« La circulation des discours suppose qu’il ne suffit pas d’un simple rapport de discours d’un énonciateur à l’autre, mais d’une multiplication de ce rapport; pour être un discours en circulation, un discours doit avoir fait l’objet de plusieurs transmissions. » (L. Rosier 2004 : p 65)
Introduction
Comme chaque fois qu’il est question de signes idéologiquement marqués, il est laissé une place large à une affirmation identitaire, quelquefois aveugle, à laquelle participent aussi bien les petites mains du poncif que des modèles savants mis au service d’une doxa. Il n’est donc pas étonnant que le « port du voile islamique en France »,1 par le signalement d’une appartenance communautaire pensée comme une subversion du roman national, provoque des crispations présentées comme fondées en usage et en raison.
Se saisissant des discours sur le voile islamique en circulation dans la presse en France, la question abordée ici s’articule autour de l’effacement énonciatif et de ses enjeux discursifs.
Conscient qu’il « laisse inévitablement des traces de sa présence au sein de ces productions langagières » (Vion 2003 : 331), l’énonciateur se faisant journaliste en la circonstance épouse les contraintes imposées par le genre du texte et l’éthique qui le porte. Il s’efface au profit du propos rapporté ou atténue sa responsabilité et son engagement en modalisant son discours.
Étudier cet effacement délibéré débouche sur le développement d’« une approche énonciative des discours nécessitant la prise en compte des sujets, au niveau de la production comme de l’interprétation » (Vion 2003 : 331) et sur la considération de ses implications pragmatiques signifiées par les postures énonciatives dans la co-construction dialogique des points de vue.
1. Réitération et circulation discursive
Comme tout énoncé est « dialogique »2 dès lors qu’il scénarise la dialectique du même et de l’autrui, tout énonciateur est hétérogène et aucun énonciateur « n’est jamais seul dans sa parole au point d’estimer que “ça parle” à travers lui ». (Vion 2001 : 331) Son discours et celui de l’autrui3, balisés sont rendus vilisibles à travers différents mécanismes linguistiques. Il en résulte une énonciation déliée de la subjectivité du locuteur qui laisse apparaître sur la scène de l’acte de communication des propos d’un autrui vrai ou supposé (Charaudeau 1992 : 649-650) de sorte que tout discours mis en circulation laisse une empreinte, constituant un déjà-dit4 et sa multiplication (Rosier 2004 : 65), décelable dans des fragments textuels explicites ou implicites. Constituant un fondement et une condition de la communication intersubjective, ce déjà dit est « l’expression d’un flux ininterrompu de paroles ». (Hailon 2011 : 42)
Ce discours autre dans le discours témoigne de la « reprise » des discours par les locuteurs et indiquer une circulation des dires qui ferait disparaître les marques de l’hétérogénéité que démontre l’effacement de la source énonciative participant ainsi à l’évidence idéologique du : « ça va de soi ».
Examinons à titre d’exemple le discours de JM. Blanquer, le ministre de l’éducation nationale français invité sur BFM-TV, le dimanche 13 octobre 2019 sur le port du voile islamique pour les accompagnatrices scolaires.
Les articles parus dans le monde commentant le discours de J.M. Blanquer reprennent ce dernier en déployant différentes stratégies. Il en est parmi eux des articles qui reprennent, dans un discours direct, tels quels les mots du ministre de l’Éducation nationale (exemple 1) et des articles où les propos du ministre ont été reformulés, mais signalés comme « des paroles tenues à distance » par des procédés typographiques dédiés, usage de l’italique et des guillemets (exemple 2).
Discours de J.M.Blanquer, le dimanche 13/10/2019, BFM-TV5
[…] J.M.Blanquer : « Mais parce que le voile en soi n’est pas souhaitable dans notre société tout simplement, c’est pas quelque chose à encourager c’est pas quelque chose d’interdit, mais c’est pas non plus quelque chose à encourager ce que ça dit sur la condition féminine ce que ça dit n’est pas conforme à nos valeurs tout simplement après ça veut pas dire que c’est interdit heureusement on est une société de liberté où on peut se vêtir comme on le veut, etc. »
Le Monde, du 14 octobre 2019, Voile à l’école : Jean-Michel Blanquer demande des sanctions contre le député LRM Aurélien Taché.
Devant le bureau exécutif du mouvement présidentiel, Ilana Cicurel a expliqué que
M. Blanquer avait tenu « une position d’équilibre » lorsqu’il a rappelé dimanche que « la loi n’interdit pas aux femmes voilées d’accompagner les enfants ». Avant d’ajouter que « le voile en soi n’est pas souhaitable dans notre société ».
