Introduction
« Toute énonciation, même produite sans la présence d’un destinataire, est en fait prise dans une interactivité constitutive, elle est en fait un échange, explicite ou implicite, avec d’autres énonciateurs, virtuels ou réels, elle suppose toujours la présence d’une autre instance d’énonciation à laquelle s’adresse l’énonciateur et par rapport à laquelle il construit son propre discours » (Maingueneau, 1995)
Empruntée au champ musical, la polyphonie s’est étendue en acquérant une acception métaphorique dans la description des actes de langage. En effet, intuitivement, dans la plupart des cas, les textes impliquent différents points de vue autres que celui de l’auteur. Tout texte par essence est, de ce fait, dialogique et constitue un lieu où s’actualisent plusieurs discours.
Le mérite de la place qu’occupe la polyphonie en Sciences du Langage revient à Michael Bakhtine1 qui lui a donné une portée et un sens purement littéraire dans son ouvrage culte Dostoïevski, dans lequel il étudie les relations réciproques entre l’auteur et le héros, le texte devient polyphonique quand l’auteur prétend faire parler plusieurs voix à travers son texte.
L’étude des connecteurs occupe une place de plus en plus grande dans les travaux des chercheurs versés dans les études linguistiques et textuelles. Ainsi voit-on paraitre ces dernières années un flot d’études portant sur les connecteurs pragmatiques. Le terme connecteur est en vogue, à telle enseigne qu’on a l’impression qu’il renvoie à une catégorie fourre-tout qui inclut divers éléments ou morphèmes reliant des énoncés.
Dans Djurdjurassique Bled, Fellag joue de ses émotions en usant d’outils langagiers bien choisis. Parmi ces outils, celui qui retient notre attention est la pluralité de voix c’est-à-dire la polyphonie. En effet, celle-ci fait que le public interagit avec les sujets abordés et les messages émis et y adhère inconsciemment. Cela est perceptible à travers la connivence et la complicité de Fellag avec son public.
Étant donné que le présent travail s’articule autour de la notion pivot de la polyphonie et que l’analyse proposée consiste en un repérage du « mais » comme un marqueur linguistique de la polyphonie. De ce fait, on s’interroge sur l’impact polyphonique du connecteur. Autrement dit, on tente de répondre aux questions suivantes :
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« Comment le connecteur “mais” est-il polyphonique en raison de sa construction linguistique ? » ;
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« Comment est construite la concession Fellaguienne qui véhicule la polyphonie dans Djurdjurassique Bled ? » ;
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« Qui sont les locuteurs responsables des différents points de vue véhiculés par le connecteur concessif ? »
Pour ce faire, après le repérage des différents passages contenant le connecteur, nous entreprenons l’analyse de chaque énoncé en mettant l’accent sur les différents points de vue véhiculés par la concession mis à part celui du locuteur. Enfin, nous nous attelons à déterminer l’identité de tous les êtres discursifs et l’ancrage par liens énonciatifs de tous les points de vue marqués dans la signification par la concession.
Notons, par ailleurs, que l’analyse des marques polyphoniques dans un discours humoristique permet d’identifier et de saisir le croquis et la structure polyphonique de l’énoncé concessif et d’interpréter ce dernier en fonction des points de vue sous-jacents qu’il véhicule. Nous nous intéressons donc tout au long de ce travail aux marqueurs linguistiques qui permettent de repérer la polyphonie de la concession dans le corpus.
Nous nous servons de la ScaPoLine qui a apporté une contribution enrichissante à l’approche de Ducrot en ce qui concerne l’étude de ce connecteur. Dans la terminologie de la ScaPoLine, le connecteur « Mais » a la particularité d’introduire trois arguments, dont l’un est implicite, et quatre points de vue. C’est en nous basant sur la théorie scandinave de la polyphonie linguistique que nous allons analyser l’ensemble des énoncés contenant ce connecteur.
Dans notre analyse, nous symbolisons la structure générale engendrée par le connecteur « mais » par « p CON q » où p et q renvoient aux arguments explicites et où le CON renvoie au connecteur en question.
1. La ScaPoLine au service de l’analyse polyphonique
1.1. Prolégomènes
Pour saisir la forme et la fonction de la ScaPoLine, nous nous proposons précisément, tout en brossant un tableau qui retrace succinctement son évolution à travers le temps, de présenter ses méthodes et ses fonctions ainsi que son évolution historique qui a rendu possible la mise en place de cette théorie et de préciser ses visées et ambitions dans le cadre des polyphonistes scandinaves.
