Tamazight à travers les enseignes publicitaires à Bejaia

الأمازيغية من خلال اللافتات الإعلانية في بجاية

Tamazight through advertising signs in Bejaia

Brahim Hamek

p. 275-283

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Brahim Hamek, « Tamazight à travers les enseignes publicitaires à Bejaia », Aleph, Vol 10 (2) | 2023, 275-283.

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Brahim Hamek, « Tamazight à travers les enseignes publicitaires à Bejaia », Aleph [En ligne], Vol 10 (2) | 2023, mis en ligne le 19 janvier 2023, consulté le 22 décembre 2024. URL : https://aleph.edinum.org/8314

La situation de tamazight n’a jamais autant changé que ces dernières années sur le plan statutaire, cependant qu’en est-il réellement sur son implantation sur le terrain ?
Cette étude s’est focalisée sur l’existence de tamazight dans un domaine très significatif de l’affirmation des langues qui est celui des enseignes publicitaires, à travers une ville de Bejaia, capitale d’une région amazighophone acquise pour la cause amazighe et donc censée être le fief de son affirmation. Cependant, même si tamazight est promue langue nationale et officielle, son implantation sur le terrain est très faible sur l’échiquier des langues utilisées à Bejaia.

إن وضع الأمازيغية لم يتغير على الإطلاق كما حدث في السنوات الأخيرة على المستوى القانوني، ولكن ما هو الأمر الحقيقي حول إنشائها على الأرض الواقع؟
ركزت هذه الدراسة على وجود اللغة الأمازيغية في منطقة مهمة للغاية من تأكيد اللغات وهي تلك الخاصة باللافتات الإعلانية، من خلال مدينة في منطقة ناطقة بالأمازيغية تم اكتسابها من أجل القضية الأمازيغية، وبالتالي من المفترض أن تكون مركز تأكيدها، وهي مدينة بجاية. ومع ذلك، على الرغم من أن اللغة الأمازيغية تم الترويج لها كلغة وطنية ورسمية، فإن وجودها في الميدان ضعيف للغاية من حيث اللغات المستخدمة في بجاية فيما يتعلق باللافتات الإعلانية.

The situation of Tamazight has never changed as much as in recent years on a statutory level, however what is really about its establishment on the ground?
This study focused on the existence of Tamazight in a very significant area of the affirmation of languages which is that of advertising signs, through a city of an Amazigh-speaking region acquired for the Amazigh cause and therefore supposed to be the stronghold of his assertion, which is the city of Bejaia. However, even though Tamazight is promoted as a national and official language, its presence in the field is very weak in terms of the languages used in Bejaia with regard to advertising signs.

Introduction

Avec le bouleversement qu’a connu l’Algérie sur le plan politique et la reconnaissance du tamazight en tant que partie prenante de l’identité et de la culture algériennes, comme langue nationale depuis 2002 et officielle depuis 2016 à côté de l’arabe, la situation du tamazight n’a jamais autant changé que ces dernières années sur le plan statutaire, cependant qu’en est-il réellement sur son implantation sur le terrain ?

En Algérie, actuellement, le tamazight s’est implanté timidement au niveau de l’enseignement dans les zones amazighophones sans s’étendre aux zones arabophones, encore réticentes, à son apprentissage. Le manque d’enseignants, la non-ouverture de postes budgétaires dans l’enseignement et une politique linguistique non encore suffisamment clarifiée malgré l’officialisation de la langue et son inscription dans la constitution comme langue nationale et officielle ont contribué à sa stagnation et à son cantonnement à des territoires restreints. Et malgré son institutionnalisation et sa dotation d’institutions, académique (Académie de la langue Amazigh) et politique (Haut-commissariat à l’amazighité), son enseignement demeure dans les programmes scolaires facultatif et optionnel.

Et sur un plan général, à défaut de prendre place dans l’espace de l’officialité (justice, administration) elle s’est dotée d’une chaîne de télévision, TV4, une chaîne de radio nationale (la chaîne II) et deux chaînes de radio régionales (radio Soummam et radio Tizi-Ouzou).

En construction lente, tamazight, même si elle jouit d’instruments la rendant plus visible, est encore en situation marginale et ne dépasse pas les frontières de régions clairement amazighophones. Son caractère de langue nationale et officielle s’en trouve de facto réduit à une langue régionale à la marge de l’officialité où même sa codification1 demeure en discussion. Et même dans les régions où elle semble acquise, son implantation est partielle.

