opposition se trouve aussi dans le temps. Youcef, enfant, vivait dans la période coloniale :

Youcef : Et mon père rejoignait Âmmi Salah aux réunions politiques au cours desquelles ils ont organisé le «  8 mai 45 », qui a fini par le massacre de Sétif et de Guelma. […] la guerre allait s’enclencher » (p. 21)

En plus des éléments textuels annoncés par le personnage, le dramaturge se sert d’autres techniques présentés dans des didascalies, tels que le chant : «  Chant patriotique » (p. 21), «  Chant, ambiance de l’indépendance » (p. 39)

Quant à Farid, lui il a connu une autre guerre, c’est la guerre civile, connue par les meurtres fratricides. Il est ainsi présenté par le narrateur :

Cinq jours à peine d’indépendance et un conflit éclate dans l’armée. La première sortie dans la rue du peuple algérien indépendant était pour hurler «  Arrêtez le sang  ; sept ans, ça suffit  ! » Trois ans après, le 19 juin 1965, les chars sont encore au rendez-vous. L’armée prend le pouvoir. Fin juillet, Farid vient au monde. » (pp. 38 – 39)

Le narrateur, dans un texte très simple, résume trois années de tuerie et de violence vécues après la guerre d’indépendance. Le personnage ne donne pas plus de détails, car les dates sont incrustées dans la mémoire commune. Or, la présentation que fait Farid, elle contient plus d’informations sur ses parents, sa naissance, et ses premiers moments avec les infirmières :

Je m’appelle Farid, je suis le fils de l’indépendance, je suis né entre un coup d’état et un divorce. Quand ma mère a quitté la maison de mon père, j’étais dans son ventre… » (p.39)

Contrairement au narrateur, le personnage apporte un aspect subjectif, une vision personnalisée à la dimension temporelle. Le narrateur se limite aux informations sans détails et sans donner un point de vue ou de commentaires personnels.

Le procédé le plus important et le plus utilisé reste celui de la distanciation. Procédé qui permet au spectateur, à travers différentes techniques, de rester éveillé et vigilant et pour reprendre l’expression de Brecht «  rester conscient qu’on regarde le théâtre »9 Dans le texte, Benaissa nous rappelle sans cesse qu’on est en train de regarder du théâtre, à commencer par le premier acteur sur la scène, l’ancêtre qui, dans un langage poétique, s’adresse au public, exprime la nécessité de parler et insiste sur la fonction du théâtre, puisqu’il dit : «  Libérez la voix pour dire simplement la peine… Le théâtre est communion… » (p. 11). Puis il s’adresse aux acteurs : «  Et vous, acteurs et musiciens, funambules du malheur, aidez-le à raconter son histoire » (p. 11)

Le personnage prend la parole en se présentant d’abord au public : «  Je m’appelle Youcef, je suis journaliste… » (p. 11) Seul sur scène, l’acteur continue à parler, dans de longues tirades, au public, comme un homme qui aurait besoin d’un confident. La distanciation est aussi marquée par la présence de l’ancêtre et des narrateurs dans le théâtre de Benaissa. En effet, ces personnages ne jouent pas de rôle dans le texte, leur présence se limite à des commentaires des actions ou des dires des personnages.

Cette communication permet un lien direct entre la scène et la salle. Le lien devient de plus en plus fort, à travers l’ancêtre qui s’interpose (à la place du dramaturge) pour donner un jugement sur l’espace-temps ou sur les autres acteurs). Grâce à cette technique, le spectateur n’est pas prêt d’oublier qu’il assiste à un spectacle.

L’autre moyen employé est le chant (songs). En effet, les tableaux sont introduits par un chant. Le premier du texte, est un chant andalou qui interprète «  Dieu, toi le plus grand », ces chants introduisent un rapport de complicité entre la scène et la salle, mettant fin à ce qu’on appelle le quatrième mur, à ce propos Brecht écrit :

«  On devra naturellement abandonner la notion de quatrième mur, ce mur fictif qui sépare la scène de la salle et crée l’illusion que le processus représenté se déroule dans la réalité, hors de la présence du public. Par principe, les comédiens ont donc ici la possibilité de s’adresser directement au public »10

Ainsi, ce procédé de distanciation permet au public de se sentir impliqué dans ce qui se déroule sur scène, par conséquent, on le pousse à réfléchir, à se poser des questions, à vouloir participer dans le changement des choses. Ce procédé le rend actif.

Pour conclure, Benaissa s’inspire de l’esthétique brechtienne afin de traiter des thèmes, des sujets qui touchent la société algérienne. Et ce en dépit des différentes époques, idéologies où se trouvent les deux hommes de théâtre.

1 LOUANCHI, Denise (Chaplain), Un essai de théâtre populaire : L’homme aux sandales de caoutchouc de Kateb Yacine, thèse de troisième cycle

2 BENAISSA, Slimane, Les fils de l’amertume, LANSMAN, 1996, p. 2

3 Ibid. , p. 2

4 Interviewé par CHINIKI Ahmed,

5 Ibid.

6 BERTOLT Brecht, Ecrits sur le théâtre I – II, Paris L’Arche 1972

7 Ibid., p. 261

8 Ibid., p. 261

9 BERTOLT, Brecht, op., cit., p. 98

10 BERTOLT, Brecht, op., cit., p. 331

Benaissa Slimane, Les fils de l’amertume, Lansman, 1996

Ouvrages

BERTOLT Brecht. 1972. Ecrits sur le théâtre I – II, Paris : L’Arche.

CHENIKI, Ahmed,. 2002. Le théâtre en Algérie. Histoire et enjeux. Aix-en-Provence : EDISUD,.

HUBERT, Marie-Claude. 1998., Le théâtre, Paris : ARMAND COLIN.

NAURGUETTE, Catherine. L’esthétique théâtrale. Paris : NATHAN. 2000

PAVIS, Patrice. 1996. Dictionnaire du théâtre, Paris : DUNOD.

UBERSFELD, Anne. 1996., Lire le théâtre : Tome 1, 2 et 3, Paris : Belin.

UBERSFELD, Anne. 1996. Les termes clés de l’analyse du théâtre. Paris Le Seuil.

Thèses

LOUANCHI, Denise (Chaplain). 1977. Un essai de théâtre populaire : L’homme aux sandales de caoutchouc de Kateb Yacine. Thèse de doctorat de troisième cycle, Université d’Aix-en-Provence,.

Webographie

www.slimane-benaissa.com

1 LOUANCHI, Denise (Chaplain), Un essai de théâtre populaire : L’homme aux sandales de caoutchouc de Kateb Yacine, thèse de troisième cycle, Université d’Aix-en-Provence, 1977, p. 236

2 BENAISSA, Slimane, Les fils de l’amertume, LANSMAN, 1996, p. 2

3 Ibid. , p. 2

4 Interviewé par CHINIKI Ahmed,

5 Ibid.

6 BERTOLT Brecht, Ecrits sur le théâtre I – II, Paris L’Arche 1972

7 Ibid., p. 261

8 Ibid., p. 261

9 BERTOLT, Brecht, op., cit., p. 98

10 BERTOLT, Brecht, op., cit., p. 331

GUERMAT-BENHIMI Fatma

Université Alger 2

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