Bien que la ScaPoLine soit une approche fidèle à la conception de Ducrot de la polyphonie (principe commun), elle ne se contente pas d’examiner la polyphonie au niveau de la langue. Or elle y ajoute le traitement de la manifestation polyphonique au niveau de la parole également. C’est donc là que s’établit la collaboration entre littéraires et linguistes. En effet, même si la ScaPoLine est une théorie strictement linguistique dans la mesure où son objet d’étude est la langue, son but ultime est de prévoir et d’expliquer les interprétations auxquelles donnent lieu les énoncés et les textes. D’autres termes, sa visée est la précision des contraintes proprement linguistiques qu’impose la langue sur les aspects polyphoniques associés à l’interprétation. La particularité de la théorie en question a doté les recherches en analyse du discours d’une nouvelle ère, une ère dans laquelle la polyphonie est — de nouveau — une notion pivot à la mode, depuis une vingtaine d’années, en pleine résurrection, omniprésente dans les études traitant du langage : l’analyse littéraire, l’analyse du discours, ainsi que les différentes études consacrées à la communication à la linguistique. À ce sujet, Oswald Ducrot souligne la spécificité de cette théorie scandinave dans la préface de l’ouvrage « ScaPoLine » :
« Je voudrais insister sur le choix fait par la ScaPoLine de relier la polyphonie interne aux énoncés à la polyphonie des textes dont ces énoncés font partie. Généralement, les deux polyphonies sont développées de façon séparée… Je ne connais pas pour ma part, de tentative aussi systématique pour réaliser ce programme qui dépasse aussi résolument la déclaration d’intention » (Ducrot, 2005)
En effet, il s’agit d’une approche relativement récente qui demeure peu connue et peu exploitée en Algérie. À notre connaissance, très peu de chercheurs se sont intéressés à cette théorie encore qu’elle constitue à notre avis un outil scientifique qui mérite d’être exploité étant donné qu’elle ouvre la voie, par la panoplie d’analyses qu’elle permet de réaliser à un large éventail d’axe servant à approfondir les analyses portant sur la polyphonie.
1.2. Pré-théorisation et naissance de la ScaPoLine
Avant toute chose, il est indispensable de signaler que malgré le fait que la ScaPoLine soit une théorie purement linguistique vu son objet d’étude qui est la langue, son ultime but est d’expliquer les interprétations auxquelles donnent lieu les énoncés. De manière plus claire, son but est de cerner les contraintes et les configurations d’ordre linguistiques par lesquelles la langue teinte les aspects polyphoniques mis au service de l’interprétation. Du coup, pour pouvoir formuler et expliciter ces contraintes une idée préalable du processus d’interprétation s’impose.
Dans les sciences, la seule évidence qui ne change pas est « que tout change », la linguistique ne fait guère exception, car depuis une vingtaine d’années la polyphonie a pris de l’essor et s’est transformée en une notion centrale aussi bien en recherche littéraire qu’en recherche linguistique c’est la souplesse de la notion à laquelle la polyphonie prétend renvoyer qui a fait qu’elle soit de nouveau en vogue et qui a contribué à sa résurrection, car on a l’impression que la polyphonie correspond à une certaine réalité. Pourtant dès qu’on tente d’en expliquer tant soit peu le statut on se rend à l’évidence que cette tâche est loin d’être évidente. Il est aussi difficile d’expliciter le statut de la polyphonie que d’empêcher l’eau entre le creux de la main de s’échapper entre les doigts. En effet, il suffit d’un survol des différents emplois pour révéler qu’il y a une panoplie et un nombre infini d’acceptions de cette versatile notion dont le nombre diffère selon celui d’auteurs qui s’en servent.
C’est le « caméléonisme » de la notion de polyphonie qui a fait en sorte que littéraires et linguistes tendent d’établir une collaboration étroite basée sur la polyphonie dans le but de cerner cette versatile notion aux multiples acceptions utilisée dans les deux champs de recherche. L’objectif est le même, et bien que les travaux de Bakhtine sont la principale source d’inspiration commune, il s’est vite avéré que linguistes et littéraires n’entendent pas la même chose par polyphonie. Ce terme donnait lieu à des malentendus et de là le besoin d’une théorisation s’est fait sentir.
De là, le linguiste Henning Nolke développe, avec un groupe de collègues, une théorie linguistique de la polyphonie, baptisée ScaPoLine. Le projet n’est pas des plus faciles, de prime à bord, on constate quelques divergences cruciales et fondamentales, non seulement en ce qui concerne les méthodes utilisées, mais aussi en ce qui concerne les objets d’études.
La ScaPoLine s’est essentiellement basée sur deux fondements, le premier est la décision prise de maintenir l’unité sémantique de l’énoncé. Il s’agit d’éviter que la multiplicité de ce qui est dit ne débouche sur une multiplicité du dire.
« Toute la construction théorique soigneusement élaborée par la ScaPoLine a pour objet, en tout cas pour effet, de maintenir l’idée d’une parole à la fois multiple et contrôlée, l’idée d’une multiplicité maitrisée, et c’est le point qui me semble particulièrement remarquable dans la façon dont la ScaPoLine aborde la polyphonie, cet objet respecté avec une opiniâtreté et une cohérence, à mon avis exemplaire » (Ducrot, préface de ScaPoLine, 2004)
Le deuxième fondement s’incarne dans le choix fait par la ScaPoLine de relier la polyphonie interne aux énoncés à la polyphonie des textes d’où sont issus ces énoncés. La ScaPoLine a fait en sorte de dépasser l’idée que les deux polyphonies sont développées de manière séparée : la première semble du ressort exclusif des linguistes alors que la seconde a pour lieu les études littéraires. En effet, la ScaPoLine a construit son analyse des énoncés de façon que les « petits » points de vue qu’elle y repère puissent servir à mettre au jour les « grands » points de vue qui dialoguent dans un texte.
« À cause de son effort, tout aussi résolu, pour unifier la diversité polyphonique interne aux énoncés, la ScaPoLine me semble devoir faire date, et occuper une position incontournable dans les recherches visant à relier la parole et les mots » (Norén, 2004)
Nous avons présenté le fonctionnement d’une théorie de la polyphonie linguistique qui est élaborée de façon à permettre la collaboration envisagée : la ScaPoLine est une théorie qui rend compte des phénomènes polyphoniques proprement linguistiques, autrement dit les phénomènes relevant du système de la langue, tout en anticipant l’influence de ce type de phénomènes sur les interprétations des discours.
