Chronotope et environnement numérique : vers un dispositif ergonomique pour l’enseignement du français à l’université

الكرونوتوب والبيئة الرقمية : نحو جهاز بيداغوجي مريح لتعليم اللغة الفرنسية في الجامعة

Chronotope and Digital Environment : Towards an Ergonomic Framework for Teaching French at University

Ludmia Yaagoub

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Ludmia Yaagoub, « Chronotope et environnement numérique : vers un dispositif ergonomique pour l’enseignement du français à l’université  », Aleph [En ligne], mis en ligne le 28 novembre 2025, consulté le 08 décembre 2025. URL : https://aleph.edinum.org/15116

Cet article se propose de définir les concepts fondamentaux mobilisés dans notre étude — chronotope d’apprentissage, ergonomie, technicité, autonomie et dispositif didactique — afin d’évaluer leur impact sur les pratiques pédagogiques universitaires en contexte numérique. À partir d’enquêtes de terrain menées auprès d’étudiants en licence de français, il s’agit d’analyser l’usage des outils numériques, leur intégration dans l’espace-temps d’apprentissage, et leur influence sur l’autonomisation des apprenants.
Les résultats mettent en évidence une faible exploitation des outils numériques en complément du présentiel, ainsi qu’une appropriation inégale selon les étudiants. Cette disparité résulte principalement du niveau de maîtrise technique, du degré d’accompagnement institutionnel et de la perception de l’autonomie. L’étude souligne la nécessité d’un ancrage ergonomique et chronotopique du numérique afin d’optimiser les dispositifs d’enseignement/apprentissage.

يهدف هذا المقال إلى تعريف المفاهيم الأساسية المرتبطة بالعملية التعليمية الجامعية في السياق الرقمي، مثل الكرونوتوب التعليمي، والأرغونومية، والتقنية، والاستقلالية، والمخطط التربوي، وتحليل تأثيرها في تعلم اللغة. انطلاقًا من استبيانات ميدانية أُجريت على طلبة الليسانس في اللغة الفرنسية، تدرس الورقة العلاقة بين البيئة الرقمية والحيز الزمني-المكاني للتعلم، ومدى مساهمته في تطوير استقلالية المتعلم.

أظهرت النتائج استخدامًا محدودًا للأدوات الرقمية خارج الإطار الحضوري، مع تفاوت واضح في مستوى التبني بين الطلبة. ويُعزى ذلك أساسًا إلى درجة التحكم في الأدوات الرقمية، وطبيعة الدعم المؤسساتي، وتمثلاتهم لمفهوم الاستقلالية. وتوصي الدراسة بضرورة إرساء مقاربة تربوية تُراعي مبادئ الأرغونومية وتُوظّف الكرونوتوب التعليمي لتحسين جودة التعلم وتعزيز استقلالية الطالب.

This article aims to define and contextualize key pedagogical concepts—learning chronotope, ergonomics, technical mediation, learner autonomy, and educational frameworks—in order to assess their impact on language learning in digital university settings. Drawing on field research conducted among undergraduate French students in Algeria, the study examines how digital tools are used, how they relate to the learners’ pedagogical time-space, and their role in supporting autonomy.
Findings reveal limited integration of digital tools beyond face-to-face classes, with uneven adoption levels across students. These differences are mainly attributed to digital proficiency, institutional support, and perceptions of autonomous learning. The study advocates for ergonomic and chronotopic embedding of digital environments to enhance learning autonomy and strengthen pedagogical systems.

Introduction

Les recherches menées en didactique du français, à partir de plusieurs tests de niveau réalisés auprès d’étudiants, aussi bien au département de français que dans d’autres départements de l’université de Médéa (Algérie), nous ont permis de constater que, dans la majorité des cas, le niveau initial en langue française à l’entrée en première année universitaire ne dépasse pas le niveau A2, selon les critères du CECRL (Kadik, Yaagoub et al., 2015).

Par ailleurs, l’examen du canevas officiel d’enseignement du français à l’université algérienne met en évidence une insistance sur les travaux dirigés, en particulier dans les modules de compréhension et production orales et de compréhension et production écrites. Ce choix, cohérent du point de vue pédagogique, en raison des nombreuses activités d’apprentissage envisagées, semble néanmoins insuffisant pour améliorer significativement le niveau des étudiants. En effet, aucune orientation claire n’est donnée quant aux tâches à réaliser hors de la classe, ce qui limite la portée du dispositif.

