Introduction
Depuis plus de quarante ans, l'Algérie se réapproprie sa langue, sa culture, ses traditions et son identité. En d'autres termes, elle se réconcilie avec sa mémoire et son histoire. L'année 2018 marque la première célébration de Yennayer en tant que jour férié et payé, à partir du 12 janvier 2018, à l'instar du premier jour de l'an hégirien et du Nouvel An chrétien. Le 27 décembre 2017, un décret a été promulgué à cet effet à l'issue d'un Conseil des ministres. Cette journée a été officiellement intégrée dans la liste des fêtes légales. La loi n°18-12 du 2 juillet 2018, modifiant et complétant la loi n°63-278 du 26 juillet 1963, fixant la liste des fêtes légales, a finalement été publiée au Journal officiel en août 2018. Ainsi, cette reconnaissance officielle d'un pan entier de l'histoire de l'Algérie, à savoir Yennayer en tant que moment fondateur, constitue une référence à toute une culture et à un ensemble de rituels profondément ancrés dans la société algérienne. Yennayer représente le début du calendrier agraire utilisé par les populations d'Afrique du Nord depuis l'Antiquité. Autrement dit, il s'agit du premier mois de l'année dans le calendrier amazigh.
Yennayer est une fête commune à toute la société algérienne et à tous les peuples d'Afrique du Nord, voire du bassin méditerranéen. Elle connaît aujourd'hui un regain de vitalité ainsi qu'une évolution dans sa signification et sa portée. La célébration de Yennayer, bien enracinée, est restée la même dans son essence, avec toutefois quelques particularités. Celles-ci se manifestent également dans la désignation qui varie d'une région à l'autre, en fonction du relief géographique, du climat et de la composition humaine (nayer, yennayer ou encore amenzou n’yennayer). À ce propos, Djamel Laceb explique que « cette journée est célébrée dans des milieux autrefois fermés, à l'exemple des villes côtières d'Algérie, où des non-amazighophones s'en réclament désormais[^2]. »
Selon lui, le vocable Yennayer est présent « dans toute l’Afrique du Nord jusqu’au sud du Sahel, avec de légères variations sur la même racine[^3]. » Toutes les familles algériennes « fêtaient Yennayer sans trop savoir ce que signifiait cette fête. Cela fait partie de nos souvenirs. C’est vrai qu’avec le temps, cette fête s’est un peu diluée[^4]. » Autrement dit, les Algériens ont toujours célébré Yennayer de manière spontanée, sans en saisir pleinement la portée symbolique, et ce depuis des temps immémoriaux.
À Cordoue, en Andalousie, dans le sud de l’Espagne, par exemple, Yennayer était célébré il y a plus de huit siècles. Un universitaire du Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (CRASC) d’Oran, Ahmed-Amine Dellaï, rapporte qu’au Moyen Âge, le mot Yennayer est apparu pour la première fois en Andalousie, plus particulièrement à Cordoue[^5], où un poète nommé Muhammed Ibn Quzman[^6] utilise le terme « aïd al yannayr » pour désigner un moment festif, évoquant ainsi les célébrations de Yennayer. Ce poète atteste des rites et habitudes adoptés durant Yennayer et en parle dans un poème structuré en trois parties : la première est consacrée à une description réaliste de la fête, la deuxième repose sur une description métaphorique, et la dernière constitue un éloge personnel adressé à un notable cordouan[^7]. En outre, Ibn Quzman met en évidence l’importance de cette fête marquant le début de l’année, qui revêt non seulement un caractère public et commercial, mais également un aspect familial et relationnel. Cela transparaît notamment dans un autre texte, le zajjal n°40, où le poète souligne, selon le chercheur du CRASC, que pour « accueillir Yennayer comme il se doit, il faudrait se parer de ses plus beaux habits et inviter amis et voisins à partager les festivités[^8]. »
Au Maghreb, le calendrier agraire, fondé sur les saisons et la position des astres, a toujours été utilisé pour les travaux agricoles. Ces traditions amazighes s’apparentent parfois à de la superstition, mais elles participent à la socialisation des individus, tout en renforçant le tissu socioculturel. Des populations issues de divers environnements (déserts, montagnes, etc.) considèrent les rites associés à Yennayer comme une composante essentielle de leur patrimoine culturel.
Ainsi, l’officialisation de Yennayer semble avoir induit une nouvelle perception de cette fête au sein de la société algérienne. À ce titre, une étude sociolinguistique a été menée afin de comprendre cette perception et ses implications politiques et culturelles dans le milieu universitaire, en s’appuyant sur un échantillon d’enseignants.
L’université étant un environnement socioculturel rassemblant des individus d’horizons divers, ceux-ci, au fil du temps, construisent un ensemble d’idées, d’opinions, d’attitudes et de jugements sur leur environnement ainsi que sur tout événement marquant leur quotidien. La vision du monde et de ses réalités détermine les attitudes, les comportements et les actions des individus. C’est dans ce cadre que s’inscrit cette étude, qui s’attache à analyser une notion particulièrement étudiée en sociologie, en psychologie sociale et en sociolinguistique : les représentations. Celles-ci constituent une manière spécifique d’interpréter et de communiquer le savoir, en associant chaque image à une idée et chaque idée à une image, sur la base des déclarations des sujets sociaux eux-mêmes. Ce choix de sujet est motivé par l’importance des représentations en tant que facteur révélateur des visions et perceptions d’un groupe social.