La ScaPoLine tâche, d’une part, à maintenir l’unité sémantique de l’énoncé et, d’autre part, d’analyser les textes que forment ces énoncés. Cette théorie traite de ce qui est appelé la structure polyphonique et la configuration polyphonique : par la première, on entend un ensemble d’instructions apportées par la forme linguistique et par la seconde, on veut dire qu’il s’agit de la lecture polyphonique d’un aspect du sens d’un énoncé.
La ScaPoLine, qui n’accède pas par son étude à la langue d’une manière directe, a pour objet l’étude de la structure polyphonique. Et avant qu’elle n’étudie la langue, elle vise l’étude de la configuration formée par quatre éléments fondamentaux et constituants, marqués dans la langue et faisant partie de la structure polyphonique : le locuteur en tant que constructeur (Loc), les points de vue (pdv), les êtres discursifs (ê-d) et les liens énonciatifs (liens).
Outre cette particularité, la théorie scandinave est une théorie qui a pour méthode d’analyser l’interprétation, pour objet d’étude la description sémantique des structures de la langue et pour objectif de montrer les contraintes imposées par telle forme linguistique favorisant un tel sens. Autrement dit, elle répond à la question : comment une certaine forme donne-t-elle un certain sens ?
2. La polyphonie sous le masque d’un connecteur
Nous nous penchons dans la présente étude sur l’analyse du connecteur concessif « mais », notre tâche est de démontrer qu’il est un marqueur polyphonique qui porte entre ses entrailles maintes voix liées à une panoplie de personnes.
Il convient de justifier le choix de ce connecteur. En effet, seul le connecteur qualifié de pragmatique attire notre attention dans ce travail. Nous faisons ainsi abstraction des autres connecteurs logiques tels que « où », « et », « qui », etc., pour n’en aborder que le concessif « mais », lequel est un connecteur polyphonique par excellence. Il est considéré comme tel puisque, en plus de relier deux points de vue, il est porteur d’autres points de vue sous-jacents. Ce choix s’explique surtout par le fait que la fonction polyphonique jugée essentielle lors de l’étude de ce connecteur est le centre d’intérêt de notre recherche. Soulignons en outre que cet élément linguistique est porteur de nuances aussi subtiles que pertinentes au niveau de l’interprétation.
Nous effectuons une analyse des énoncés polyphoniques contenant le connecteur concessif « mais » pour tenter d’expliquer comment ce dernier est à l’origine de cette polyphonie. Nous entendons par « connecteur pragmatique » un élément linguistique qui relie deux points de vue, qu’ils soient simples ou complexes, pour n’en former qu’un seul relationnel.
Les questions qui régissent notre questionnement sont les suivantes :
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Selon quels critères le connecteur véhicule-t-il les points de vue qu’il relie ?
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Comment ces points de vue sont-ils véhiculés ?
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Comment un connecteur fonctionne-t-il sur un point de vue complexe ?
L’analyse du « Mais » est le socle sur lequel se fonde notre étude. Nous nous servons de la ScaPoLine qui a apporté une contribution enrichissante à l’approche de Ducrot en ce qui concerne l’étude de ce connecteur. Dans la terminologie de la ScaPoLine, le connecteur « Mais » a la particularité d’introduire trois arguments, dont l’un est implicite, et quatre points de vue. C’est en nous basant sur la théorie scandinave de la polyphonie linguistique que nous allons analyser l’ensemble des énoncés contenant ce connecteur.
Dans notre analyse, nous symbolisons la structure générale engendrée par le connecteur « mais » par « p CON q » où p et q renvoient aux arguments explicites et où le CON renvoie au connecteur en question.
2.1. Structure polyphonique vs configuration polyphonique
La structure polyphonique se situe au niveau de la langue ; elle s’intéresse uniquement à l’étude et l’examen des (Co) textes auxquels les énoncés peuvent s’intégrer, et ne s’occupe guère de l’étude des interprétations. La théorie scandinave de la polyphonie linguistique est une théorie énonciative, sémantique, discursive, structuraliste et instructionnelle au sens où la structure polyphonique fournit des instructions relatives à l’interprétation de l’énoncé de la phrase ou, plus précisément aux interprétations possibles de celui — ci. Et c’est ce qui est clairement expliqué par Henning Nolke et son groupe :
« La ScaPoLine est énonciative parce qu’elle traite de l’énonciation ; elle est sémantique parce que son objet est le sens des énoncés ; elle est discursive parce que le sens est considéré comme étant constitué de traces d’un discours cristallisé et parce que le sens concerne l’intégration discursive de l’énoncé ; elle est structuraliste parce qu’elle part d’une conception structuraliste de l’organisation du discours ; elle est instructionnelle parce qu’elle fournit des instructions pour l’interprétation de l’énoncé » (Norén, ScaPoLine, 2004)
La structure polyphonique est au service de la configuration. En effet, la structure pose des contraintes sur l’interprétation de la configuration de par ses instructions. Autrement dit, un élément du sens est marqué et ancré dans la signification uniquement si celle-ci contient des instructions relatives à la création de cet élément. Dans ce cas, l’élément en question laisse des empreintes purement linguistiques dans la signification.