En l’absence de recherches de terrain permettant de mesurer de manière fiable la progression des étudiants d’une année à l’autre, aucun indice d’amélioration tangible ne se manifeste ni à l’écrit ni à l’oral. Aucun référentiel ne vient non plus encadrer cette formation, ce qui compromet l’élaboration de programmes cohérents susceptibles de déboucher sur des finalités à la fois didactiques et professionnelles. Or, la formation universitaire en langue française met l’accent sur des compétences langagières essentielles dans le profil de sortie, notamment dans les perspectives professionnelles où la maîtrise du français constitue un outil incontournable : enseignement, travail administratif, animation de réunions, exposition orale de travaux, traduction de documents, etc. (Kadik, Yaagoub, Abbas, Miloudi, 2023).

Il convient également de s’arrêter sur un autre aspect du canevas de formation (2021) : le travail individuel ou complémentaire, auquel sont allouées pas moins de 375 heures par semestre. Pourtant, aucune indication n’est fournie sur les activités que l’étudiant est censé réaliser dans ce volume horaire, ni sur les modalités pédagogiques permettant de l’exploiter efficacement.

Plusieurs facteurs contextuels aggravent cette situation : indisponibilité quasi-totale de ressources numériques interactives en classe ou hors classe, rareté des bibliothèques traditionnelles accessibles, et surtout absence d’une vision claire du travail personnel en autonomie. L’étudiant est rarement accompagné dans cette voie par un encadrement adapté (enseignants, équipes pédagogiques, etc.) (Yaagoub & Kadik, 2022).

Ainsi, l’environnement universitaire actuel ne semble pas propice au développement de l’autonomie de l’apprenant, ni à l’émergence de compétences langagières renforcées à travers un dispositif articulant technologie, pédagogie et accompagnement humain.

Cette réflexion nous conduit à poser les interrogations suivantes, qui constituent le socle de notre problématique : l’autonomie constitue-t-elle une voie pertinente pour améliorer le niveau des apprenants en langue ?

Une articulation entre formation en présentiel et apprentissage en mode synchrone/asynchrone pourrait-elle contribuer à développer cette autonomie ?

À partir de ces questions, nous formulons les hypothèses suivantes :

  1. Pour devenir autonome, l’apprenant doit concevoir son propre programme d’apprentissage. Cela implique l’existence d’un dispositif structuré, associant ressources humaines (enseignants, tuteurs, conseillers) et ressources matérielles (centres de ressources en langues).

  2. Le cadre spatio-temporel permis par les modalités hybrides et à distance offre à l’apprenant un levier essentiel pour prendre en charge des tâches formatrices en autonomie.

  3. Le volume de 375 heures de travail individuel ne peut être réellement effectif que s’il est articulé à un ensemble de ressources numériques, bibliothécaires et humaines, en cohérence avec le programme officiel et les objectifs d’apprentissage autonomes.

Après avoir exposé les constats issus de nos recherches antérieures sur l’enseignement du français à l’université, nous définirons dans un premier temps les concepts clés de notre étude. Ensuite, nous présenterons les résultats de notre enquête de terrain, centrée sur les usages du numérique et l’autonomie dans la gestion du temps et de l’espace pédagogiques. Enfin, nous proposerons des pistes didactiques concrètes pour améliorer l’ergonomie des dispositifs actuels.

1. Cadre théorique et épistémologique

Dans ce premier axe, nous présentons le socle conceptuel qui éclaire notre approche. Le développement du numérique éducatif, les dispositifs hybrides, la transformation des espaces d’apprentissage, ainsi que l’évolution des représentations pédagogiques appellent à une redéfinition des catégories fondatrices de la didactique du français langue étrangère à l’université. Nous structurons cette réflexion autour de deux grands mouvements : l’analyse des conditions matérielles et cognitives de l’apprentissage (1.1), et l’évolution vers une pédagogie de l’autonomie (1.2).

