La phrase complexe en Kabyle : de la classification des conjonctions aux paramètres d’identification des rapports de coordination et de subordination

 الجملة المركزية في اللغة الامازيغية : من تصنيف الظروف الى معايير تحديد علاقات التنسيق والتبعية

The Complex Sentence in Kabyle: From the Classification of Conjunctions to The Parameters for Identifying the Relationships of Coordination and Subordination

Lydia Guerchouh

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Lydia Guerchouh, « La phrase complexe en Kabyle : de la classification des conjonctions aux paramètres d’identification des rapports de coordination et de subordination », Aleph [En ligne], mis en ligne le 28 avril 2024, consulté le 20 mai 2024. URL : https://aleph.edinum.org/11673

La phrase complexe est l’une des structures les plus difficiles à cerner en Kabyle en raison de l’instabilité des critères de définition des rapports de coordination et de subordination établis jusque-là. On s’interroge essentiellement sur le paramètre à prendre en considération dans l’identification du type de relation qu’entretiennent deux propositions. Nous référons-nous à une distribution complémentaire des conjonctions entre dépendance et indépendance syntaxique ou déduisons-nous ces relations à travers le comportement syntaxique et sémantique des deux propositions. L’article se penchera sur cette problématique en mettant en pratique les descriptions suggérées par Chaker S. dans sa thèse de Doctorat tout en démontrant les limites opérationnelles constatées lors de l’application des distinctions établies entre coordination et subordination en Kabyle.

الجملة المركبة هي واحدة من أصعب الهياكل للتعريف في اللغة الامازيغية بسبب عدم استقرار معايير تحديد علاقات التنسيق والتبعية التي تم تأسيسها حتى الآن. نحن نتساءل بشكل أساسي عن المعيار التي يجب أخذه في الاعتبار عند تحديد نوع العلاقة بين افتراضين. هل نشير إلى التوزيع التكميلي للضروف بين الاعتماد النحوي والاستقلالية أم أننا نستنتج هذه العلاقات من خلال السلوك النحوي والدلالي للاقتراحين. سيتناول المقال هذه المسألة من خلال تطبيق الأوصاف التي اقترحها شاكر س. في أطروحته الدكتوراه مع توضيح الحدود العملية التي لوحظت عند تطبيق الفروق بين التنسيق والتبعية في اللغة الامازيغية. النهج المتبع هنا له هدف مزدوج لأنه، بالإضافة إلى التحليل اللغوي للموضوع المقترح، سيمكن من إنشاء انعكاسات حول الأسس التعليمية لتدريس الجملة المعقدة في المدارس والجامعات.

The complex sentence is one of the most difficult structures to define in Kabyle because of the instability of the criteria for defining the relationships of coordination and subordination established so far. We are essentially wondering about the parameter to be taken into consideration in identifying the type of relationship between two propositions. Do we refer to a complementary distribution of conjunctions between syntactic dependence and independence or do we deduce these relations through the syntactic and semantic behavior of the two propositions. The article will address this issue by putting into practice the descriptions suggested by Chaker S. in his doctoral thesis while demonstrating the operational limits observed when applying the distinctions established between coordination and subordination in Kabyle.

Introduction

La notion de phrase complexe, bien que définie par la majorité des linguistes, notamment Builles (1998 : 235), reste peu explorée dans ses différentes constructions en berbère. Jusqu’à présent, les travaux se sont principalement concentrés sur les critères distinctifs entre la coordination et la subordination, établis par S. Chaker, en se basant sur la présence ou l’absence de monème fonctionnel. Cependant, dans la pratique, ces critères se révèlent parfois inadéquats en raison de la complexité sémantique des propositions en relation, ou en raison de chevauchements syntagmatiques conduisant à des définitions non systématiques et souvent aléatoires.