La structure polyphonique se compose donc des instructions qui marquent les éléments de la configuration. La ScaPoLine travaille au niveau de la signification, donc de la phrase, son objet n’est pas en principe autre que la structure polyphonique. Néanmoins, elle étudie aussi la configuration polyphonique.
Henning présente les deux raisons pour lesquelles la ScaPoLine traite la configuration polyphonique en plus de la structure polyphonique :
Il est important d’étudier également la configuration, et cela pour au moins deux raisons :
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Il faut connaitre les éléments du sens pour pouvoir formuler des hypothèses sur la nature des instructions susceptibles de construire ce sens ;
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La ScaPoLine est un module théorique plus complexe, et la configuration sert de pont aux analyses textuelles, relayées par la ScaPoLine étendue
2.2. La configuration polyphonique
« La configuration est construite par le locuteur, qui en est l’élément constitutif » (Norén, 2004)
La configuration représente un élément de la description sémantique de l’énoncé, ce dernier résultant de l’énonciation il en est l’image et le reflet. Donc elle fait partie du sens. La configuration comporte des images des instances énonciatives et notamment du locuteur qui en incarne le noyau constitutif.
Le processus de configuration renferme quatre éléments, à savoir son propre constructeur, qui est le locuteur même et trois catégories d’identités construites par celui-ci :
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Le locuteur étant le constructeur de sens est le responsable de la tache d’énonciation. Le locuteur construit les éléments dont se compose la configuration polyphonique.
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Les points de vue ancrés dans le sens sont les éléments qui suscitent, engendrent et véhiculent la source et les sources sont variables. Les points de vue sont des entités sémantiques porteuses d’une source qui est dite avoir de point de vue
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Les êtres discursifs sources des points de vue sont des entités sémantiques susceptibles de saturer les sources
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Les liens énonciatifs relient les êtres discursifs aux points de vue.
Le schéma de la figure suivant résume clairement ce qui précède :
La configuration construite par le locuteur se compose donc de points de vue reliés aux êtres discursifs par les liens énonciatifs. Il est indispensable de signaler que ces éléments qui forment la configuration peuvent être marqués dans la signification, mais ils ne forment que la structure polyphonique. « Tous ces éléments sont susceptibles d’être marqués dans la signification, et partant de donner des instructions pour son interprétation, mais ils ne le sont pas forcément » (Norén, 2004)
En effet, le locuteur tisse le processus de configuration tout en présentant de propres points de vue aussi bien que ceux des êtres discursifs qui habitent son discours. Mais ces deux tâches sont loin d’être identiques et il est nécessaire de différencier ces actions qui teintent l’énoncé de différentes empreintes linguistiques.
2.3. Le « mais »
Le connecteur concessif « mais » a fait couler beaucoup d’encre, nous nous situons dans les sillons de la théorie scandinave de la polyphonie linguistique, pour mener à terme notre analyse du spectacle Djurdjurassique Bled de l’humoriste Fellag, en prenant comme corpus les énoncés concessifs pour en démasquer la polyphonie que le « mais » véhicule. La particularité de ce dernier est d’introduire trois arguments dont un est implicite. En effet, dans l’analyse standard schématique de « mais », sa fonction structurale se formule comme suit :
Figure N° 3. Fonction structurale de « mais »
Nombre des arguments : 3 (p, q, r)
Nature des arguments : faits, événements, situations, etc.
Détection des arguments :
p est déduit du cotexte précédent (par défaut de l’énoncé qui précède immédiatement) ; subsidiairement par la situation énonciative
q est déduit de l’énoncé auquel « mais » est associé syntaxiquement ; subsidiairement par la situation énonciative
r est une unité de sens qu’il faut trouver lors du processus de l’interprétation
Source : (Norén, ScaPoLine : théorie scandinave de la polyphonie linguistique, 2004)
Nous en concluons que la fonction sémantico-logique en matière de la ScaPoLine est la suivante :
Structure : p, MAIS q
pdv1 : [X] (VRAI (p))
pdv2 : [ON] (TOP (si p alors r))
pdv3 : [l0] (VRAI (q))
pdv4 : [ON] (TOP (si q alors non-r))
l0 est interpréteur de p et de q et il accepte pdv1, pdv2 et pdv4
Le fait que l0 prenne la responsabilité de l’antécédent du deuxième topos (pdv4) implique que ce topos l’emporte sur le premier (pdv4) dans le cas actuel. La conséquence en est que l’énoncé complexe (p, mais q) devient un argument en faveur de non-r. D’autre part, c’est le fait que l0 accorde pdv1, dont un autre, ê-d est tenu responsable, qui induit toute la structure sa valeur concessive.
On distinguera deux emplois de « mais » selon qu’il introduit une opposition directe ou une opposition indirecte entre p et q. On aura l’opposition directe dans le cas où q est identique à non-r. Dans ce cas, pdv4 dégénère en tautologie. Cela ne changera rien à la valeur essentielle de la structure qui est celle de présenter un argument en faveur de non-r (= q dans ce cas).
Et c’est selon les deux phases citées précédemment — construction et configuration polyphonique — qu’on va mener notre analyse, cette dernière est échantillonnée vu le nombre important de passages concessifs dans le corpus, donc, on va prendre quelques énoncés et en détailler leur analyse polyphonique suivant le cours de la ScaPoLine.