Dans cette contribution, nous nous sommes fixé pour objectif d’approcher la notion de représentation, définie comme une « vision fonctionnelle du monde permettant à l’individu ou au groupe de donner un sens à ses conduites et de comprendre la réalité qui l’entoure[^9]. » La représentation, en tant que phénomène, ne se limite pas à une simple appréhension du monde, elle constitue également un moyen de connaissance de l’environnement et de tout ce qui façonne le quotidien d’un individu ou d’un groupe.
La problématique de cette étude porte sur la perception qu’ont les enseignants universitaires de Yennayer. Il s’agit également d’examiner leurs connaissances sur cette fête millénaire.
Après avoir présenté le sujet d’étude et formulé la question de recherche, il conviendra d’abord d’analyser la notion de « représentation » telle qu’elle est définie et étudiée par différents auteurs, avant d’exposer le cadre méthodologique et d’analyser le corpus retenu, pour finalement conclure par une synthèse des résultats obtenus.
1. Considérations théoriques
1.1. Qu’est-ce qu’une représentation sociale ?
La « représentation » constitue un concept clé, ou le pivot de ce travail. À l’origine, la notion de représentation a été utilisée par Émile Durkheim en 1898, dans le cadre de ses études sur les religions et les mythes : « la représentation est une vaste classe de formes mentales (sciences, religions, mythes, espace, temps), d’opinions et de savoirs, sans distinction[^10]. » Il distinguait les représentations collectives des représentations individuelles et affirmait que « si l’on peut dire, à certains égards, que les représentations collectives sont extérieures aux consciences individuelles, c’est qu’elles ne dérivent pas des individus pris isolément, mais de leur concours ; ce qui est bien différent[^11]. » Pour lui, la représentation désigne une idée partagée par une collectivité.
À partir de cette définition d’É. Durkheim, le psychosociologue Serge Moscovici a construit la théorie actuelle des représentations sociales. Selon ce dernier, l’individu est façonné par la société qui l’influence. Dans cette perspective, les représentations sociales sont considérées comme un phénomène social lié aux échanges communicatifs entre les individus, puisqu’elles évoluent non seulement en fonction de l’image de la société, mais aussi en fonction des objets sociaux qui émergent au fil du temps. Selon Gustave-Nicolas Fischer, « la représentation sociale est un processus, un statut cognitif, permettant d’appréhender les aspects de la vie ordinaire par un recadrage de nos propres conduites à l’intérieur des interactions sociales[^12]. » Quant à Willem Doise, il considère que les représentations constituent « des principes générateurs de prises de position qui sont liées à des insertions spécifiques dans un ensemble de rapports sociaux[^13]. »
À l’instar de la plupart des auteurs qui se consacrent à l’étude des représentations, Denise Jodelet définit la représentation comme « une forme de connaissance socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social[^14]. » À travers cette définition, plusieurs caractéristiques des représentations sociales peuvent être identifiées. Tout d’abord, elles sont socialement construites et partagées, dans la mesure où les interactions sociales jouent un rôle central dans leur élaboration et leur transmission. Ensuite, elles participent à la construction d’une vision commune de la réalité au sein d’un groupe social. Selon cette sociologue, les représentations se composent, entre autres, d’images, d’opinions et d’attitudes. Les opinions sont la verbalisation des représentations sous forme d’énoncés[^15]. Les attitudes, quant à elles, représentent « un état d’esprit à l’égard d’une valeur ou une disposition envers un objet social[^16] », autrement dit, elles traduisent un comportement positif ou négatif vis-à-vis d’un objet social selon les jugements portés. Enfin, les stéréotypes sont définis comme « les catégories descriptives simplifiées par lesquelles nous cherchons à situer autrui ou des groupes d’individus[^17]. »
De son côté, Christian Guimelli insiste sur l’aspect socialement construit des représentations et établit une distinction entre savoir scientifique et savoir commun : « Les représentations sociales constituent une modalité particulière de la connaissance dite de “sens commun”, dont la spécificité réside dans le caractère social des processus qui les produisent. Il s’agit donc de l’ensemble des connaissances, des croyances et des opinions partagées par un groupe à l’égard d’un objet social donné[^18]. » Ainsi, les représentations sociales se construisent dans un cadre d’échanges, de communications et d’interactions entre individus et groupes, ce qui permet la formation d’un « savoir commun » partagé ayant une double dynamique : cognitive et sociale. Les travaux de S. Moscovici sur la psychanalyse ont mis en évidence deux processus qui participent à l’émergence et au fonctionnement des représentations sociales, à savoir l’objectivation et l’ancrage. Le premier « permet de transformer un concept en une image plus concrète pour l’individu [...]. Elle permet notamment de changer le savoir scientifique en l’image d’une chose[^19]. » Ce processus vise donc à modifier un objet abstrait en un objet concret en lui attribuant des caractéristiques visuelles ou tangibles. Le second processus joue le rôle « d’intégration de la nouveauté, d’interprétation du réel et d’orientation des conduites et des rapports sociaux[^20]. » Dans cette perspective, comme l’affirme S. Moscovici, « si objectiver, c’est résorber un excès de significations en les matérialisant, ancrer une représentation consiste dans l’activité de l’enraciner dans l’espace social afin d’en faire un usage quotidien[^21]. »
Par ailleurs, selon D. Jodelet, on ne peut parler de représentation que si on est en présence d’un sujet et d’un objet. Ce sujet construit et formule des énoncés ou des expressions sur cet objet, l’interprète en lui conférant un certain sens et le symbolise, ou encore en élabore une représentation mentale sous forme de mot, d’image ou de signe. Dans ce cadre, il s’agit d’identifier par quelles expressions est conçu et exprimé l’objet Yennayer par les enseignants universitaires (sujet) à travers cette étude, ainsi que le degré de connaissance qu’ils en ont.