Avant d’examiner ces indicateurs de relation dans la phrase complexe, il est essentiel de clarifier les notions de dépendance et d’indépendance entre propositions. En linguistique, une phrase complexe est généralement définie comme composée de deux ou plusieurs propositions dépendantes (Martinet 1988 : 207). Nous nous appuierons ici sur la définition de S. Chaker (1983 : 413), qui précise que dans le contexte de la langue étudiée, deux syntagmes verbaux sont considérés comme indépendants s’ils présentent des latitudes combinatoires illimitées, tandis que des rapports hiérarchiques limitent la combinatoire du verbe subordonné en raison de sa dépendance syntaxique et sémantique par rapport au verbe précédent.

Bien que certains cas de relatives soient clairement définis, le discernement des rapports de coordination et de subordination n’est pas toujours évident. En kabyle, par exemple, la distinction entre coordination et subordination est appuyée par des oppositions telles que les modalités aspectuelles et personnelles, ainsi que les polarités négatives et affirmatives.

Face à l’imprécision de certains critères théoriques, Chaker propose d’utiliser la prosodie et la position des syntagmes en fonction de la présence ou de l’absence de marqueur fonctionnel. Avant d’aborder la problématique de cette étude, il est nécessaire de passer en revue les bases fondamentales, notamment la pause tonale et le déplacement des propositions, qui seront évaluées pour leur systématicité et leur régularité.

1. Analyse des critères de coordination et subordination en langue amazighe

Pour une meilleure compréhension, nous présenterons la classification des conjonctions et les critères de distinction entre subordination et coordination établis par Chaker. Nous examinerons ensuite les limites et les anomalies rencontrées lors de l’application de ces paramètres à une échelle plus large, en nous concentrant sur des situations issues de débats pédagogiques dans le but d’introduire une approche didactique.

Il est primordial d’évaluer l’applicabilité de ces critères à travers des tests fréquents et variés afin de consolider leur utilisation dans l’enseignement de la langue amazighe. Cependant, cela soulève la question de savoir s’il est possible d’établir des critères opérationnels pour distinguer la coordination de la subordination sans faire appel à l’intuition ou à la compréhension sémantique, et quel serait l’impact d’une classification des marqueurs de phrases complexes sur ces critères.

À travers une approche déductive, nous appliquerons ces critères aux données recueillies afin d’évaluer leur pertinence dans la distinction entre coordination et subordination. Cette analyse mettra en lumière l’importance de l’aspect syntagmatique et permettra de comparer ces critères avec les différentes tentatives de classification des marqueurs de phrases complexes, telles que les conjonctions, de manière hiérarchique ou complémentaire.

Il convient de noter que la catégorisation des marqueurs de phrases complexes en conjonctions de subordination et de coordination, évoquée par Chaker, a été établie en référence au contexte linguistique, en lien avec les repères théoriques cités précédemment. Bien que cette catégorisation soit claire, il est nécessaire de l’examiner en relation avec la classification des conjonctions pour mieux comprendre la complexité de cette problématique et la difficulté de distinguer définitivement la coordination de la subordination.

En marge des cas de ce qu’on appelle les relatives dont le lien est plus ou moins clairement défini, sauf dans les cas que Basset A. (p. 17-27) a appelé «  anticipation  », le sentiment net d’un rapport de dépendance ou d’indépendance syntagmatique et sémantique entre deux parties d’un même énoncé n’est pas toujours fiable dans la reconnaissance des rapports de coordination et de subordination.

Effectivement, à partir de ce repère théorique, on notera en kabyle (Chaker 1983 : 414.) que la distinction coordination/subordination est prise en charge par les oppositions suivantes :

  1. Modalités aspectuelles : succession fréquente, prétérit — aoriste

  2. Modalités personnelles : le renvoi à des participants différents

  3. Modalité : négatif — affirmatif

L’auteur a, d’ailleurs, mis en marge ces paramètres qui sont plutôt des «  limitations de nature lexico-sémantique que des restrictions syntaxiques  » puisque le corpus même décrit des réalisations en digression avec les caractéristiques tracées ci-dessus.