Dans cet extrait, l’énoncé produit par un seul locuteur produisant une énonciation de « troisième niveau » que configure une pluralité d’énonciateurs bardés de contextes énonciatifs distincts
Exemple 2. Le Monde, du 13 octobre 2019. Pour Jean-Michel Blanquer, le voile islamique n’est « pas souhaitable dans la société ».
Ce que le voile islamique « dit sur la condition féminine n’est pas conforme à nos valeurs » : interrogé dimanche 13 octobre sur BFM-TV sur le port du voile par des accompagnatrices de sorties scolaires, le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a marqué sa ferme opposition. Cette dernière va bien au-delà du milieu scolaire : « Le voile n’est pas souhaitable dans notre société », a-t-il assuré.
2. La mise en scène énonciative et effacement énonciatif
2.1. La scène énonciative et ses enjeux
La « mise en scène énonciative » permet « d’appréhender la pluralité des voix qui habite la parole d’un locuteur » (Vion 2001 : 33) et prend en compte les différentes
« formes de discours rapportés, la reprise de propos du partenaire, l’existence de plusieurs voix qui correspondent au locuteur, la construction de voix non identifiables, mais également, la possibilité pour le locuteur de donner l’impression qu’il déserte ses énoncés », tel que l’explique (Vion 2001 : 333).
L’effacement énonciatif est une « stratégie » (non consciente) adoptée par le locuteur qui simule une « objectivation » de son discours en gommant à la fois les sources énonciatives et les embrayeurs lui permettant de ne pas parler à la première personne. Le locuteur tente à travers cette énonciation d’assigner au langage une fonction purement descriptive.
Dans ce cas-là, le locuteur est montré comme un sujet parlant mis en marge de son énonciation, il n’intervient pas, il ne fait que constater, décrire le monde tel qu’il se présente.
« L’effacement énonciatif constitue une stratégie, pas nécessairement consciente, permettant au locuteur de donner l’impression qu’il “objectivise” son discours en “gommant” non seulement les marques les plus manifestes de sa présence (les embrayeurs), mais également le marquage de toute source énonciative identifiable. Plusieurs cas de figure sont alors possibles :
2.2. L’effacement énonciatif et ses stratégies
Le sujet parlant manipule et gère au niveau interlocutif des places discursives et énonciatives lui procurant la possibilité de mettre en scène des sources et la prise de distance vis-à-vis des propos coconstruits. Ainsi, il peut reformuler un discours jugé non adéquat à une situation langagière, il peut assumer son discours comme il peut ne pas l’assumer en prenant une distance vis-à-vis de ces paroles, il peut s’engager en adoptant ou en se démarquant d’un point de vue, il peut révéler ses sources énonciatives comme il peut les occulter, il peut choisir de construire son discours comme une simple description de la réalité et être dans ce cas-là un simple rapporteur de la réalité, il peut adopter une stratégie argumentative pour défendre ou être contre un point de vue, il peut aussi se contenter de son discours personnel comme il peut faire appel au discours d’autrui afin de donner de la crédibilité et de l’objectivité à son discours, etc. on comprend par-là que le locuteur met au service de ces activités langagières différentes stratégies discursives.
Au cours de son discours, le locuteur peut choisir d’alterner entre plusieurs types de mise en scène énonciative sur le plan énonciatif. Il peut dans un même discours passer de l’unicité énonciative en allant vers l’effacement énonciatif, comme il peut faire appel au parallélisme énonciatif par la citation d’énonciateur prestigieux.
2.2.1. La surénonciation et ses stratégies
Dans le discours journalistique, la relation qui lie le locuteur citant (L1) au locuteur cité (l2) n’est pas bipolaire. La position du journaliste peut varier entre la surénonciation et la sous-énonciation ou la co-énonciation
À partir des données exposées ci-dessus, on peut dire que les postures énonciatives adoptées par le Locuteur L1 lui procurent un effacement énonciatif ou bien par l’effacement de sa voie ou bien par effacement de la source des propos rapportés.
1.Le Monde, du 23 octobre 2019, “À quoi joue Jean-Michel Blanquer, après ses propos sur le port du voile?”
2. Deux propositions de loi, déposées par la droite, seront néanmoins débattues ces prochains jours à ce sujet — la première, mercredi 23 octobre, en commission au sénat — peut, sans trop de risque, y voir une nouvelle occasion, pour le ministre de l’Éducation, de prendre la parole.
3. Le Monde, du 29 octobre 2019, “Le cliché de la femme voilée portant l’agenda caché d’un islam politique”.
4. Du point de vue des principales concernées, on constate aujourd’hui qu’un double mouvement est en train de s’opérer : là où il est une obligation, les femmes cherchent à s’en libérer, tandis qu’elles s’opposent à l’entrave qui leur est faite de le porter là où il est leur permis de le faire […]
Le Monde, du 29 octobre 2019. Nulle part, le port du voile n’accompagne une vitalité démocratique ».
