Introduction
La médina d’Alger a connu, depuis l’installation des Ottomans1, un important développement architectural et urbanistique essentiellement dû aux activités maritimes2. La richesse procurée par ces activités maritimes s’est concrétisée par une multitude de réalisations et d'édifications (fondouks, maisons, mosquées, palais, villas…) dans la Médina, mais aussi par la construction de belles et grandes demeures, appelées djenanes, dans la campagne (les Fohos), à l’extérieur de la médina d'Alger. Ces édifices extra-muros servaient de lieu de récréation et fournissaient, en outre, une grande quantité de produits de la terre3.
Aujourd'hui, certains de ces djenanes constituent une richesse inestimable et une originalité par leurs architectures, leurs organisations et leurs implantations qui reflètent un long savoir-faire sur le plan architectural, patrimonial et environnemental...
1. Les djenanes : implantation et composition
L’implantation des Djenanes à la période ottomane, dans le paysage verdoyant4 des Fohos de la médina d'Alger5, est particulièrement due à la fertilité du sol, à l’abondance des eaux et à la verdure de la végétation6.
Les Fohos d'Alger se divisent en trois parties, portant chacune le nom de la porte de la ville qui la relie à celle-ci par une route. La première, située au Nord, est connue sous le nom de Fahs Bab el-Oued ; la seconde s'étend à l'Est et est appelée Fahs Bab el-Djadid ; la troisième, au Sud, est nommée Fahs Bab Azzoun7.
Ces djenanes, qui ornaient ainsi les Fohos, étaient très nombreux8. D'ailleurs, Shaler (W.), Consul général des États-Unis à Alger, estimait, en 1830, leur nombre à pas moins de 1 0009. D'autres, tels Renadont (M.), ancien officier de la garde du Consul de France à Alger, les estimaient entre 10 000 et 12 00010, et Tassy (L. De), Commissaire de la Marine pour Sa Majesté très Chrétienne en Hollande, affirmait que le nombre de ces djenanes était de 20 00011.
Ces djenanes, implantés dans les Fohos de la médina d'Alger, d'où leur nom de Diar el Fahs, pouvaient appartenir aux dignitaires turcs, à la bourgeoisie algéroise, maure ou juive et aux consuls des nations chrétiennes12. Ils pouvaient aussi être loués à des Consuls ou à des officiers13.
Ils étaient considérés ainsi comme des refuges pour les propriétaires lors des chaleurs de l’été, d'où leur nom aussi de Résidence d’été14, car ils permettaient d’être à l’abri du soleil, même dans les plus excessives chaleurs15. Implantés au-dessus du niveau de la mer, ils permettaient, selon Berteuil (A.), de respirer un air pur et sain régulièrement rafraîchi par la brise de la mer dès le début de l’été16.
Les propriétaires des djenanes y séjournaient, en conséquence, à la belle saison avec leur famille17. Le reste de l'année, les ouvriers et les esclaves en assuraient l'entretien et la culture de végétaux18.
En plus des demeures principales, les djenanes comportaient des vergers, des arbres d'ornement, des jardins où l'olivier et le palmier se mêlaient à des essences exotiques, créant ainsi une atmosphère de repos, des pièces d'eau, des systèmes hydrauliques tels que les aqueducs, les fontaines, les norias, les puits, tant pour la consommation que pour l’irrigation des terres et des jardins qui permettaient la récréation et la plaisance19, et des terres agricoles qui permettaient aussi d’assurer un bon rendement agricole de manière à améliorer leur vie économique et d’assurer les provisions pour les citadins20.
Ces ensembles d’espaces constituant les djenanes n'étaient pas fermés, mais ils étaient seulement cachés par différentes haies vives de myrte, d’aubépine, d’aloès et de figuier de Barbarie21.
La présence et l’étendue de jardins et de potagers, l’abondance d'eau (fontaine, bassin, source), la diversité des espaces (portique, riad, …) prouvaient le caractère prestigieux et la prospérité de leurs propriétaires à cette époque. Ainsi, l’importance des djenanes s’exprimait à travers leurs étendues, leurs emprises au sol, leurs riches compositions et leurs somptueuses décorations22.
