Introduction
La traduction est incontestablement un domaine difficile, et cette difficulté est aggravée lorsqu’il s’agit de documents juridiques, comme le remarque Gérard Cornu. Jean-Claude Gémar affirme dans son article sur les défis de la traduction juridique que lorsque les deux langues sont combinées, la complexité augmente : « là où ils s’additionnent, le bilinguisme et le bi-juridisme portent au paroxysme la complexité »1. Notre travail met l’accent sur la traduction spécialisée en examinant attentivement le processus de traduction des documents juridiques vers le tamazight, en accordant une attention particulière au code pénal algérien. L’officialisation du tamazight en Algérie en 2016 a contribué à accélérer cette étude. La traduction de la Constitution algérienne par le Haut-Commissariat à l’Amazighité (HCA) en 2016 a éveillé mon intérêt personnel pour la traduction spécialisée. Cette action marque un pas important vers la reconnaissance du tamazight en Algérie. En tant que chercheur, cette traduction m’a attiré, car elle pourrait avoir un impact sur la compréhension et l’application du droit dans le contexte berbérophone en Algérie. La reconnaissance officielle du tamazight ouvre de nouvelles perspectives et suscite des questions cruciales sur la manière dont le langage juridique peut être préservé et adapté tout en respectant la richesse culturelle de la langue.
1. Un aperçu historique des fondements juridiques et de l’évolution du droit pénal algérien
Le fondement historique du Code pénal algérien provient de l’évolution législative du pays depuis son indépendance en 1962. Plusieurs codes ont été créés en Algérie pour régler divers aspects juridiques, y compris le droit pénal. Voici un résumé de la naissance du Code pénal algérien :
Le Code de 1966 a été promulgué peu après l’indépendance. Les normes juridiques françaises en vigueur à l’époque, reflétant l’héritage colonial, ont eu un impact significatif sur ce code. Il a été créé pour répondre aux besoins uniques du nouveau pays indépendant tout en respectant certaines traditions juridiques françaises.
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Les réformes successives ont été effectuées sur le Code pénal à travers son évolution historique pour le rendre compatible avec les changements sociétaux et les normes juridiques internationales. Les objectifs fréquents de ces réformes ont été d’améliorer la protection des droits de l’homme, de moderniser les infrastructures juridiques et de mettre en place des mesures qui répondent aux engagements internationaux de l’Algérie.
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Les références islamiques : en raison de sa population majoritairement musulmane, l’Algérie a tenté d’inclure des principes islamiques dans sa législation, y compris son Code pénal. Des modifications ont été apportées pour mieux refléter les principes islamiques et de garantir la conformité avec la charia dans les lois algériennes.
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Les changements récents ont été constatés dans le système juridique de l’Algérie ces dernières années, dans le but de le moderniser et de le rendre plus compatible avec les normes internationales. L’intérêt de renforcer l’État de droit, de protéger les droits de l’homme et de lutter contre diverses formes de criminalité était souvent la motivation de ces réformes.
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Il convient de souligner que la base historique du Code pénal algérien résulte d’un mélange complexe de facteurs, tels que l’héritage colonial, les aspirations nationales après l’indépendance, les principes islamiques et les changements internationaux en rapport avec les principes des droits de l’homme. Le cadre juridique pénal algérien a été influencé par ces éléments.
1.1. Mesure temporaire pour le droit pénal algérien en français
L’article 5 de la première constitution algérienne du 10 septembre 1963 a reconnu la langue arabe comme étant l’expression de l’identité et des valeurs culturelles de l’Algérie. Selon cet article, « la langue arabe est la langue officielle et nationale de l’État ». La langue arabe était considérée comme le seul moyen de communication au niveau national dans les relations officielles en raison de ce statut. Il était obligatoire pour les autorités officielles en Algérie de l’utiliser dans les domaines des services publics, des administrations, de l’enseignement, de la rédaction de textes juridiques, d’actes juridiques, de correspondances officielles, etc.