5. On peut aussi ajouter, du côté des réussites, la mise en place, depuis 2007, de la seule aumônerie militaire d’un pays non musulman où les imams ne sont pas sous l’autorité d’un chrétien. Cette initiative est vécue avec fierté par les musulmans défendant au péril de leur vie le drapeau français. Si on compare ces données au traitement discriminatoire réservé aux évangéliques, privés qu’ils sont de baux emphytéotiques [de longue durée] et subissant des préemptions abusives dès qu’ils veulent acheter une bâtisse, mesure le chemin parcouru pour/par les musulmans. Même les salafistes ne connaissent pas autant d’entraves que celles infligées aux Témoins de Jéhovah, empêchés par des manifestations d’ouvrir des « salles du Royaume », soumis pendant des années à des centaines de contrôles fiscaux, ou encore à des licenciements du fait de leur conviction.
L’usage du pronom « on », cet agent social de la rumeur, intègre intégrant en portant le discours à généralisation le journaliste et ses lecteurs et renforce par le même mouvement « la position de surénonciation du journaliste-locuteur par rapport aux autres sources citées ailleurs dans l’article » (Marnette 2004 : 52).
Examinons dans ce qui suit cette position à la lumière de cette position de surénonciation6 les extraits repris dans le journal Le monde.
Le positionnement de (L1) en surénonciation et de (l2) en sous-énonciation se manifeste d’un point de vue linguistique et discursif sous plusieurs manières :
Le Monde, du 24 octobre 2019 « » : En l’espèce, le Conseil d’État a estimé que les tenues de baignade, notamment le fameux burkini, n’ont pas engendré de risques de trouble à l’ordre public dans la commune. L’arrêté pris par le maire de Villeneuve-Loubet ne se fondait par ailleurs pas « sur des motifs d’hygiène ou de décence ». Il portait donc « une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d’aller et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle ».
Le modalisateur adjectival « fameux » introduit explicitement une évaluation du maire de Villeneuve-Loubet.
Le Monde, du 30 octobre 2019 : Immigration, communautarisme, voile : Macron s’explique dans « Valeurs actuelles »
L’article reprend sur 12 pages des échanges du chef de l’État, Macron, avec un journaliste du titre, des propos tenus avant l’attaque d’un sympathisant d’extrême droite contre la mosquée de Bayonne. « L’idée d’échanger avec Valeurs actuelles est la volonté de parler à tous les Français y compris dans les espaces politiques qui ne sont pas forcément les siens », argue-t-on mercredi à l’Élysée, alors que la prise de parole du chef de l’État sur ces sujets dans une publication très conservatrice fait débat.
« Quand vous êtes président de la République, c’est important de pouvoir vous adresser à tous les Français », abonde sur Franceinfo le ministre du Logement, Julien Denormandie, pour qui c’est un « devoir de parler aussi d’immigration », pour ne pas laisser le sujet aux « extrêmes ». « Manifestement il veut s’adresser à cet électorat très particulier de gens de droite, qui ont souvent tendance […] à élever la température verbale contre l’islam voire plus », a estimé sur LCI le député de La France insoumise (gauche radicale, LFI) Alexis Corbière, qui avait lui-même accordé un entretien à l’hebdomadaire.
Le sémantisme des verbes de parole et de pensée ou d’autres expressions introductrices : « argue-t-on », « Abonde » et « a estimé » sont mis à profit pour modaliser subtilement les discours
Le Monde, du 15 octobre 2019. Éducation : « Sur la question des mères accompagnatrices voilées, islamistes et laïcs radicaux ont partie liée ».
Ainsi, en défendant le droit, parfois bafoué, des mères portant un foulard à accompagner leurs enfants en sortie scolaire, la FCPE aurait foulé aux pieds l’une de ses valeurs cardinales, la laïcité. De caricature en caricature, l’image paisible, très banale et tout à fait légale, de ces mamans investies comme tant d’autres dans l’école de leurs enfants, est dégradée, dénigrée, insultée — juste parce qu’elles sont manifestement musulmanes.
Le Monde, du 24 octobre 2019 : Pourquoi une loi pour « interdire le voile » en France aurait peu de chances d’exister.
Marine Le Pen a réaffirmé son souhait d’interdire le voile dans « l’intégralité de l’espace public ». Une telle loi aurait toutes les chances d’être censurée.
Le Monde, du 19 octobre 2019 « Vider l’abcès du débat sur le voile »
Il y a ensuite eu l’offensive de la droite sénatoriale annonçant le dépôt d’une proposition de loi visant à étendre aux parents d’élèves l’interdiction de porter des signes religieux au motif que le voile serait « une marque de soumission » et parfois de « sécession ».