Dans la mesure où l’objectif est de comprendre et d’interpréter un fait social, à savoir « les représentations de Yennayer », nous avons choisi de mener une recherche qualitative qui, selon Yves Poisson, permet « de comprendre les phénomènes sociaux, soit des groupes d’individus, soit des situations sociales[^22]. » En somme, la représentation est « un ensemble organisé d’informations, d’attitudes et de croyances à propos d’un objet donné, socialement produites ; elle est fortement marquée par des valeurs correspondant au système socio-idéologique et à l’histoire du groupe qui la véhicule, pour lequel elle constitue un élément essentiel de sa vision du monde[^23]. »
Ainsi, l’approche des représentations sociales permet une étude globale du phénomène auquel nous nous intéressons, à savoir ce que représente Yennayer pour les enseignants universitaires en Algérie.
2. Considérations méthodologiques
2.1. Les témoins[^24] ou les enquêtés
Avant de présenter la méthodologie adoptée dans cette étude, il convient d’exposer le choix du terrain et des enseignants. De prime abord, le choix de l’Université d’Alger 2 de Bouzaréah s’explique par le fait que nous y travaillons et que nous avons une connaissance approfondie de ce terrain. Concernant le choix des enseignants, un cadre illustratif a été défini, consistant à se limiter à un échantillon d’enseignants. Nous avons opté pour les enseignants de l’Université d’Alger 2. Ce choix, loin d’être fortuit, se justifie par le fait que la population étudiée n’est pas très nombreuse et que nous souhaitons explorer un phénomène. Andrée Lamoureux affirme que, lorsqu’il s’agit d’explorer un phénomène, le recours à un échantillonnage raisonné est justifié[^25].
L’objectif n’est pas d’atteindre une représentativité ni de généraliser les données de cette étude[^26], mais plutôt de viser la significativité des données, comme l’affirme Philippe Blanchet : « le statut des observables réunis en un corpus selon une élaboration orientée par la compréhension du terrain relève du principe de significativité et non du principe de représentativité[^27]. »
Le nombre de participants à cette enquête d’opinion est de 74 enseignants. Nous ne nous sommes pas limités à une discipline ou à une spécialité particulière ; nous avons pris en considération le statut d’enseignant, en incluant des enseignants issus de différents départements de l’Université d’Alger 2, à savoir la Faculté des langues étrangères (Français, Anglais, Espagnol), le département de sociologie, le département d’histoire et le département de traduction. La répartition des participants à cette enquête est la suivante :
Tableau n° 01 : Description des caractéristiques de l’échantillon
Identification des enseignants |
Toutes spécialités confondues |
Sexe |
Féminin (42) |
Âge |
De 24 à 60 ans |
2.2. Outil d’investigation
Comme instrument de collecte de données, nous avons adopté la technique du questionnaire. Nous avons choisi cette méthode car elle « occupe une position de choix parmi les instruments de recherche mobilisés par le sociolinguiste, car elle permet d’obtenir des données recueillies de façon systématique et se prêtant à une analyse quantitative[^28]. » Le questionnaire constitue une technique permettant de recueillir un matériau analysable sous forme de questions posées à un ensemble de personnes afin de connaître et d’interpréter leurs opinions, leurs croyances, leurs pensées ou toute information relative à un fait social, une réalité, un événement, etc.
Nous avons élaboré une variété de questions. Si la majorité sont fermées, nous avons également intégré un test d’association libre pour la première question. Cette technique d’association libre « permet d’accéder aux contenus discursifs d’une représentation sociale. Elle consiste à demander aux sujets d’associer à un mot inducteur, généralement constitué par l’objet de représentation, une série de mots induits[^29]. »
En outre, nous avons ajouté une note dans le questionnaire, invitant ainsi les enseignants témoins à répondre spontanément, dans un délai court et sans effort de réflexion. Nous leur avons également rappelé, verbalement, que l’étude des représentations sociales s’intéresse aux connaissances de sens commun et immédiat.
L’objectif de ce questionnaire est de :
-
Connaître le contenu des représentations sociales de Yennayer.
-
Recueillir les connaissances des enseignants sur l’événement de Yennayer.
2.3. Déroulement de l’enquête
Cette étude a été menée en octobre et novembre 2022 au sein de l’Université d’Alger 2. Pour rappel, l’enquête par questionnaire a été réalisée auprès des enseignants, toutes spécialités ou disciplines confondues[^30], dans ladite institution.
Le questionnaire a été administré selon une procédure consistant à distribuer les questionnaires écrits aux participants, puis à les récupérer sur place après qu’ils y aient répondu. En règle générale, la distribution du questionnaire s’accompagnait d’explications concises, tout en restant à disposition des participants pour leur fournir d’éventuels éclaircissements, notamment concernant le test d’association libre.