Cependant, l’article 76 de la Constitution contenait des mesures temporaires, indiquant que l’arabisation doit être effectuée rapidement sur le territoire de la République. Cependant, à l’exception des dispositions de la loi en vigueur, il sera possible de combiner temporairement la langue française avec la langue arabe. En réalité, il ne s’agissait pas d’une utilisation simultanée et conjointe des langues arabe et française, mais plutôt de la reconduction pure et simple de l’utilisation de la langue française jusqu’à nouvel ordre.
1.2. Traduction simplifiée du droit algérien en français ?
Le décret n° 64-147 du 28 mai 1964 concernant l’exécution des lois et règlements devait mettre fin à l’utilisation temporaire de la langue française pour la création des textes législatifs et réglementaires. En effet, selon l’article 02 de ce décret, le journal officiel est écrit en arabe. À titre provisoire, il inclut une version en français. Le but de ce décret, qui est basé sur les articles 5 et 76 de la constitution, est de mettre en place progressivement l’arabisation, ce qui devrait normalement conduire à une régression graduelle de la langue française. Le décret a été publié au journal officiel le 29 mai 1964 et a été édité en français sous le numéro 44 de la troisième année, tandis que l’édition en langue officielle arabe a été éditée sous le numéro 1 de la première année. Cette date de publication n’est pas fortuite ; elle correspond au dixième jour du premier mois de l’année hégirienne. Il semble que depuis ce décret, le journal officiel est désormais daté de l’année hégirienne, qui suit la date grégorienne.
Cependant, il y a deux interrogations sur cette approche du législateur : pourquoi conserver une édition en français alors que les textes ont été rédigés dans la langue officielle arabe ? Quelle est la définition de l’édition en français ? Quelle est sa signification par rapport à l’édition en arabe ?
Il semble que le maintien provisoire d’une édition en langue française du journal officiel soit dû au manque de connaissance de la langue arabe par la population algérienne, en particulier les professionnels du droit. Bien que la langue arabe ait été introduite dans l’enseignement primaire dès l’année scolaire 1962/1963, l’administration n’a commencé à utiliser l’arabe qu’en 1968, tandis que l’enseignement supérieur et le service public de la justice ont commencé à utiliser l’arabe en 1970. En conséquence, il est évident que la publication du journal officiel en langue arabe est soumise à. Des raisons exclusivement politiques, car la langue utilisée pour produire le droit est une question de souveraineté, tandis que l’édition en français répondait à des exigences plus pragmatiques.
2. Traduction juridique et statut du tamazight en Algérie
1.1. Statut de tamazight en Algérie
Bonnefaut. J-C affirme que le statut de la langue en tant qu’officielle doit réunir certaines caractéristiques, à savoir :
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Être reconnue par une autorité publique comme la langue d’usage d’une population ou d’un territoire ;
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Disposer d’une protection légale ;
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Être la langue utilisée pour exprimer et communiquer l’État ;
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Être le langage de l’administration et des lois qui régissent la vie publique.
En revanche, le statut d’une langue officielle permet aux membres d’un groupe linguistique de contraindre juridiquement les autorités publiques dans tous les secteurs de la vie publique où elles ne l’auraient pas encore fait.
Le tamazight a été reconnu comme langue nationale en Algérie en 2002. Cela représente une avancée importante dans la reconnaissance officielle de la diversité linguistique du pays. Il convient de noter que tamazight n’a été reconnu comme langue officielle qu’en 2016. Son statut sociolinguistique et son rôle dans divers domaines de la vie en Algérie ont été considérablement renforcés par cette officialisation.
Avant l’année 2016, le tamazight était fréquemment marginalisé et ne disposait pas d’un statut officiel significatif. Cette année-là, l’officialisation de la langue en tant que langue nationale et officielle a marqué un tournant, transformant son statut sociolinguistique de manière significative. La reconnaissance institutionnelle a augmenté la visibilité et l’utilisation de tamazight dans de nombreux domaines de la vie.