Loin de répondre à tous les questionnements qui se posent à la pratique et à l’extension de tamazight, l’étude sociolinguistique présentée ici nourrit l’unique ambition de mesurer son audience dans un espace urbain amazighophone où sa pratique est naturelle. Elle passera en revue sa visibilité à travers les enseignes2 publicitaires disséminées dans la ville de Bejaia, capitale régionale d’une région amazighophone.

Il est question d’inventorier dans une démarche purement taxinomique les messages contenus dans ces enseignes pour situer tamazight sur l’échiquier des langues en usage à Bejaia, de présenter sa distribution en corrélation avec d’autres langues utilisées et de montrer ainsi la réalité d’un ancrage à caractère aléatoire.

1. Tamazight : histoire d’une réhabilitation

La ville de Bejaia, nommée localement « Bgayet », est située à 220 km à l’est d’Alger, en basse Kabylie sur la bordure de la mer Méditerranée, c’est le chef-lieu de la wilaya de Bejaia. C’est l’une des plus grandes villes kabyles en population avec environ 190 766 habitants en 2018. Elle est connue sous le nom de Saldae à l’époque romaine, puis promue capitale du royaume vandale (429), islamisée en VIIIe siècle, elle devient la capitale des Hammadites (1065) puis la capitale des Hafsides (1228). Au Moyen Âge, elle a rayonné dans les domaines des mathématiques et des sciences. Bejaia est conquise par les Espagnols en 1510 puis par les Turques (1555) et les Français (1833). Après l’indépendance de l’Algérie, plusieurs villages des régions avoisinantes se sont vidés de leurs populations pour s’installer dans la ville de Bejaia pour une vie meilleure.

Les locuteurs kabyles sont généralement bilingues (kabyle-arabe ou kabyle-français) ou trilingues (kabyle-arabe-français)3.

Il règne actuellement un climat linguistique apaisé. Les langues ne se livrent plus une guerre et elles semblent coexister dans un espace où elles occupent des territoires spécifiques et où elles sont destinées à des objets spécifiés.

Depuis 1995, tamazight est introduite dans l’enseignement primaire et secondaire et dans l’enseignement supérieur à partir de 1991 avec la création des départements de langue et culture amazighes à Tizi-Ouzou, Bejaia, Bouira et Batna, une formation d’enseignants en tamazight à l’école normale supérieure de Bouzaréah et depuis 2019 à l’université de Tamenrasset.

De même une décision présidentielle fait de Yennayer, le Nouvel An amazigh, célébré à travers toute l’Afrique du Nord, un jour chômé et payé et fêté officiellement en Algérie pour la première fois le 12 janvier 2018 et depuis l’État algérien prend en charge la célébration de Yennayer à travers ses institutions. La reconnaissance officielle de Yennayer par l’État algérien revêt une dimension culturelle et historique, mais surtout une dimension symbolique consacrant la réhabilitation du patrimoine culturel amazighe. À cela, s’ajoute la création du Haut-commissariat à l’amazighité (1995) chargée de l’étude et de la promotion de la langue amazighe en Algérie, la création du centre national pédagogique pour l’enseignement de tamazight (2003), sa mission est la conception de dispositifs organisationnels et psychologiques de l’enseignement de la langue amazighe, dans tous les cycles du système éducatif. L’Académie algérienne de la langue amazighe a été fondée et officialisée en 2017 dont la fonction est de normaliser et de perfectionner le tamazight standard algérien, mais tarde à voir jour sur le terrain.

Ces changements historiques, politiques, sociaux et culturels marquent un véritable tournant dans la standardisation et la normalisation de la langue amazighe et marquent le début d’une ère pacifiée dans la guerre des langues et la prévalence de l’une d’entre elles dans la définition de ce qu’est l’identité algérienne.

2. Enseignes publicitaires dans la ville de Bejaia : un paradoxe linguistique à l’œuvre

Il est stipulé dans les textes législatifs portant sur l’arabisation (Décret n° 81-36 du 14 mars 1981 et la loi n° 91-05 du 16 janvier 1991) que les administrations publiques, les institutions, les entreprises et les associations sont tenues d’utiliser la seule langue arabe dans l’ensemble de leurs activités de communication, la rédaction administrative, financière, technique et artistique. De même, les enseignes, les panneaux, les slogans, les symboles, les panneaux publicitaires ainsi que toute inscription lumineuse, sculptée ou gravée indiquant un établissement, un organisme, une entreprise ou un local et/ou mentionnant l’activité qui s’y exerce, sont exprimés dans la seule langue arabe.

