Le terme-discours «confinement » : logique inter-illocutoire et inférences sociocognitives d’une communication de crise

مصطلح الخطاب "الحجر الصحي": منطق التواصل في ظل الأزمات و الاستدلالات الاجتماعية المعرفية

The term 'containment' speech: inter-illocutionary logic and socio-cognitive inferences of a crisis communication

Youcef Immoune

p. 117-133

Youcef Immoune, « Le terme-discours «confinement » : logique inter-illocutoire et inférences sociocognitives d’une communication de crise », Aleph, Vol 10 (3) | 2023, 117-133.

Youcef Immoune, « Le terme-discours «confinement » : logique inter-illocutoire et inférences sociocognitives d’une communication de crise », Aleph [], Vol 10 (3) | 2023, 25 January 2022, 11 October 2024. URL : https://aleph.edinum.org/5052

Cette contribution vise à rendre compte des aspects inter-illocutoires et des inférences sociocognitives en jeu dans la communication gouvernementale de crise : l’instauration du confinement dans le contexte de la crise sanitaire de la Covid-19. À travers les textes de presse et des médias, recueillis tous azimuts, il est proposé ici de reconstituer les schèmes conducteurs, illocutoires et sociocognitifs, qui gouvernent l’instauration discursive de l’action de confinement tel qu’ils peuvent être répartis entre les instances d’énonciation impliquées : l’État, la presse (médias) et la population (le commun).

تهدف هذه المساهمة إلى تفسير الجوانب التبادلية والاستدلالات الاجتماعية المعرفية التي تلعب دورًا في الاتصال الحكومي في ظل الأزمات:مسألة إقرار الحجر الصحي في سياق أزمة الكوفيد.
من خلال نصوص الصحافة ووسائل الإعلام ، التي تم جمعها عبر الإنترنت ، يُقترح هنا إعادة تشكيل المخططات التوصيلية والاجتماعية المعرفية ، التي تحكم التأسيس الخطابي لفعل الحجر الصحي مثل توزيعها بين مواطن التحدث : الدولة، الخبراء، الصحافة (الإعلام) والسكان.

This contribution aims to account for the inter-illocutionary aspects and socio-cognitive inferences at play in government crisis communication: the introduction of containment in the context of the cCovid-19 health crisis. Through the texts of the press and the media, collected in all directions, it is proposed here to reconstitute the illocutionary and socio-cognitive patterns that govern the discursive establishment of the containment action as they can be distributed between the enunciating instances involved: the State, the press (media) and the population (the common)

Introduction

Cette analyse a pour point d’ancrage la situation d’urgence sanitaire, la pandémie de covid19, qui a conduit, à défaut d’une solution thérapeutique immédiatement disponible, à l’émergence d’un phénomène sociopolitique, le confinement, comme mesure idoine pour endiguer sa propagation. Le confinement a émergé et s’est imposé par décision politique (instances mondiales, États et gouvernements) à la faveur d’un discours de fondation et de légitimation structurant la vie sociopolitique et induisant un bouleversement profond dans les pratiques sociales des populations tant sur le plan individuel que collectif.

Au vu des considérations précédentes, le confinement, en tant que fait sociopolitique, se confond avec le terme-discours « confinement » dans sa dimension pragmatique en tant que macro-acte d’instauration d’un ordre des choses. Le confinement relève ainsi de l’ordre de la discursivité.

La presse et les médias, notamment à travers les canaux de la communication officielle (AFP, Reuter, APS…), constituent les lieux d’énonciation privilégiés mis à profit par les instances politiques pour relayer la décision de confinement et de développer son sémantisme à l’épreuve de l’irruption de la crise sanitaire Covid-19. La presse et les médias se posent ainsi comme le lieu d’énonciation ou l’espace discursif de transition et de diffusion des éléments du discours « confinement » et de la négociation de son sens par les différentes instances d’énonciation et de communication repérées dans la matérialité textuelle médiatique, à savoir : l’instance politique gouvernementale, l’instance des experts notamment dans le champ de la santé, l’instance du commun ou du public.