L’introduction de tamazight dans le système éducatif a joué un rôle important dans son développement sociolinguistique. L’enseignement dans les écoles consolide la place de la langue dans la société en la préservant et en la transmettant aux générations futures. En outre, la présence du tamazight dans les médias publics et les communications officielles a été amplifiée.
Malgré ces progrès, des obstacles demeurent. Certains domaines de la société peuvent résister au changement et préférer utiliser les langues déjà en usage. Par conséquent, il est essentiel de promouvoir continuellement tamazight dans la vie quotidienne pour garantir son développement et son intégration dans tous les aspects de la vie sociale en Algérie.
1.2. Traduction du Droit pénal en tamazight : formelle ou fonctionnelle ?
La traduction du droit en tamazight se trouve à la croisée de choix complexes entre l’équivalence formelle et fonctionnelle. Cette question soulève des défis particuliers en raison des spécificités de la langue tamazight, de sa structure linguistique et de la nature précise du contenu juridique.
L’équivalence formelle, qui vise à reproduire fidèlement les termes et la structure du texte source, peut être cruciale pour garantir la clarté et la précision dans le domaine juridique. Comme le montre cet essai de traduction :
Texte source |
Texte cible |
Chapitre 1 bis (2) le travail d’intérêt général |
Chapitre 1 bis (2) le travail d’intérêt général |
Art. 5 bis 1. — La juridiction peut remplacer la peine d’emprisonnement prononcée par l’accomplissement par le condamné, pour une durée de quarante (40) heures à six cents (600) heures sur la base de deux (2) heures pour chaque jour d’emprisonnement, d’un travail d’intérêt général non rémunéré dans un délai qui ne peut excéder dix-huit (18) mois au profit d’une personne morale de droit public, et ce, lorsque les conditions suivantes sont réunies… |
Mgrd 5 bis 1. – asqamu n teɣdemt yezmer ad ibeddel tafgurt n useḥbes i d-yefɣen s uxeddim gar (40) ar (600) n tsaɛtin, azal n (02) n tsaɛtin i wass isɛedda di lḥebs. Amahil-a i tanfa tamatut ur yettili-d war lexlas. Axeddim-a ur yettɛedday ara azal n18 n waguren ɣef wemdan amadwan deg lqanun amatu. Yessefk ad ilint deg-s ccuruṭ-ayi… |
Cependant, elle peut rencontrer des obstacles liés aux différences linguistiques et culturelles, nécessitant parfois des adaptations pour assurer la compréhension dans le contexte tamazight.
D’un autre côté, l’équivalence fonctionnelle privilégie la transmission efficace des idées et concepts, en tenant compte des nuances propres à la langue cible. Cela peut être essentiel pour rendre le droit accessible et pertinent pour les locuteurs amazighs, mais cela peut parfois entraîner une perte de la précision terminologique :
Texte source |
Texte cible |
Première partie |
Aḥric Amezwaru |
Principes généraux |
Imenzayen Imuta |
Dispositions préliminaires |
Imuknen (Ibrazen) Imezwura |
Article 1er — Il n’y a pas d’infraction ni de peine ou mesures de sûreté sans loi. |
Amagrad. 01 : ulac unuf, wala tafgurt neɣakaten n tɣellist war asuḍuf. |
Le traducteur doit naviguer habilement entre ces approches, prenant en compte la nature spécifique du texte juridique, les normes linguistiques de la langue cible, et les attentes culturelles des utilisateurs finaux. Un équilibre subtil entre l’équivalence formelle et fonctionnelle peut être la clé pour produire des traductions juridiques en tamazight qui sont à la fois juridiquement précises et culturellement adaptées.