3. Analyse ScaPoLinienne de Djurdjurassique Bled
3.1. Objet d’analyse et humoriste
Notre choix du discours humoristique et plus précisément du spectacle Djurdjurassique Bled de Fellag est déterminé par le fait que ce type de discours apparait comme le reflet de la position que le locuteur occupe dans ce champ. De ce fait, le langage est perçu non seulement comme une forme d’agir sur l’autre en vue de le distraire ou le faire rire, mais comme un moyen véhiculant et visant autre chose que le rire au sens superficiel du terme. En outre, on ne peut dissocier un discours de son auteur ou des conditions dans lesquelles il est produit. Ainsi, l’auteur du spectacle humoristique, en tant qu’acteur social, est étroitement lié à la situation du pays auquel il appartient et duquel il se réclame. Pour Maurice Tournier, « Qui dit discours s’apprête (donc) à saisir les phénomènes de la langue en situation » (Tournier, 1996).
Le choix de Mohamed Fellag est motivé par la particularité de cet artiste, Mohammed Fellag, a l’avantage d’être un humoriste, mais aussi un bon « mécanicien » de l’art à plusieurs combinaisons (casquettes) : tout à la fois comédien et homme de théâtre, acteur de cinéma, romancier et nouvelliste. Cette polyvalence lui offre la possibilité de manier ses discours et, de là, à attribuer un caractère spécifique à son premier spectacle Djurdjurassique Bled où la langue dominante est le français. Ce spectacle a marqué le tournant de la carrière française de Fellag et lui a valu le grand prix Raymond Devos de la langue française le 17 mars 2003. De là, notre intérêt pour l’étude de l’aspect dialogique et les représentations polyphoniques dans ce discours humoristique est né à la suite de certaines observations que nous avions établies sur la façon polyphonique de mettre en scène diverses voix, personnages, points de vue et discours antérieurs dont faisait preuve Fellag2.
Se penchant sur l’analyse du discours humoristique en détectant les constructions linguistiques de la polyphonie, ce qui nous intéresse dans le cadre de notre étude, c’est à la fois la relation du sujet parlant à l’objet de discours qu’il met en mots, et aussi à la façon dont s’articulent les différentes voix dans ce discours humoristique. Cette démarche repose sur le fait que le discours est le lieu de la construction du sens, car on ne parle ni par mots ni par énoncés isolés. C’est à ce niveau que réside l’interaction entre l’actualisation d’un système linguistique et d’un ensemble de savoirs « déjà-là » d’un côté, et d’un autre côté, le mécanisme spécifique de construction et d’élaboration dans chaque énonciation, l’articulation entre la reprise du procédé et les déplacements de sens auxquels se livrent les locuteurs. Donc, les énoncés ne prennent sens que dans leur ancrage dans un contexte et des enchainements. Nous tenons compte de l’humour comme aspects et représentations polyphoniques, car c’est par l’humour que Fellag transforme et tend de remédier à ce qui pourrait apparaitre comme handicap : l’entre-deux langues et l’« entre-deux cultures », ce constat nous amène à remarquer que c’est en grande partie grâce à son ton polyphonique par excellence que Fellag est devenu une star très médiatisée dont l’impact sur le public est très important aussi bien en France qu’en Afrique du Nord. Donc, l’objectif principal assigné à ce travail est de démontrer comment Fellag implique le public moyennant toutes les composantes polyphoniques du discours humoristique en faisant éclater barrières, tabous et préjugés aussi bien sur le plan linguistique que culturel pour arriver à s’interroger socialement en construisant des ponts entre les deux rives de la méditerranée.
3.2. Les problèmes de la démocratie à l’origine du malheur algérien
Passage à analyser : Tout d’un coup, on a eu l’indépendance, mais on n’avait pas le mode d’emploi qui allait avec !
Ce premier énoncé est extrait du passage où le comédien énumère les causes qui ont fait couler l’Algérie et l’ont mise dans une situation de déséquilibre dans tous les domaines. Il représente une des hypothèses émises par une catégorie d’Algériens qui estiment que c’est à cause de l’absence du mode d’emploi dont les Algériens devraient se servir pour s’habituer à l’indépendance que l’Algérie se trouve dans une situation critique.
Pour bien expliciter les étapes de notre analyse, nous procédons à une présentation des symboles que nous allons utiliser :
P : On a eu l’indépendance.
Q : On n’avait pas le mode d’emploi qui allait avec !
R : Argument non déterminé et sous-entendu.
R : Argument implicite fonctionnant comme un pont qui assure la mise en opposition des deux arguments explicites P et Q.
Autrement dit, l’argument R est une entité de sens qu’il faut trouver lors du processus d’interprétation. On pourrait imaginer que le discours concerne l’intérêt que pourrait avoir l’interlocuteur à l’adaptation des Algériens à l’indépendance et à la liberté.
Dans cette interprétation, le troisième argument serait :
-
R : On pourrait s’adapter à l’indépendance et à la liberté.
En nous basant sur ces observations, nous proposons l’analyse polyphonique suivante de la fonction logico-sémantique de « mais » :
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P : On a eu l’indépendance.
Q : On n’avait pas le mode d’emploi qui allait avec !
R : On pourrait s’adapter à l’indépendance et à la liberté.
Les points de vue découlant de la fonction sémantico-logique du connecteur « mais » sont :
Pdv1 : [X] (VRAI (P)).