2. La typologie des djenanes
Les djenanes ne sont pas tous identiques23. Deux typologies principales se détachent :
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Les djenanes nommés résidences officielles : ce sont ceux où le Dey allait, accompagné de sa suite, se reposer lors des mois les plus chauds de l'été et vivre une vie de famille sans pour autant abandonner ses importantes fonctions. Ils peuvent ainsi comporter toute une partie privée comprenant plusieurs patios avec jardins, vergers, arbres d'ornement, fleurs, pièces d'eau, et pavillons de repos. Ils comportent également une partie officielle qui est une vaste bâtisse comprenant une grande salle pour les réunions des hauts fonctionnaires et des salons de réception avec un casernement de garde à l'entrée des jardins24.
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Les djenanes nommés résidences privées : ce sont ceux qui appartiennent à de riches corsaires ou de commerçants aisés. Ils sont généralement des ensembles plus modestes, mais qui n'excluent pas le luxe au sein d'une végétation tropicale où l'olivier et le palmier se mêlent à des essences exotiques. Ils ne comportent pas de grande salle pour les réunions, souvent pas même de squifa inutile, puisque l'accueil se faisait à l'entrée des jardins. Ce type de djenane comporte deux sortes de constructions25 :
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L'une est la transposition de la demeure citadine à la campagne, à quelques détails près avec des ouvertures plus larges des fenêtres donnant sur l'extérieur, absence ou réduction des squifa;
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L'autre est constituée de plusieurs pavillons qui se distribuent autour des pièces d'eau ou autour des fontaines avec des cellules très aérées par de nombreuses fenêtres. Les doueras à portiques fleuris dépourvues d'étage sont percées de multiples ouvertures sur les jardins, l'eau y coule en cascade ou murmure dans des fontaines de marbre26.
3. Le djenane Abd-el-Tif : présentation et changements au fil du temps
Le djenane Abd-el-Tif, faisant partie de la deuxième typologie des djenanes, est particulièrement connu pour être un important représentant des djenanes aménagés à l’extérieur de la médina d’Alger. Le djenane Abd-el-Tif est classé monument historique national en 1922. Ce classement est reconduit le 20 décembre 1967, selon l’Ordonnance n° 67-281 du 20/12/1967, d’une part, pour l’intérêt architectural qu’il représente27, et d’autre part, pour son statut de témoin des djenanes des Fahs d’Alger28. Cependant, son jardin n’est pas classé, et ce malgré que la Convention de Florence 200029 affirme qu’un jardin participe de manière importante à la qualité de vie des populations et au bien-être individuel sur les plans culturel, écologique, environnemental et social, et contribue à la consolidation de l’identité.
3.1. Présentation, localisation du djenane Abd-el-Tif et première transformations
3.1.1. La localisation et la présentation du djenane Abd-el-Tif
Le djenane Abd-el-Tif se situe à El-Hamma d’Alger, au-dessus du jardin d'Essai, en face du musée des Beaux-arts. Il est replié dans le bois des Arcades, à proximité de Riad-el-Fath et de Maquam Echahid. (Figure 3)
Le djenane Abd-el-Tif est constitué d’une importante maison dénommée la demeure principale, d’une maison de plaisance plus modeste dénommée Riad, d’un bloc d’ateliers et un autre de studios, d’une petite villa, d’une douéra, d’un portique et d’un jardin qui occupe une importante surface. (Figure 4) Le djenane Abd-el-Tif est l’un des djenanes qui bénéficie d’un site verdoyant sur le massif Sud de la médina d’Alger, à savoir le Fahs de Bab Azzoun, considéré comme le côté le plus privilégié de la médina d’Alger, notamment avec la présence des sources d’eau et la topographie douce et peu accidentée. Le massif appelé l'aile verte d'Alger30 renferme ainsi les plus belles, les plus agréables et les plus pittoresques maisons de campagne ayant une vue sur la mer31.
Le plus ancien document faisant mention du djenane Abd-el-Tif date de 1715. Selon ce document, le djenane Abd-el-Tif, considéré, de ce fait, comme l’un des anciens djenanes d’Alger, aurait appartenu à Ali Agha pour échoir ensuite à Ali Ben Mohammed-Agha, puis à Osman, le syndic des jardiniers, après à Hadj Mohammed Khodja, directeur des magasins du port, puis à l’épouse d’un secrétaire général de la Haute administration. Le dernier propriétaire fut Mahmoud Ben Abd-el-Tif, le Bach Kateb des deys Hassen pacha et Mustapha pacha, qui l’acheta en 1795.
D’après cette constitution, le djenane Abd-el-Tif a la même composition que la maison urbaine de la médina d’Alger, mais avec une différence dans :
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L’organisation spatiale où la douera n’est pas intégrée dans la demeure principale mais elle est séparée tout en restant dans le même périmètre puisque toutes les deux donnent sur la même cour intérieure.