Ceci n’étant, donc, pas opérationnel, Chaker propose alors les deux critères de la prosodie et de la position en fonction de la présence ou de l’absence de marqueur fonctionnel. Avant de formuler la problématique de cette étude, il convient, en premier, de récapituler les assises et les fondements faisant intervenir la pause tonale et le déplacement des propositions. Ce sont ces données-là que nous mettrons à l’épreuve dans l’objectif d’étudier sa systématicité et d’en évaluer la régularité.

Pour plus de vision et de clarté, nous récapitulons la classification des conjonctions ainsi que les critères de distinction entre subordination et coordination établis par Chaker et résumés dans les schémas suivants :

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Conjonctions de coordination

Conjonction de subordination

Neɣ
Maca, meɛna
Lakin, walakin
Wamma, wammag
Wannag
Yerna, yernu
Dɣa
Daɣ netta
Ama….ama, la…..la

Ulama
Alama
Armi

Mi, asmi, segmi, armi, seg wasmi, ɣef wasmi
Ar
Belli
Ma, alma
Skud
Amzun
Alama
Ulama
Limer
Lukan
Xas, xas ma, xas akken, xas ulama
Akken, i wakken, ɣef wakken, seg wakken
Uqbel
Ard
Bac, bac akken

Axaṭer, acku
Ticki

Nous suggérons, dans cet article, de mettre en évidence les limites et parfois même les anomalies rencontrées lors de l’application de ces paramètres à une échelle plus large et plus variée. Nous tenons notamment à préciser que les situations auxquelles nous ferons référence sont issues des débats et questionnements en situation pédagogique et s’assignent pour objectif d’introduire une approche à visée didactique. Chaque point expliquant l’un des deux paramètres mis en avant par Chaker fera l’objet de test de fiabilité par rapport aux données du corpus constitué d’extraits de discours, d’exercice d’application…

Il est aujourd’hui important d’évaluer l’application de ces critères. La fréquence et la variation des tests sont les deux exigences requises pour l’établissement d’un constat sur leur opérativité. La raison qui gouverne cette réflexion est, non pas la dissociation de ces paramètres qui sont, à un certain degré, mécaniquement opérationnels, notamment à travers l’enseignement de la langue amazighe dans les différents paliers de l’éducation, mais leur consolidation en tentant leur optimisation dans une analyse approfondie, ce qui nous amène, d’ailleurs, à nous interroger si réellement et pratiquement, on peut mettre en place des critères opératoires permettant la distinction entre la coordination et la subordination sans se référer à l’intuition et au sémantiquement acceptable (qui appelle à des préconnaissances linguistiques) et quel serait l’impact d’une classification des marqueurs de phrases complexes sur ces critères ? À supposer, bien sûr, que cette dernière vienne ultérieurement à l’établissement de ces critères : remarque qui amène, d’ailleurs, à effectuer un choix entre la nature de la relation des propositions et celle des marqueurs fonctionnels indiquant ces mêmes relations.

En optant pour une analyse déductive, nous tenterons de mettre en application chacun des critères suscités sur les données recueillies pour déduire leurs degrés de pertinence dans la distinction entre rapport de coordination et rapport de subordination. Cette démarche va, involontairement, mettre l’aspect syntagmatique au premier plan d’analyse. Nous l’opposerons, à la fin, aux différentes tentatives de classification des marqueurs de phrases complexes communément appelés conjonctions ou monèmes fonctionnels propositionnels, et ce de manière hiérarchique ou complémentaire.

Avant, il convient de signaler que la classification des marqueurs de phrases complexes en conjonctions de subordination et conjonctions de coordination a été évoquée par Chaker avant de présenter les critères de distinction entre propositions dépendantes et propositions indépendantes (1983 : 165.). Cette catégorisation a été établie en référence au cotexte linguistique qui vient en prolongement des repères théoriques cités plus haut : aspect des verbes, prédication…

Même si une délimitation a été clairement posée par l’auteur, ce qui, normalement, n’appellera pas à une étude des critères syntagmatiques distinguant la coordination de la subordination, il a été plus que nécessaire de passer en revue cet aspect, compte non tenu systématiquement de sa complémentarité avec la classification préétablie des conjonctions. Ceci témoigne déjà de la complexité de cette problématique et peut être de la difficulté à trancher de manière définitive entre ce qui est une subordination et ce qui est une coordination.