Une question ouverte a été posée aux enseignants :
-
Question n°1 : « Quels sont les quatre mots ou expressions qui vous viennent à l’esprit quand vous pensez à Yennayer ? »
De même, le questionnaire présenté aux enseignants contenait trois autres questions mixtes :
-
Question n°2 : « À votre avis, d’où vient la dénomination de Yennayer ? »
-
Question n°3 : « Êtes-vous pour ou contre la célébration de Yennayer ? Pourquoi ? »
-
Question n°4 : « Dans le calendrier berbère, en quelle année sommes-nous lorsque nous parlons de 2022 ? »
2.4. Méthode d’analyse des données pour étudier les représentations
La procédure adoptée pour analyser les données collectées repose sur l’analyse thématique, qui constitue une méthode d’analyse de contenu. Elle « vise principalement à mettre en évidence des représentations sociales ou des jugements des locuteurs à partir d’un examen de certains éléments constitutifs du discours[^31]. »
Pour rappel, S. Moscovici s’est appuyé sur l’analyse thématique en 1976 pour étudier la représentation sociale de la psychanalyse. En effet, l’analyse de contenu permet de dégager certains éléments sociaux constitutifs d’un texte. Elle s’intéresse à des « fragments bien délimités, considérés comme des indices de renseignements sur les attitudes ou les comportements d’un individu, d’un groupe ou d’une société[^32]. » Autrement dit, nous avons retenu cette méthode d’analyse thématique, car elle permet de « dégager les éléments sémantiques fondamentaux en les regroupant à l’intérieur de catégories. Les thèmes sont des unités sémantiques de base, indépendantes des jugements ou des composantes affectives[^33].»
En tant qu’approche quantitative, l’analyse thématique inclut notamment l’analyse catégorielle, considérée comme l’une de ses méthodes principales. Celle-ci « consiste à calculer et comparer les fréquences de certaines caractéristiques (les plus courantes parmi les thématiques évoquées), préalablement regroupées en catégories importantes[^34]. » Ainsi, le principe fondamental de cette méthode repose sur l’identification d’un trait distinctif : plus celui-ci est fréquemment évoqué, plus il est significatif pour le locuteur.
Dans le cadre de cette étude, l’analyse des données recueillies s’est déroulée en plusieurs étapes:
-
Identification et quantification des unités sémantiques (expressions et mots) mentionnées par les enseignants en réponse à la question d’association libre.
-
Classement des thèmes associés à Yennayer selon les réponses des participants à la question ouverte. Ces thèmes ont été regroupés en quatre catégories[^35] :
-
Yennayer et sa célébration ;
-
Yennayer, son origine et sa signification ;
-
Yennayer comme pratique rituelle ;
-
Yennayer à travers la connaissance de la nature.
-
Analyse de la fréquence d’apparition de chaque catégorie, symbolisée par Cat. Cette fréquence est calculée en multipliant la somme des évocations par catégorie par le nombre d’enseignants ayant mentionné cette catégorie, puis en divisant ce résultat par le nombre total de fragments du discours (les substantifs employés par les témoins).
-
Détermination du poids de chaque catégorie (Cat), en divisant sa fréquence par la somme des fréquences de toutes les catégories, puis en multipliant le résultat par 100 afin d’obtenir un pourcentage.
3. Analyse et interprétation des données recueillies
3.1. Les représentations sociales de Yennayer
Suite à la récolte et au dépouillement de la totalité des questionnaires, au nombre de 74, nous avons remarqué que le nombre total des associations, sous forme de mots ou expressions, produites par les enseignants de l’Université d’Alger 2 est de 248, qui représentent 100 % du discours prononcé par ces derniers. Dans ce qui suit, nous donnons, sous forme de tableau, un aperçu des occurrences des mots ou expressions associés au mot inducteur (ou mot stimulus) « Yennayer».
Tableau n°02 : Occurrences des mots associés à « Yennayer »
Degré d’évocation |
Mots / occurrences (nombre) |
Termes les plus saillants ou marquants |
Fête (29), Tradition (22), Nouvel an berbère (22), Amazigh/Berbère (15), Identité (14), Kabylie (14), Culture (13), Couscous (11), Repas (11), Chachnaq (Sheshonk)/Pharaon (9), Famille (8), Histoire (6). |
Termes saillants ou marquants |
Célébration (4), Patrimoine (3), Calendrier berbère agraire (3), Pluie (3), Racines (3), Rituels (3), L’an agricole (3), Tamazight/langue berbère (3), Terre (2), Origines (2), Neige (2), Convivialité (2), Ancêtres (2), Événement (2), Jour férié (2), Mot berbère (2), Rassemblement/Retrouvailles (2). |
Termes relativement saillants ou marquants |
Asseggasameggaz (1), Coutumes (1), 12 janvier (1), Mythe (1), Cosmogonie (1), Renaissance (1), Authenticité (1), Civilisation (1), Mouvement 80 (1), Révolution/Rébellion (1), Fierté berbère (1), Afrique du Nord (1), Tizi-Ouzou (1), Anniversaire (1), Joie (1), Sacrifice (1), Nourriture (1), Richesse (1), Fécondité (1), Social (1), Journée nationale (1), Algérie (1), Robe kabyle (1), Habitude (1), Treize (1), Friandises/Fruits secs (1), Rites agraires (1), Coiffe des petits (1), Dîner copieux (1), Folklore (1), Hiver en Kabylie (1), Chakhchoukha (1). |
La lecture de ce tableau permet de noter que le nombre de mots cités par les enseignants universitaires certifie et témoigne de la richesse des représentations et de l’aspect très divers du vocable *Yennayer*, avec, rappelons-le, un total d’occurrences qui a atteint 248 items.