Le Monde, du 24 octobre 2019 « Pourquoi une loi pour “interdire le voile” en France aurait peu de chances d’exister ».
Au contraire, une éventuelle loi interdisant le port du voile dans l’espace public serait plus générale et viserait, en fait, la pratique religieuse en elle-même.
L’emploi du conditionnel de presse, dont foisonne le journal Le Monde, marquant une certaine distanciation, inscrivant un doute ou le désaccord vis-à-vis du discours rapporté.
L’effacement du Locuteur cité est dû à de multiples raisons dont l’impossibilité de retracer la ou les traces de toutes les sources
Le Monde, du 14 octobre 2019 « Voile à l’école : Jean-Michel Blanquer demande des sanctions contre le député LRM Aurélien Taché ».
Une décision sensible, car une telle commission est habilitée à « prononcer des sanctions proportionnées à la gravité des manquements commis », allant de l’exclusion du parti à la mise en garde ou au simple rappel à l’ordre. « Mais généralement, un passage devant la commission des conflits est synonyme d’exclusion », EXPLIQUE un dirigeant du parti, en RAPPELANT que c’est cette même instance qui avait prononcé l’exclusion de la députée de l’Oise Agnès Thill, en juin, à la suite de ses propos anti-PMA (procréation médicalement assistée).
Le Monde, du 14 octobre 2019 « Voile à l’école : Jean-Michel Blanquer demande des sanctions contre le député LRM Aurélien Taché »
Cet épisode risque de laisser des traces. Lundi soir, plusieurs responsables de LRM craignaient que l’affrontement entre M. Blanquer et M. Taché entraîne de profondes divisions au sein du groupe à l’Assemblée nationale.
« Si Taché est viré, beaucoup de députés vont se rebeller, car la ligne de Blanquer est minoritaire en interne », PRÉDISAIT un haut dirigeant du parti. « Chaque semaine, Taché franchit un nouveau seuil dans l’insulte vis-à-vis de Blanquer. Il est temps que cela cesse », ESTIME au contraire un soutien du ministre. Constat dépité d’un responsable de la majorité : « C’est un sujet miné à la veille des élections municipales. »
Le journaliste-locuteur L1, en position de surénonciation, efface les sources et/ou le locuteur cités pour différentes raisons, allant de la possibilité ou l’inutilité de citer les sources jusqu’au souci de vouloir protéger le locuteur cité. Il parle d’un « dirigeant du parti » et d’« un haut dirigeant du parti », « un soutien du ministre », « d’un responsable de la majorité ».
Le journaliste-locuteur intègre dans son discours les discours d’autres locuteurs qui sont discours pour constituer une nouvelle situation d’énonciation :
Comme on le sait, tout discours rapporté est par essence recontextualisé puisqu’il est détaché de la situation d’énonciation initiale et inséré dans un autre discours, qu’il y ait ou non transposition des embrayeurs. (sternberg cité par Marnette 2004 : 55)
Dans l’exemple 5, on a comme l’impression que le journaliste locuteur recycle des discours tirés d’autres journaux en les collant les uns aux autres par un phénomène de « montage-collage » que Marnette nomme « l’effet patchwork » qui accentuerait selon elle la recontextualisation des discours rapportés.
Le Monde, du 13 octobre 2019 « Pour Jean-Michel Blanquer, le voile islamique n’est “pas souhaitable dans la société”.
« Humilier une maman devant son fils et devant des enfants dans une assemblée où siègent les élus de la République, c’est une honte pour la République », a condamné Benjamin Griveaux, le candidat LRM (La République en marche) à Paris sur Radio J, voyant en M. Odoul un « sinistre personnage » qui « considère qu’un bon “coup de com” vaut toutes les politiques ».
Le Parti communiste a réclamé des sanctions et même le député européen RN Nicolas Bay a pris ses distances avec la « maladresse d’un jeune élu régional » et des « propos malvenus ». « C’était inutilement blessant et agressif », a-t-il reconnu sur Franceinfo-France Inter, tout en restant « intraitable » sur le refus de l’islamisme et du « communautarisme ».
Selon Marnette, les discours rapportés dits mixtes renforcent la visibilité de « l’effet patchwork », nous ciblons particulièrement les passages ou les segments entre guillemets venant juste à la suite d’un verbe de parole et d’une conjonction de subordination.
Le Monde, du 27 octobre 2019 « Gérard Larcher juge que ne pas traiter le sujet des « relations avec l’islam » est « une faute politique ».
Jean-Michel Blanquer a jugé récemment que « le voile n’est pas souhaitable dans la société »
Le Monde, du 27 octobre 2019. “Gérard Larcher juge que ne pas traiter le sujet des « relations avec l’islam » est « une faute politique ».