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La présence de jardins, de cours, de potagers, ...
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L’abondance d'eau : fontaine, bassin, source, ...
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L’importante dimension des espaces.
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L’importante dimension des ouvertures et de leur nombre qui donnent sur le jardin.
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La diversité des espaces : portique, ...
D’ailleurs, Esquer (G.) affirme, dans la même perspective, que ces villas étaient à l’intérieur aussi ornées de faïences et de boiseries sculptées que les maisons de la ville avec des pièces et des cours plus vastes, mais l’extérieur en était plus accueillant. Car étant isolées et sans vis-à-vis, des fenêtres s’ouvraient dans les façades permettant une vue étendue du jardin qui est, de ce fait, la principale cause de son organisation. Le jardin constitue l’originalité de ces demeures puisque tous les espaces s’organisent à partir du jardin et vers le jardin.
Le djenane Abd-el-Tif est seulement constitué à cette époque de la demeure principale, la douera, le riad et le portique. Ceci montre que l’espace jardin a été ainsi plus important et plus grand, ce qui permet de conclure, en fin de compte, au caractère prestigieux du djenane Abd-el-Tif, notamment par son étendue qui ne montre ainsi que le niveau de richesse et de prospérité de son propriétaire.
3.1.2. Le djenane Abd-el-Tif, les premières transformations
Dès le début de l’époque Française, plusieurs Djenanes ont été occupés et transformés en casernes ou en infirmeries, et d’autres ont été détruits et saccagés. Face à l’état de dégradation que les Djenanes ont connu, les propriétaires ont demandé aux autorités militaires que ceux-ci leur soient restitués. Ainsi, dès 1831, le Chef du Génie a envisagé la possibilité de libérer de leur servitude ces djenanes, dont les occupants devaient être installés dans de nouvelles casernes.
Cependant, ce n’est pas toutes les djenanes qui ont été rendus à leurs propriétaires, car le Gouvernement en a conservé quelques-uns tout en payant un loyer de 1 000 francs par an32, pour les affecter comme hôpital de convalescence aux soldats de la Légion de convalescence étrangère.
Cette affectation est particulièrement due à son emplacement au milieu des espaces verts situés dans un site élevé, aéré par la brise maritime, ce qui permettait de garder les soldats malades étrangers, n’ayant pas de foyer où aller se remettre, dans un milieu sain et agréable.
Un rapport établi en 1831 par les forces militaires affirme que l’installation de cent-cinquante lits dans la demeure principale est considérée comme insuffisante, d’où la décision de la construction, en 183133, d’un autre bâtiment comme infirmerie, tout à côté de la demeure principale, pour assurer l’hébergement d’un nombre important de malades34. Mais avec le départ, en 1834, de la Légion de convalescence en Espagne, le djenane Abd-el-Tif s’est retrouvé dans un état d’abandon et de dégradation très avancée.
Suite à cet abandon, Sid Mahmoud Ben Abd-el-Tif a écrit, en octobre 1834, au Gouverneur une lettre où il a déclaré que sa propriété, à savoir le djenane Abd-el-Tif, se trouve dans un état de dégradation très avancée et que même les arbres ont été coupés, contrairement aux autres djenanes qui ont été évacués au début de 1834. En effet, suite à cette requête, Sid Mahmoud Ben Abdelatif a été reconnu dans ses droits d'ancien propriétaire du djenane Abd-el-Tif. En septembre 1834, Sid Mahmoud Ben Abdelatif l’a proposé à la location, que le gouverneur a autorisée, pendant 6 ans, c’est-à-dire jusqu’à 1840, tout en interdisant l’exécution de tous travaux qui peuvent porter préjudice au djenane. Deux mois après, le locataire a affirmé la propriété du djenane Abd-el-Tif à l’État français.
Face à cet état de fait et craignant une nouvelle réquisition, la famille Abd-el-Tif n’a pu qu’approuver cette proposition. En 1836, le bail de location est annulé et l’État français a pris possession du djenane Abd-el-Tif en l’achetant officiellement en 184635, pour le louer à la Compagnie fermière du Jardin d’Essai et servir ainsi de lieu d’exposition permanent des produits agricoles et botaniques.
