Introduction
Les situations de communication sont à l’origine de la transmission des langues aux autres générations. Il est clair à première vue que plusieurs éléments en interaction se combinent pour transmettre un message entre les diverses sections qui composent la société, et plus particulièrement sa composante primaire, la famille où les pratiques culturelles et linguistiques et des exigences et obligations sociales se partagent. Dans notre travail, nous nous intéressons effectivement à la langue réalisée dans cet espace privé afin de démontrer les conséquences enregistrées sur les comportements linguistiques des locuteurs.
En effet, la langue sur laquelle nous portons notre intérêt dans cette recherche est l’arabe algérien, celle-ci connaît un statut tout à fait divergent de celui de la langue française en Algérie. Il s’agit d’une langue d’immigration non prestigieuse (Caubet, 2007). Une langue transmise d’une génération à une autre est associée à une culture qui ne participe pas à sa transmission face aux différentes transformations socioculturelles. Sans oublier les différentes langues d’immigrations qui effectuent vraisemblablement une influence sur le transfert linguistique et culturel. Malgré cela, l’arabe est considéré dans ce pays comme un héritage. (voir Barontini et Caubet, 2008)
L’objectif assigné à cette étude est de mettre en lumière les mécanismes à l’œuvre dans la désignation identitaire qui se manifeste au cours de la transmission de la langue d’origine chez les locuteurs issus de l’immigration algérienne en France et son intégration. Ceci, en étudiant comment ces derniers gèrent, manipulent et pratiquent leur langage pour faire passer un outil linguistique pour l’appropriation de cette langue et de sa culture.
Cette recherche, s’inscrit dans le cadre de la sociolinguistique (labov, 1976) et l’ethnographie de la communication (Hymes, 2005), elle porte une réflexion sur la diversité linguistique dans différentes situations. Elle est principalement concentrée sur la relation adulte-enfant : des adultes ayant acquis des principes, des valeurs et des langues de la même ou de différentes cultures, essaient de faire passer leurs expériences à leurs enfants, depuis leurs jeunes âges. Ces enfants en période d’adolescence tentent de s’imposer par leur choix langagier et leurs idées pour s’identifier et construire leurs personnalités. Leurs attitudes souvent ne plaisent pas aux parents qui appartiennent à une autre génération, ce qui participe à la construction identitaire de la deuxième ou la troisième génération.
Selon Diaz (1993 cité par Haydée, 2003), l’aide et l’appui de l’adulte apportent à l’enfant, l’assurance de créer des interactions dans son milieu social par ces compétences linguistiques et communicatives. En réalité, de multiples organisations s’interrogent sur le contenu de la transmission et la façon de la transmettre aux générations, chose qui est très répondue dans les situations d’immigrations.
Selon Fishman (1991), la transmission est attachée à la notion de lieu ; elle repose principalement sur « domicile-famille-voisinage-communauté ». Ce sont les lieux qui assurent la liaison entre les générations, non seulement d’un point de vue linguistique, mais aussi culturel et identitaire. Quant à Laroussi (2015 : 38), il considère la transmission comme :
Le processus qui vise à conserver dans le temps l’expérience et les connaissances des générations précédentes et qui peut englober à la fois le souhait de transmettre l’héritage culturel (passé) des générations aînées aux générations suivantes et les exigences de changement qu’impose un contexte nouveau, tourné davantage vers l’avenir. (Laroussi, 2015, p. 38)
La transmission demeure un processus qui se produit dans les familles, où les changements, les métissages et les valeurs passent de l’apprentissage au partage. Les travaux de Héran, Filhon et Deprez (2002) portant sur la famille, expliquent et illustrent aussi ce passage ou transfert de langues d’une génération à une autre. À partir de cette conception (Gire, 2003), explique que la transmission intergénérationnelle reste fortement liée à tout ce qui est culturel même s’il est question d’une transmission linguistique. En effet, il s’agit d’un héritage obtenu sans que les protagonistes s’en rendent compte, c’est le cas des parents qui s’expriment de façon spontanée à leurs enfants en employant leurs langues d’origines, et qui vont automatiquement être transférées aux autres interlocuteurs dans une situation de communication. Les protagonistes recevront de façon naturelle et non réfléchie un bagage culturel et linguistique dans leur famille et c’est à ce niveau-là que l’univers culturel subit des transformations d’une génération à une autre. (Lahire, 1995, p. 274) confirme « l’héritage culturel ne parvient pas toujours à trouver les conditions adéquates pour que l’héritier hérite ».
