Former au numérique : regards croisés d’enseignants d’Alger 2 sur un dispositif TICE à Constantine

التكوين في المجال الرقمي : رؤى متقاطعة لأساتذة جامعة الجزائر 2 حول برنامج « تكنولوجيا الإعلام والاتصال في التعليم » بجامعة قسنطينة

Preparing for Digital Teaching: Insights from Alger 2 University Lecturers on a TICE Training Initiative in Constantine

Amani Benyagoub

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Amani Benyagoub, « Former au numérique : regards croisés d’enseignants d’Alger 2 sur un dispositif TICE à Constantine », Aleph [En ligne], mis en ligne le 24 novembre 2025, consulté le 25 novembre 2025. URL : https://aleph.edinum.org/15089

La transformation numérique de l’enseignement supérieur en Algérie, fortement accélérée par la crise sanitaire liée à la COVID-19, a conduit les institutions à généraliser l’usage des TICE. Dans ce contexte, de nombreux enseignants nouvellement recrutés ont été inscrits d’office à des formations à l’enseignement hybride. Le présent article a pour objectif d’analyser les représentations que ces enseignants se font de cette formation et des pratiques qu’elle induit. Il s’agit de comprendre dans quelle mesure la formation reçue contribue réellement à transformer leurs pratiques pédagogiques.
L’étude s’appuie sur une série de quatre entretiens semi-directifs menés auprès d’enseignants de différentes disciplines, analysés selon une grille épilinguistique inspirée des travaux de Canut (1998). Les dimensions explorées concernent les contenus de la formation, l’usage des outils numériques, la conception de l’évaluation en ligne, et les contraintes institutionnelles perçues.
Les résultats révèlent une tension constante entre l’acquisition de compétences techniques durant la formation et leur transposition effective dans les pratiques d’enseignement. Parmi les freins identifiés figurent l’absence de suivi, les résistances collectives, les contraintes logistiques et l’inadéquation entre les objectifs de la formation et les réalités du terrain.
L’article conclut à la nécessité d’un accompagnement continu et contextualisé, fondé sur une compréhension fine des situations professionnelles vécues par les enseignants débutants. Il appelle à repenser la formation aux TICE comme un processus intégré, longitudinal et sensible aux contextes d’exercice.

عرف التعليم العالي في الجزائر تحوّلاً رقمياً متسارعاً، خاصة في أعقاب أزمة كوفيد-19، حيث بادرت الجامعات إلى تعميم استخدام تكنولوجيات الإعلام والاتصال في الممارسات البيداغوجية. وفي هذا السياق، تمّ إدراج عدد كبير من الأساتذة الجامعيين الجدد في دورات تكوين إلزامية حول التدريس الهجين. يهدف هذا المقال إلى تحليل تمثّلات هؤلاء الأساتذة لهذا التكوين ولممارسات التقييم المرتبطة به، سعياً لفهم مدى تأثيره على تصوراتهم وممارساتهم التدريسية الفعلية.

اعتمدت الدراسة على تحليل نوعي لأربع مقابلات شبه موجهة مع أساتذة من تخصصات مختلفة، بالاستناد إلى مقاربة إبيلغوية مستوحاة من أعمال كانو (Canut, 1998). ركّز التحليل على محاور تشمل مضامين التكوين، استخدام الأدوات الرقمية، تصوّرات التقييم الإلكتروني، والمعوقات المؤسساتية.

أظهرت النتائج وجود فجوة دائمة بين المهارات التقنية المكتسبة خلال التكوين وصعوبة تفعيلها عملياً، نتيجة غياب المتابعة، ووجود مقاومة جماعية، ومشكلات لوجستية، إلى جانب عدم ملاءمة أهداف التكوين لواقع الممارسات الجامعية.

وتخلص الدراسة إلى ضرورة إعادة التفكير في التكوين الرقمي كأساس لمشروع بيداغوجي مستمر ومراعٍ للسياقات. كما توصي بمرافقة فعلية ومؤسساتية للأساتذة الجدد، ترتكز على فهم معمّق لواقعهم المهني.

The digital transformation of higher education in Algeria, significantly accelerated by the COVID-19 pandemic, has led institutions to promote the use of ICT in teaching. Within this framework, many newly appointed university teachers were automatically enrolled in hybrid teaching training programs. This article aims to analyse how these teachers perceive the training and the pedagogical practices it promotes. It investigates to what extent the training has influenced their actual teaching behaviour.
The study is based on four semi-structured interviews conducted with instructors from various departments. These interviews were analysed using an epilinguistic framework inspired by Canut (1998), focusing on training content, digital tool use, assessment strategies, and perceived institutional constraints.
The findings highlight a recurring tension between the technical skills acquired during the training and their limited implementation in actual teaching practices. Several obstacles are identified, including lack of post-training support, collective resistance, logistical barriers, and a mismatch between training objectives and real classroom conditions.
The article concludes that ICT training should be reimagined as a continuous and context-sensitive process. It underscores the need for long-term institutional support grounded in a deep understanding of novice teachers’ professional contexts.

Introduction

Au lendemain de la pandémie mondiale due au virus Covid-19, et à la nécessité de se conformer à plusieurs épisodes de confinement ou de travail à distance, le ministère de l’Enseignement supérieur algérien s’est retrouvé face à l’obligation de redéfinir ses priorités et d’établir des choix pour favoriser le développement des moyens mis à la disposition des enseignants et des étudiants, afin de maintenir le contact entre ces différents acteurs. À ce titre, dans le cadre du programme d’accompagnement lancé par la tutelle (arrêté n° 932 du 28 juillet 2016), l’université Frères Mentouri Constantine 1 (UFMC1) a mis en place une stratégie de formation aux TICE (Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Enseignement) et aux pratiques pédagogiques, au profit des enseignants universitaires nouvellement recrutés, en vue d’assurer un enseignement répondant aux exigences du monde professionnel tel qu’il est actuellement orienté.