Durant l’année 1856, le Jardin d’Essai, créé en 1832, a été agrandi sur une partie du coteau dominant El-Hamma au Sud d’Alger. Plusieurs familles, telles que la famille des Abd-el-Tif, ont alors été expropriées sans aucune indemnité36. Le domaine des Abd-el-Tif s’est retrouvé ainsi diminué de ses terres et le djenane Abd-el-Tif est tombé dans un état de dégradation avancé suite à son occupation, jusqu’en 1905, par la Compagnie fermière du Jardin d’Essai qui ne l’a utilisé que très rarement comme lieu d’exposition des produits agricoles.
En 1905, le djenane Abd-el-Tif a été repris par le Gouvernement général, alors sous l’autorité de Jonnart (C.), suite à la demande du critique d’art Arsène (A.), qui a suggéré, dans un rapport sur Les arts et les industries d’art en Algérie, de créer, à Alger, une Maison des artistes.
L’idée a pris corps quelques mois plus tard pour qu’en 1907, un arrêté gouvernemental fasse du djenane Abd-el-Tif la maison des artistes métropolitains. Le Gouverneur général Jonnart (C.), qui a voulu provoquer une renaissance artistique, a décidé de restaurer, à ses frais, le djenane pour ainsi l’affecter comme Maison des artistes, et ce, jusqu’à l’indépendance de l’Algérie. Le choix de cette affectation est dû à son atmosphère historique qui permet et incite à l’inspiration artistique, à la luxuriante verdure de son jardin qui permet un séjour enviable et à son environnement isolé qui offre un lieu calme et reposant, propice à la méditation et à son rapport avec la mer et la baie d’Alger.
Suite à ce rapport, l’idée prit corps immédiatement et "Quelques mois plus tard, dans le courant de 1907, un arrêté gouvernemental faisait de la villa abd-el-Tif la maison des artistes métropolitains". Le Gouvernement général, sous l’autorité de Jonnart (C.), décide de restaurer à ses frais le djenane Abd-el-Tif pour ainsi l’affecter, et ce jusqu'à l’indépendance de l’Algérie, comme Maison des artistes, dont l’environnement verdoyant permettait d’assurer une meilleure atmosphère d’inspiration et de méditation pour la réalisation de plusieurs œuvres artistiques37, notamment en traitant les différents espaces du djenane38, "…la villa offre un lieu calme et reposant, propice à la médiation39". C’est ce qu’affirme le conservateur du Musée national des Beaux-Arts d’Alger Alazard (M. J.) : "Il aurait été assez étrange que la France eût à ses portes un Orient authentique et qu’elle ne songeât point à le faire connaître et à le faire aimer de ses artistes. La nature algérienne, les types ethniques et les coutumes du Maghreb, autant de thèmes nouveaux qui ne pouvaient manquer d’attirer les peintres à l’imagination …"40.
Cette institution a beaucoup contribué, à travers les œuvres réalisées par les résidents, au rayonnement et à la vulgarisation des richesses architecturales des différents espaces du djenane. Ce qui a soutenu sa proposition au classement par l’architecte en chef des monuments historiques Ballu (A.), en 1921, au Gouverneur général.41 Suite à cette demande, le djenane Abd-el-Tif est classé Monument Historique par l’arrêté du 29 septembre 1922.
Si cette nouvelle affectation a contribué à son classement, elle a aussi provoqué plusieurs transformations qui ont causé le changement de son aspect architectural, mais aussi la configuration de son jardin. Les transformations les plus importantes consistent en l’aménagement d’une villa tout en bas des jardins selon le plan dressé par l’architecte du Gouverneur général en 1919 pour le jardinier et le gardien du djenane, l’aménagement de l’ancienne infirmerie datant de la création de l’hôpital de convalescence, en 1831, en grande salle pour l’exposition des travaux des artistes, la réalisation de cinq ateliers réservés au travail des artistes aménagés dès 1929, à proximité de l’entrée principale du djenane et du riad, et le remblayage du bassin du riad par de la terre en mettant en place une vasque au milieu, en plus de l’aménagement de la Route du Fort des Arcades actuelle chemin Kechker-Omar et de l’édification du Musée National des Beaux-arts.
Pour l’adaptation du djenane à cette nouvelle affectation, il y a eu aussi la transformation du Hammam en salle de bain et en buanderie, l’ouverture d’un accès dans le riad pour assurer une relation directe aux ateliers, l'aménagement d’une cuisine et d’une petite chambre dans le riad et la réalisation des rajouts en surélévation à la terrasse de la demeure principale du djenane.
Figure 6 : les différentes transformations effectuées dans le djenane Abd-el-Tif
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Source : Source : Les archives de l’Office National de Gestion et d’Exploitation des Biens Culturels Protégés (OGEBC), (Dossier La villa Abd-el-Tif).