Concernant les mères accompagnatrices scolaires voilées, il plaide pour « légiférer, de manière apaisée, mais claire et courageuse », alors que le Sénat examinera mardi une proposition de loi LR sur l’application de la « neutralité religieuse ». Interrogé pour savoir s’il faut interdire les listes communautaristes, il note que « le sujet est juridiquement complexe », mais que « c’est d’abord un combat politique » et « une responsabilité de l’État ».
Pour Sophie Marnette (2004), ‘l’effacement énonciatif provient aussi de l’absence d’embrayeurs ou de leur transposition dans le discours rapporté, qu’il s’agisse de DI, de DN ou […] de discours mixtes (discours indirect ou neutre avec guillemets, discours narrativisé avec segments transposés ou neutres)’. Elle affirme même que
« Les DN sont particulièrement indiqués dans ce cas, car même lorsqu’ils sont accompagnés de segments entre guillemets, ceux-ci ne comportent presque jamais d’embrayeurs non transposés ».
Elle ajoute que leur rôle consiste en la présentation ‘… des discours de l2 comme des événements énonciatifs (c’est-à-dire produisant des énoncés) plutôt que comme des contenus (ou des formes) discursifs et de les mettre sur le même pied que d’autres événements non énonciatifs’.
Le Monde, du 29 octobre 2019 « Cette photo de Yassine Belattar aux côtés de femmes voilées est un photomontage »
Une image prise lors d’un rassemblement contre l’islamophobie à Paris a été détournée sur les réseaux sociaux.
[…] Une photo, en particulier, a été partagée plusieurs centaines de fois sur Facebook. […] La photo de ces pancartes, relayée sur les réseaux sociaux, a été trafiquée./Facebook. […]
En clair, la photo a été modifiée selon un procédé très commun : seul le texte de la pancarte a été changé. Un autre cliché d’une femme en hijab pris lors de ce rassemblement parisien a également été détourné par des internautes, dont certains sont proches de la « fachosphère ». […]
2.2.2. Les îlots textuels ou l'introduction distanciée d'un autrui
Dans le modèle de Jacqueline Authier-Revuz, les manifestations linguistiques et énonciatives de l’effacement énonciatif sont appréhendées autrement que celles d’A. Rabatel, R. Vion et autres. Pour Authier, l’EE correspondrait à une absence de balisage, une absence de marques cité-citant, renvoyant ainsi à des formes de représentation du discours autre en modalisations autonymiques interdiscursives, représenté par les îlots textuels et la modalisation autonymique allusive.
Les îlots textuels sont-ils considérés comme un type de représentation de discours autre (RDA), appelés également modalisation autonymique semi-allusive :
‘L’IT est une RDA pour laquelle L rapporte un autre acte d’énonciation sur le mode de la reformulation-traduction (DI), alors qu’un élément (îlot) apparaît comme non traduit, c’est-à-dire comme fragment conservé du message d’origine. Dans le cas de l’IT en contexte de DI, L parle avec des mots l, il les utilise en les mentionnant. Dans le cas de l’IT sans glose, les mots de l sont ceux par lesquels parlent L, tout en se gardant de préciser l’origine de son dire.’ (Hailon 2011 : 101)
M. Perret parle des îlots textuels comme « un fragment de style direct que le locuteur primaire ne reprend pas à son compte, dont il laisse la responsabilité à un autre énonciateur, en général désigné ». (Perret 1994 : 102)
Le Monde, du 12 octobre 2019 « Au conseil régional de Bourgogne–Franche-Comté, un responsable du RN agresse une femme voilée »
Quand Julien Odoul, président du groupe Rassemblement national (RN) et porte-parole de son parti, a demandé à la présidente (PS) Marie-Guite Dufay, « au nom de nos principes laïcs », d’enjoindre à la jeune femme « de bien vouloir retirer son voile islamique », personne n’a d’abord compris de quoi il parlait. Le temps de chercher des yeux l’objet de son ire soudaine, de réaliser la présence de la mère de famille, puis, passé le moment de sidération, les autres élus ont réagi.
Dans cet exemple, le journaliste emprunte les propos de Julien Odoul sous forme d’îlots textuels, sous forme de discours direct, pour parler avec ses mots, mais en même temps les guillemets et le caractère italique signale qu’il s’agit de propos rapportés identiquement tels que les a énoncés l’énonciateur premier.
Perret précise dans le même sens, que l’îlot textuel peut se manifester aussi bien sous la forme d’une connotation autonymique, qu’il définit comme « un fragment d’un discours de l’autre, une sorte de citation, mais utilisé par le locuteur primaire dans son propre discours », qu’il rattache de façon directe à « l’effet guillemet, bien connu des journalistes ». (Perret 1994 : 102-103)
Le Monde, du 29 octobre 2019 « C’est par l’inclusion des mères voilées que nous lutterons contre le communautarisme ».