2. La phrase complexe avec monème fonctionnel

En principe, et sur la base de ce qui a été expliqué ci avant, on n’est amené à établir des critères de dépendance et d’indépendance qu’en l’absence de monèmes fonctionnels, car en leur présence ils se chargent d’indiquer le type de relation exprimé à partir de leur répartition complémentaire. Mais, l’auteur a souligné l’importance de cette démarche afin d’éviter de «  fonder l’analyse syntaxique sur des critères sémantique  » (Chaker 1983 : 428.) tout en instaurant une «  description sur des bases strictement formelles indépendamment des signifiés  » (Chaker 1983 : 428.). Seulement, ce paramètre de signification, n’a pas été tant écarté que ça, il en ressort à travers plusieurs critères proposés et parfois de manière prépondérante voire même de sorte à exclure l’aspect syntaxique.

2.1. Déplacement de la conjonction en position finale

Ce procédé quand il est possible exprime une relation de coordination, car la subordination impose que la conjonction soit en position charnière entre la proposition I et la proposition II.

Yeqqim meɛna yuggad (il est resté, mais il a peur)
Yeqqim, yuggad meɛna

Dans un premier temps, je m’arrêterai sur l’inefficacité de ce critère dans l’identification même de la relation de coordination, à travers deux points essentiels, avant d’enchainer avec la restriction accentuée accordée à la relation de subordination.

Le premier point relève de l’extension de ce paramètre sur les autres conjonctions décrites comme coordonnants et qui, logiquement, doivent répondre avec le même comportement. Dans le cas contraire, on établirait une argumentation sur une partie de l’inventaire des unités concernées loin d’être majoritaire, donc, fragile et peu convaincante puisqu’elle nécessiterait d’autres argumentations complémentaires adaptées à chaque sous-groupe formé voire même chaque unité de ce paradigme.

Les conjonctions neɣ, la…la, armi, pour ne citer que les plus systématiques, ne peuvent, même,si elles sont des coordonnants, être en position finale d’un énoncé.

Yusa-d neɣ yuɣal ? (il est venu ou il est reparti ?)
Yusa-d, yuɣal neɣ ? * (* : Phrase incorrecte)

D’autres conjonctions du même paradigme s’apprêtent à occuper cette position mais de manière aléatoire en référence au paramètre sémantique et variationnel. Ceux-ci sont à relier au deuxième point qui fait référence au contexte de communication qui prend, souvent en charge le sens, en dépit de la correction syntagmatique.

Par ailleurs, l’exclusivité de la position finale réservée aux conjonctions de coordination implique, de fait, l’exclusion des conjonctions de subordination. Si une seule unité du paradigme des subordonnants peut remplir la condition de position finale, l’amalgame se posera et le critère deviendra caduc. Ceci est d’autant plus pertinent à partir du moment où les coordonnants-mêmes ne répondent pas tous à cette procédure distinctive.

Avec le subordonnant «  axaṭer  »

Yettru axaṭer yemmekta-d (il pleure parce qu’il s’est rappelé)
Yettru, yemmekta-d axaṭer

Cet exemple suffit pour montrer l’ambiguïté à l’œuvre dans l’identification du type de relation impliqué.

2.2. L’autonomisation par la conjonction

Il est dit que toute possibilité d’autonomisation de la proposition II à l’aide de la conjonction renvoie à une subordination. À l’inverse, une proposition II qui ne peut être autonomisée sans incidence sémantique révèle une indépendance ou une liberté qui traduit une relation de coordination.

Là aussi, je m’appuierai sur les mêmes principes qui définissent d’ailleurs le comportement de toute notion de critère ou paramètre : la systématicité et l’exclusion stricte. Deux questions à poser pour évaluer la pertinence d’une procédure de ce type dont la définition serait validée par des réponses affirmatives.