3.1.1. Catégorisation du corpus recueilli
À la suite du dépouillement de l’ensemble des questionnaires distribués, nous avons catégorisé les mots-occurrences, comme mentionné précédemment, afin d’analyser le contenu des perceptions des enseignants de l’Université d’Alger 2. Cette catégorisation permet également de répondre à notre problématique initiale. Il est important de noter que la création d’un système de catégories a pour objectif « de fournir par condensation une représentation simplifiée des données brutes », permettant ainsi de révéler certains indices invisibles dans ces données.
Tableau n° 03 : Catégorisation des mots-occurrences évoqués
Catégories |
Mots-occurrences |
Nombre d’apparition par catégorie |
Somme des apparitions par catégorie |
|
C1 Yennayer et sa célébration |
Fête |
29 |
77 |
|
Nouvel an berbère |
22 |
|||
Famille |
08 |
|||
Célébration |
04 |
|||
Convivialité |
02 |
|||
Événement |
02 |
|||
Jour férié |
02 |
|||
Anniversaire |
12 janvier |
01 + 01 |
||
Joie |
Asseggas ameggas |
01 + 01 |
||
Robe kabyle |
Afrique du Nord |
01 + 01 |
||
Algérie |
Tizi Ouzou |
01 + 01 |
||
C2 Yennayer, son origine et sa signification |
Amazigh/Berbère |
15 |
92 |
|
Identité |
14 |
|||
Kabylie |
14 |
|||
Culture |
13 |
|||
Chachnaq/Pharaon |
09 |
|||
Histoire |
06 |
|||
Patrimoine |
03 |
|||
Racines |
03 |
|||
Tamazight/langue berbère |
03 |
|||
Origines |
02 |
|||
Ancêtres |
02 |
|||
Mot berbère |
02 |
|||
Authenticité |
Journée nationale |
01 + 01 |
||
Civilisation |
Fierté berbère |
01 + 01 |
||
Mouvement 80 |
Révolution/rébellion |
01 + 01 |
||
C3 Yennayer comme pratique rituelle |
Tradition |
22 |
61 |
|
Couscous |
11 |
|||
Repas |
11 |
|||
Rituels |
03 |
|||
Rassemblement familial |
02 |
|||
Habitude |
Mythe |
01 + 01 |
||
Sacrifice |
Coutumes |
01 + 01 |
||
Nourriture |
Diner copieux |
01 + 01 |
||
Chakhchoukha |
Rites agraires |
01 + 01 |
||
Fruits secs/friandises |
Folklore |
01 + 01 |
||
Coiffe des petits |
Treize |
01 + 01 |
||
C4 Yennayer à travers la connaissance de la nature |
Calendrier agraire |
03 |
18 |
|
Pluie |
03 |
|||
L’an agricole |
03 |
|||
Terre |
02 |
|||
La neige |
02 |
|||
Hiver en Kabylie |
01 |
|||
Cosmogonie |
01 |
|||
Renaissance |
01 |
|||
Richesse |
01 |
|||
Fécondité |
01 |
|||
Total |
248 |
Il ressort de ce tableau que les représentations les plus fréquemment évoquées par les participants concernent la célébration de Yennayer. En effet, 29 participants (39,18%) qualifient Yennayer de « fête », tandis que 22 enseignants (29,72%) le considèrent comme le « nouvel an berbère ». De plus, 8 participants (10,81%) associent cette célébration à la « famille », tandis que 4 enseignants (5,40%) parlent de « célébration ».
Par ailleurs, 6 enseignants (8,10%) décrivent Yennayer comme synonyme de « convivialité », d’« événement » ou encore de « jour férié ». D’autres enseignants mentionnent des éléments spécifiques qui illustrent cette célébration, en évoquant des termes comme « anniversaire », « joie », « 12 janvier » (1,35%). Certains ajoutent que cette célébration est propre à « l’Afrique du Nord », à « l’Algérie » ou encore à « Tizi Ouzou ».
En deuxième position, une représentation liée à l’origine et à la signification de Yennayer émerge. Ainsi, plusieurs enseignants le perçoivent comme une question d’« identité » (18,71%), de « culture » (17,56%), d’« amazighité/berbérité » (20,27%), d’« histoire » (8,10%), ou encore comme étant lié à « Chachnaq/Pharaon » (12,16%). D’autres enseignants font référence à des notions telles que « patrimoine » (4,05%), « racines » (4,05%), « ancêtres » (2,70%), « origines» (2,70%), « civilisation » (1,35%), ou encore à la langue « tamazight/langue berbère » (4,05%).
Une autre perception évoquée dans les réponses des enseignants est celle de Yennayer en tant que pratique rituelle. Ainsi, 29,70% des participants le considèrent comme une « tradition », tandis que d’autres parlent de « rituels », d’« habitude », de « repas », de « couscous partagé », de « sacrifice », de « coutumes » ou encore de « mythe ». Environ 2,70% des enseignants associent Yennayer à la « coiffe des petits » et au chiffre « treize ».
