Un numéro qui s'ouvre sur l'annonce de la mort de l'Homme et qui se clôt par la perte de son nom propre. Voilà ce que nous donne à lire cette dernière livraison de la revue.
S'il apparaît, à travers les différentes contributions que la violence est omniprésente au point de se constituer en mode opératoire de structuration de nos sociétés modernes et un repère à partir duquel on se détermine en la condamnant quelquefois, en la considérant comme fondatrice de nos socialités communes quelques autres fois, il est utile de signaler que son appréhension, à commencer par sa définition, est problématique.
En conséquence, tenter de cerner les contours de la violence appelle nécessairement une approche pluridisciplinaire susceptible de mettre la lumière sur ces différents aspects, ses différentes facettes, ses formes, ses types, ses manifestations, ses déclencheurs, ses domaines, etc.
Le présent numéro se propose à travers les différentes études qui le composent d’examiner la notion de violence au sens large du terme en proposant un ensemble de lectures relevant de différents champs disciplinaires : la sociologie, la philosophie la linguistique, la psychologie, la psychanalyse, la philosophie, le droit, etc.,
Loin de constituer un ensemble hétéroclite, les articles de ce groupement examinent tous la notion de puissance et de force qui semblent structurer les rapports souvent dissymétriques qu'entretiennent les hommes entre eux. Emportement, irascibilité ou force dont on use contre quelqu'un, contre les lois, contre la liberté publique ou terme de jurisprudence pour dire la contrainte exercée sur une personne pour la forcer à s'obliger ou encore au pluriel pour caractériser des actes, des paroles de violence, les articles réunis scénarisent tous un phénomène qui agit avec force
Ainsi, Megdouda Oumaouche examine le concept de la mort en tant qu’entité relevant du destin et de la fatalité chez Foucault, et qui exerce une certaine violence en menaçant la vie humaine de façon permanente. L’auteure fait remarquer également qu’il existe chez Foucault un autre type de mort qui guette l’être humain : c’est son exclusion du cercle de la pensée et de la philosophie.
Addad Abderrahmane et Cherfaoui Hadj Abou traitent des conséquences du crime sur le plan social en Algérie.
En citant deux expériences coloniales, l’Algérie et l’Afrique-Occidentale Française, Sabrina Ahmed Ali passe en revue la politique de l’institutionnalisation d’une stratégie de guerre autour du corps colonisé et ses retombées sur les périodes postcoloniale et actuelle.
Toujours dans le sillage de la violence coloniale, Hamza Elgharbi met la lumière sur l’image dévalorisante de la femme africaine dans le discours colonial italien qui oscille entre exotisme et sexisme.
Quant à la violence conjugale, Zenati Jamel et Mahraoui Abdelkrim proposent une analyse pragmatique et énonciative de l’acte de divorce tel qu’il est porté par le code de la famille en Algérie. Ils expliquent ainsi comment l’acte de divorce est marqué par un discours autoritaire où seul le « je » masculin est autorisé. Quant à la voix féminine, elle est tout simplement réduite au silence : elle n’est qu’un objet de parole, un sujet délocuté. Bref, une instance « agie ».
Dans le même ordre d’idées et en adoptant une analyse critique du discours, Zohra Bekhedda et DalalSarnou examinent la question du mariage et sa dissolution dans le code algérien de la famille de 2005. Ainsi, elles font souligner que ledit code prône un discours valorisant à l’égard des hommes et dévalorisant à l’égard des femmes. En effet, les hommes y sont représentés comme des sujets détenteurs d’autorité voire de pouvoir sur les femmes qui, sont, elles, réduites à des êtres subordonnés voire soumises à la domination masculine.
La violence peut aussi se manifester au travers de la stigmatisation même envers les violents. C’est ainsi que Zaidi Wassila, Freha Mohamed Karim et Bourghel Said, tout en s’appuyant sur une étude de terrain, montrent l’impact de la stigmatisation sociale et ses effets psycho-sociaux sur les femmes emprisonnées pour avoir commis un crime à savoir un meurtre.
En adoptant une approche dynamique et psychanalytique, Ahlem Benlacheheb tente d’explorer les organisations psychopathologiques inhérentes aux processus de maternité et au désir d’avoir un enfant.
Ce numéro accorde une grande importance à la violence exercée contre les enfants. C’est ainsi que Fatma Zohra Ghribi et Taqi Mebarkia mettent en relief le rôle des institutions de la société civile dans la lutte contre l’enlèvement des enfants en tant que crime.
L’exploitation pornographique des enfants à travers You Tube est, de nos jours, un phénomène qui prend de l’ampleur. Par conséquent, la protection juridique contre ce fléau devient des plus indispensables et revêt un caractère urgent. L’étude proposée par Said Drahi et Farida Merabet traite des efforts consentis au niveau international tout en évoquant les défaillances enregistrées en la matière au niveau national.
Les médias électroniques sont des canaux par le biais desquels se transmet la culture de la violence entre les enfants. Par conséquent, avoir conscience de l’influence de ses médias et connaître les modes de transmission de cette culture de violence sont les points développés par l’étude proposée par Souakri Tahar et Benzina Karima.