3. Défis et contexte de la traduction juridique en tamazight
3.1. Défis et subtilités de la traduction juridique en tamazight
En tant qu’organisme officiel en Algérie chargé de promouvoir la langue et la culture amazighes, le Haut-Commissariat à l’Amazighité a été chargé de traduire des documents juridiques essentiels tels que la Constitution. Cette entreprise a soulevé des questions importantes sur les choix terminologiques, la préservation de la précision juridique et la manière dont le tamazight est approprié pour exprimer des concepts juridiques particuliers. Notre modeste contribution vise à éclairer les défis et les opportunités inhérentes à la traduction de textes juridiques en tamazight et à mettre en lumière les implications pour la diffusion du savoir juridique au sein de la communauté berbérophone en Algérie en examinant cette traduction et son impact. Le sujet abordé, la traduction juridique en tamazight, qui se révèle délicat, a peut-être provoqué sa relative sous-exploration par les chercheurs dans ce domaine, comme en témoigne la modestie de la bibliographie disponible. La culture juridique, relativement liée à chaque système juridique, demeure une notion complexe. Chaque société possède son propre système juridico-administratif, et même lorsque des langues ou des variantes linguistiques similaires sont utilisées, les interprétations des notions juridiques peuvent varier. Par exemple, le Code pénal égyptien, rédigé en arabe, ne possède pas la même validité juridique, ni la même valeur en Algérie ou au Maroc, et même le titre de ce document peut différer. En arabe, le Code pénal algérien est interprété comme « قانون العقوبات », tandis que celui du Maroc et de l’Égypte est appelé « قانون الجنايات/القانون الجزائي/القانون الجنائي », démontrant ainsi des nuances dans la compréhension des phénomènes juridiques à différents niveaux des systèmes juridiques. Les experts dans ce domaine, parmi lesquels Gémar, professeur à l’université de Genève et figure éminente de la jurilinguistique, mettent en évidence l’importance cruciale de ces distinctions linguistiques pour une compréhension précise du droit. Selon J. B. Herbots, la différence fondamentale entre la traduction juridique et la traduction générale réside dans le fait que le texte à traduire dans le premier cas est une règle juridique, une décision judiciaire ou un acte juridique ayant des conséquences juridiques spécifiques à atteindre (1987 : 814). La culture juridique intègre des éléments sociaux qui exercent une influence sur le fonctionnement d’un système juridique, dépassant ainsi les seules considérations formelles telles que les normes, les procédures et les institutions. Cette dimension englobe les valeurs, les attitudes, les croyances et les pratiques sociales qui façonnent la manière dont la justice est perçue, interprétée et mise en œuvre au sein d’une société donnée. En d’autres termes, la culture juridique englobe un ensemble complexe de facteurs sociaux qui contribuent à la dynamique et à l’efficacité d’un système juridique. La traduction nécessite une précision terminologique et phrastique, comme le démontre le terme avocat, qui peut avoir plusieurs équivalences lors du passage d’une langue à l’autre. Le but de la traduction juridique est de trouver un équivalent approprié au contexte ; pourtant, les dictionnaires et lexiques fournissent parfois peu d’indications sur l’usage ou la fréquence d’utilisation. Dans ce cas, la recherche documentaire est indispensable pour découvrir la phraséologie idéale dans la langue cible. Il est judicieux de souligner que le langage juridique emploie des termes idiomatiques, des formules juridiques figuratives et des phraséologies, tournures semi-figuratives ou communes qui indiquent les préférences linguistiques communes des spécialistes (Picotte 1995 : 295). Pour atteindre la précision des phrases, une compréhension approfondie de la syntaxe du langage juridique est requise. Par exemple, le langage juridique possède une certaine manière d’écrire que le traducteur doit respecter afin de garantir l’équivalence exacte. Prenons un passage de la constitution algérienne2 rédigée en français et traduite en tamazight :
Introduction de la constitution algérienne |
Tazwart n tamendawt tazayrit |
La constitution est au-dessus de tous, elle est la loi fondamentale qui garantit les droits et libertés individuels et collectifs, protège la règle du libre choix du peuple et confère la légitimité à l’exercice du pouvoir. Elle permet d’assurer la protection juridique et le contrôle de l’action des pouvoirs publics dans une société où règnent la légalité et l’épanouissement de l’homme dans toutes ses dimensions. |
Tamendawt tezga-d nnig medden meṛṛa, d nettat i d asaḍuf agejdan ara iḍemnen izerfan d tlelliyin n yimdanen d yigrawen, am wakken ara tḥareb ɣef wayen ara yefren uɣref, ad asen-terr azal i wid i d-yettwafernen akken ad qedcen deg wayen i asen-yefka usaḍuf, am wakken ara treṣṣi tamlellit tamagdayt s ubrid n tefranin tilelliyin tiluganin. |
Il est possible d’interpréter ce passage de différentes manières, mais il est crucial que la personne qui reçoit le texte ait un registre de langue, une rigueur d’expression et une concision conformes au langage juridique. Néanmoins, un traducteur qui n’a pas d’expérience ne doit pas imposer naturellement cette traduction.