À partir de ce préambule, deux niveaux de questionnements et d’hypothèses de travail se distinguent pour permettre de décrypter et de modéliser le terme-discours « confinement », dans sa dimension pragmatique et inférentielle. Au premier niveau, il s’agit d’interroger la dynamique interlocutoire (interactionnelle), telle qu’elle s’établit dans la matérialité du discours médiatique considéré et telle qu’elle est soutenue par l’hypothèse qu’elle s’inscrit dans le cadre d’une communication gouvernementale de gestion de crise, compte tenu justement du contexte de la crise sanitaire. Au second niveau, il s’agit de reconstituer le sémantisme du terme « confinement » tel qu’il se déploie dans la matérialité du discours qu’il libère et structure. Enfin, le discours médiatique participe de cette communication de crise en tant que lieu d’élaboration interactionnelle de ce discours.

1. Précisions méthodologiques

Ce sont les chefs d’État et les gouvernements des États ainsi que les exécutifs des collectivités territoriales qui ont à gérer dans les faits et dans la communication des problématiques comme celles de la Covid19 et du confinement. Leur traitement médiatique rentre dans le cadre de la communication institutionnelle et gouvernementale de la crise ou d’un « marketing gouvernemental » qui consiste à afficher l’« exercice du pouvoir et du symbolisme politique » à des fins de bien-être social articulé à « la modification des comportements des citoyens et à l’encouragement d’autres ».2

1.1. Modèle de communication gouvernementale de gestion de crise : discours constituant

Les crises, comme le rappelle Thierry Libaert3, apparaissent à l’improviste et impliquent danger et disparition de l’organisation : révéler les dysfonctionnements, les blocages et l’inadaptation tout en constituant « un indicateur de la nécessité d’accélérer les restructurations ». Mise en péril, l’organisation (ici l’État) enclenche un processus de communication pour répondre à des « attentes d’éthique, de transparence et de vérité » pour sauver sa réputation et son fonctionnement.

Par ailleurs, comme le rappelle Barbara Lucini4, la communication de crise est inscrite dans le cadre de la résilience et a ainsi pour objectif de rassurer les populations en déployant une stratégie de diffusion de « messages unitaires et coordonnées » pour définir l’événement, à travers « des canaux de communications choisis ». Il en est ainsi du plan de communication de l’instauration du confinement qui est envisagé dans un dispositif hiérarchique, ruisselant des hautes instances de l’État vers les instances intermédiaires et, via la presse et les médias, atteignant les populations. Didier Heinderich5 parle de « communication sensible » qui se situe au carrefour de « communications de risque », de « communication d’acceptabilité » et de « communication relative aux activités contestées ». Dans ce cadre, il souligne que « toute possibilité de débat est substituée par une logique d’opinion » où préside la manipulation, la guerre des récits, des chiffres et des rapports qualifiés de « très partiaux ». Là où le gouvernement (l’organisation) agit, en communication, par « une montée en généralité » en assénant les certitudes sous couvert de neutralité, la contestation agit en particularisant le propos par des témoignages émotionnels et la propagation du doute comme preuves d’échec.

1.2. Rapport Presse-média et politique : portée heuristique du corpus politico médiatique

La presse et les médias se présentent comme le lieu d’énonciation où transitent, par l’effet du discours rapporté, direct et indirect, tous les énoncés participant à la construction dynamique de ce discours déclenché et projeté par le terme pivot « confinement ». L’archive des textes de presse a l’avantage méthodologique de consigner les traces d’une activité méta-discursive rendant compte des valeurs pragmatiques des énoncés des différents acteurs des champs politique et social qui participent à l’édification du discours « confinement ». Le rapport établi entre le monde politique et le monde médiatique est fondé sur l’enjeu de construire une réalité « à travers les représentations qui orientent les conduites » (agir communicationnel et social). C’est à travers la presse et les médias que le politique « objective ses définitions particulières de la réalité » (ici le confinement) et cherche à ce qu’elles soient « perçues comme influentes ».6 Dans le cas de cette étude, il s’agit d’induire par la force du discours une réalité conforme à la spatialité et à la temporalité du confinement.

Ce rapport étroit n’est pas exempt cependant de conduites paradoxales, comme l’anticipe la littérature spécialisée dans le domaine. Le politique en voulant exister médiatiquement prend le risque de « perdre sa singularité ». Par cette proximité, la presse et les médias participent à l’exercice du pouvoir, en se l’appropriant et en témoignant des failles (crises et tensions) dans le consensus social. Quant aux médias et à la presse, ils ne peuvent exercer leur métier sans « s’abreuver » aux sources officielles et ne peuvent ainsi que tenir « la chronique du prévisible et de l’attendu ».7 Ils se retrouvent de ce fait et dans une large mesure les apôtres du consensus imposé par le politique, sans pouvoir contester fondamentalement le pouvoir et qu’il y a tant de points de vue qu’ils ne reflètent pas et tiennent pour inexistants.8 Bien que contraint par le discours gouvernemental, le discours de presse et des médias demeure perméable à l’irruption de discours concurrents inscrits dans la confrontation.