1.1. De l’environnement matériel à l’ergonomie cognitive : nouveaux repères pour penser l’apprentissage

1.1.1. Le dispositif didactique et la technique

Toute situation d’enseignement/apprentissage s’inscrit dans un espace-temps déterminé, lui-même pris dans une historicité technique, institutionnelle et sociale. Dès lors, la classe universitaire ne peut être pensée hors de ses médiations — humaines, matérielles, organisationnelles. Le passage de la classe traditionnelle aux environnements numériques appelle à repenser la place du dispositif didactique (Charlier & Peraya, 2003).

Comme le soulignent Peeters et Charlier (1999), la technique ne doit plus être pensée comme simple support d’instrumentation, mais comme une interface sensible entre sujet et savoir :

« Le symbolique, les discours apparaissent ainsi comme une partie [...] du fonctionnement des institutions, appelant une contrepartie objectale. Autrement dit, les discours ne peuvent devenir opérants sans la mise en œuvre d’objets disposés selon un aménagement, un arrangement efficace » (Peeters & Charlier, 1999, p. 17).

Dans cette perspective, le dispositif numérique ne se résume pas à des artefacts techniques : il s’incarne dans une structuration spatio-temporelle nouvelle, élargie, souvent délocalisée et asynchrone, impliquant des formes inédites d’appropriation didactique.

1.1.2. La notion de chronotope d’apprentissage

Pour décrire cette transformation du rapport à l’espace-temps d’apprentissage, nous mobilisons la notion de chronotope empruntée à Mikhaïl Bakhtine (1981), initialement pensée pour la théorie du roman, mais féconde pour la didactique contemporaine.

Chez Bakhtine, le chronotope désigne l’articulation concrète entre temps et espace dans une narration. Transposé à la pédagogie, il permet de penser les environnements d’apprentissage non seulement comme lieux physiques, mais comme structures dynamiques où se tisse une expérience située du savoir (Todorov, 1981).

L’enseignement numérique, en cela, ne remplace pas le temps de l’imprimé ou du manuscrit, mais le recompose. Chaque technologie implique un mode d’appropriation, un rapport au savoir, une configuration temporelle :

« Le temps du manuscrit n’est pas celui de l’imprimé, qui n’est pas celui du numérique ; mais ces temps coexistent, se chevauchent, se réarticulent dans des chronotopes hybrides » (Yaagoub & Kadik, 2022).

Cette pluralité appelle une relecture des contextes d’enseignement : le chronotope numérique ne se substitue pas à l’espace de la classe ; il ouvre un nouvel horizon d’apprentissage, à condition d’être accompagné.

1.1.3. Ergonomie de l’environnement universitaire

La mise en œuvre d’une pédagogie numérique repose sur les conditions d’ergonomie matérielle, cognitive et organisationnelle. Définie par l’International Ergonomics Association (cité in Falzon, 2004), l’ergonomie est :

« l’étude scientifique de la relation entre l’homme et ses moyens, méthodes et milieux de travail ».

Appliquée au champ éducatif, elle invite à interroger la compatibilité entre les outils (ressources numériques, bibliothèques, plateformes), les usages (pratiques d’enseignement et d’apprentissage), et les utilisateurs (étudiants et enseignants).

Or, nos enquêtes à l’université de Médéa révèlent un déficit chronique dans la mise en place d’un environnement favorable à l’apprentissage autonome : bibliothèques non actualisées, accès limité au numérique, absence de formation aux usages éducatifs des outils numériques. Il s’agit là d’un obstacle majeur au développement de pratiques autonomes.

1.2. Vers une pédagogie de l’autonomie

1.2.1. Clarification des termes : autonomie, autodidaxie, didacticité

La littérature distingue plusieurs concepts proches mais non synonymes : autonomie, auto-apprentissage, autodidaxie, didacticité. Moirand (1990) parle de didacticité implicite dans les contextes non formels, où l’individu apprend sans enseignant mais en interaction avec des supports, des discours, des situations.

Cuq (2003) définit l’autodidacte comme celui qui apprend sans recours à autrui. Mais l’apprentissage autonome — tel que nous le concevons ici — suppose un accompagnement pédagogique, même à distance :

« L’autonomie est un objectif de formation, qu’il faut prendre en charge pédagogiquement si on décide de la promouvoir » (Carton, 2009, p. 60).