Cependant, malgré la politique d’arabisation et son caractère jacobin, la pluralité linguistique résiste aux injonctions paradoxales du discours officiel qui, tout en insistant sur une arabisation totale, continue à tenir ses réunions en français et même à publier un journal officiel en français.

Notons qu’à la faveur des nouvelles dispositions juridiques, même si la loi citée n’est pas abrogée, la pratique linguistique plurielle imposée par les discours sociaux prend la voie de l’officialisation même dans l’enseignement supérieur où des thèses dans des filières totalement arabisées se soutiennent en français4.

Les enseignes publicitaires à Bejaia participent aussi de ce paradoxe et affichent une « survivance » d’un pluralisme linguistique vivace. Sur environ 3000 enseignes inventoriées pendant le mois de décembre 2019 et janvier 2020, le français est omniprésent. L’arabe paradoxalement représente la fraction incongrue de 1/10, soit environ 300.

Il est intéressant de signaler que quelques rares enseignes signalant les bâtiments officiels de la justice et des corps constitués sont uniquement en arabe. Et encore paradoxalement, seule une centaine d’enseignes ont leurs équivalents en tamazight dont environ la moitié en transcription latine et une autre moitié en tifinagh. Soit un quotient de 1/30.

Dans le domaine commercial privé, où le français est majoritaire quand il n’est pas exclusif, paraît hégémonique. Ces différentes enseignes, (Catalya Pizzeria, boutique Eden, bijouterie la gerbe d’or, etc.), l’une à côté de l’autre, relevées au niveau des 300 logements, Iheddadène, Bejaia illustrent parfaitement cet hégémonisme d’une langue dans un territoire où cohabitent pourtant deux langues officielles5.

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Une grande partie des enseignes nous renseigne sur l’appartenance de l’entité elle-même où le nom ou le prénom du propriétaire à consonance arabe et/ou amazigh est mentionné : Anissa, Mahmoudi, Yacine, Djellouli, Ania, Adel, Yousra, Baziz, Ait El Hadi…)

L’appropriation du français pour se dire et assumer la pluralité constitutive de son identité transparaît ainsi dans une pratique a priori anodine d’une inscription publique. Les pratiques sociales résistent aux injonctions paradoxales auxquelles elles demeurent sourdes et les obligent in fine à la production d’un discours juridique les consacrant. Il n’y a d’identité linguistique que celle qu’impose la pratique sociale des langues. « L’on ne peut réduire les citoyens qu’à ce qu’ils sont et tout le reste participe d’une volonté politique et quelquefois d’une ambition à buts inavoués ». (J. Zenati. Entretiens inachevés)

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L’identité de la ville de Bejaia dans les enseignes s’affirme aussi à travers la toponymie et en premier lieu la pluralité des désignations de la ville elle-même (Bejaia, Bédjaia, Bougie, Bgayet, Elhammadia, Enacéria), de ses différents lieux emblématiques (Gouraya, Elqods, Tobal, Akfadou), à travers l’usage d’un lexique et d’anthroponymes amazighs (tusna, tamusni, thafsut, Missipsa, Aures), et enfin des figures historiques, des martyres et des moudjahidines (Amirouche, Si Lhaouas). On rencontre aussi, des toponymes traduits en français : « Agelmim aberkan » devenu « Lac noir ».

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Les modèles culturels mondiaux et les grandes marques, du fait de leurs valeurs commerciales et sentimentales auprès des Algériens, s’affichent non seulement par leurs noms, mais aussi par leurs logos pour inciter le consommateur, alors que dans le fait, plusieurs produits vendus n’ont aucune relation avec ces marques (Lacoste, Puma, Kenzo, Zara, etc.).

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Les enseignes en tamazight se retrouvent globalement sur les immeubles étatiques en caractères latins surtout au niveau des écoles et en caractères tifinagh au niveau des différentes administrations.

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Conclusion

L’observation du code utilisé dans les enseignes publicitaires débouche sur une répartition d’une inégale importance.

Alors que tamazight en caractères latins occupe une place prépondérante aux frontons des établissements de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur et les immeubles des administrations étatiques., les caractères rabes sont exclusifs sur les enseignes de la justice, de la police et de l’armée.

Il apparaît ainsi une distribution encore chevillée à un ordre ancien pourtant révolu depuis l’adoption de la nouvelle constitution. En conséquence, même si le discours juridique à travers la Loi fondamentale de la nation a considérablement évolué en faveur de tamazight les discours sociaux continuent à afficher la minoration d’une langue que la constitution a émancipée en l’inféodant à la langue du régime linguistique unique. Le jacobinisme a ici encore la peau dure !