Jahid Driassa, dans son article, aborde le rôle de la télévision satellitaire dans l’expansion du phénomène du Hirak, il analyse les incidences des différentes tendances psychosociales sur le comportement des individus. Toujours, dans le paradigme psychologique Afifa Djedidi tente l’application du modèle de l’échelle d’anxiété manifeste de Taylor, en exploitant plusieurs outils, dans le cadre scolaire pour comprendre les causes sous-jacentes à l’anxiété chez les enseignants récemment embauchés. Recherchant également les causes Zineb Bentayeb se lance sur la piste de la recherche des rapports cause à effet des pressions professionnelles sur la qualité de la performance et les compétences des professionnels des cellules d’information et des bibliothèques. Elle prend pour cas les employés de l’université de Batna. Son étude et celle le Afifa Djedidi ne se limitent pas seulement à un travail descriptif et explicatif, les deux osent des solutions thérapeutiques pour réduire les effets anxiogènes des situations stressantes sur les employés.
Avec l’article des deux chercheurs, Youcef Hocine et Zenati Jamel, l’étude entre en plein pied dans l’analyse des rapports entre langage et violence. Leur analyse exploite les ressorts déclencheurs (enjeux) de la violence verbale dans le contexte de l’interaction pédagogique-didactique en s’appuyant sur une observation in situ. Originelle et inattendue, est l’analyse de Lila ARAB, effectuée sur un corpus d’interactions de jeunes écoliers. Si la violence verbale rime souvent avec l’effet de « rupture » ou dés-intégration, l’analyse de cette jeune chercheuse dévoile le revers positif de la violence, elle montre à partir de l’usage des insultes et des vannes comment la violence cimente les rapports intragroupes et permet une forte cohésion des individus de même groupe.
La partie Chronique de ce numéro, composée de cinq articles donne place à des études qui traitent de l’émergence et l’instrumentalisation de la violence dans différents contextes socio-politiques. C’est dans l’histoire de l’Irlande que l’article Rania Merzoug examine sous plusieurs angles ce qui se cache derrière la prise de décision qui a causé le massacre du 30 janvier 1972, appelé Dimanche sanglant, en Irlande du Nord. Elle propose une auscultation profonde des rapports de Widgery et Saville pour remonter aux responsables qui ont donné ordre de tirer sur la foule des manifestants. Également, l’étude de Abdellah Maasoum s’ancre dans l’histoire de l’Europe de siècle précédent, cette étude metl’accent sur l’examen des différentes stratégies déployées par les différentes formations politiques italiennes se succédant dans les différents gouvernements depuis la fin de la deuxième Guerre mondiale jusqu’à 1963 et aux prises avec le conflit entre les deux anciens blocs américain et soviétique pour reconstruire l’économie de l’Italie sévèrement touchée par la Guerre mondiale. Avec les trois derniers articles de cette section, nous voyageons sur le terreau africain et tropical pour découvrir d’autres facettes de la violence dans différents contextes. Mohamed Chaabane Ali analyse le récit du roman Une graine de blé de l’écrivain kenyan Ngugi wa Thiong’o et met en lumière comment l’acte de la confession publique du héros de ce roman est un hymne exhortant le peuple kenyan à travers chaque individu à la nécessité d’une évaluation critique de la moralité de chacun pour se purifier des fautes commises par les siens contre les siens pendant la période coloniale en vue de reconstruire une nation postcoloniale égalitaire. L’analyse de Mohamed Chaabane Ali illustre dans une brillante étude comment et en quoi la confession individuelle devant le public comme discours violent contre soi a un effet cathartique sur soi-même et les autres. Dans son étude Far Ahmed s’intéresse au rôle joué par les deux personnalités Jomo Kenyatta du Kenya et George Padmore des Antilles dans la cristallisation de la pensée libérale africaine. Il aborde l’impact des discours politiques marxisé de ces deux personnalités au-delà des frontières de l’Afrique contre l’impérialisme britannique. En analysant les raisons de la performativité de ces discours, il conclut à une africanisation du socialisme marxiste. Préférant se sédentariser sur le terreau africain, l’étude de Mustapha Bechraoui met l’accent sur les difficiles enjeux ethniques et tribaux des peuples des zones frontalières, il prend comme modèle d’étude la zone frontalière le Soudan et de Sud-Soudan. Il montre par analyse politico-ethnique les répercussions complexes des zones frontalières sur la vie et la stabilité des ethnies voire sur les deux pays limitrophes.
Enfin, le seul article de la partie Varia de ce numéro, proposé par Chakib lias Righi et Nabila Arrar examine les enjeux de la pluridisciplinarité dans les études onomastiques, Ils exploitent une panoplie d’approches pour étudier le sans nom patronymique (SNP) dans la région de Saïda. Cette étude appréhende le SNP comme marqueur révélateur d’identité et un foyer qui concentre le patrimoine immatériel d’une personne.