1. Le cadre matériel de l’enquête
1.1. Échantillonnage : participants
Quatre familles algériennes immigrées ont participé à notre expérimentation. Les familles choisies résident à la ville de Lille qui est la capitale des Hauts-de-France, une région du nord de la France. Les familles choisies sont constituées de plusieurs informateurs entre adultes et enfants. Afin d’obtenir une vision plus large sur leurs vécus, leurs besoins, leurs cultures ainsi qu’à leurs pratiques pour la réalisation de cette transmission de la langue. La sélection a été faite selon trois critères :
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Des locuteurs ayant des compétences diverses (adultes, enseignant, étudiants et élèves)
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Avoir des enfants d’un âge différents.
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Pratiquer l’arabe, de façon majoritaire ou minoritaire.
Le critère déterminant dans la sélection des sujets a bien sûr été celui de l’âge, du sexe, des compétences linguistiques, du niveau d’étude, du dialecte, du pays d’origine et de la profession. Les familles ont été classées de A à D.
1.2. L’entretien
L’entretien est considéré comme technique ou démarche participative (Blanchet & Gotman, 1992) qui s’impose lorsqu’on veut aborder certaines questions. Nous avons effectué dans l’ensemble dix (10) entretiens, entre adultes et enfants dont les âges se situent entre 15 ans et 50 ans. Concernant la durée de l’entretien, nous avons réalisé des entretiens dont la durée oscille entre 10 à 30 minutes d’enregistrements avec chaque participant. L’élaboration des entretiens est basée sur une série de questions afin d’obtenir des réponses claires et précises, en essayant d’éviter les discours ambigus. D’emblée, nous avons demandé au début de l’interview aux interviewés de se présenter, racontant un peu de leurs parcours de vie. Une fois cette étape achevée, l’enquête s’est poursuivie par un interrogatoire sur la base de questions préparées.
Les questions choisies portent sur le profil sociolinguistique des participants à l’enquête, la transmission de la langue, les valeurs identitaires et d’appartenance au pays.
2. Analyse et interprétation des résultats
Nous nous arrêterons à présent à l’analyse de quelques entretiens semi-directifs réalisés auprès des informateurs issus de l’immigration algérienne en France. Le but ici est d’évaluer le processus de la transmission, ses modalités et tous les éléments qui peuvent aider à comprendre et expliquer ce phénomène à travers les représentations des locuteurs. Les pratiques langagières sont le cadre d’analyse des déclarations des participants à l’enquête.
2.1 Transmission de la langue d’origine aux enfants
Les déclarations des participants démontrent le rôle important que joue la majorité des parents pour l’apprentissage de la langue d’origine chez les enfants. Il est quasiment essentiel pour les enfants issus de l’immigration d’apprendre la langue des origines. Le réseau familial se compose de plusieurs cellules (fratrie, parentale), sans pour autant oublier la grande famille : tante, oncle et grands-parents. Mais dans le contexte migratoire, la cellule parentale est la première instance à faire passer à ses enfants son héritage linguistique et culturel. Nous prenons pour illustration les déclarations des participants immigrés concernant la langue d’origine et le désir de la transmettre aux futures générations.
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Extrait 51 : entretient 19 : Hamid (FA) : mes enfants savent déjà parler /certains un peu moins mais l’arabe est présent chez moi /mais je fais de mon mieux pour qu’ils parlent arabe ah oui : : employer l’arabe beaucoup plus à la MAISON ’il est important pour moi qu’ils apprennent la langue de leurs ancêtres/hna 3rab (nous sommes des Arabes) c’est une question d’identité de patrimoine d’origine ah la : zem (il faut/) le maintien de la langue permet à nos enfants de rester lier à leurs pays d’origine ils doivent comprendre cela, ils ne sont pas français à cent pour cent c’est une réalité// j’ai immigré pour des raisons professionnelles pour permettre à mes enfants de grandir dans de bonnes conditions/ je <suis/ferai> le maximum pour que mes enfants restent attacher à l’Algérie à la famille/ ba3adna 3la bladna mai : : : s mansinach aslna (on s’est éloigné de notre pays mais nous n’avons pas oublié nos origines).
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Extrait 53 : entretient 25 : Rabie (FC) : les enfants si : : en fait ana nahder wnbri nahder (moi je parle et j’aime parler) que l’arabe m3a weladi (avec mes enfants) mais des fois nsib rouhi fi (je me retrouve face à) des impasses/ je fais de mon mieux/oui oui yafahmou wjawbouiini (ils comprennent et répondent) mais ils ne maîtrisent pas à cent pour cent/bien sur la langue tisse et crée des liens terribles avec le pays tg3od (reste) à jour hadi hia (voilà).
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Extrait 52 : entretient 23 : Mohamed (FB) : ouais certainement je euh : : je parle à mon enfant en arabe il adore aussi j’essaie de euh : : lui faire apprendre l’arabe mais c’est pour rester en contact avec son pays d’origine c’est : : important je fais le max ça viendra/quitter mon pays wellah c’est une raison d’opportunité seulement.