Enfin, la dernière catégorie identifiée concerne la relation entre Yennayer et la nature. De nombreux enseignants font référence à cet aspect, soulignant notamment l’importance du calendrier agraire (4,05%). D’autres évoquent des éléments tels que la « terre », la « neige » (2,70%), ou encore l’« hiver en Kabylie », la « cosmogonie », la « renaissance », la « richesse » et la « fécondité » (6,75%).
3.1.2. Place de chaque catégorie dans les réponses des enquêtés
-
Place de la catégorie 1, Yennayer et sa célébration (représentée par Cat. 1) :
Cat. 1 = (77 x 15) / 248 = 4,65 -
Place de la catégorie 2, Yennayer, son origine et sa signification (représentée par Cat. 2) :
Cat. 2 = (92 x 19) / 248 = 7,04 -
Place de la catégorie 3, Yennayer comme pratique rituelle (représentée par Cat. 3) :
Cat. 3 = (61 x 17) / 248 = 4,18 -
Place de la catégorie 4, Yennayer à travers la connaissance de la nature (représentée par
Cat. 4) :
Cat. 4 = (18 x 10) / 248 = 0,72
L’analyse de ces résultats montre que la catégorie « Yennayer, son origine et sa signification » occupe une place centrale et prépondérante dans les réponses des enseignants interrogés. Ces derniers ont majoritairement évoqué des éléments liés aux origines et à la signification de Yennayer par rapport aux autres catégories.
En deuxième position, nous retrouvons la catégorie « Yennayer et sa célébration », suivie de « Yennayer comme pratique rituelle », puis enfin « Yennayer à travers la connaissance de la nature », qui enregistre la fréquence la plus faible.
3.1.3. Fréquence d’apparition de chaque catégorie en pourcentage
-
Cat. 1 = Yennayer et sa célébration : 4,65 / (4,65 + 7,04 + 4,18 + 0,72) x 100 = 28,02 %
-
Cat. 2 = Yennayer, son origine et sa signification : 7,04 / (4,65 + 7,04 + 4,18 + 0,72) x 100 = 42,43%
-
Cat. 3 = Yennayer comme pratique rituelle : 4,18 / (4,65 + 7,04 + 4,18 + 0,72) x 100 = 25,19 %
-
Cat. 4 = Yennayer à travers la connaissance de la nature : 0,72/(4,65 + 7,04 + 4,18 + 0,72) x 100 = 04,33 %
Tableau n° 04 : Fréquence d’apparition des catégories
Catégorie |
Fréquence (%) |
Cat. 1 - Yennayer et sa célébration |
28,02 % |
Cat. 2 - Yennayer, son origine et sa signification |
42,43 % |
Cat. 3 - Yennayer comme pratique rituelle |
25,19 % |
Cat. 4 - Yennayer à travers la connaissance de la nature |
4,33 % |
L’analyse de ces résultats montre que la catégorie « Yennayer, son origine et sa signification » est la plus citée dans les réponses des enquêtés (42,43 %), suivie par « Yennayer et sa célébration » (28,02 %) et « Yennayer comme pratique rituelle » (25,19 %). La catégorie « Yennayer à travers la connaissance de la nature », avec 4,33 %, est nettement moins représentée.
3.2. La dénomination de Yennayer
La question de la dénomination de Yennayer soulève une interrogation fondamentale : d’où vient ce terme ? Pour répondre à cette question, nous avons recueilli l’opinion des enseignants universitaires afin de déterminer s’ils attribuent cette dénomination à une origine égyptienne, libyque, numide ou romaine.
Tableau n° 05 : Réponses des enseignants à la question n°02
Enseignants |
Féminins |
Masculins |
Total (%) |
Dénomination égyptienne |
02 |
03 |
6,75 % |
Dénomination libyque |
05 |
04 |
12,16 % |
Dénomination numide |
20 |
16 |
48,65 % |
Dénomination romaine |
02 |
05 |
9,46 % |
Sans opinion |
13 |
04 |
22,97 % |
Total |
42 |
32 |
100 % |
Les résultats montrent que 48,65 % des enseignants estiment que Yennayer est une dénomination numide, bien que cette réponse soit erronée, puisque le terme est d’origine romaine. En effet, seulement 9,46 % des enseignants ont fourni la réponse correcte. De plus, une part importante des participants (22,97 %) n’a pas d’opinion sur l’origine du terme.
3.3. Yennayer et sa célébration
La célébration de Yennayer, marquant le passage d’une année à une autre, est une tradition largement répandue à travers l’Algérie. Il est donc intéressant de savoir si les enseignants universitaires sont favorables à cette célébration, notamment après son officialisation en décembre 2017.
Tableau n° 06 : Réponses des enseignants à la question n°03
Enseignants |
Féminins |
Masculins |
Total (%) |
Pour |
29 |
23 |
70,27 % |
Contre |
02 |
05 |
9,45 % |
Sans opinion |
11 |
04 |
20,27 % |
Total |
42 |
32 |
100 % |
Les résultats révèlent que 70,27 % des enseignants universitaires sont favorables à la célébration de Yennayer, mettant en avant plusieurs raisons :
-
Dimension culturelle et identitaire : « C’est une manière de préserver et de transmettre notre culture et notre identité. »
-
Unité nord-africaine : « Yennayer est un élément fédérateur pour toute l’Afrique du Nord. »
-
Mémoire et traditions : « Il fait partie de notre patrimoine et de notre mémoire collective.»