1.3. Pragmatique : objets d’étude de la signifiance

À partir de l’archive du discours de presse, le corpus est constitué de séquences langagières ciblées par la présence du mot-pivot « confinement » pris dans l’environnement textuel qui s’impose de fait comme celui du discours rapporté (citant). En effet, Laurence Rosier9 parle d’une « pratique de référence » ou d’une « pratique courante et justifiée, fortement sollicitée » par la presse et les médias. Cette pratique discursive, comme le rappelle Elzbreta Biardaka10, comprend deux segments : « celui qui relate les données de l’énonciation primaires [les données situationnelles] et celui qui figure le dit de quelqu’un. ». Ainsi, l’analyse du discours rapporté permet à l’analyse de reconstruire la parole fondatrice du confinement attribuable à l’instance gouvernementale et experte telle qu’elle est pertinence et agissante dans le contexte de crise. Grégoire Lacaze11 met l’accent par ailleurs sur le phénomène des verbes introducteurs du discours cité, dont les choix révèlent des enjeux d’influence et de guerre de scénographie discursive. Le journaliste (citant) incarne la parole citée et révèle la manière dont sont perçues, du point de vue de la réception, les valeurs pragmatiques des paroles citées. Le discours rapporté convoque donc les paroles citées relatives aux différentes instances d’énonciation (institutionnelle, d’expertise, du commun et médiatique) participant à la construction du discours « confinement » et de sa signifiance.

Ce discours instituant, auquel il y a lieu d’accéder, Jacques Francis12 le relie à une textualité (discours) véridique de légitimation. Pierre Bourdieu, auquel Vanderveken13 se réfère, parle de discours de fondation et de consécration qui met en perspective son « pouvoir d’agir sur le réel » ou sur « la représentation du réel » au sens où « il produit ce qu’il désigne ». C’est un discours à caractère arbitraire qui s’évertue à « connaître et faire reconnaître », créant des « différences socialisées passées pour naturelles » : le groupe institué « arraché à l’insignifiance » et l’« ensemble caché ».

Francis Jacques préconise d’aborder ce discours de légitimation sur 3 axes : la différence, la référence, la communicabilité. Il s’agit de faire ressortir, dans les conditions générales de l’interlocution, l’action conjointe de signifier-comprendre (partager l’initiative sémantique), de co-référer, consacrant le principe « textualiser pour référer ». Cela, en faisant des conjectures sur les contextes pertinents relatifs à un monde possible déterminé par la valeur modale « croire » ou à la « compatibilité à ce que je crois », aux « présuppositions communes » qui sont des « états de croyances non complets, non consistants forcément ». Il est question de monde possible à travers lequel se révèlent « propriétés et individus que notre monde réel pourrait avoir de façon qu’il pourrait se représenter » (Francis Jacques, 115). Paul Siblot14 parle de signifiance en tant qu’« actualisations discursives » relativement au principe d’une « performativité radicale » où il est établi la correspondance entre l’évolution du sémantisme et l’évolution des pratiques. Vanderneken parle d’« inférences théoriquement et pratiquement valides dans une logique interillocutoire » qui requiert la satisfaction de plusieurs actes de langage inter reliés (acte d’énonciation, de référence, de prédication, d’illocution, des attitudes des interlocuteurs en matière de croyances, de désirs et d’intentions).

La signifiance se concrétise donc dans le discours et en cela, il est question, dans les termes de Régis Missire15, de « la modalisation du signifiant » qui renvoie à la dimension processuelle de l’assignation du sens et qui témoigne de l’activité du sujet dans la langue, référence faite à la sémanalyse de Kristeva. Bronckart16 parle de « discours articulés aux actions sensées » ou de « structures configurationnelles sensées » qui instaurent des valeurs à travers lesquelles s’opère la reconstruction de la compréhension du monde.

Il faut donc s’appuyer dans l’analyse sur la base empirique des inférences (liaisons implicatives entre les significations) relativement à un corpus de textes authentiques dans des situations écologiques (Bronckart). Il s’agit d’observer et de décrire les indicateurs (indices, marques, preuves, attestations) pour accéder au « procès de singularisation » (Régis Messire), aux « processus sous-jacents » en tant pistes d’interprétations suivant un modèle d’intelligibilité où il s’agit de repérer les finalités pour réguler les praxéologies (Francis Jacques).