1.2.2. L’autonomie comme finalité des approches communicative et actionnelle

Contrairement aux méthodologies antérieures (grammaire-traduction, SGAV), les approches communicative et actionnelle centrent l’apprentissage sur l’agir langagier. L’élève est désormais considéré comme acteur social, capable de concevoir et réaliser des tâches, seul ou en groupe, en présentiel ou à distance (CECRL, 2001).

Dans ce cadre, l’autonomie devient à la fois but et moyen : elle s’exerce par la gestion de projets, la mobilisation de ressources, la réflexivité sur les processus d’apprentissage.

1.2.3. Le CRL comme catalyseur de l’autonomie

Le Centre de Ressources en Langues (CRL) incarne cette orientation : il propose un espace pluriel (livres, audiovisuel, numérique), encadré par une équipe (tuteurs, conseillers), et propice à la construction de parcours individualisés.

Le CRL devient ainsi un chronotope élargi : un lieu-temps d’apprentissage qui complète et dépasse l’espace-temps de la salle de classe.

L’apprenant peut y concevoir un programme personnel, ajusté à ses besoins, tout en bénéficiant d’un accompagnement. Encore faut-il que ce dispositif existe, qu’il soit

Tableau conceptuel de synthèse : notions clés du cadre théorique

Notion

Définition / Fonction

Référence principale

Dispositif

Agencement technique et symbolique des moyens d’apprentissage

Peeters & Charlier (1999)

Chronotope

Espace-temps d’apprentissage porté par une configuration technologique

Bakhtine (1981), Todorov (1981)

Ergonomie

Adaptation entre homme, moyens, et milieux pédagogiques

Falzon (2004), IEA

Autonomie

Capacité à gérer son apprentissage avec ou sans encadrement

Carton (2009), Moirand (1990)

CRL

Espace multimodal favorisant l’auto-apprentissage

Yaagoub & Kadik (2022)

2. Méthodologie

Afin de répondre à notre question centrale, nous avons mené une enquête de terrain à travers deux questionnaires destinés aux étudiants de première année Licence de français à l’Université de Médéa (Algérie). L’enquête s’est déroulée en avril 2023 via l’outil Google Forms.

Le premier questionnaire portait sur le rapport des étudiants à l’utilisation du numérique dans le contexte universitaire actuel (2023), ainsi que sur leur gestion du temps et de l’espace pédagogiques. Le second questionnaire visait à explorer leur environnement numérique dans sa relation au temps et à l’espace d’apprentissage, ce que nous avons désigné, dans notre cadre théorique, sous le terme de chronotope.

2.1 Analyse du premier questionnaire destiné aux étudiants de Licence et de Master

Question 1 : Vous vous contentez des cours des enseignants seulement ou effectuez-vous des recherches personnelles en dehors de la classe ?

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Il ressort des résultats de notre enquête que 65  % des étudiants se contentent uniquement des cours dispensés par les enseignants, tandis que 35  % mènent des recherches complémentaires en dehors des heures de cours. Ce constat suggère que la majorité des étudiants ne développent pas une véritable autonomie dans leur apprentissage. Or, à ce niveau d’études, les étudiants sont censés être engagés dans une dynamique de recherche, contribuant activement à leur formation selon les principes des approches didactiques actuelles.

Question 2 : Vos enseignants vous ont-ils déjà parlé du nombre d’heures de travail personnel prévu dans le canevas d’enseignement du français ?

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Les données révèlent que 67  % des répondants déclarent que leurs enseignants n’évoquent pas le nombre d’heures de travail personnel prévu dans le canevas pédagogique. Ce constat soulève plusieurs hypothèses :

  • Les enseignants peuvent ignorer eux-mêmes le volume horaire prévu pour le travail personnel ;

  • Ils peuvent demander des travaux sans les inscrire explicitement dans le cadre de l’autonomie de l’étudiant ;

  • Il peut exister un manque de communication ou de sensibilisation à l’importance du travail personnel extra-scolaire.

En revanche, 33  % des étudiants affirment que leurs enseignants abordent cette question, ce qui laisse supposer que certains enseignants intègrent effectivement cette dimension dans leur accompagnement pédagogique.

