Introduction
Devenir mère, avoir un enfant suppose la conjonction heureuse de différents paramètres chez les deux membres du couple. Le projet d’un enfant, acte de création, de duplication, de séparation et de transmission, un acte qui touche et fait tout bouger : corps, cœurs, places et rôles, ce projet issu du désir de procréations, qui est un acte de femme, nait et développer à partir du fantasme d’avoir un enfant.
À la puberté et après la découverte des différences des sexes entre garçons et filles, ce fantasme disparait chez le garçon après avoir constaté que la procréation est « un acte de femme » ; il refoule ce désir et le remplace par d’autres productions dans d’autres domaines, alors que la fille enrichira ce désir dans l’espoir de dépasser le manque et la castration féminine vécue sous forme de désir d’avoir le pénis.
Dans la théorie psychanalytique, la procréation physiologique et/ou symbolique a le même sens, et qu’elles sont en rapport avec les identifications de l’individu a ses objets primaires et à sa capacité de se détacher d’eux.
1. Nature des identifications et travail identificatoire
Le vocabulaire de la psychanalyse définit l’identification comme étant :
« le processus psychologique par lequel le sujet assimile un aspect, une propriété, un attribut de l’autre et se transforme totalement ou partiellement sur le modèle de celui-ci. La personnalité se constitue et se différencie par une série d’identifications. » (Laplanche et Pontalis. 1990 : 187)
Cette définition nous fournit l’essentiel de ce qui nous intéresse. Nous citons ici l’importance du terme assimilation. Il peut être perçu comme une introjection de l’objet. Cette introjection, qui est primaire, voudrait également dire acceptation de cet objet. Ceci reste essentiel, car il permet de reproduire la même chose sous forme de projection. Donc les deux termes « introjection » et « projection » sont les deux mécanismes qui assurent le bon déroulement des identifications.
L’identification résulte d’une opération psychique, d’un acte de pensée, elle constitue une nécessité structurale pour la psyché.
« Le sujet est condamné pour vivre à identifier et par conséquent à s’identifier, de la même façon qu’il est condamné à investir ; identifier c’est établir une relation d’identité entre un être, une chose et une représentation, l’émergence d’un sujet est liée à l’exercice de cette fonction identifiante qui se poursuivra tout au long de l’existence par la mise en place d’un processus identificatoire. » (Stoloff. 1997 : 72)
Les différences identificatoires entre filles et garçons renvoient à la différence entre les deux sexes et à la différence des structures œdipiennes d’eux, car la sexualité infantile débute dès la naissance et englobe tout ce qui concerne les activités de la première enfance pour avoir une satisfaction dans certaines zones du corps et qui peuvent par la suite s’imbriquer avec la fonction génitale.
La différence identificatoire est liée à la différence des sexes, découverte au stade phallique où la vie sexuelle infantile atteint le sommet et dont l’enfant fait le choix d’un objet sexuel défini.
Le processus identificatoire est le premier aspect du lien affectif avec l’autre, il se construit avec les conflits œdipiens, dont la mère constitue le premier objet de désir chez les deux sexes au stade oral et anal, après la fille change son objet de désir par le père. Au stade phallique, le garçon après avoir constaté la différence des sexes, et que le pénis n’appartient pas à la fille, ça lui provoque une peur de castration. Le garçon tente de résoudre le conflit œdipien à travers l’identification ou le désir de résoudre le conflit œdipien à travers l’identification ou le désir de prendre la place du père se transforme au désir d’être comme le père.
Ce processus identificatoire qui remplace le conflit œdipien se fait à travers l’introjection des objets œdipiens par l’enfant.
On retrouve la même chose pour la fille avec des petites différences par rapport aux garçons. Cette dernière est en relation avec le choix de l’objet libidinal, dont la mère est l’objet de désir pour les deux sexes au stade pré œdipien, mais avec le début du conflit œdipien la fille quittera cet objet, et le changera avec un autre qui est le père ou son substitut.
La fille oriente ses désirs libidinaux vers le père et entre en concurrence avec la mère, et après avoir constaté son incapacité à réaliser ses désirs, elle s’oriente vers sa mère et s’identifie et veut être comme elle. (Luquet-Parrat : 1966)
1.1. La relation mère-fille et faille identificatoire
La mère constitue un pôle d’identification primaire et puis secondaire ; elle est objet de transformations, de métamorphoses, de bouleversement. L’identification à la grand-mère existe d’emblée dans la structure même de cette configuration œdipienne spécifique.