Interdire aux mères voilées l’accompagnement des sorties scolaires aurait pour effet sur les jeunes enfants de renforcer leur tendance spontanée à diviser le monde entre « nous » et « eux », selon Jean-Rémy Hochmann, psychologue du développement, qui s’exprime dans une tribune au « Monde ».
Très tôt, les enfants divisent la société entre « eux » et « nous », et préfèrent des individus qu’ils reconnaissent comme membres de leur groupe, selon qu’ils parlent la même langue qu’eux, avec le même accent, ont la même couleur de peau, aiment les mêmes choses ou connaissent les mêmes chansons.
Dans les exemples cités supra (A et B), le locuteur-journaliste primaire emploie les termes et les cite en même temps (il s’agit d’un emploi en usage et en mention) : « nous » et « eux » dans l’exemple B. Les guillemets et l’italique signalent que le locuteur parle avec les mots des autres, chose différente de rapporter des discours du locuteur cité L2 comme dans l’exemple A, où le journaliste rapporte le discours de L2 : Jean-Rémy Hochmann.
La modalisation autonymique
La modalisation autonymique, quant à elle, peut être définie comme un fait discursif d’un « dire de l’emprunt, non explicite, à des mots d’ailleurs » (Hailon 2011 : 45), elle est de nature interdiscursive et son interprétation relève de la culture du lecteur ayant pour tâche de la décrypter. Elle est présentée sans balisage, sans glose ni précision de la source empruntée. Pour Authier-Revuz la modalisation autonymique allusive relève uniquement de l’interprétation du locuteur, qui ne peut la déceler qu’en écho à ce qu’elle appelle un « déjà-entendu » de la mémoire discursive.
Examinons ensemble l’exemple 13 tiré du journal le Monde et l’exemple 14 de Ina.fr :
Le Monde, du 30 octobre 2019 Immigration, communautarisme, voile : Macron s’explique dans « Valeurs actuelles »
M. Macron insiste par ailleurs sur la nécessité de mieux lutter contre l’immigration illégale, en réduisant les délais d’instruction des dossiers du droit d’asile ou les abus de l’aide médicale d’État (AME), mais il refuse d’avoir « un discours simplificateur sur l’immigration ». Il souligne notamment son refus de restreindre le « droit du sol » dans l’Hexagone.
Il affirme cependant vouloir « régler vite » la question « des gens qui viennent avec un visa touristique, qui restent trois mois et ensuite se mettent à l’AME », se défendant ‘d’avoir le discours du Rassemblement national [extrême droite, RN]’.
[…] « Quand on parle du voile, beaucoup de jeunes femmes qui le portent sont filles ou petites-filles d’immigrés, elles ne viennent pas d’arriver », ajoute-t-il. À ses yeux, ‘c’est l’échec de notre modèle [d’intégration par l’économie] qui se conjugue avec la crise de l’islam’, qui « conduit à des formes très dures d’islam politique ».
Discours de Jean-Marie Le Pen, le 24 octobre 1989, suite à l’affaire des foulards de Creil :
À propos de la polémique sur le port du foulard coranique, Jean-Marie Le Pen président du Front national déclare :
‘il n’y aurait pas d’affaire de tchador, ni beaucoup d’autres problèmes en France, s’il n’y avait un courant d’immigration tout à fait excessif… quand on va chez les autres, on se conforme à leurs mœurs et leurs coutumes, c’est de la plus élémentaire politesse. Quand on ne se croit pas capable de le faire, on rentre chez soi… Ceux qui portent une croix sont chez eux […] et quand on porte une croix, on ne la porte pas sur la tête.’
Au niveau de l’exemple 14, on aperçoit de façon claire et nette, explicitement, le lien qu’établit Le PEN entre la présence indésirable d’une tranche de la population sur le sol français et les problèmes liés à leur présence, en l’occurrence « le port du voile islamique » comme une marque ou un signe de non-respect et non-conformité aux mœurs et coutumes de la France.
Dans l’exemple 13, par contre on y trouve le même lien établi par le Président Macron, mais de façon implicite, entre la lutte contre l’immigration illégale et le fait que le foulard est porté par des filles et petites-filles d’immigrés. On trouve que le choix du Président de s’exprimer dans un même discours et le même jour sur deux affaires habituellement abordées de façon séparée actualise de façon consciente ou inconsciente le discours énoncé par Le PEN il y a 30 ans déjà.
Ces deux extraits présentent les mots de « voile », « immigrations illégales » et « immigration excessive » associée à la même idée « une affaire » au sens de « problèmes », l’écho ainsi renvoyant à des représentations d’un parti d’extrême droite (Front national) se retrouve actualisé dans les discours du Président de République, Macron, appartenant à un parti qui s’affiche comme un parti est classé du centre gauche au centre droit de l’échiquier politique français et parfois présenté comme un parti attrape-tout.