  1. Ce comportement est-il généralisé à toutes les unités du même paradigme ou à défaut, à leur majorité ?

  2. Les comportements des deux paradigmes s’enchâssent-ils toujours ?

Comme pour le premier critère, là aussi, on constate que même si toutes les unités du paradigme des subordonnants ont cette latitude d’autonomisation, il n’empêche qu’elles présentent des points de chevauchement avec les coordonnants comme :

Truḥeḍ wannag ad as-tiniḍ (tu es parti finalement pour lui répéter)
Wannag ad as-tiniḍ, truḥeḍ

Certes, le volet signifié est largement impliqué dans ce changement de position qui peut, dans certains contextes, altérer le sens et le maintenir dans d’autres. Mais, contrairement au premier principe intrinsèque au paradigme qui peut se contenter d’une étendue majoritaire et non totale, il suffit, là, d’un seul cas pour démontrer un critère, car il est censé être exclusivement distinctif.

2.3. La possibilité de suppression de la première proposition

Le rapport de subordination implique une dépendance de la proposition II à la proposition .

A ce sujet, Chaker (1983 : 431.) a procédé à une distinction entre la dépendance contextuelle et l’intégration énonciative (discursive/situationnelle). En d’autres termes, il a établi une différence entre la dépendance syntaxique et la dépendance non syntaxique.

Cette distinction soulève la question de certains subordonnants qui, en théorie devraient introduire des propositions syntaxiquement dépendantes mais qui, en discours, ne requièrent qu’une intégration situationnelle, similaire à celle des propositions coordonnées.

Dépendance syntaxique :

Dépendance syntaxique 

Subordination

axaṭer yuggad (… parce qu’il a peur)

Coordination

neɣ yuggad (ou alors il a peur)

Intégration situationnelle 

Coordination

yerna yuggad (en plus il a peur)

Subordination

amzun yuggad (comme s’il avait peur)

À travers ces deux paires d’exemples illustrant la coordination et la subordination, on remarque que le lien perçu avec le contexte est presque identique, qu’il s’agisse d’une dépendance syntaxique ou d’une simple intégration situationnelle. En théorie, il est possible d’exprimer une distinction entre ces deux concepts, mais en pratique, cette distinction demeure floue et difficile à démontrer.

Dans l’étude en question, on remarque une irrégularité dans l’application des critères sur les différentes constructions syntagmatiques possibles, ainsi qu’une restriction observée sur un nombre restreint d’unités pour chaque paradigme des fonctionnels. Fondamentalement, toute l’analyse repose sur la classification préétablie des conjonctions, car les rapports de subordination et de coordination sont initialement définis par les types de conjonctions reliant les propositions. Les paramètres de distinction entre dépendance et indépendance sont extraits sur la base de cette classification préétablie, révélant ainsi uniquement les contextes et manifestations déduits de la catégorisation des conjonctions en coordonnants et subordonnants.

On commence par déterminer le type de relation syntagmatique à travers l’appartenance et la nature de la conjonction, pour ensuite extraire les propriétés syntagmatiques de cette relation. Cependant, il est légitime de se demander comment on peut établir les propriétés syntaxiques des conjonctions avant même d’analyser syntaxiquement les propositions mises en relation de dépendance ou d’indépendance.

Normalement, toute catégorisation d’unités devrait se baser sur l’étude de leurs propriétés, qui devraient s’exclure mutuellement. Or, dans cette étude, on observe une orientation préalable qui influence toute la description syntagmatique déduite, d’autant plus que Chaker ne remet pas en question le classement des conjonctions qui ne correspondent pas aux caractéristiques explicitées. Cette tendance se manifeste également dans la méthode utilisée, qui ne prend pas en compte l’ensemble des unités composant chaque paradigme des conjonctions, malgré leur nombre extrêmement limité dans l’inventaire. En somme, aucune remise en question de cette classification, présentée comme un « repère stable », n’est envisagée.

3. La phrase complexe sans monème fonctionnel

Chaker a mis en place trois procédés permettant de tracer une limite entre coordination et subordination sans marque de liaison : la pause tonale, la fluidité positionnelle et la commutation par un COD.