Pdv2 : [ON] (TOP (si P alors R))
Pdv3 : [l0] (VRAI (Q))
Pdv4 : [ON] (TOP (si P alors Non-R))
TOP signifie ce qui est généralement accepté comme vrai pour la doxa représentée par ON. Le X correspond à un être discursif autre que le locuteur L0 et qui assume la responsabilité du pdv1.
En transposant l’interprétation ScaPoLienne du connecteur « mais » explicitée ci-dessus sur notre énoncé, nous identifions les points de vue suivants :
Pdv1 : On a eu l’indépendance.
Pdv2 : On pourrait s’adapter à l’indépendance et à la liberté.
Pdv3 : On n’avait pas le mode d’emploi qui allait avec !
Pdv4 : On ne pourrait pas s’adapter à l’indépendance et à la liberté.
Pour comprendre l’énoncé à analyser, il nous a fallu trouver l’argument R en faisant appel au contexte. L’analyse de l’énoncé révèle que les Algériens considèrent dans le pdv1 qu’il est vrai qu’ils ont eu l’indépendance. Le locuteur de l’énoncé, Fellag, est d’accord avec ce point de vue. Dans le deuxième point de vue, selon l’opinion générale « On », on pourrait normalement s’adapter à la liberté étant donné qu’on a eu notre indépendance. Le « on » représente le souhait des Algériens qui songent à une nouvelle ère, celle d’une Algérie libre. Le locuteur textuel L qui renvoie à l’auteur du spectacle fait partie de ce « on ». Il s’ensuit que L0 adhère au pdv de ON. Car, selon une règle générale de la ScaPoLine, L0 accepte un pdv dont L assume la responsabilité.
Fellag annonce dans le troisième point de vue pdv3 que les Algériens n’avaient pas le mode d’emploi qui allait avec l’indépendance. Il affirme également dans le pdv4 qu’il est généralement vrai qu’on ne pourrait pas s’adapter à la liberté quand on n’a pas le mode d’emploi qui va avec.
Le résultat de cette structure complexe de l’énoncé analysé fournit un argument en faveur de l’idée qui stipule que les Algériens ne pourraient pas s’adapter à la liberté et à l’indépendance. C’est ce qui explique la situation du pays.
C’était la première fois dans l’Histoire que les Algériens voulaient s’unir. Mais comme disait Ibn Khaldoun, le grand historien et sociologue du Moyen Âge maghrébin : « Les Arabes se sont entendus pour ne pas s’entendre. »
Cet extrait du spectacle aborde le sujet de l’union des Algériens. Ces derniers voulaient s’unir en se mettant tous d’accord sur une seule cause de la situation actuelle dont souffre l’Algérie. Mais chaque catégorie avance une cause différente. L’humoriste présente cette mésentente par l’énoncé ci-dessus comportant le connecteur « mais ».
Nous analysons tout d’abord la structure polyphonique à travers les instructions et les indices linguistiques qui sont présents dans cet énoncé par le connecteur, « mais », la négation syntaxique « ne pas » et les guillemets.
Nous présentons les points de vue véhiculés par la structure polyphonique dans le schéma ci-contre. Pour ce qui est de l’argument implicite R, nous allons l’identifier dans la seconde étape de l’analyse, celle de la configuration :
La structure polyphonique analysée ci-dessus est indispensable, car elle véhicule les points de vue. Aussi, elle sert de pont et de base à la configuration polyphonique où nous répondrons à la question suivante, nécessaire pour saturer les points de vue non-saturés : qui est responsable des deux points de vue 1 et 2 ?
Pour y répondre, nous procédons à l’interprétation proprement dite. Selon la ScaPoLine, il y a trois sources. Notre tâche consiste à identifier ces sources qui constituent des images du locuteur Fellag. Ensuite, nous cernerons la nature des liens entre les êtres discursifs et les différents points de vue (lien de responsabilité ou de non-responsabilité).
Comme illustré dans la figure ci-dessus, il nous a fallu commencer par trouver l’argument R qui est comme suit :
-
R : Ils seraient unanimes concernant la cause de la situation de désarroi dans laquelle se trouve l’Algérie.
On passe maintenant au repérage des sources énonciatives de ces points de vue. On commence par chaque point de vue isolément des autres et dans l’ordre :
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Le premier point de vue pdv1 : la source X renvoie à l’ensemble des Algériens qui ont songé à s’unir et qui admettent « qu’il est vrai qu’ils voulaient s’unir » Bien que le locuteur de l’énoncé, Fellag, ne soit pas responsable de ce point de vue, il le reconnait comme vrai.
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Le deuxième point de vue pdv2 : il est associé à l’opinion générale où le topo (TOP) est une idée généralement acceptée dans une communauté linguistique donnée. Il stipule que, logiquement, les Algériens seraient unanimes concernant la cause de la situation de désarroi de leur pays. Le locuteur textuel L qui est Fellag, est inclus dans le « on » de ce point de vue.
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Le troisième point de vue pdv3 : le grand historien et sociologue du Moyen Âge maghrébin Ibn Khaldoun est le locuteur de l’énoncé. Son identité est exprimée à l’aide d’outils linguistiques annonçant le discours rapporté, les deux points et les guillemets. Ibn Khaldoun affirme que les Arabes se sont entendus pour ne pas s’entendre. En rapportant les propos d’Ibn Khaldoun, Fellag s’implique dans la responsabilité de ce point de vue.