L’identification du sexuel, elle est donc plus sérieuse, moins conflictuelle, la place du père dans le désir maternel joue un rôle considérable dans l’évolution de la fille et ses positions par rapport à son père. (Séchaud : 1995)
Un père, dont sa fille n’a jamais ressenti qu’il ait été reconnu par la mère, ce père n’est pas l’objet du désir de la mère, qui ne joue pas son rôle de tiers séparateur. Cette fille ne peut pas s’identifier à cette image peu attrayante, son objet de désir est la mère et non pas le père pour lequel elle éprouve un attachement faible, mais non refoulé, le père n’est pas un rival ni un support identificatoire pour sa fille. C’est la mère seule qui occupe l’espace psychique de sa fille ; on peut parler d’absence de « censure de l’amante », ce qui témoigne d’une pauvreté fantasmatique dans l’inconscient. La force de la dualité, non triangulaire à la mère rend compte de l’importance des failles narcissiques, choix d’objet, des difficultés identificatoires. (Séchaud : 1995). Entre mère et fille, une relation d’amour, de haine, ou d’emprise ; relation vitale déterminante du destin féminin.
1.2. Désir d’enfant et désir de grossesse
Le désir d’enfant implique le fait de mentaliser de futures images parentales, il suggère déjà de conceptualiser l’existence de l’enfant en tant qu’individu distinct dans le groupe familial.
Freud mentionne que le désir d’enfant active le désir refoulé et infantile de posséder un pénis comme l’homme. Ce processus fait passer un fragment de la masculinité narcissique de la jeune femme du côté de la féminité et le rend de la sorte inoffensif pour la fonction sexuelle féminine. Cette envie de pénis peut créer un complexe de masculinité. Il décrit aussi le cas de ces femmes qui ont un lien très fort avec leurs pères qui peuvent aller jusqu’à désirer avoir un enfant de leurs pères. (Freud 1925 : 109)
Dans « la vie et la psychanalyse » Freud, S. montre qu’il s’agit d’un désir suprême où peuvent culminer tous les autres. Il indique que
« l’enfant ne devine jamais la réalité de l’union des sexes (…) il lui substitue des représentations émanant de sa propre expérience et de ses propres sensations. D’ordinaire les désirs de l’enfant culminent dans ce dessein : mettre au monde un enfant ou d’une manière indéterminable, l’engendrer (…) le jeune garçon lui-même, dans son ignorance, n’exclut pas de donner naissance. » (Bydlowski, M. 1997 : 143-4)
Dans le même contexte Dolto, F. affirme que le désir inconscient de procréer s’inscrit dans une volonté de re narcissisation de la femme est fait partie de sa jouissance qu’elle soit en accord ou non avec ce désir. « Ce désir inconscient ne reviendrait-il pas de l’effort d’effacement fugace des références de réalité, de l’histoire, et que la projection dans une conception rédime, ce qui, dans les pulsions de la mort, peut être ressenti menace du Moi, et serait alors une image archaïque de son existence préverbale, présente à la scène primitive conceptionnelle, dans tout coït est une répétition que ce désir inconscient signifierait ». À travers la contraception, le narcissisme des femmes est libéré, leur étreinte est stérile, car il y a substitution de la dénégation consciente et de l’énergie libidinale. Par la mise de côté d’une éventuelle grossesse impossible à mesurer. (Dolto 1998 : 81)
En suivant ce cheminement, nous pouvons dégager trois caractéristiques du désir d’enfant chez la femme :
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L’enfant n’est pas désiré pour lui-même, mais pour le représentant phallique qu’il porte. Par lui, les femmes tentent de s’identifier à leur mère qu’elles perçoivent comblée.
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Conflictualité du désir d’enfant : le projet de l’enfant peut exprimer l’amour homosexuel, ou bien la violente hostilité à l’égard de la mère.
Selon Faure-Pragier « l’enfant serait fait à la mère, ou donné par elle ; en l’absence de triangulation suffisante, il ne semble pas que la demande exprime un véritable désir pour un enfant né de l’amour d’un homme et d’une femme. Peut-être pourrait-on parler d’une envie d’enfant ». Alors l’envie de pénis parait être dans ce cas plutôt comme une défense, une issue à la relation trop fusionnelle a la mère, aboutissant ainsi à une identification phallique comme moyen tardif de séparation.