La traduction juridique diffère des documents officiels. La traduction du code pénal, par exemple, nécessite une méthode différente, car il s’agit d’un ensemble de lois, de titres et de livres qui nécessitent une traduction littérale, voire mot à mot. Cependant, dans la plupart des cas, cette méthode de traduction ne peut pas être considérée comme fiable. La traduction de lois signifie que le message juridique doit être reformulé de manière identique afin de préserver sa valeur juridictionnelle. Cette approche sera illustrée par un exemple concret :
Texte source — français |
Texte cible — tamazight |
Livre premier : peines et mesures de sécurité |
Adlis Amezwaru Tifgurin d wakatenn tɣellist |
Art. 4. (Modifié) |
Mgrd. 04 (yettwaseɣta): Ttwasnasen wunufen s tefgurin. Yettili-d uḥezzeb deg-sen s wakaten n tɣellist. |
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Les infractions sont sanctionnées par des peines et prévenues par des mesures de sûreté.
Dans cette traduction, nous utilisons différentes méthodes en fonction du contexte juridique visé. Le message est transmis par des méthodes linguistiques. Dans le cadre de ce travail, notre objectif est de définir les unités terminologiques en tamazight pour exprimer les concepts juridiques. Voici quelques exemples : « tafgurt » est une peine, selon le lexique juridique de Ben Remdan Zakaria, p. 88. Le terme « tafgurt n tmettant » est considéré comme équivalent à la peine de mort. « Amawal n tmazight tatrart » signifie également « tafgurt » dans le sens de sanction. 94. J-M Dallet a mis l’accent sur le terme « peine » dans son sens large : « lhemm » (HM 291), « akuffir » (KFR 399), « lmehna » (MHN 492), « umran » (MR 513), « mtiteɛ » (MTƐ.526), « leɣyaṛ » (ƔYR 634), « aqebruṛ » (QBR 642), « lxiq » (XYQ 914), « leɛtab » (ƐTB 1005). Rondeau (1991 : 43) met l’accent sur le fait que le domaine technique ou scientifique exclut la langue commune lorsqu’il définit le terme : « essentiellement un signe linguistique […] se définit par rapport à cet ensemble dans un domaine scientifique ou technique excluant la langue commune ». Bien que l’étymologie du mot soit inconnue, nous essayons tout de même de l’utiliser comme équivalent. Il est important de se rappeler que notre travail ne concerne pas la terminologie ou la lexicologie, mais plutôt la façon dont nous transmettons les valeurs juridiques dans la langue d’arrivée. Le but n’est pas de traduire simplement les mots en français et tamazight, mais plutôt de résoudre les problèmes rencontrés lors du processus de traduction. Comment traduire une déclaration si certaines idées juridiques ne sont pas équivalentes dans la langue cible ? Il n’est pas notre objectif de créer ces unités, mais plutôt d’explorer d’autres méthodes telles que l’équivalence ou l’emprunt. Si aucun de ces moyens n’est efficace dans une situation spécifique, il est possible d’utiliser l’approche interprétative, qui est divisée en trois étapes principales : la compréhension, la déverbalisation et enfin, la réexpression de l’image référentielle dans la langue cible. Autrement, la seule chose à faire est de traduire la valeur juridique de l’article en question.