Conclusion
À la lumière de ce qui vient d’être posé, il est aisé de déduire que l’effacement énonciatif relève d’une stratégie discursive permettant au locuteur (généralement en position de surplomb même en cas de posture énonciative de sous-énonciation) en tant qu’instance énonciative ou non de mettre en jeu des stratégies énonciatives lui permettant de se manifester doublement de façon explicite et/ou implicite dans son discours et de donner « l’impression » parfois qu’il s’efface, qu’il gomme les marques permettant de l’identifier dans son discours, se manifestant linguistiquement et discursivement parlant à travers la présence ou l’absence d’embrayeurs ou de marqueurs permettant de l’identifier dans son discours. En réalité, ce choix du locuteur « ne signifie pas pour autant une absence du locuteur, ni même un effacement de la subjectivité » (Vion 2001 : 335). En réalité, « l’effacement énonciatif constitue l’un des choix possibles quant à la mise en scène des voix dans le discours » (Vion 2001 : 335). Afin que le locuteur puisse rendre compte de cette pluralité de voix qui habitent son discours, il adopte des choix discursifs et énonciatifs lui permettant l’organisation de son discours qu’il soit « monophonique ou polyphonique »7.
Le locuteur définit sa relation quant au discours énoncé, qui traduit une mise en écart, une distance vis-à-vis de son discours « il s’agit des cas où le locuteur ne semble plus prendre en charge son discours » (Vion 2001 : 335) probablement parce que le locuteur veut être un simple rapporteur d’« un discours sur le monde ». Il n’est donc nul besoin de faire appel à une quelconque référence (médiation d’un autre sujet), soit parce que l’instance énonciative est abstraite (comme l’État par exemple). Il peut aussi s’agir d’une « impersonnalité » où les discours sont énoncés par effacement des embrayeurs personnels portant ainsi atteinte à la dimension linguistique du discours. L’anonymat peut également constituer une stratégie discursive énonciative (relevant de l’effacement énonciatif) mise au service du locuteur, se faisant un sujet peut parler à la première personne sans dévoiler son identité et inversement un sujet peut dévoiler son identité sans passer par l’expression de la première personne (cas des énoncés impersonnels).
Deux grands types de discours semblent propices à la manifestation de l’effacement énonciatif des marques d’un « énonciateur abstrait » : les discours prétendant la description du monde et les discours dans lesquels le locuteur ne peut être l’instance énonciative de propos qui engagent à titre d’exemple une entité abstraite (le discours juridique, discours scientifique, discours journalistique).
Le discours historique ou le récit tel que l’avait conçu Émile Benveniste relève d’une conception erronée d’une mise en scène énonciative : l’effacement énonciatif désignant une stratégie discursive relevant des choix que le locuteur engage lors de son discours. Il s’agit dans ce cas d’un « énonciateur abstrait » dont les marques personnelles du locuteur sont indissociables du discours, même si sur le plan linguistique le locuteur donne l’impression de gommer sa présence à travers l’effacement des embrayeurs sur le plan énonciatif les marques du discours sont toujours présentes, une idée fort bien exprimée par Rivara :
Si dans les situations où un locuteur parle à lui-même, on peut encore déceler une relation d’interlocution, alors les textes narratifs, historiques ou fictionnels ne nous autorisent certainement pas à formuler hypothèse qui a été baptisée « le narrateur effacé ». Il convient donc de rejeter l’idée d’un mode d’énonciation, le récit, qui serait dépourvu d’une origine constituée par un énonciateur et une situation, même si la relation des énoncés du type « récit » à l’origine énonciative appelle une élucidation. (Rivara 2000 : 144-145)
L’étude de l’effacement énonciatif dans certains discours mène à nous intéresser à la subjectivité du locuteur dans ces discours. L’étude de l’effacement énonciatif met donc en scène à la fois la problématique de la « subjectivité » chez le sujet parlant et la problématique de « l’objectivité » dans et du langage. Pour confirmer une fois de plus que la notion de subjectivité est inhérente à celle de discours même en cas d’effacement énonciatif d’une part, et que l’objectivité du langage n’empêche en rien la subjectivité du locuteur omniprésente dans son discours qu’elle soit déclarée ou cachée.