2. Dynamique interactionnelle de l’acte d’instauration du confinement et inférences sociocognitives

La réalité de la pandémie Covid 19 et du confinement n’a pu émerger à la conscience du monde que dans la mesure, rappelons-le, où le scientifique chinois l’a révélé. L’État chinois en étouffant d’abord cette information aurait pu aussi effacer la réalité de l’urgence sanitaire mondiale. Ce n’est donc que lorsque cet État l’avait médiatisée en posant les termes « Covid19 » et « confinement » que la situation d’urgence sanitaire est devenue réalité et a induit toutes les actions et les ressentis qui lui sont liés. Par la suite, lorsque les différents États de par le monde ont relayé médiatiquement les mêmes termes, la conscience d’une pandémie devient tangible et son corollaire « confinement » entre en vigueur dans les pratiques sociales. On peut dire alors que le confinement, comme fait sociopolitique, est tributaire du terme-discours « confinement », énoncé et médiatisé d’autorité par la légitimité auctoriale de l’État.

2.1. Puissance de l’acte déclaratif : hiérarchie et subordination inter-illocutoire

La dynamique interlocutoire et interactionnelle reconstituée à partir du corpus (presse) nous permet de caractériser la prise de parole de l’instance de pouvoir en termes de performativité maximale relative à l’acte déclaratif au sens searlien : acte d’énonciation institutionnel rattaché à l’autorité de l’État, en vertu duquel les choses adviennent à la réalité. Les propos des présidents, des gouverneurs et des ministres, relatifs à l’instauration du confinement ou à l’opposition à cette instauration, sont rapportés par la presse et les médias, directement ou indirectement, à travers les mentions des verbes performatifs suivants : « décréter », « déclarer », « officialiser », « proclamer », « ordonner », « instaurer », « installer », « imposer », « adopter », « placer sous (quarantaine) », « décider », « dénoncer », « s’opposer », « ne pas envisager », « rejeter ».

Cela correspond au modèle organisationnel de la structure des actes du discours rapporté suivant :

Le président X (tout autre substitut) décrète/ne décrète pas (tout autre substitut) le confinement.
Le territoire X (tout autre substitut) est placé (tout autre substitut) sous confinement, a déclaré (tout autre substitut) le président.
« Le confinement… », a averti le Président. Ou Le président a déclaré que « le confinement… ».

Le confinement ou son absence sont rendus possibles par l’énonciation ou non du terme-discours « confinement ». Le confinement est tributaire de l’acte fondateur et instaurateur que constitue l’acte déclaratif, posé d’ailleurs explicitement comme acte de guerre et à ce titre même d’anciens décrets d’état d’urgence relatifs à d’anciennes guerres et de terrorisme, comme en France, sont réactivés pour mener la parade sanitaire :

Adopté dimanche par le parlement et publié mardi dans le Journal officiel, le régime d’exception à caractère sanitaire s’inspire en partie sur le modèle de l’état d’urgence prévu par la loi de 1955 et achevé après les attentats de novembre 2015.

Les discours, médiatiques et autres, qui se libèrent ensuite consignent cette valeur pragmatique de l’énonciation de la puissance publique en répétant ces verbes performatifs. Ils reconnaissent par-là la correspondance établie entre la puissance maximale de la performativité de l’énonciation des instances de l’État et la puissance de la hiérarchie sociopolitique. La communication institutionnelle et médiatique sur la covid 19 et le confinement révèle les lieux du pouvoir d’énonciation qui ruisselle verticalement du sommet du pouvoir décisionnel vers les opérateurs sociaux considérés comme relais de l’information et de la persuasion quant à la légitimité de la prise de décision.

Les chefs d’État s’approprient le droit de décréter et la pandémie et le confinement. Désignés par leurs noms ou leurs fonctions, mais aussi par métonymie par les termes « Pays/États », ils se situent au premier rang de la hiérarchie de l’énonciation en tant qu’instances premières de décision et par la valeur hautement performative de leurs actes déclaratifs. Puis viennent les « autorités locales », les « préfets » (contexte français), les « Wali (contexte algérien) au deuxième rang et enfin les “forces de l’ordre”. Toutes ces instances s’arrogent, en fonction de cette hiérarchie, le droit de manifester sans conteste l’effectivité du contenu propositionnel, “confinement”, en rendant ostentatoire à l’adresse des autres instances d’énonciation (la presse, les médias, les experts, les populations) la puissance de leur discours tant sur le plan actionnel que cognitif.