Le langage juridique, l’une des formes de langage spécialisé les plus complexes, est soumis à un ensemble rigoureux de règles stylistiques, syntaxiques, sémantiques et lexicales. Le législateur, occupant le sommet de la hiérarchie du système juridique, a établi des normes linguistiques spécifiques que tous les acteurs du domaine doivent respecter. En adoptant un langage particulier, le droit vise à conférer à la norme la nécessaire efficacité et nature pour organiser la vie en société.
3.2. Le contexte juridique de l’amazigh et la traduction en tamazight
3.2.1. Contexte juridique de l’amazigh : perspective anthropologique
Azref, izref ou alwah ?
La pratique juridique des tribus, qui étaient des acteurs politiques importants à l’époque, a une forme traditionnelle complexe et souvent documentée par écrit. Le mot « izref » ou « azref » fait référence aux règles de la coutume ainsi qu’à l’autorité qui les appliquait (Laoust 1920 : 417). Il semble que le nom initial de ce droit soit utilisé par les populations amazighes qui vivent dans le centre et le sud-est du Maroc. D’autres termes tels que « alwâh/ألواح », « tiàqqidin/تيقدين », « curût/شروط » et « ɛurf/عرف », qui sont tous d’origine arabe, ont été utilisés plus tard (Mezzine 1987). Les « alwah » (louh au singulier) qui ont retenu l’attention des anthropologues étaient documentés et traitaient de divers aspects de la vie collective, tels que le droit de la guerre, les alliances, le droit pénal et la cohabitation entre oasiens et nomades dans les ksour de Draa. Certains « alwah » plus spécifiques concernant l’utilisation des parcours ou de la gestion des cultures, ainsi que les relations internationales, étaient plus souvent transmis de manière orale. Cependant, leurs conséquences sur les libertés individuelles étaient fréquemment moins évidentes que celles des premiers, renvoyant en quelque sorte à des considérations d’ordre public (Tozy 1989).
Qu’il s’agisse d’une documentation écrite ou d’une transmission orale, cette richesse juridique offre un aperçu important des normes et des pratiques juridiques au sein des communautés berbères. La variété des « alwah », qui couvrent des sujets allant du droit de la guerre aux relations sociales, révèle la complexité de ce système juridique indigène. Les règles, qu’elles soient verbales ou écrites, démontrent la complexité et la variété des pratiques juridiques dans ces communautés.
3.2.2. Enjeux de la traduction juridique en tamazight
La traduction des lois en tamazight est essentielle dans un pays qui a connu des changements importants en matière législative et sociopolitique, en particulier depuis l’officialisation de tamazight en 2016. Une série de questions fondamentales concernant la position de la langue amazighe dans divers domaines, y compris le domaine juridique, ont surgi à la suite de cette reconnaissance institutionnelle de la langue amazighe.
Il est impératif de traduire les documents juridiques en tamazight afin de garantir l’accès à la justice et à la législation à tous, quelle que soit leur langue maternelle. Le fait que tamazight soit considéré comme une langue officielle signifie que les personnes qui l’utilisent comme première langue devraient pouvoir accéder aux lois, aux contrats et à tous les documents juridiques dans leur langue maternelle. Cela favorise une compréhension claire des droits et des obligations, ce qui encourage une participation citoyenne responsable.