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Le quatrième point de vue pdv4 : Fellag estime que les Algériens ne sont pas unanimes concernant la cause de la situation critique de l’Algérie puisqu’ils sont arabes. Selon Ibn Khaldoun, cité par Fellag, ces derniers se sont entendus pour ne pas s’entendre. Il est donc logique que les Algériens, arabes eux aussi, ne s’entendent pas concernant les causes du problème algérien.
Dans cette étape d’analyse, nous avons procédé à l’interprétation et à l’analyse discursive étant donné que nous avons cherché entre autres à identifier les différents êtres discursifs et nous les avons liés à d’autres êtres réels ou fictifs. Pour ce faire, nous avons fait appel aux indices linguistiques, au contexte dans le quel le spectacle a été produit ainsi qu’à sa thématique.
Le fruit de cette analyse polyphonique est de fournir un argument en faveur du renoncement par les Algériens à l’idée d’union et de l’abandon de leurs essais à avoir des opinions, des conceptions et des décisions communes.
3.3. La nature exceptionnelle des Algériens
Passage à analyser : Oui, c’est vrai, les êtres humains n’étaient pas là à l’époque des dinosaures, mais nos ancêtres les Berbères, si !
Le déclencheur de la polyphonie dans le passage ci-dessus réside dans l’emploi du connecteur « mais ». Le thème abordé dans cet extrait du spectacle est l’existence ancienne des Berbères qui remonte à l’époque des dinosaures.
Lors de la première phase de notre analyse, nous tentons de décortiquer la structure polyphonique de l’énoncé (P, mais Q) afin d’en extraire les deux arguments explicites, l’argument implicite à déduire ainsi que les quatre points de vue :
Nous abordons maintenant la seconde phase qui est celle de la configuration. Nous allons contextualiser les points de vue puisque l’interprétation nécessite la quête de l’identité des êtres discursifs qui assument la responsabilité des points de vue, c’est-à-dire que nous cherchons à saturer les variables qui sont les sources des points de vue tout en décelant la nature du lien liant ces deux derniers.
Prenons d’abord l’extrait et sa thématique. Il s’agit d’une séquence du spectacle où l’humoriste rapporte en premier le résultat des recherches de scientifiques concernant l’existence des êtres humains en prenant comme repère l’existence des dinosaures pour ensuite, tout en admettant ce qui précède, il avance l’idée que les êtres humains existaient bien avant les dinosaures.
Une fois le contexte et les indices linguistiques identifiés, on passe à la dernière étape de l’interprétation, où on va relier chaque point de vue à son être discursif tout en déterminant la nature du rapport les liant : responsabilité ou non-responsabilité.
Le premier point de vue pdv1 est structuré comme suit : [X] (VRAI (P)) En cherchant à identifier à qui renvoie le X, on s’aperçoit que la ponctuation du discours rapporté est l’indice linguistique faisant allusion à l’être discursif responsable de ce point de vue. En effet, les signes de ponctuation (: « … ») indiquent que ce sont les hommes de science qui entretiennent un rapport de responsabilité avec ce point de vue. Quant à Fellag, étant le locuteur de l’énoncé, il admet et reconnait la justesse de ce point de vue sans s’impliquer dans sa prise en charge.
Le second point de vue Pdv2 obéit à la structure suivante : [ON] (TOP (si P alors R)) Il stipule que si les êtres humains n’étaient pas là à l’époque des dinosaures, alors les Berbères étant des êtres humains, n’existaient pas non plus à l’ère des dinosaures. Le ON incarnant la source énonciative de ce point de vue regroupe l’ensemble des chercheurs axant leurs recherches sur l’existence des êtres humains en plus du locuteur Fellag qui soutient ce point de vue.
Le point de vue pdv3, construit par véridiction, est associé au locuteur. En effet, l’humoriste est responsable de ce point de vue soutenant que les ancêtres de Fellag, les Berbères, existaient déjà à l’époque des dinosaures.
Le dernier point de vue véhiculé par la structure polyphonique de l’énoncé étudié stipule qu’il est généralement vrai que les Berbères, tout en étant des êtres humains, font l’exception, car ils existaient à l’époque des dinosaures. Ce point de vue appartient au locuteur de l’énoncé.
3.4. La religion : sujet sacré chez les Algériens
Ana anwelli chrétien anaya ! Anaya ! Et voilà les problèmes ! Ham bdaw les problèmes ! Moi je vais devenir chrétien, moi ! Ah, baba ! Attention ! Ohhhhh ! Hop ! Ah, Ti touches ti touches… ti touches tout ! Mais ça yarham babak, ti touches pas !
Suite à l’accord conditionné du père français, la fille est partie demander à Mohammed d’embrasser le Christianisme afin qu’ils puissent se marier. Le passage ci-dessus est la réponse de Mohammed suite à cette condition. Celui-ci refuse qu’on touche à sa religion en employant le connecteur « mais » dans un énoncé où il dit à la jeune femme qu’il peut faire toutes les concessions possibles et qu’elle peut toucher à tout sauf à la religion, car cette dernière est sacrée.
On doit souligner que, vu qu’on a procédé à une transcription littérale du corpus, on a eu « ti touches tout » et « ti touches pas » qui signifient : « tu touches tout » et « tu ne touches pas » Dans notre analyse, on va utiliser la forme correcte du « tu » et aussi de la négation « ne… pas »
Notre étude porte sur le déclencheur de polyphonie qui est le connecteur « mais ». Pour ce faire, nous analysons l’énoncé concessif suivant :
« Tu touches tout ! Mais ça yarham babak, tu ne touches pas ! ».