Ces instances s’arrogent non seulement le droit d’agir (confiner), mais aussi celui de savoir pourquoi confiner. En effet, en termes d’agir, les déclaratifs instaurent l’action publique de confiner et impliquent toutes les actions attribuées aux autres instances du pouvoir (instances d’exécution et de répression) à travers une performativité d’énonciation portée par les verbes “durcir (confinement)”, “renforcer”, “aller monter en puissance”, “interdire/autoriser”, “limiter”, “fermer”, “restreindre”, “mettre en place”, “(faire) appliquer”, “mettre en vigueur”, “faire respecter”, “avertir”, “sanctionner”, “prévenir”, “verbaliser”, “dresser des amendes”, “rechercher activement (contrevenants)”. Ces actes directifs (ordres) et promessifs (menaces) de second plan ordonnent le monde dans la projection de la configuration “confinement”. Par ailleurs, la légitimité d’action ainsi présentée s’accompagne du droit exclusif octroyé aux instances de l’État de disposer du savoir légitimant le bien-fondé du confinement : “juger (bon)”, “préciser”, “expliquer”, “vouloir”, “estimer”, “révéler”, “indiquer”, “reconnaître”.

C’est donc à travers une communication fonctionnelle et stratégique, mise en scène et patronage, que l’État organise la solidarité politique face à la crise sanitaire, en planifiant des actions à travers des contenus propositionnels “unitaires et coordonnées”, exemptes d’invariants et de contradictions et maintenant la tension entre “menaces et réassurances”. Les déclaratifs ainsi que les directifs et les menaces qui leur sont subordonnés développent un contenu propositionnel enfermé dans un schéma argumentatif simple et communicable que le discours médiatique et les autres discours sociaux peuvent reproduire aisément pour finir par déterminer avec force l’environnement cognitif de chacun :

  • L’État décrète le confinement pour endiguer la pandémie.

  • L’État décrète le confinement pour endiguer la pandémie qui tue tant de personnes.

En effet, l’action publique est fondée d’une part sur un schéma hautement efficace de causalité établie entre la dangerosité du virus et la nécessité du confinement comme solution ultime sinon unique dans l’immédiat. D’autre part, cette causalité est adossée, dans le discours médiatique et social, à un paramètre pragmatique d’agentivité (capacité d’un être à agir sur le monde) représenté à plus haut degré par les termes “Pays”, “noms de capitales”, “État”, “noms d’États”, “Président (+ nom)”, “gouvernement”, “premier ministre” ; à un degré moindre par “ministre de la santé”, “ministre de l’Intérieur”, “ministre du Logement”, “le gouverneur (+ nom de la région)”, “parlement”, “élus”. S’ajoute à l’agentivité une légitimité auctoriale, en ce sens que c’est le texte, en dehors de l’identité ou de la figure historiquement et socialement déterminée, qui, à travers une indicialité discursive, construit l’identité discursive et communicationnelle des interlocuteurs.

Certains noms de présidents sont évoqués avec la mention additive de leur couleur politique et orientation idéologique selon que l’on veuille manifester leur degré d’adhésion au confinement et une certaine orientation de sa gestion. Le sémantisme du terme-discours “confinement” n’est pas le même entre les États selon leurs positions respectives sur le plan économique et idéologique. Ce sont là, dans les termes de F. Jacques “des discontinuités qualitatives de la perception ordinaire”.

Donald Trump a déclaré plus tôt ne pas envisager pour le moment un confinement général de toute la population aux États-Unis, une mesure qui ne sera probablement jamais nécessaire à ses yeux.

Le président d’extrême droite minimise les risques liés à la pandémie de Covid-19 et dénonce les mesures prises dans plusieurs villes et États du pays. Cela a été fait en Californie, cela a été fait à New York (…), mais si vous allez dans le Midwest ou ailleurs, ils regardent tout cela à la télévision et n’ont pas les mêmes problèmes.
En Allemagne, seules la Bavière et la Sarre ont ordonné le confinement.  
Le gouverneur de Vénétie, Luca Zaia (Ligue extrême droite), a estimé mardi que le traçage des déplacements des individus à travers leur téléphone mobile ‘est une excellente solution’ pour faire respecter le confinement, même s’il admet que cela pose un problème de respect de la vie privée.
À compter de Minuit aujourd’hui, tout le pays va entrer en confinement. (…) il sera totalement interdit de vous aventurer hors de vos logements” a déclaré le dirigeant nationaliste indou. 
Pour faire respecter ce confinement total, le président Ramaphosa a décidé de recourir à l’armée. Dès lundi après-midi, des militaires ont été déployés dans la capitale économique Johannesburg. 