L’absence d’information, de valorisation et d’intégration explicite des heures de travail personnel dans le processus d’enseignement pourrait avoir des répercussions négatives sur le développement des compétences linguistiques des étudiants. Une meilleure prise en compte de ce paramètre favoriserait indéniablement un apprentissage plus autonome et plus efficace.

Question 3 : Vos enseignants vous proposent-ils des travaux à réaliser en dehors de la classe ?

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Les données recueillies indiquent que la totalité des enseignants interrogés proposent des travaux à effectuer en dehors de la classe. Cette pratique peut s’inscrire dans une logique de classe inversée, où les étudiants sont invités à préparer des éléments de cours avant leur traitement en présentiel. Elle peut également prendre la forme de recherches documentaires, présentations orales ou exposés, réalisés en complément des séances magistrales.

Dans toutes ces configurations, le travail personnel est sollicité, ce qui constitue une démarche pédagogique bénéfique, dans la mesure où elle initie les étudiants à des formes élémentaires de recherche autonome.

Question 4 : Quels sont les types de travaux demandés par vos enseignants ?

Les répondants ont mentionné plusieurs types de travaux : exposés, recherches, rédactions, exercices, citations. Toutefois, l’activité la plus récurrente semble être l’exposé, ce qui soulève plusieurs interrogations :

  • Pourquoi ce recours quasi systématique à l’exposé ?

  • Est-il perçu comme le seul exercice de recherche accessible aux étudiants ?

  • Ne pourrait-on pas diversifier les tâches pour stimuler davantage l’autonomie et développer une variété de compétences (analyse de corpus, synthèse critique, fiches de lecture, commentaires argumentés, portfolios numériques, etc.) ?

Une diversification des pratiques semble s’imposer dans la perspective d’un apprentissage plus individualisé et multiforme.

Question 5 : Disposez-vous d’un emploi du temps à suivre pour la réalisation de vos travaux hors classe ?

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Les résultats montrent que 75  % des étudiants ne disposent d’aucun emploi du temps structuré pour organiser leur travail personnel hors classe.

Or, la mise en place d’un plan de travail individualisé, ou tout au moins d’un emploi du temps flexible, constitue un levier essentiel pour le développement de l’autonomie, la régularité dans l’effort et l’auto-régulation de l’apprentissage.

Il apparaît donc nécessaire de sensibiliser les étudiants à l’importance de l’organisation temporelle dans leur parcours, notamment à travers l’accompagnement pédagogique ou des outils de gestion du temps intégrés dans les environnements numériques d’apprentissage.

Question 6 : Utilisez-vous le numérique pour développer vos compétences en langue ?

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Une large majorité d’étudiants, soit 89,8  %, déclare utiliser le numérique pour développer ses compétences en langue. Ce taux élevé témoigne de la prise de conscience généralisée de l’utilité des technologies numériques dans l’apprentissage linguistique.
Cette adoption massive suggère que les étudiants reconnaissent la valeur ajoutée du numérique dans la diversification des supports, la disponibilité des ressources et l’individualisation des parcours.

Question 7 : Quels sont les sites d’apprentissage que vous consultez pour améliorer votre langue ?

L’analyse des réponses libres met en évidence la diversité des sources consultées. Les étudiants mentionnent notamment Français Facile, TV5Monde, YouTube et même Wikipédia.

Cette variété montre d’une part que les ressources numériques accessibles sont bien repérées, et d’autre part que les usages ne sont pas toujours encadrés pédagogiquement.
Il apparaît donc crucial que les enseignants orientent davantage les étudiants vers des plateformes fiables, structurées, adaptées à leur niveau de langue, tout en les aidant à développer une posture critique dans le choix et l’exploitation de ces contenus.

Question 8 : Pourquoi utilisez-vous le numérique ?

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Les motivations des étudiants à recourir au numérique sont multiples :

  • 61,2  % l’utilisent pour réaliser des exposés ou améliorer leurs compétences linguistiques,

  • 57,1  % pour approfondir leurs connaissances,

  • 38,8  % pour réviser leurs leçons,

  • 34,7  % pour se préparer aux examens,

  • 6  % pour d’autres raisons : veille, communication instantanée, messagerie, etc.