La réflexion sur ces derniers résulte de l’absence de morphèmes fonctionnels qui peuvent, à priori, indiquer ou, à défaut, orienter vers le type de relation exprimé.

Dans toute description visant à établir les propriétés distinguant deux ou plusieurs phénomènes syntaxiques, la systématicité est un critère suffisant sur lequel il est nécesssaire de prendre appui pour éviter le recours à l’intuition.

3.1. La prosodie par la pause tonale

Il est admis qu’en présence d’une pause tonale, la relation exprime une coordination, et son absence renferme une subordination. La virgule, qui représente cette pause à l’écrit, suppose des confusions « tant donné que ce caractère graphique est utilisé pour rendre compte de plusieurs contextes sémantiques et syntaxiques.

Outre le fait que ce paramètre soit exclusivement lié à un repère suprasegmental à caractère instable et imprécis, ne pouvant être défini ni délimité sans techniques et moyens d’étude acoustique, la pause tonale est également ressentie et transcrite dans deux situations qui peuvent dérouter son interprétation :

  1. D’abord, la pause accompagne certaines conjonctions, ce qui est d’autant plus paradoxal pour les subordonnants. Bien que le système de ponctuation ne soit pas bien décrit en Tamazight on reconnait cette double indication, même dans la langue française, notamment avec le subordonnant  »parce que" : axaṭer/acku.
    Yugi, axaer yeggul (il ne veut pas parce qu’il a juré)
    Dans cet exemple, une virgule qui devrait annoncer une coordination entre «  yugi  » et «  yeggul  » , tandis qu’une conjonction est communément employée dans des contextes de subordination.

  2. Ensuite, on ressent nettement cette pause tonale lorsque la première proposition de la phrase complexe constitue une chaine allongée avec différentes expansions, même si le doute est clairement levé quant au rapport de subordination exprimé. Cette légère rupture tonale de «  luxe  » (peut-être présente en raison de contraintes respiratoires) sera amalgamée à celle représentant un rapport de coordination :
    Yugi ad d-yekcem
    Yugi uqcic-nni ameɣbun i d-yufa ɣef tewwurt, ad d-yekcem
    (Le pauvre enfant qu’il a trouvé à la porte ne veut pas rentrer)

3.2. Fluidité positionnelle

La permutation des propositions est peut-être le procédé le plus fréquent dans la distinction entre les deux types de rapports syntaxiques. Si coordination rime avec fluidité positionnelle, comme décrit par Chaker (1983 : 419.), on devrait qualifier toute altérité sémantique et/ou syntaxique, résultant de cette procédure, de relation de subordination. Or, les propositions coordonnées qui sont reliées par un ordre logique et/ou chronologique imposent une suite précise des propositions n’acceptant aucune interversion sans incidence sémantique et syntaxique par ricochet.

Yerfa, yewwet-it (il s’est énervé et il l’a frappé)
Yewwet-it, yerfa (il l’a frappé puis il s’est énervé)

Ceci est, certes, accentué par la concordance des sujets (même indice de personne), mais n’est pas un cas marginal :

Uzzlen ɣur-s, yerwel (ils ont couru vers lui et il s’est enfui)
Yerwel, uzzlen ɣur-s (il s’est enfui et ils ont couru derrière lui)

Même si dans le cas de la subordination, la permutation génère quasiment toujours une perturbation sémantique voire une construction asémantique, les cas de similitudes rencontrés dans les relations de coordination génèrent des confusions qui affaiblissent les barrières descriptives de la subordination et de la coordination.

Dans son analyse, Chaker (1983 : 420) résume l’identification de la subordination à la situation où les trois paramètres ci-après sont satisfaits en même temps :

Par ailleurs, l’argument avancé par la commutation ne règle pas plus cette problématique. Si certains verbes peuvent recevoir une expansion nominale directe, un point par lequel Chaker repère exclusivement l’expansion prédicatoide, donc subordination, il n’est pas le cas des verbes intransitifs qui ne peuvent accepter cette expansion. (Achour 2017 : 170-194)

Yuzzel ad t-yelḥeq (il a couru pour le rattraper)

Dans cet exemple, on ne peut pas remplacer la deuxième proposition par une expansion nominale, car elle ne répond à la question « pourquoi » et non « quoi ».