Sous l’effet représentatif du positionnement mondial en faveur de la solution confinement, l’effectivité de l’acte déclaratif des États est modulée en fonction de la question du confinement « total » ou « partiel », « strict » ou « flexible » et en fonction du régime politique en vigueur et des attitudes spécifiques de certains chefs d’État. Ces derniers, sous couvert d’autoritarisme, relevant de leur appartenance à l’extrême droite ou au nationalisme, ou de leur attitude propre, se montrent dans certains cas sceptiques vis-à-vis de la solution « confinement », dans d’autres cas ils montrent un zèle particulier à installer les formes de confinement les plus strictes.

2.2. Assignation autoritaire des valeurs aux paroles experte et commune

L’instance énonciative appartenant à la catégorie « expertise », représentée par le monde de la santé (scientifiques, communauté médico-hospitalière, laboratoires) est dotée d’un certain pouvoir énonciatif, mais dilué dans celui du pouvoir politique qui lui donne sa légitimité. À ce titre, toute cette communauté est organisée dans le cadre restrictif de Conseils scientifiques instaurés pour la circonstance ou réemployés s’ils sont déjà installés, à la stricte fin de gérer la crise de la Covid19.

Cette communauté d’experts est convoquée sous les termes indicatifs suivants : « le conseil scientifique », « le corps médical », « King’s collège de Londres », « équipe de chercheurs », « le monde scientifique », « comité ». L’autorité de certains experts médicaux est convoquée à titre représentatif : « nom d’expert (Philippe Juinin, France, Jérôme Salomon, France), nom de spécialité et de fonction (infectiologue, chef de service à l’Hôpital Pitié-Salpétrière, françois bricaire, France), Dr Bekkat Berkani, Algérie, directeur général de la santé. Les énoncés qui leur sont attribués sont dotés de la force illocutoire que le pouvoir veuille bien leur attribuer, et que les médias identifient en tant que telle. En général, cette force est confinée dans celle du “conseil”.

La valeur pragmatique de conseil se présente avec les verbes performatifs suivants : “préconiser”, “adopter”, “indiquer”, “recommander”, “plaider”, “réclamer”, “appeler à”, “lancer un appel”, “demander”. Ainsi, l’empreinte de leurs activités discursives se rapporte à un genre adapté à l’expertise à savoir le rapport et le bilan que leurs paroles soient rapportées ainsi par les médias ou qu’ils s’y réfèrent eux-mêmes lors d’interviews.

L’expertise est communautaire dans la mesure où il s’agit toujours d’un conseil, d’un collège, d’une équipe qui permet de communiquer la valeur de collégialité à la prise de décision du chef d’État pour ne pas paraître unilatéraliste. La parole de l’expert est située dans cette logique interlocutoire en amont et en aval du discours déclaratif et directif de l’État : en amont elle fonctionne comme présupposé à l’agir communicationnel du chef d’État et en aval, comme justificatif :

«Le conseil scientifique a préconisé dans la soirée un confinement d’une durée totale ‘d’au moins six semaines’, soit jusqu’à fin avril. Interrogé pour savoir si le gouvernement allait suivre cette préconisation, le ministère de la Santé Olivier Véran a affirmé qu’il s’agissait d’une ‘estimation’ et qu’il y avait d’autres expertises. Tant qu’il devra durer, il durera, a-t-il ajouté.»

Les experts qui conseillent le Président ont livré leurs conclusions : ils recommandent au moins ‘6 semaines de confinement’. Mais le gouvernement temporise pour le moment.
Le confinement total est réclamé par le corps médical, mais le Président de la République s’y oppose, en jugeant nécessaire un contrôle strict des mesures actuelles. Un nouvel avis du Conseil scientifique est attendu mardi.