Ces résultats confirment que le numérique est intégré dans les pratiques quotidiennes d’apprentissage, mais ils soulignent également l’hétérogénéité des usages. Cela pose la question de la formation à une utilisation raisonnée et stratégique des outils numériques, intégrée dans une démarche didactique cohérente.

Question 9 : Vos enseignants vous aident-ils à travailler de manière individuelle en exploitant les outils numériques (sites, fiches, etc.) ?

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67  % des étudiants affirment que leurs enseignants ne les accompagnent pas dans un travail individuel fondé sur les outils numériques. Cette situation est problématique dans la mesure où l’autonomie ne se décrète pas, mais se construit.
Comme le rappellent plusieurs didacticiens, l’autonomie est une finalité pédagogique progressive, nécessitant un accompagnement initial par des enseignants, tuteurs ou conseillers pédagogiques.

Les 33  % d’étudiants ayant répondu par l’affirmative évoquent une aide se limitant souvent à la recommandation de plateformes ou de chaînes YouTube.

Or, la simple suggestion d’une ressource ne suffit pas : il s’agit d’enseigner les stratégies d’exploitation, de modéliser les usages, voire de construire des séquences pédagogiques hybrides intégrées.

Question 10 : Vos enseignants vous apprennent-ils à mieux utiliser les ressources numériques ?

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Selon les résultats de l’enquête, 65,3  % des étudiants affirment ne pas recevoir d’accompagnement spécifique de leurs enseignants concernant l’usage des ressources numériques.

Ce constat met en évidence un manque de formation didactique à l’usage raisonné du numérique dans le cadre universitaire, alors même que cette compétence constitue un levier essentiel de l’autonomie étudiante dans les apprentissages en langue.

Questions 11 et 12 : Êtes-vous capable d’identifier vos besoins/difficultés en langue ? Prenez-vous en charge vos lacunes par un travail personnel ?

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Une très large majorité d’étudiants (98  %) déclare être consciente de ses propres difficultés linguistiques, et 91,7  %affirme entreprendre un travail personnel pour y remédier.

Les démarches mentionnées incluent principalement la consultation de sites web éducatifs et l’usage de dictionnaires.

Toutefois, une contradiction subsiste entre ces affirmations et les observations en classe, qui montrent que de nombreuses lacunes persistent chez ces mêmes étudiants. Cela soulève plusieurs questions didactiques :

  • Ces étudiants disposent-ils de méthodes efficaces pour remédier à leurs lacunes ?

  • Savent-ils sélectionner des ressources numériques pertinentes et adaptées à leur niveau ?

  • Ont-ils acquis des compétences d’organisation du travail personnel, comme la planification, l’emploi du temps, la hiérarchisation des objectifs ?

  • Enfin, ont-ils été formés à apprendre en autonomie, dans une logique d’apprendre à apprendre ?

Question 13 : Pour développer vos compétences en langue française, préférez-vous l’enseignement en présentiel ou l’apprentissage autonome ?

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75,5  % des répondants préfèrent un enseignement en présentiel, contre seulement 24,5  % optant pour un apprentissage en autonomie.

Ce déséquilibre témoigne d’un attachement marqué à la figure de l’enseignant et à l’interaction directe en classe.

Les étudiants valorisent sans doute la dimension collective de l’apprentissage, la possibilité de poser des questions, et la clarté des explications orales.

Cependant, cette préférence soulève une problématique centrale : l’enseignant, dans un contexte de classes nombreuses et d’horaires limités, ne peut répondre individuellement aux besoins de chaque apprenant.

Il devient donc nécessaire d’accompagner les étudiants vers une transition progressive vers l’autonomie, notamment en les formant aux stratégies d’auto-apprentissage et à l’usage pédagogique des environnements numériques.

Question 14 : Pensez-vous que l’environnement d’apprentissage hors classe (bibliothèque, salle informatique, plateforme universitaire…) vous permet d’améliorer votre niveau en langue ?

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83,7  % des étudiants estiment que l’environnement extra-classe n’est pas favorable à l’amélioration linguistique. Ce résultat surprenant invite à plusieurs interrogations :

  • Ces étudiants fréquentent-ils réellement ces espaces ?

  • Ont-ils été formés à en tirer parti ?

  • La plateforme universitaire est-elle suffisamment riche et ergonomique pour répondre à leurs besoins ?