Dans son analyse, Chaker (1983 : 420.) résume l’identification de la subordination à la situation où les quatre paramètres ci-après sont simultanément satisfaits :

  • Il n’y a ni pause ni chute intonative entre les syntagmes I et II.

  • Le syntagme II peut commuter avec un nominal en fonction d’expansion directe.

  • Le syntagme II répond à l’interrogation en « acu » (quoi).

  • La permutation de I et II n’est pas possible sans modification de la structure syntaxique.

Il semble, d’une part, qu’imposer la satisfaction des 4 critères simultanément revient à durcir son application et rendre l’opération rarement opérante, voire impossible, car il existe toujours des contextes « rebelles » qui doivent, pour être sans incidence, être marginaux.

Si, d’autre part, se suffire de la confirmation de l’un de ces paramètres pour poser une subordination, c’est étirer l’étendue d’application aux limites de l’intuition qui induira des amalgames poussant à la prise de position de manière presque totalement subjective.

Conclusion

En conclusion, la délimitation entre coordination et subordination, ainsi que la classification en coordonnants et subordonnants présentent une problématique complexe. Cette complexité ne provient pas d’un manque de compréhension des deux paradigmes ou des relations syntagmatiques qu’ils engendrent, mais plutôt de la nature instable des deux variables impliquées. Cette complexité est encore accentuée par leur interconnexion et leur chevauchement, nécessitant une analyse approfondie des propriétés syntagmatiques des relations impliquées conjointement avec la déduction de l’appartenance paradigmatique à travers les particularités syntaxiques posées. Or, ni l’une, ni l’autre de ces actions ne peut aboutir à des résultats fiables de manière isolée, d’où le recours fréquent à la reconnaissance instinctive et au possiblement correct.

En effet, les critères de classification des conjonctions de coordination et de subordination, devant orienter la description des rapports de dépendance et d’indépendance, reposent sur les paramètres du potentiellement dit, puisque l’on ne peut réellement classer ces conjonctions sans les soumettre au plan sémantique, tout comme on ne peut se référer à la seule signification pour ranger ce type d’unités.

Il ne semble pas y avoir de clé apparente à cette problématique en Kabyle, contrairement à ce que l’on peut lire dans les ouvrages théoriques illustrés par des exemples d’autres langues, notamment avec la définition de Costaouec et Guerin (2007 : 126.) qui limite la phrase complexe au rapport de dépendance impliquant « un noyau central et un noyau secondaire »,

Cependant, il semble que le critère le plus pertinent soit le caractère de déplaçabilité. Mais peut-on vraiment qualifier cela de critère ? En effet, un critère doit répondre au principe de systématicité stricte, ou à défaut, être accompagné d’une liste d’exceptions conditionnée par une délimitation dénombrable et clairement définie. De plus, il doit s’éloigner de toute autre situation similaire pouvant entraîner des confusions, car toute exception à un critère remet en question sa pertinence.

Achour Ramdane. 2017. Structures phrastiques et fonctions syntaxiques en kabyle, Thèse de doctorat. Université Mouloud Mammeri, Tizi-Ouzou. Algérie.

Basset André. 1950. « Sur l’anticipation en berbère ». In Mélanges William Marçais. Maisonneuve. Paris. Pages 17-27.

Builles Jean-Michel. 1998. Manuel de linguistique descriptive. (Le point de vue fonctionnaliste). Nathan. France.

Chaker Salem. 1983. Un parler berbère d’Algérie (Kabyle) : syntaxe. Thèse de Doctorat d’État. Aix-en-Provence, Université de Provence. 549 p.

Costaouec Denis et Guerin Françoise. 2007. Syntaxe fonctionnelle, théorie et exercices. Presse Universitaires de Rennes. France. 322 p.

Martinet André. 1988. Grammaire fonctionnelle du français. Didier Crédif. France. 276 p.

Lydia Guerchouh

Université Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou-Algérie

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