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Extrait 53 : entretient 27 : Daho (FD) : oui bien sûr c’est normal/ nebghi weladi yahadro kima ana wela mieux (je souhaite que mes enfants parlent mieux que moi)/je n’ai pas de problème vu que mon épouse tani (aussi) 3arbia nahadrou rir 3arbia fdar (on ne parle qu’arabe à la maison) /weladi mazalou sghar mais yefahmou (mes enfants sont encore petits mais arrivent à comprendre) bien/oui la langue t3awen bezaf ( oui la langue aide beaucoup)/ la maitriser permet de rester toujours en : : liaison avec le pays mais hna / yji le role ta3 (mais à ce niveau-là c’est le rôle des parents) les parents houma li d’une façon ou d’une autre aident les enfants à apprendre la langue du pays.
Les extraits ci-dessus confirment le désir et la détermination des pères à transmettre la langue de leur pays aux enfants. Il est très important pour les « papas » que leurs enfants reçoivent cette particularité langagière. Ils sont en mesure de faire un double effort et même plus pour que cette génération née en France ne soit pas déracinée, détachée et aussi écartée du pays ou de la religion. Les traditions et les coutumes des grands-parents et des ancêtres ont une très grande valeur. Les parents avaient bien expliqué que l’arabe est bien présent dans les échanges familiaux. Bien que Rabie (FC) et Daho (FD) aient montré une intransigeance quant à l’emploi du français pendant les communications familiales, ils exigent à leurs enfants de leur parler et de leur répondre en langue arabe. Un moyen excellent pour favoriser l’apprentissage de cette langue. Hamid (FA) et Mohamed (FB) se révèlent plus indulgents, même s’ils partent du même principe, spécialement Mohamed (FB) marié à une Française de souche, donc un mariage mixte qui l’oblige à pratiquer le français en famille pour l’intercompréhension. (Deprez et Varro, 1991, p. 298)
2.2. Héritage linguistique, intégration et désignation identitaire
Nous sommes désormais assez lucides pour affirmer que les pratiques plurilingues sont le résultat d’un héritage linguistique dans le contexte familial. Il a été constaté que les rôles s’inversent quand l’un des locuteurs ne maîtrise pas la langue de l’autre (langue de l’environnement ou d’origine) spécialement dans la relation adulte-enfant. Selon l’enquête EHF en 1999, la transmission des langues a considérablement évolué chez la nouvelle génération. Dès lors, nous nous retrouvons face à un héritage linguistique « l’arabe algérien » chez les familles immigrées. Parler d’héritage linguistique c’est aborder automatiquement la question de l’identité ; celle-ci est manifestement liée à la première langue parlée en famille, une langue qui s’impose dans la sphère familiale et permet de faire des désignations identitaires. Car parler une langue justifie pleinement l’intégration de l’individu dans un groupe social. À ce niveau, nous évaluerons les représentations linguistiques des participants, concernant l’aspect identitaire et culturel qu’assigne l’arabe algérien aux locuteurs immigrés et issus de l’immigration algérienne.
Les parents ont été d’une extrême exigence quant à l’aspect culturel et identitaire du pays d’origine. Il s’agissait de transmettre tout un patrimoine et non pas uniquement une langue. Certes, l’arabe occupe une place importante dans la cellule familiale, puisque c’est la langue d’origine, mais elle est également l’outil le plus efficace selon les informateurs pour enraciner toute une culture ; tout particulièrement les pères qui se montrent attachés à la transmission non seulement de la langue, mais aussi de la religion, des valeurs et de la culture. L’objectif était de construire une identité individuelle et sociale adéquate au pays d’origine.
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Extrait 60 : entretient 19 : Hamid (FA) : il est important pour moi qu’ils apprennent la langue des leurs ancêtres/hna 3rab (nous sommes des Arabes) c’est une question d’identité de patrimoine d’origine ah la : zem (il faut/) le maintien de la langue permet à nos enfants de rester lier à leurs pays d’origine ils doivent comprendre cela, ils ne sont pas français à cent pour cent c’est une réalité/// je <suis/ferai> le maximum pour que mes enfants reste attachés à l’Algérie à la famille/ ba3adna 3la bladna mai : : : s mansinach aslna (on s’est éloigné de notre pays mais nous n’avons pas oublié nos origines).
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Extrait 63 : entretient 27 : Daho (FD) : oui la langue t3awen bezaf/ la maitriser permet de rester toujours en : : liaison avec le pays mais hna / yji le role ta3 les parents houma li d’une façon ou d’une autre aident les enfants à apprendre la langue du pays/ langue du coran/ dine ta3na maktoub belarbia la prière la zem ndirouha en arabe/ il faut pas prendre les choses à la légère/ n3awno weladna wnkabrouhom 3la 3aklia ta3 belad/ pour qu’ils n’oublient pas wela s’éloignent de la culture algérienne.