Ces énoncés illustratifs, à l’instar de beaucoup d’autres, permettent de mettre en exergue plusieurs aspects de la dynamique interactionnelle qui caractérise les rapports Etat-expertise-médias. Le présupposé à l’acte d’instauration du confinement, appartenant aux instances du pouvoir politique, renvoie à l’acte de conseil (recommandation, proposition) de l’instance d’expertise, émanant de conviction scientifique (livrer les conclusions) et de prédictions, et renforcé par des appels (réclamation). Le discours de l’expert est donné comme résultat d’un travail commandité par les pouvoirs publics et sa mise en avant sert à crédibiliser le discours instaurateur de l’État en ce sens qu’il lui confère la légitimité de l’expertise en tant que prise de décision justifiée. À l’instar de Macron, président français, les autorités publiques aiment rappeler à ce titre être entourées d’experts.

Cependant, la presse et les médias, dans leur rôle de rapporteurs et surtout d’interrogateurs, nous révèlent que, dans la confrontation des discours, d’expertise et politique, l’expert se retrouve dans la position de celui qui a inspiré et validé une décision sans la prendre. L’expertise se trouve ainsi piégée : tous les honneurs de la prise de décision, marque de bonne gestion de la crise, reviennent au politique, mais tous les inconvénients induits par la contestation, effective ou éventuelle, de cette prise de décision peuvent être attribués à l’expert en suggérant que le pouvoir politique a été mal conseillé, les avis experts sont mal maîtrisés, flous ou divergents. Ainsi, l’engagement inscrit dans les actes de parole de l’expert est finalement décidé par l’instance du pouvoir. Il est neutralisé lorsqu’il est absorbé par le discours politique qui paraît auprès des populations comme celui par qui les choses peuvent advenir et mises en place. L’avis de l’expert est minorisé lorsque d’une certitude il est réduit à une estimation et lorsqu’il est suspendu et relativisé par rapport à d’autres expertises. Toujours est-il que c’est l’État qui s’arroge la décision en phagocytant l’avis de l’expert, en le rendant sien et présupposé de sa décision finale : il le juge et définit les conditions de sa recevabilité en tant qu’acte avisé, actualisé et dont le contenu est nécessaire.

L’expert est d’ailleurs pleinement conscient de ce fait comme on le relève dans l’exemple suivant :

Selon la même source, le Dr Bekkat a appelé à suivre le cas des pays voisins, ‘prenons des pays comparables au nôtre, nos voisins marocains et tunisiens, qu’ont-ils fait ? Ne sont-ils pas en confinement total ? En tant que comité, nous n’édictons pas aux autorités de faire ceci ou cela, a-t-il expliqué.

Face à la presse et au-delà à la population qui pourraient lui prêter un rôle décisionnel dans le confinement, l’expert, à l’instar du docteur Bakkat, circonscrit la portée illocutoire de son discours au conseil (appeler à) et rejette, par la négative, toute prétention, sienne ou attribuée, à tout discours fondateur comme le fait d’‘édicter’. Soumis finalement à l’autorité de son employeur et commanditaire de son avis, il s’en remet en fin de compte au mot d’ordre.

2.3. La population ou le tiers absent

Quant à l’instance du commun, celle de la population, elle relève du tiers absent. On s’y réfère dans le discours politique et dans la presse avec des termes génériques renvoyant à des masses d’anonymes : ‘population’, ‘peuple’, ‘habitant’, ‘personnes’, ‘individus’, ‘espagnols’, ‘italiens’, ‘tunisiens’, ‘femmes’, ‘hommes’, ‘ressortissants’. À ce titre, elles ne constituent pas, dans cette logique communicationnelle de gouvernance, des instances d’énonciation, mais des objets de discours : ce dont on parle.

Ils sont donc représentés dans le discours médiatique et politique comme objet de ‘confinement’. Celui qui le subit : ‘soumis’, ‘cloîtré’, ‘en confinement’, ‘jouer le jeu’, ‘être motivé’, ‘accepter’, ‘être exposé’.

Dans le plan de communication gouvernemental relayé par la presse et en les convoquant en ces termes, ils participent, d’un discours de résilience, par lequel l’État veut les confiner pour la maîtrise de la situation. En effet, ce qui est visé c’est l’obtention d’un équilibre entre facteurs de risques (Covid 19) et facteurs de protection (confinement).

Depuis mardi après-midi, les Français sont soumis à un confinement général.
Ainsi, ‘motivé par l’altruisme’, le confinement peut être facile à accepter.
Beaucoup de nos concitoyens aimeraient retrouver le temps d’avant, le temps normal, mais il n’est pas pour demain.’, a-t-il prévenu en annonçant un durcissement des mesures de confinement.
On espère ne pas arriver à un confinement de tout le pays. a déclaré dimanche le ministre de la santé (…) Des internautes le réclament pourtant. 