Les inscriptions en tifinagh apparaissent essentiellement dans les enseignes indiquant les banques pour assurer un caractère hautement symbolique6.

Dans le domaine privé, il est aisé de constater que la pratique linguistique a érigé le paradoxe en loi e référence. Les enseignes des différents commerces sont quasiment en français, sporadiquement en arabe, mais presque inexistantes en tamazight dans une région si fière de sa singulière identité. Et même si les interactions verbales se déroulent pour l’essentiel en kabyle ou dans la langue du chaland -locuteur, l’établissement des factures, des tickets de caisses, des bons de garanties s’effectue exclusivement en français.

Paradoxalement, l’État souvent décrié s’est rigoureusement appliqué à observer les recommandations officielles en portant systématiquement une indication en tamazight sur les enseignes de bâtiments publiques, alors que ceux, dans le domaine privé qui ont porté haut et fort les revendications de reconnaissance et d’officialisation inscrivent à la marge l’objet même de leur acte militant.

1 On n’arrive pas à trancher sur les caractères à utiliser pour son inscription (tifinagh, latin ou arabe).

2 Selon le dictionnaire Larousse, « enseigne » est un signe constitué par un emblème, une inscription ou un objet symbolique permettant de signaler un

3 L’on peut encore rencontrer quelques personnes monolingues. Il s’agit principalement de personnes âgées non scolarisées.

4 L’exemple du département de sociologie de l’université de Bejaia constitue un témoignage sans être une exception.

5 Interrogé après son arrivée à Bejaia, sur son sentiment de se retrouver à l’étranger, un enfant de 11 ans de parents kabyles originaires de la

6 Il est inutile de lire pour entrer dans un espace où la langue en usage est celle qui est la plus sonnante et trébuchante. L’usage symbolique des

Références bibliographiques

BENRABAH, Mohamed. 2009. Devenir langue dominante mondiale, un défi pour l’arabe. Genève-Paris, Librairie Droz.

BRENZINGER M. et al. 2003. « Vitalité et disparition des langues ». URL : <https://ich.unesco.org/doc/src/00120-FR.pdf>, consulté le 14/5/2020.

DIRECTION DE SANTE ET DE LA POPULATION DE LA WILAYA DE BEJAIA. 2018. « Estimation de la population par commune 31/12/2018 ». URL : <http://www.dsp-bejaia.dz/index.php/population>, consulté le 29/7/2020.

LA REDACTION. 2009. « Classement des langues dans le monde ». URL : http://www.larevuetoudi.org/fr/story/classement-des-langues-dans-le-monde-0, consulté le 12/4/2020.

1 On n’arrive pas à trancher sur les caractères à utiliser pour son inscription (tifinagh, latin ou arabe).

2 Selon le dictionnaire Larousse, « enseigne » est un signe constitué par un emblème, une inscription ou un objet symbolique permettant de signaler un établissement de commerce à l’intention du public. Se transmettant avec le fonds de commerce en cas de cessation, elle est la propriété exclusive de celui qui l’a adoptée en premier. Elle constitue toute inscription, forme ou image apposée sur un immeuble et relative à une activité qui s’y exerce. L’enseigne est inévitable pour identifier, localiser et singulariser toute entreprise. C’est une publicité opératoire qui attire et captive l’attention, et le message qu’elle délivre doit être efficace. Tel est l’effet positif produit par l’utilisation des transcriptions en tamazight sur les Kabylophones.

3 L’on peut encore rencontrer quelques personnes monolingues. Il s’agit principalement de personnes âgées non scolarisées.

4 L’exemple du département de sociologie de l’université de Bejaia constitue un témoignage sans être une exception.

5 Interrogé après son arrivée à Bejaia, sur son sentiment de se retrouver à l’étranger, un enfant de 11 ans de parents kabyles originaires de la région répond "Mais regarde tous ces enseignes ! ce n’est moi qui suis à l’étranger, ce sont tous ces gens qui sont entourés d’une langue qui n’est pas la leur". (Zenati Jamel)

6 Il est inutile de lire pour entrer dans un espace où la langue en usage est celle qui est la plus sonnante et trébuchante. L’usage symbolique des caractères qui demeurent étrangers au plus grand nombre consacre une langue présentée sous le signe d’un symbole.

Brahim Hamek

Université Abderrahmane Mira - Bejaia

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