On peut aussi supposer une fracture numérique en termes d’usage, qui ne tient pas tant à l’absence d’infrastructures qu’à l’absence de médiation pédagogique, de guidage et de valorisation de ces espaces dans les pratiques d’enseignement.

Question 15 : Consultez-vous la plateforme de l’université pour améliorer vos compétences en langue ?

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Seuls 5,1  % des étudiants consultent toujours la plateforme de l’université pour améliorer leurs compétences linguistiques ; 46,9  % déclarent la consulter rarement.

Ces chiffres indiquent que la plateforme universitaire n’est pas perçue comme une ressource centrale pour le développement linguistique.

Deux hypothèses principales émergent :

  • Le contenu de la plateforme est insuffisamment attractif, riche ou actualisé.

  • Les étudiants n’ont pas été accompagnés dans l’appropriation de cet outil.
    Cela renforce la nécessité de proposer des programmes en ligne structurés, comprenant des parcours par niveaux (A1 à C2), des classes virtuelles, des fiches interactives, des forums de discussion, voire des visioconférences pédagogiques intégrées.

2.2 Analyse du deuxième questionnaire destiné aux étudiants de Licence de français

Question 1 : Comment jugez-vous l’environnement de la bibliothèque universitaire ?

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Les résultats révèlent que 68  % des étudiants interrogés considèrent que l’environnement de la bibliothèque n’est pas favorable à la consultation.
Deux interprétations s’offrent à nous :

  • soit les étudiants ne connaissent pas suffisamment le fonctionnement de la bibliothèque,

  • soit son aménagement ne répond pas à leurs attentes pédagogiques.

Dans cette perspective, il serait pertinent de repenser les espaces bibliothécaires création de zones dédiées au travail individuel, au travail collaboratif, intégration de ressources numériques accessibles, et présence d’un personnel formé à l’accompagnement des usages pédagogiques.

Une bibliothèque conçue comme espace d’apprentissage multimodal pourrait jouer un rôle stratégique dans le développement de l’autonomie et de la recherche documentaire.

Question 2 : Comment réalisez-vous vos recherches bibliographiques ?

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Les données indiquent que :

  • 31,7  % des étudiants s’appuient principalement sur les indications des enseignants ou des camarades,

  • Seulement 14,6  % effectuent des recherches directement à la bibliothèque,

  • Les consultations via le portail numérique de l’université ou l’aide de la bibliothécaire restent marginales.

Ces résultats soulignent une dépendance excessive à la guidance pédagogique, ainsi qu’une faible appropriation des outils documentaires. Cela interroge :

  • Les étudiants savent-ils concevoir une bibliographie pertinente à partir de sources fiables ?

  • Fréquentent-ils réellement la bibliothèque, et sollicitent-ils le personnel spécialisé pour les orienter ?

  • Ont-ils été informés de l’existence du portail numérique, qui recense l’ensemble des ouvrages disponibles — y compris les ressources électroniques ?

Il apparaît ainsi nécessaire de renforcer la formation des étudiants à la recherche documentaire, notamment dans le cadre des modules de méthodologie du travail universitaire.

Question 3 : Trouvez-vous facilement les ouvrages que vous recherchez ?

69,8  % des étudiants déclarent rencontrer des difficultés à localiser les ouvrages.
Ce constat corrobore les réponses précédentes et peut s’expliquer :

  • par un manque de formation aux outils de recherche documentaire,

  • ou par un défaut de familiarisation avec le classement thématique des ressources.

Cela plaide pour la mise en place de séances d’initiation à la recherche bibliographique, intégrant l’usage du catalogue numérique, des mots-clés, des bases de données spécialisées, et des ressources en ligne.

Question 4 : Avez-vous l’habitude de consulter des livres numériques à partir de la bibliothèque ?

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Une forte majorité (72,1  %) déclare ne pas consulter de livres numériques via la bibliothèque universitaire.

Trois hypothèses se dégagent :

  • Méconnaissance de l’existence de ces ressources numériques,

  • Difficultés d’accès technique ou manque de formation à leur usage,

  • Ou plus largement, faible intérêt pour la lecture académique.