En outre, la traduction des lois en tamazight est une composante culturelle et identitaire cruciale. La traduction aide à renforcer l’identité culturelle des populations berbérophones en préservant et en promouvant la langue amazighe dans le domaine juridique. Cela contribue également à l’inclusion culturelle dans le système judiciaire et à la protection des droits culturels des communautés berbères. De plus, la traduction des lois en tamazight est essentielle à la consolidation de l’État de droit. Elle contribue à la prévention des litiges liés à des malentendus linguistiques en garantissant que tous les citoyens comprennent les lois qui les régissent. De plus, elle favorise la légitimité et la transparence des institutions juridiques.
Pour résumer, la traduction des documents juridiques en tamazight est nécessaire pour garantir l’égalité linguistique, la préservation de la culture, l’inclusion sociale et l’amélioration de l’État de droit. C’est un moyen crucial de garantir que le système juridique soit accessible, compréhensible et pertinent pour l’ensemble de la population dans un contexte de diversité linguistique et culturelle. Il est indéniable que la question de la traduction juridique en tamazight mérite d’être abordée, en raison de la spécificité de cette pratique dans des domaines de spécialité peu explorés, comme le domaine juridique berbère. Une analyse du corpus d’études dans le domaine juridique révèle une carence en terminologie juridique berbère malgré la richesse d’informations disponibles pour enrichir ce secteur. Les travaux suivants font partie des contributions notables à ce domaine :
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Adghirni, A., Afulay, A., & Lahbib, F. (1996). Amawal azerfan : lexique juridique français amazigh. Rabat : Tizrigin Imperial.
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Benramdane, M. Z. (2012). Tamaziɣt tura : Tasɣunt s tmaziɣt n Usqamu Unnig n Timmuzɣa. Uṭṭun, 10, Yennayer, 2962.
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Benramdane, M. Z. (2014). Amawal Azerfan/Lexique juridique français amazigh. HCA.
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Boudari, M. (2016). Lexique juridique français amazigh. Rabat : Chams éditions.
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عمر تقي .(1977) اللغة الأمازيغية ومصطلحاتها القانونية : المعجم القانوني عربي-أمازيغي أموال أزرفان .المغرب : مطبعة فضالة المحمدية.
Malgré les recherches sur le lexique et la terminologie, ces travaux soulignent une lacune significative : il n’y a pas eu d’études approfondies sur la traduction technique ou spécialisée, en particulier dans le domaine juridique. Nous avons été motivés par cette lacune de recherche pour mener cette étude. En outre, la difficulté rencontrée dans cette étude est plus liée à la linguistique qu’à la culture. Par rapport aux traductions classiques, où les problèmes juridiques liés aux lois et aux valeurs linguistiques diffèrent d’un pays à l’autre, cette particularité linguistique, avec deux systèmes juridiques distincts, soulève des problématiques uniques. Par conséquent, en se concentrant sur les aspects linguistiques spécifiques de la traduction juridique en tamazight, cette étude vise à combler cette lacune.
Conclusion
En conclusion, la traduction du droit pénal en tamazight représente un défi complexe, mettant en lumière des enjeux culturels et linguistiques profonds dans le contexte algérien. Cette entreprise délicate nécessite une compréhension approfondie des spécificités juridiques, tout en tenant compte des nuances culturelles pour garantir une transmission fidèle du sens. Le processus de traduction, en plus d’être une question linguistique, devient un acte de préservation culturelle et d’adaptation contextuelle. C’est dans cette intersection entre la langue, la culture et le droit que se révèlent les véritables défis et opportunités pour l’établissement d’une expression juridique authentique en tamazight, renforçant ainsi la diversité linguistique et culturelle de l’Algérie.
Par ailleurs, le traducteur, au-delà de maîtriser les nuances linguistiques, doit également posséder une connaissance approfondie du domaine juridique. Cette double compétence est cruciale pour assurer la transmission fidèle du texte juridique en tamazight. La nécessité d’appréhender les subtilités linguistiques et les spécificités juridiques souligne l’importance d’un traducteur doté d’une expertise étendue, capable de préserver l’intégrité du discours juridique tout en adaptant sa formulation à la richesse culturelle de la langue tamazight.