Le connecteur « mais » interagit avec la négation pour créer une opposition à l’intérieur d’un paradigme. L’analyse ScaPoLinienne du connecteur « mais » met l’accent sur la spécificité de ce dernier qui a la particularité d’introduire trois arguments dont un est implicite dans le même énoncé le contenant.
L’analyse schématique de ce connecteur formule que sa fonction structurale se compose de trois arguments : P, Q et R. Avant de présenter ces derniers, il convient de déduire l’argument implicite R.
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R : est un argument exprimé implicitement qui fonctionne comme un pont assurant la mise en opposition des deux arguments explicites P et Q. Dans notre cas, nous pourrions imaginer que le discours concerne l’intérêt de la jeune femme à ce qu’il y ait une entente favorable pour qu’elle puisse se marier et être avec l’élu de son cœur. C’est pour cette raison qu’elle tente de convaincre Mohammed de trahir sa religion ; c’est la condition sine qua non pour que leur mariage ait lieu. Dans cette interprétation, le troisième argument de la fonction structurale du « mais » serait :
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R : Le jeune Mohammed serait prêt à toutes les concessions possibles afin d’épouser la femme qui lui assurera les papiers suisses.
On schématise les résultats de l’analyse comme suit :
.Source : (Hassani, 2018)
Dans le schéma ci-dessus, on a esquissé les résultats de l’analyse de façon qu’ils soient clairs et explicites pour le lecteur. La dernière étape qui nous reste pour finaliser cette analyse est celle de la configuration polyphonique. Lors de cette dernière, nous allons identifier les êtres discursifs responsables des points de vue et ce, en recourant au contexte ainsi qu’aux indices linguistiques porteurs de sens.
L’analyse polyphonique sous la fonction logico-sémantique du connecteur « mais » employé dans l’énoncé analysé indique que la jeune femme suisse considère qu’il est vrai qu’elle peut toucher à tout ce qui a trait à son bien-aimé Mohamed afin qu’ils puissent se marier. C’est donc elle la responsable de ce premier point de vue pdv1. Le locuteur de l’énoncé accepte le contenu de ce pdv1, mais il n’en assume pas la responsabilité. En outre, selon l’opinion générale ON, c’est normalement le cas où Mohammed serait prêt à toutes les conditions possibles pour épouser la Suisse. Le locuteur textuel Fellag fait partie de ce ON. Il s’ensuit que l0 adhère au point de vue de ON.
Le locuteur de l’énoncé qui est le jeune algérien émigrant en Suisse affirme qu’il n’en n’est pas question qu’il renonce à sa religion, sa bien-aimée pouvait toucher à tout sauf à ça. De ce fait, il avance qu’il est généralement vrai qu’un Musulman émigré pourrait tout accepter et renoncer à tout mis à part sa religion, car c’est ce qu’il a de plus cher. Le résultat de cette analyse polyphonique est en premier lieu de prouver que le « mais » est un connecteur polyphonique de par le fait que l’énoncé concessif véhicule plusieurs points de vue dont plusieurs êtres discursifs différents en sont responsables. En second lieu, le fruit de cette structure est que l’énoncé « Tu touches tout ! Mais ça yarham babak, tu ne touches pas ! » fournit un argument en faveur de la fidélité des jeunes musulmans à leur religion.
Conclusion
L’analyse polyphonique effectuée dans la présente analyse nous a permis d’identifier les différentes voix mises en œuvre dans notre corpus grâce à l’effet de la construction des énoncés concessifs comportant le connecteur, « mais » .
En effet, nous avons pu valider et confirmer notre hypothèse de départ selon laquelle le connecteur concessif « mais » est un marqueur polyphonique linguistique par excellence. Cette affirmation s’est effectuée par le biais de la théorie scandinave de la polyphonie linguistique et de ses lois qui donnent lieu à l’identification de maintes voix dans l’énoncé concessif.
La particularité du connecteur « mais » employé dans le spectacle Djurdjurassique Bled de Fellag est d’introduire trois arguments dont un est implicite, outre la prise de position et la voix de l’humoriste. En effet, dans l’analyse effectuée dans ce travail, a mis l’accent sur l’omniprésence du connecteur concessif « mais » et de sa particularité de susciter des voix autres que celle de Fellag et c’est ce qui a été à l’origine de notre questionnement.
Grâce à l’analyse du connecteur en question, nous sommes arrivés à la frontière entre la linguistique phrastique et l’analyse textuelle. Si la ScaPoLine peut traiter des connecteurs tel que « mais », c’est parce qu’il est possible d’interpréter les petits segments de textes examinés dans notre corpus comme formant des énoncés « enchâssés ». Cependant, la question s’impose : jusqu’où pourrons-nous aller. La ScaPoLine est construite comme une théorie de la structure de la phrase et, partant, de l’énoncé et de la construction linguistique de ce dernier. Et contrairement à la polyphonie littéraire, elle n’a rien à dire à propos de segments textuels plus étendus.
Enfin, en explorant et en examinant l’effet polyphonique produit par le connecteur « mais », nous avons pu décortiquer la construction des énoncés concessifs pour aboutir à une relation de « cause / effet » entre le « mais » et la polyphonie qu’il engendre linguistiquement.