Après l’indépendance, le djenane Abd-el-Tif s’est retrouvé dans un état d’abandon et de dégradation, car il servait, à cette époque, de refuge aux sans-abris et de lieu de jeux pour enfants et comme dépotoir, ce qui a provoqué une véritable catastrophe écologique pour toute la verdure du djenane, où plusieurs espèces ont disparu.
Figure 7 : l’état actuel de dégradation végétale du jardin du djenane Abd-el-Tif
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Source : Algeria, article : Une maison algérienne des artistes. LA VILLA ABD-EL-TIF, par Louis-Eugène ANGÉL, p. 3, n° 52, Décembre 1957, Édition Office algérien d'action économique et touristique (OFALAC), Alger. |
Photo personnelle (auteur) |
Cet état de dégradation fut accentué au cours de l'année 1975, quand le djenane a été affecté comme logement à une douzaine de familles des fonctionnaires du ministère de l'Information et de la Culture, qui ont effectué plusieurs transformations pour l'adapter à leurs besoins. La demeure principale compte à elle seule quatre familles et trois célibataires, bien que les ateliers continuent toujours à être occupés par des artistes peintres nationaux. Avec le temps, ces occupants se sont mis à défigurer le djenane, à percer des ouvertures et à installer la tuyauterie dans les murs extérieurs, à établir l’électricité, à aménager des salles de bain et des cuisines et à détruire les murs intérieurs et à élever des bidonvilles sur la terrasse.
Figure 8 : la dégradation du djenane Abd-el-Tif lors de son occupation par les cadres du ministère de la Culture
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Source : Vie Algéroise, article : La villa Abdelatif, par A. Khelassi, p. 31, n° 6 - février 1991, (s. ed.), Alger.
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Source : Les archives de l’Office National de Gestion et d’Exploitation des Biens Culturels Protégés (OGEBC), (Dossier La villa Abd-el-Tif). |
Source : O. HACHI (Consultant en Patrimoine Culturel a la Direction de la Culture), Etude de restauration de la Villa Abd El Tif. Phase II : Analyse historique. |
Un incendie signalé en mai 1990 a aggravé la situation dégradante du djenane, notamment les ateliers, puisque c’est dans un de ses ateliers que l’incendie a eu lieu. Le séisme de 2003 a porté le coup fatal au djenane, qui n’a pas tardé à retomber ainsi dans la ruine, provoquant son exclusion de la vie culturelle et touristique.
Face à cet état de dégradation et de marginalisation, une opération de restauration s’est avérée urgente et indispensable. Le ministère de la Culture, notamment de la Direction de la Culture, a demandé, en 2005, au bureau d'étude Cabinet d'architecture de design et des technologies de construction l’élaboration des travaux de restauration. Ce bureau, spécialisé dans le domaine de la restauration des vieilles constructions à valeurs historiques, a travaillé en collaboration avec la Direction de la culture du ministère de la Culture, à établir des recommandations relatives à la préservation du djenane Abd-el-Tif et à assister les architectes et les techniciens dans les travaux de sauvegarde et de restauration de ce monument historique, qui leur ont été confiés en 2006, date à laquelle les travaux de restauration passent à la Direction de la culture de la wilaya d’Alger, sous contrôle d’un architecte restaurateur habilité par le ministère de la Culture, tel qu'il est stipulé dans les nouveaux textes régissant le patrimoine42.
3.2. La restitution de l’aspect originel du djenane Abd-el-Tif après les travaux de restauration
À la demande du ministère de la Culture, le bureau d'étude Cabinet d'architecture de design et des technologies de construction a élaboré les travaux de restauration lancés en 2005. Ce bureau, spécialisé dans le domaine de la restauration des vieilles constructions à valeur historique, a établi un dossier de restauration dont le but est de restituer à l’édifice son aspect originel d'avant 1830. Il s’agissait de garder la structure et l’architecture du djenane la plus proche de son état d’origine, sans pour autant ignorer ou effacer les traces des autres époques, quelles qu'elles soient43.
Dans cette perspective, les traces du passage au niveau du riad et de l’ancienne salle d’exposition, ainsi que les marques des fenêtres des studios donnant sur la cour intérieure, ont été mises en évidence lors des travaux de restauration, afin de pouvoir lire et souligner les différentes transformations et remaniements qu’a subis le djenane durant l’époque française.