En revanche, 9,45 % des enseignants se disent opposés à la célébration de Yennayer, avançant les arguments suivants :
-
Dimension religieuse : « Ce n’est pas une fête musulmane. »
-
Politisation : « C’est une récupération idéologique. »
-
Trop de jours fériés : « Il y a déjà trop de journées chômées et payées. »
3.4. Se situer dans le calendrier berbère
Savoir situer l’année amazighe correspondant à l’année 2022 permet d’évaluer le niveau de connaissance des enseignants sur Yennayer.
Tableau n° 07 : Réponses des enseignants à la question n°04
Enseignants |
Féminins |
Masculins |
Total (%) |
Réponse juste (2972) |
16 |
14 |
40,54 % |
Réponse fausse |
08 |
09 |
22,97 % |
Sans opinion |
18 |
09 |
36,48 % |
Total |
42 |
32 |
100 % |
Près de la moitié des enseignants (40,54 %) ont répondu correctement, identifiant 2022 comme correspondant à l’année 2972 dans le calendrier berbère. Toutefois, 22,97 % ont donné une réponse erronée, et 36,48 % n’ont pas d’opinion, ce qui témoigne d’un manque de connaissance sur cet élément culturel.
4. Discussion des résultats du questionnaire
Les représentations sociales se construisent et évoluent dans des environnements sociaux, établissant un lien entre les individus et leur société. Cependant, elles varient d’un groupe à l’autre et ne prennent leur sens qu’à travers le contexte socioculturel qui les caractérise. Ainsi, les individus forgent leurs représentations en fonction de leur statut et de leur position au sein de la société dans laquelle ils vivent et interagissent.
Dans cette étude, nous avons cherché à mettre en évidence les opinions et représentations des enseignants de l’Université d’Alger 2 à propos de Yennayer, à travers un questionnaire. L’objectif était, d’une part, d’identifier les représentations qu’ils se font de cet événement et, d’autre part, d’évaluer leurs connaissances relatives à son origine et à son officialisation.
Les résultats de cette recherche montrent que les perceptions et les valeurs associées à Yennayer sont diverses, influencées par l’insertion sociale et le statut des individus interrogés. Cette pluralité de représentations oriente la catégorisation des réponses et met en évidence la valorisation de certaines thématiques spécifiques.
L’analyse thématique des questionnaires, notamment grâce à la technique de l’association libre, révèle que l’évocation de Yennayer s’articule autour de plusieurs axes : sa célébration, son origine et sa signification, les pratiques et rituels qui lui sont associés, ainsi que son lien avec la nature.
L’analyse de contenu nous a permis de dégager des idées clés sur Yennayer, notamment en identifiant les connaissances des enseignants et les dimensions générales dans lesquelles leurs représentations s’ancrent. Il est également intéressant de noter que, pour parler de Yennayer, les enseignants ont mobilisé une diversité d’images et de termes tels que « fête », « racines », « couscous », « tradition », « rites agraires », « friandises », « culture », « identité », « terre » et « coutumes ».
4.1. Yennayer, événement festif
La première catégorie, « célébration », regroupe les termes les plus fréquemment associés à Yennayer. Les résultats indiquent que les mots « fête » (29 occurrences) et « nouvel an berbère » (22 occurrences) sont les plus saillants, suivis par « famille » (8 occurrences). Ces termes renvoient une image positive de Yennayer, perçu comme un événement festif célébré en famille, dans un climat de convivialité et de joie, où l’on se souhaite Asseggas ameggas.
L’analyse des évocations liées à Yennayer confirme que la notion de « fête » est celle qui définit le mieux cet événement aux yeux des enseignants interrogés. Ce terme apparaît comme central et structurant dans leur représentation.
Le sociologue Émile Durkheim, dans Les Formes élémentaires de la vie religieuse (1912), considère que le rassemblement collectif est un élément fondamental des fêtes, qui génèrent une exaltation sociale et renforcent l’identité des groupes. De manière similaire, Yennayer semble jouer un rôle de cohésion sociale, en favorisant une mise en scène collective qui permet aux individus de s’identifier à un groupe et de renforcer leur sentiment d’appartenance.
Dans ses manifestations traditionnelles, la fête constitue un moment de rupture avec le quotidien et permet de célébrer un passé—réel ou mythique—dans lequel une communauté se reconnaît. Ainsi, Yennayer s’inscrit dans une tradition qui lie mémoire collective et célébration.
Par ailleurs, certains termes permettent de situer géographiquement cette célébration, notamment « Algérie », « Afrique du Nord » et « Tizi Ouzou ».
4.2. Yennayer, son origine et sa signification
La deuxième catégorie, « Yennayer, son origine et sa signification », regroupe des termes qui renvoient à des valeurs symboliques et identitaires. Ces mots soulignent l’appartenance culturelle et la transmission de savoirs au sein d’un groupe social.
Les termes les plus fréquemment cités sont « identité » (14 occurrences), « culture » (13 occurrences), « amazigh » (11 occurrences) et « histoire » (6 occurrences). Ces résultats montrent que Yennayer est perçu comme un symbole culturel, étroitement lié à la langue amazighe et aux traditions ancestrales.
Des termes comme « patrimoine » (3 occurrences), « racines » (3 occurrences), « ancêtres» (2 occurrences) et « civilisation » (1 occurrence) renforcent cette perception, en insistant sur la transmission intergénérationnelle et sur l’intégration de Yennayer dans un territoire culturel partagé.