Le sujet est nécessairement présent dans ses messages même lorsque, par effacement énonciatif, ces derniers se trouvent objectivés. L’effacement énonciatif constitue donc l’un des « choix » possibles au niveau des activités discursives mises en œuvre par les sujets. Ces choix, liés aux diverses activités que les sujets doivent gérer simultanément, concernent aussi bien la relation sociale que la relation interlocutive. (Vion 2001 : 348)
Le sujet parlant peut choisir entre être l’unique et le seul locuteur dans son discours « discours monophonique », comme il peut faire appel à d’autres locuteurs actualisés ou pas dans son discours par la situation d’interlocution « discours polyphonique », à travers des énonciateurs correspondant aux sources énonciatives construites dans le discours :
Le locuteur, responsable de l’énoncé, donne existence, au moyen de celui-ci, à des énonciateurs dont il organise les points de vue et les attitudes. Et sa position propre peut se manifester soit parce qu’il s’assimile à tel ou tel des énonciateurs, en les prenant pour représentant (l’énonciateur est alors actualisé), soit simplement parce qu’il choisit de les faire apparaître et que leur apparition reste significative, même s’il ne s’assimile pas à eux. (Ducrot cité par Vion 2001 : 332)
Le discours rapporté (avec ses différents types) s’avère être une stratégie discursive énonciative propice à l’effacement énonciatif pour le locuteur-journaliste, puisque selon (Perret 1994 : 98) tout énoncé contenant du discours rapporté, à savoir, « le style ou discours direct cache l’existence d’un L1 [locuteur primaire] effacé ». Le discours rapporté représenterait même une modalité de manifestation de l’EE à travers les modalisations autonymiques interdiscursives, représenté par les îlots textuels et la modalisation autonymique allusive.
Les postures énonciatives permettent aux locuteurs-journaliste d’adopter plusieurs statuts, à savoir celui de co-énonciation, sous-énonciation et de surénonciation un véritable jeu discursif et énonciatif qui va d’une manifestation explicite à une manifestation implicite tout en permettant à sa subjectivité de s’exprimer.
Arrivée à terme de cette étude, on peut dire que « la démultiplication du dire en circulation brouille ou rend caduque l’identification de la source énonciative » (Rabatel 2004 a : 8) par des phénomènes de collage, réappropriation et réénonciation, favorisant ainsi l’effacement énonciatif, selon la théorie de Vion, Rabatel et Rosier, mais la seule démultiplication n’est pas suffisante à la circulation des discours et des vocabulaires. On constate aussi la notion de Modalisation autonymique, concept forgé par Authier-Revuz, qui s’inscrit dans la problématique de l’énonciation en désignant l’attitude du sujet parlant à l’égard de son propre énoncé, actualisant ainsi la notion d’hétérogénéité dans le discours en relation avec la notion d’altérité :
« La modalisation constitue une partie d’un phénomène : l’énonciation, pour qui elle constitue le pivot dans la mesure où elle permet d’expliciter les positions du sujet parlant par rapport à son interlocuteur, à lui-même et à son propos ». (Charaudeau 2002 : 382-383)
In fine, on peut dire que l’étude des phénomènes de représentation du discours autre en relation avec les modalisations autonymiques et le locuteur, en particulier, permet de révéler la manifestation de certains enjeux énonciatifs et discursifs qui ne sont pas sans conséquence sur la signification des discours en circulation.
Appréhender d’un côté l’effacement énonciatif du point de vue des énoncés embrayés et non embrayés permet de se focaliser sur la présence de l’auteur et des marques qu’il laisse dans son discours. La présence et les marques de l’auteur de son discours nous poussent à nous interroger sur sa subjectivité. Les éléments exposés supra nous conduisent vers un seul et unique constat : l’omniprésence de l’auteur dans son discours est une fatalité, que lui-même gère entre visibilité et opacité. L’auteur recourt à des choix justifiés par un objectif communicatif, entre afficher sa subjectivité explicitement ou implicitement, en laissant ou en masquant les marques de sa présence dans son discours. Des résultats qui consolident les travaux d’Émile Benveniste associant le principe de subjectivité à celui de discours et à celui de sujet parlant.
D’un autre côté, appréhender l’EE du point de vue de la circulation des discours et des modalités autonymiques serait justement de l’envisager non seulement comme une stratégie discursive relevant de l’auteur uniquement, mais, comme contrainte liée à la notion de genre discursif. L’EE constituerait un enjeu énonciatif crucial pouvant se manifester sous différentes formes et donnant lieu à des effets pragmatiques et sémiotiques importants, notamment à travers l’étude des modalisations autonymiques interdiscursives, le discours rapporté avec ses différentes formes grammaticales et les postures énonciatives de co-énonciation, surénonciation et sousénonciatuion.
La différente facette de l’étude de l’effacement n’est que le véritable reflet de la complexité des activités langagières entreprises par le sujet parlant : le locuteur, en relation avec un monde qui l’entoure et un sujet interprétant : l’allocutaire, et un discours qui constitue le théâtre de choix déterminés à la fois par des objectifs communicatifs et des besoins discursifs et personnels de se dire et de dire les autres.