- Effroi d’enfant : le désir d’enfant peut cacher en réalité un refus total d’enfant inconscient. Pour accepter l’enfant, il faudrait réinvestir l’image paternelle afin de permettre la séparation avec la mère, puis l’identification féminine.
Quant au désir de grossesse, il renvoie plutôt à l’image de sa fonction reproductrice. La femme souhaite en effet vérifier ses capacités de fécondité, surtout si elle a bénéficié d’une contraception prolongée. (David : 1996 : 27)
Dans cette optique, la femme souhaite s’assurer de l’intégralité de son corps et son bon fonctionnement sur le plan physiologique. Si le désir de grossesse n’est pas associé au désir d’enfant, l’enfant ne peut pas être considéré comme un être à part entière.
Ce comportement atteste d’une recherche de la féminité et de son potentiel reproducteur.
Devenir mère permettait de prouver des capacités et de retrouver le pouvoir maternel, en se tournant vers un enfant, comme la poupée d’autre fois, mais le cheminement est tout à fait inconscient.
2. L’infertilité psychogène
Le lien conjugal se constitue à travers l’union légitime d’un homme et d’une femme à travers une alliance de mariage qui est un événement important dans la vie de l’un et de l’autre. L’arrivée d’un enfant vient dans les meilleurs des cas consolider ce lien, et offrir à chaque membre un cadre essentiel à son épanouissement.
Par ailleurs, l’envie d’être enceinte est un désir qui provient de l’instinct de reproduction. Le désir de grossesse peut même devenir une véritable obsession pour les femmes qui ne parviennent pas à tomber enceintes. Le phénomène de la stérilité dans ce sens relève d’une incapacité à tomber enceinte – malgré l’absence de toute explication médicale et malgré des essais de stimulation hormonale et/ou de fécondation artificielle. On peut affirmer schématiquement, tout en adoptant la théorie de la stérilité, que cette dernière est un symptôme hystérique. En allant plus loin, nous pouvons avancer également que la théorie psychosomatique reste la théorie de l’intentionnalité du symptôme hystérique.
Pour la théorie qui considère que la stérilité est un symptôme hystérique, elle voit derrière le symptôme, un conflit, que la stérilité résout par la suppression directe de l’enfant. Dans ce sens, la stérilité fonctionne comme un symptôme de conversion exprimant un compromis entre le désir et le refoulement.
La théorie psychosomatique quant à elle, rend compte d’une causalité psychique responsable d’un symptôme aléatoire. Pour Marty, P. les femmes stériles déchargent dans leur corps l’excès d’excitation produit par un conflit lié à leur histoire. « Leur narcissisme fragile est volontiers traumatisé par le projet d’introduire un enfant entier dans un couple fusionnel ». (Marty 1980 : 180).
Pour Pragier, le symptôme de la stérilité est intentionnel. Il répond directement au refus inconscient de procréer. En effet selon elle, « la stérilité mettrait en acte un irreprésentable de la conception, entraînant une abrasion de la mentalisation et la décharge directe de l’excitation dans le comportement ou dans le corps ». (Faure Pragier 2003 : 48).
Pour Sylvie Faure Pragier donc, les conflits psychiques peuvent être à l’origine d’une altération organique. En effet selon elle, les problèmes organiques peuvent induire une souffrance qui peut être à l’origine des réactivations des problématiques infantiles relatives à la relation de la fille à sa mère ; celle-ci étant considérée comme responsable de cette incapacité à avoir un enfant. Ces réactivations peuvent être elles-mêmes responsables – dans un cercle vicieux- d’autres symptômes organiques qui vont augmenter la dépression. La théoricienne part surtout de l’hypothèse d’un déni du féminin.
Dans cette perspective relative au retentissement des conflits psychiques se déplaçant sur le corps, on peut citer le point de vue de Bydlowski, M. (1978). (…) Pour elle, l’inconscient est à l’origine de la stérilité. Elle précise qu’avant la conception de l’enfant, il est d’abord imaginaire, et que chaque femme en principe désirerait avoir un enfant. Enfanter c’est reconnaître sa propre mère à l’intérieur de soi. Ce côté narcissique du désir d’enfant peut, selon Bydlowski, M. expliquer certaines stérilités comme étant un résultat d’une impossibilité de donner vie à un enfant qui prendra sa place.