4.3. Yennayer comme pratique rituelle
La catégorie « Yennayer comme pratique rituelle » se décline en deux dimensions :
-
Un ensemble de rituels et de pratiques concrètes qui marquent la célébration de Yennayer.
-
Une dimension mythique et symbolique associée à ces pratiques.
Les réponses des enseignants montrent que Yennayer est associé à des pratiques alimentaires et culturelles, comme « couscous », « repas », « nourriture », « dîner copieux », « coiffe des petits », « rites agraires » et « treize ».
En parallèle, la fête est aussi perçue sous un prisme plus abstrait, avec des termes comme « tradition » (22 occurrences), « habitude » (1 occurrence), « coutumes » (1 occurrence), « mythe » (1 occurrence) et « sacrifice » (1 occurrence).
Cette double dimension confirme que Yennayer est à la fois une célébration sociale et un rituel symbolique, où les pratiques alimentaires et culturelles sont enracinées dans un cadre plus large de transmission et d’héritage.
4.4. Yennayer et la nature
Enfin, la dernière catégorie, « Yennayer à travers la connaissance de la nature », regroupe les termes qui établissent un lien entre Yennayer et l’environnement.
Les enseignants interrogés associent cet événement à la nature et aux cycles agricoles, évoquant des notions comme « calendrier agraire », « pluie », « neige », « saison agricole » et « renaissance ».
Cette perception illustre l’origine agraire et cosmologique de Yennayer, qui est historiquement lié aux rythmes de la nature et aux changements saisonniers (labours, semailles, cueillettes, repos des arbres, etc.).
4.5. Différences entre les enseignants hommes et femmes
Nous avons relevé quelques différences significatives entre les réponses des enseignants hommes et femmes :
Mots-occurrences |
Femmes |
Hommes |
Fête |
15 |
14 |
Amazigh |
08 |
07 |
Identité |
10 |
03 |
Tradition |
16 |
06 |
Couscous |
09 |
02 |
Calendrier agraire |
02 |
01 |
Pluie |
01 |
02 |
Neige |
01 |
01 |
Nous remarquons que les femmes sont davantage impliquées dans le test d’association libre, citant plus souvent des termes liés à la culture, la tradition et l’identité.
En revanche, nous avons également observé que les enseignantes sont plus nombreuses à ne pas avoir d’opinion sur certaines questions :
-
Origine de la dénomination de Yennayer : 13 sur 42 sans réponse.
-
Célébration de Yennayer : 11 sur 42 sans réponse.
-
Année amazighe correspondant à 2022 : 18 sur 42 sans réponse.
Ces résultats suggèrent que les connaissances sur Yennayer restent limitées parmi une partie des enseignants, ce qui s’est manifesté par des hésitations et des difficultés à répondre au questionnaire.
Ces différences dans les réponses des enseignants et des enseignantes soulèvent des questions sociologiques intéressantes. On observe que les femmes évoquent plus fréquemment des dimensions liées à la tradition, à l’alimentation et à la famille, tandis que les hommes mobilisent davantage des éléments historiques ou politiques. Cette divergence peut être interprétée à la lumière de la socialisation genrée : les femmes, souvent investies dans la transmission des pratiques culturelles au sein de la sphère domestique, développent des savoirs concrets et sensibles liés au quotidien et au rituel. À l’inverse, les hommes, plus exposés à une culture savante ou institutionnelle, ont tendance à associer Yennayer à des concepts identitaires ou historiques. Cette hiérarchisation implicite entre savoirs « populaires » et savoirs « académiques » rejoint les analyses de Pierre Bourdieu sur les formes de capital culturel, mais aussi celles de Françoise Héritier sur la valeur différenciée accordée aux rôles sociaux selon le genre. Ces résultats invitent à considérer les représentations sociales comme le produit de rapports sociaux de genre, et à envisager des études ultérieures mobilisant une approche intersectionnelle (genre, âge, origine, spécialité disciplinaire) pour mieux comprendre les variations dans la construction du sens autour de Yennayer.
Conclusion
À la lumière de cette étude et à travers les résultats de l’enquête de terrain, nous avons mis en évidence les représentations et perceptions des enseignants de l’Université d’Alger 2, toutes spécialités confondues (français, anglais, espagnol, histoire, sociologie et traduction), à propos de Yennayer. Cette recherche poursuit un double objectif : d’une part, examiner la manière dont les enseignants universitaires construisent leurs représentations de Yennayer ; d’autre part, évaluer leurs connaissances relatives à cet événement.
Il apparaît qu’en dépit d’une certaine homogénéité dans les discours des enseignants, permettant de dégager un prototype de la représentation de Yennayer, ces discours sont influencés par plusieurs paramètres et thématiques, notamment la célébration, la signification, les pratiques et la relation à la nature.
Bien que notre échantillon de recherche soit limité à une catégorie spécifique de la population, il permet néanmoins d’apporter un éclairage sur le niveau de connaissance relatif à Yennayer. Il serait intéressant de mener une étude plus approfondie auprès d’un échantillon plus large et plus diversifié, en mettant l’accent sur les spécificités régionales. De plus, il serait pertinent d’élargir cette recherche à d’autres universités algériennes afin de comparer les attitudes, les opinions et les représentations sociales associées à Yennayer.