Figure 9 : La mise en évidence, lors des travaux de restauration, des différentes transformations qu’a subies le djenane
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Photos personnelles auteure
Ces travaux de restauration n’ont pas seulement permis la restauration et la consolidation du djenane, mais ils ont aussi permis la découverte de plusieurs éléments qui informent davantage sur l’architecture et la composition du djenane, tels que le bassin du riad remblayé et la fontaine du portique ensevelie.
Figure 10 : La découverte de plusieurs éléments caractéristiques du djenane Abd-el-Tif lors des travaux de restauration |
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Source : Les archives de l’Office National de Gestion et d’Exploitation des Biens Culturels Protégés (OGEBC), (Dossier La villa Abd-el-Tif). |
Source : Photos personnelles (2018) |
Source : E. CAZENAVE, La villa Abd-el-Tif : Un demi-siècle de vie artistique en Algérie 1907-1962, Association Abd-el-Tif, 2002, Paris, p. 26, p. 29. |
Source : Photos personnelles (2018) |
Durant ces travaux de restauration, il a été découvert un espace sous le portique du djenane qui servait, à l’époque française, selon le responsable des travaux de restauration, comme espace de torture. Ceci permet de conclure que le djenane Abd-el-Tif a servi comme annexe à la villa Sésini, qui est particulièrement connue pour être un Centre d’interrogatoire pendant la Révolution algérienne44.
Les travaux de restauration se poursuivent encore dans le jardin du djenane Abd-el-Tif dans le but d’assurer le réaménagement et la restructuration de son système d’irrigation, considéré comme un système unique dans les djenanes. C’est ainsi que le Ministre des eaux a affirmé, en 2008, que l’équipe de restauration bénéficierait de l’aide des ingénieurs de l’Institut national de l’irrigation et de l’hydraulique pour cette tâche45.
Figure 11 : Les travaux de réaménagement du jardin du djenane
Source : auteure |
Si ces découvertes ont prolongé les travaux, elles ont également enrichi les résultats de ces derniers, permettant ainsi la restitution de l’état originel d’un des plus importants djenanes des Fohos d’Alger.
Après sept ans de travaux de restauration, le djenane Abd-el-Tif demeure la première expérience de récupération, depuis l’indépendance, d’une demeure parmi les 120 djenanes Fahs d'Alger qui existent toujours à Alger de l'époque ottomane46. Ces travaux ont été menés à bien grâce à une équipe algérienne pluridisciplinaire, affirmant ainsi l’identité culturelle et historique du pays.
Figure 12 : Le djenane Abd-el-Tif avant et après les travaux de restauration
Source : Vie Algéroise, article : La villa Abdelatif, par A. Khelassi, p. 31, n° 6 - février 1991, (s. ed.), Alger |
Source : Source : photos personnelles (2018) |
Source : O. HACHI (Consultant en Patrimoine Culturel a la Direction de la Culture), Etude de restauration de la Villa Abd El Tif. Phase II : Analyse historique |
La toiture de la demeure après les travaux de restauration Source : photos personnelles (2018) |
O. HACHI (Consultant en Patrimoine Culturel a la Direction de la Culture), Etude de restauration de la Villa Abd El Tif. Phase II : Analyse historique. |
Source : photos personnelles (2018) |
Suite à ces travaux de restauration, le djenane Abd-el-Tif est affecté comme Agence Algérienne pour le Rayonnement Culturel (AARC), inauguré le 18 mai 2008. Cet établissement public, placé sous la tutelle du Ministère de la culture, a pour mission de concevoir et d'organiser des programmes d'actions culturelles algériennes à l'étranger et de contribuer à l'organisation des manifestations culturelles étrangères en Algérie.
Conclusion
Ces travaux de restauration du djenane Abd-el-Tif témoignent de la préservation d’un élément important du patrimoine architectural et historique d’Alger. Ils ont permis non seulement de sauvegarder ce monument de la ruine et de la disparition, mais aussi de restituer son aspect originel, reflétant ainsi l’organisation harmonieuse des djenanes à l’époque ottomane.
L’originalité de ces travaux réside également dans la composition de l’équipe de restauration, entièrement constituée de spécialistes algériens de divers domaines, démontrant ainsi la volonté de préserver et de mettre en valeur l’identité culturelle du pays.
Ces efforts de restauration ne se limitent pas seulement au djenane Abd-el-Tif, mais soulignent également l’importance de préserver l’ensemble des djenanes encore existants à Alger, qui représentent une richesse patrimoniale, architecturale, mémorielle et culturelle précieuse à préserver pour les générations futures.