Les extraits ci-dessus sont les témoignages des pères de famille, qui ont exprimé leur désir de maintenir la langue arabe comme langue d’origine. Ils ont aussi expliqué qu’ils adoptaient une politique familiale particulière, pour inciter leurs enfants à parler la langue du pays d’origine, la langue qui leur facilitera l’intégration et l’appartenance dans un groupe social. L’arabe est la langue du coran, donc la religion demeure le point initial et primordial qui préoccupe les parents. Selon Edwards (2009 : 101), le rapport entre la langue et l’identité est la religion. La culture algérienne, les traditions et les valeurs doivent faire partie intégrante de l’identité des jeunes immigrés et issus de l’immigration algérienne.
Les mères se sont montrées plus souples avec leurs enfants concernant la langue d’origine. Pour la majorité d’entre elles, le premier souci c’est la religion, sinon peu importe la langue qu’ils utilisent. Elles sont convaincues de l’idée de la liberté du choix de la langue, même si elles désirent qu’ils aient une maîtrise modérée de la langue d’origine. Le but majeur est d’obtenir une double appartenance socioculturelle et identitaire. Les locutrices tout comme les pères ne souhaitent pas que leurs enfants soient perçus comme étranger dans le pays des origines, mais en même temps doivent s’affilier dans le pays de naissance ou d’accueil.
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Extrait 64 : entretient 20 : Fatima (FA) : donc voilà je parle français l’arabe c’est occasionnel à la maison avec mes enfants sans gêne on discute mais je ne les oblige pas je leur ai appris et transmis cette langue mais jamais je leurs dis + bessif (obligatoirement) parle arabe non non non par contre leur père si : : pour lui c’est important vous comprenez c’est beaucoup plus pour la prière la religion le pays c’est ça/ pour ne pas oublier le pays.
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Extrait 65 : entretient 28 : Souad (FD) : bien sûr hada chandir (c’est ce que je fais) exprès /le lien ne doit pas être coupé/tba : nly (il me semble) le seul moyen tahder logha ta3 waldina (parler la langue de nos parents) ici nous sommes vus comme intrus/ au moins f’elbled la ketbeb rabi ( au pays si Dieu le veut) nebrou newalou wela (on veut revenir au pays) il sera plus facile à nos enfants de s’intégrer dans notre société.
En effet, les participants à l’enquête attribuent une immense importance aux choix identitaires. Les locuteurs de la première génération considèrent la langue d’origine dans ce contexte comme étant le premier vecteur du maintien de l’identité. Or, pour la deuxième génération, elle est la construction de l’identité. C’est pourquoi les parents insistent sur l’apprentissage de la langue d’origine, car son acquisition rapproche les jeunes immigrés et issus de l’immigration algérienne de leur culture d’origine ou les éloigne.
Conclusion
Cet article met en relief la transmission intergénérationnelle en situation de migration dans la cellule familiale, qui se dévoile désormais d’une complexité extrême. Les principaux résultats obtenus permettent de mesurer les multiples aspects et éléments qui se croisent et participent tantôt à son accomplissement tantôt à son échec. Les données obtenues distinguent les locuteurs soit par leur degré de compétence linguistique et communicative, soit par leur degré d’appartenance identitaire, à la langue et à la culture d’origine. Nous avons remarqué que le choix de langue s’effectue selon l’interlocuteur auquel il s’adresse. Les interactions réalisées entre adultes diffèrent des productions réalisées avec les enfants. Les conversations réalisées entre les parents et les enfants dévoilent une volonté parentale pour la transmission de leur langue et culture d’origine.
En somme, notre enquête menée sur les pratiques langagières et les représentations linguistiques des locuteurs issus de l’immigration algérienne en France permet d’insister sur le rôle majoritaire que joue la famille pour conserver la mise en transmission des langues et des connaissances sociales à différents degrés de réalisation, selon chaque cellule sociale et les multiples facteurs qui se croisent pour l’achèvement de ce processus de transmissions.
Il ressort également de l’analyse qualitative que la conversation à dimensions bilingues ou monolingues est caractérisée par l’exercice langagier le plus basique, mais en réalité c’est le moyen le plus utilisé pour décrire les échanges communicatifs. Dans ce sens, nous pouvons confirmer la pertinence des différents phénomènes linguistiques spécialement l’alternance codique, elle est un marqueur essentiel dans l’organisation, la compréhension et l’appropriation de la parole. Enfin, cette recherche a permis ainsi de s’attarder sur l’articulation entre les deux pays, pour en dire qu’une articulation dynamique se manifeste chez les familles qui sont soucieuses de transmettre à leurs enfants la langue et la culture du pays d’origine pour ne pas élargir la rupture générationnelle déjà mise à mal par la distance inhérente à l’immigration.