La naissance et la mort sont aux antipodes. Mais se retrouvent parfois, malheureusement, intimement liées. Depuis toujours, les femmes donnent la vie, mais il arrive par moments que cette vie soit interrompue trop tôt, avant même que l’enfant ait vu le jour. Le fait de perdre un bébé est éprouvant, mais autrefois, cette situation était gardée secrète, ou encore banalisée et diminuée par la société. Nombreuses sont les femmes qui n’ont jamais fait mention à leur entourage de ces enfants qu’elles ont portés, mais qu’elles n’ont pas vu grandir. À une certaine époque, on a jugé ce phénomène courant sans conséquence et surtout, sans importance (Belleau : 2016).
L’avortement spontané est dans ce sens est la complication de grossesse la plus courante. En effet, on estime qu’une grossesse sur cinq se termine avant terme, majoritairement avant la fin du premier trimestre (Belleau : 2016).
Toutefois, très peu s’intéressent aux pertes du premier trimestre, bien que cela puisse être surprenant, surtout en considérant le nombre élevé des femmes vivant un avortement spontané, il existe très peu d’écrits scientifiques qui nous permettent de mieux saisir ce que vivent ces femmes.
Les femmes pour qui la fausse couche a eu lieu au cours de la première grossesse vivent cet événement plus difficilement que ceux qui ont déjà eu des enfants, comme si l’absence d’enfant fait douter les femmes sur leurs fertilités, leurs capacités à transmettre la vie. Ainsi, la fausse couche est considérée par la majorité des femmes qui y sont confrontées comme un événement très stressant. C’est un événement inattendu et brutal, qui peut impliquer une douleur soudaine ainsi que des saignements.
L’avortement : un contexte de proximité particulière entre désir et perte était propice à une démarche d’explication des outils métapsychologiques avec lesquels nous entendons. Cependant, il ne s’agit plus de désir, mais de perte plus de refoulement, mais d’introjection, incorporation, identification ; plus de conflits entre le Moi et ses objets sexuels, mais à l’intérieur du Moi lui-même, désormais divisé en ça et surmoi. (Balestriere : 2003)
D’après Balestriere, L. (2003), l’avortement étant alors un acte d’une grande douleur consenti pour parer à une douleur plus grande : « le renoncement à un père ».
L’avortement reste pour une femme un acte grave, lourd, d’un deuil difficile, de culpabilité et haine, de blessure et d’angoisse qui la submergeait.
Nous pouvons rajouter que l’avortement est toujours un acte douloureux, grave et dangereux pour une femme qui laisse une trace psychique douloureuse même lorsqu’il a été décédé en pleine connaissance de cause. L’avortement réveil l’histoire infantile du devenir psychosexuel et l’ensemble des identifications conflictuelles inconscientes en tant que lié à la féminité et à la maternité.
Dans la littérature psychanalytique, l’accent mis sur le devenir psychosexuel, en particulier œdipien, est largement prévalent. Sont ainsi sous-estimés, les avatars inconscients des identifications notamment aux imagos maternels, qui alimentent le sentiment inconscient de culpabilité et mettent à mal le Moi. L’approche analytique du désir d’enfant et de ses avatars ; avortement, infécondité, stérilité… fait référence au modèle hystérique du fonctionnement psychique. Ceci nécessite la mise en place des coordonnées fondamentales du désir, du fantasme, de l’inconscient, du refoulement et de la pulsion.
Conclusion
La personnalité humaine et sa façon d’exister dépendent, selon la psychanalyse, de sa vie antérieure dans son enfance, précisément le complexe d’Œdipe et la façon de le résoudre. L’échec de la résolution de ce complexe – soit par fixation aux phases antérieures et ne pas accéder à ce complexe, ou par le non-dépassement du complexe, va influencer la façon dont l’individu construit ses relations et sa vie ultérieurement.
Pour conclure, on peut dire avec les différents auteurs dans le domaine de la stérilité, de l’avortement et l’infécondité qu’un intense suivi psychologique est essentiel non seulement pour les femmes qui sont actuellement dans le vif besoin d’un enfant, mais également pour les femmes enceintes qui souhaiteraient une prise en charge psychologique et une écoute bienveillante. En effet, la grossesse est parfois le seul moment où certains éléments du passé peuvent affluer et revenir en surface. Il s’agit souvent d’une occasion unique pour tenter de les comprendre.