Les autorités publiques veulent engager les populations sur la voie de la solidarité et l’implication active empreintes d’entraide et de tolérances sociales en vue d’une adaptation exceptionnelle à un environnement perturbé : stress significatifs générés par la pandémie et la situation de confinement. L’état sociocognitif dans lequel l’État veut placer les populations est celui de l’acceptation de l’idée d’une situation de crise où ils prennent conscience des risques encourus et l’acceptation de se soumettre, en « bons (con) citoyens », à être privés de leurs droits de sortie et de déplacement. Le pouvoir se place ainsi en bon protecteur auquel il faut obéir. Les populations, en n’ayant pas droit à la parole, ont droit à une représentation où elles ne peuvent qu’être animées par l’affecte : « aimer », « s’inquiéter », « redouter ». Le discours politique et médiatique leur attribue la nostalgie des temps « normaux », l’angoisse du présent », et l’incertitude du futur, pour que l’État se pose comme celui qui les rassure.

Cependant, l’action des autorités se heurte à un environnement sociocognitif qui crée des résistances propres à la variabilité des situations des populations. Dans ce cas, l’acte instaurateur du confinement s’accompagne d’actes de stigmatisation et de culpabilisation des comportements déviants :

Ces mesures de lutte contre le Covid-19 sont toutefois difficiles à appliquer dans un continent où sortir travailler est parfois une question de survie. 
Dans cette lutte contre la propagation du Covid-19, notre principal ennemi sera l’indiscipline et le non-respect des consignes de prévention. , a souligné le président Alassa Ouattara, appelant à l’« union sacrée ».
Dans les campagnes françaises, où la capacité du réseau est moindre, l’afflux de citadins depuis l’annonce du confinement pourrait envenimer les choses.
Cloîtrés chez eux une dizaine de jours, les Italiens commencent à avoir la bougeotte. Plus de 53 000 d’entre eux ont déjà été verbalisés pour des sorties injustifiées.

Les autorités publiques stigmatisent la vulnérabilité (ne pas supporter), l’indiscipline et le non-respect. L’acte instaurateur du confinement prévoit ainsi dans son arsenal les moyens verbaux d’une répression morale et légale (verbalisation) qui visent à renforcer l’idée d’un pouvoir hautement résiliant qui endosse la réussite de la sortie de crise et se désengage de tout éventuel échec.

Conclusion

En guise de conclusion, nous donnerons la représentation schématique de ce parcours interlocutoire reconstruit et les inférences sociocognitives qui lui sont liées :

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Au vu du parcours interlocutoire qui caractérise la communication institutionnelle en temps de crise, tels qu’ils peuvent être reproduits à partir du discours rapporté de presse, il y a lieu de mettre en exergue le fait que le discours institutionnel instaure un ordre de communication où sa prédominance s’illustre par :

  • L’instauration d’un fait sociopolitique, en l’occurrence le « confinement », par le fait même de son énonciation (acte déclaratif) ; par le fait par ailleurs d’occuper l’espace énonciatif par toute la palette des actes de langage avec la force et l’intensité les plus élevées : assertif (certitude), directif (ordre), promessif (menace).

  • L’instauration des instances d’énonciation avec lesquelles il interagit en circonscrivant leurs champs d’énonciation respectifs : le conseil pour l’instance d’expertise ; l’émotion et la soumission pour l’instance de la population, réduite au statut de tiers absent soumis et animé émotionnellement.

  • La soumission du discours expert à ses intentions de communication. Par un procédé qui consiste à phagocyter le discours d’expertise, il se légitime en aval (lui fournir les présupposés scientifiques) comme en amont (justifier la prise de décision). Cela lui permet de tirer les avantages d’un discours d’action salutaire par rapport à la crise et de se désengager de tout échec et rejeter la responsabilité sur l’instance de l’expertise.

  • L’instauration en dernière instance d’un rapport de réassurance, mais davantage de coercition vis-à-vis de la population réduite au silence, subissant l’action et reconnue dans la sphère de l’émotion.

2 Lavigne Alain, « La communication gouvernementale à l’ère de la gestion de type entrepreneurial et de la médiatisation de la politique : quelques

3 Thierry Libaert, La communication de crise, Dunod, 2015 (4è édition).

4 Barbara Lucini, « La résilience comme axe de communication de crise » pp. 19-21, in LaLirec n°61, janvier 2020

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Youcef Immoune

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