Dès lors, il devient urgent d’envisager :

  • des campagnes de sensibilisation ciblant les étudiants dès la première année,

  • la mise en place de parcours d’acculturation numérique,

  • des activités pédagogiques intégrant explicitement l’usage de livres numériques.

3. Résultats et perspectives

Les résultats issus des deux questionnaires confirment que l’environnement universitaire actuel — qu’il s’agisse des bibliothèques, des salles d’informatique ou de l’accès aux plateformes numériques — ne favorise pas suffisamment l’autonomie des étudiants. Cela met en lumière la nécessité de repenser globalement le dispositif pédagogique, en enrichissant notamment le chronotope de l’apprenant (espace-temps d’apprentissage) et en introduisant de véritables principes d’ergonomie éducative pour mieux accompagner le développement des compétences en langue française.

À la lumière des constats empiriques, nous avons pu dégager des pistes didactiques concrètes pour une exploitation optimisée de ce chronotope. Ces propositions visent à :

  • renforcer l’articulation entre présentiel et apprentissage autonome,

  • tenir compte de la diversité des niveaux linguistiques,

  • et mieux prendre en charge les besoins spécifiques des étudiants en langue étrangère.

Il s’agit donc de concevoir un dispositif pédagogique hybride, où l’apprenant, accompagné par une équipe didactique(enseignants, tuteurs, conseillers), peut élaborer un programme d’apprentissage individualisé, fondé sur une utilisation complémentaire des supports imprimés et numériques.

Dans cette perspective, nous recommandons :

  1. L’intégration d’un portfolio numérique, assurant la traçabilité des apprentissages, l’auto-évaluation progressive et la visibilité des progrès réalisés,

  2. L’exploitation réelle des 375 heures prévues dans le canevas de formation, en les articulant à des objectifs pédagogiques ciblés et à un accompagnement méthodologique effectif,

  3. Le déploiement d’outils numériques variés, tels que :

  4. cours interactifs sur plateformes institutionnelles,

  5. MOOCS, webinaires et capsules vidéo,

  6. scénarios pédagogiques numériques intégrant l’IA,

  7. Espaces Numériques de Travail (ENT) ou d’Apprentissage (ENA),

  8. sitographies pédagogiques indexées par niveau de compétence.

Ce renforcement du dispositif n’exclut pas l’usage des ressources traditionnelles (bibliographie imprimée, supports audiovisuels), qui demeurent indispensables dans les séances présentielles.

Conclusion

Notre contribution s’est structurée autour de la clarification de concepts fondamentaux (technique, dispositif, chronotope, ergonomie, autonomie) afin de mieux comprendre leur rôle dans l’enseignement/apprentissage en contexte numérique.

Après ce cadrage théorique, nous avons mené une enquête de terrain, ciblant des étudiants de Licence à l’université de Médéa, dans le but de diagnostiquer les usages numériques, de comprendre leur rapport à l’autonomie et d’évaluer leur capacité à gérer leur temps et leur espace d’apprentissage.

Les résultats recueillis révèlent que le dispositif numérique universitaire demeure sous-exploité :

  • le chronotope pédagogique n’est ni valorisé ni enrichi ;

  • l’environnement matériel et humain ne répond pas aux attentes d’une pédagogie autonome ;

  • les compétences numériques des enseignants et des étudiants restent inégalement mobilisées.

Dès lors, il est impératif de mobiliser ces constats pour proposer des solutions concrètes, centrées sur l’ergonomie de l’espace d’apprentissage et l’accompagnement vers l’autonomisation progressive des apprenants.

Nous avons ainsi proposé :

  • des pistes didactiques ancrées dans les réalités de terrain,

  • l’intégration raisonnée d’outils numériques éducatifs,

  • un suivi individualisé via un portfolio,

  • et une mise en œuvre effective du volume horaire alloué à l’apprentissage autonome (375 h/semestre).

En conclusion, nous affirmons que la conception d’un espace pédagogique ergonomique, adapté aux besoins évolutifs des étudiants et soutenu par des dispositifs numériques cohérents, constitue une condition nécessaire au développement d’une autonomie efficiente, durable et transférable dans tout environnement d’apprentissage hybride.

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Ludmia Yaagoub

Laboratoire de Didactique de la Langue et des Textes – Yahia Farès - Université de Médéa

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