Cette formation obligatoire a pour objectif de permettre à l’ensemble des enseignants concernés de mieux maîtriser l’organisation d’un cours ainsi que les différents outils technologiques nécessaires à la conception et à la diffusion de ce cours sur différentes plateformes (Moodle, Edx), afin de parvenir à mieux appréhender l’enseignement et l’évaluation à distance.

Cet article vise à offrir un bref récit du déroulement de la formation. Nous cherchons avant tout à expliciter les perceptions et les représentations que se font les enseignants de l’université Alger 2 — plus précisément ceux de la faculté des langues, recrutés en avril 2021 lors de circonstances sanitaires particulières — quant à l’intérêt et à l’importance que revêt pour eux cette formation à l’enseignement et à l’évaluation à distance. Il s’agit d’interroger le terrain et de se questionner sur l’impact de cette formation sur les pratiques, notamment les procédures d’évaluation en ligne, mises en œuvre par ces enseignants après l’avoir suivie.

Nous allons amorcer « l’assemblage de nos observables » (voir Blanchet, 2012) en procédant à l’analyse des contenus de la formation, en particulier ceux relatifs à l’évaluation en ligne que les enseignants formés doivent établir. Par la suite, nous recourons à des entretiens semi-directifs pour recueillir les propos de nos témoins. Nous avons opté pour des questions centrées sur la formation et la mise en place de cours ou d’évaluation en ligne. Notre objectif est de relever les contraintes rencontrées par les enseignants lors de leur transition d’une évaluation en présentiel, à laquelle ils étaient habitués, vers une évaluation en ligne dans le cadre d’un enseignement hybride à travers des plateformes numériques comme Google Classroom, Edx ou Moodle.

1. Constitution du corpus

1.1 Présentation des contenus de la formation

Avant d’entreprendre un récit détaillé du déroulement de la formation, il convient d’expliciter les conditions dans lesquelles les enseignants ont pris connaissance de celle-ci. Nouvellement recrutés, dans un contexte sanitaire particulier (pandémie mondiale due au virus Covid-19 et nécessité de se conformer à plusieurs épisodes de confinement ou de travail à distance), les enseignants avaient rapidement saisi l’intérêt que revêt l’enseignement à distance. Soucieux de maintenir un contact constant avec l’ensemble des étudiants (eux-mêmes parfois « novices », car récemment inscrits en première année universitaire), ils ont été amenés à se tourner vers l’ensemble des techniques pédagogiques et informatiques permettant de poursuivre cet objectif ambitieux que l’enseignement universitaire s’était fixé.

Ainsi, notre analyse des contenus se fera à travers une lecture des supports de formation, toujours en vigueur, convient-il de le souligner. Il s’agit d’identifier les éléments proposés aux enseignants formés afin de permettre la mise en œuvre de cours et/ou d’évaluations en ligne, notamment sur la plateforme numérique Moodle de l’université Alger 2.

1.1.1 Organisation et objectifs de la formation

Le guide de formation détaillé, soumis par courriel aux enseignants, précise que la formation est perçue comme « une innovation techno-pédagogique qui vise à développer chez nous (enseignants-chercheurs formés) des compétences dans le domaine des technologies éducatives ». Ce même guide indique que la formation aux TICE et aux pratiques pédagogiques permet de développer des compétences techniques et didactiques utiles à un enseignement hybride. Il s’agit principalement de proposer des démarches susceptibles de faciliter l’intégration des TICE dans les pratiques pédagogiques, ainsi que des mécanismes propres à la pédagogie universitaire permettant d’assurer un enseignement en ligne adapté aux exigences actuelles.

Pour illustrer ces propos, nous référons aux compétences détaillées dans le guide (Belhani, 2021 : 3)  :

« La compétence “SMART” se manifeste à travers ce qui suit  : scénariser un cours pour un enseignement hybride / mettre un cours en ligne / accompagner les étudiants en ligne / réguler les pratiques pédagogiques / transférer les acquis. »

Par ailleurs, la formation vise un ensemble d’objectifs précis. Elle permet la conception d’un cours adapté à un enseignement hybride, l’amélioration des pratiques pédagogiques des enseignants formés, et l’initiation aux divers mécanismes de la pédagogie universitaire, aussi bien en enseignement à distance qu’en présentiel. En se référant au guide (Belhani, 2021 : 4), les objectifs suivants sont recensés :

  • Maîtriser une chaîne éditoriale pour la production de documents pédagogiques ;

  • Structurer pédagogiquement un cours ;

  • Éditer correctement les objectifs globaux, spécifiques et intermédiaires ;

  • Différencier l’approche par objectifs de l’approche par compétences ;

  • Connaître différentes méthodes pédagogiques ;

  • Adopter diverses formes d’évaluation ;

  • Définir les critères de qualité d’une évaluation ;

  • Identifier les étapes de conception d’un dispositif de formation en ligne ;

  • Analyser un dispositif d’enseignement en ligne ;

  • Organiser le travail collaboratif ;

  • Concevoir un scénario pédagogique ;

  • Maîtriser la plateforme Moodle ;

  • Maîtriser la plateforme de montage de Mooc sur Edx ;

  • Produire des vidéos pédagogiques ;

  • Introduire les TIC dans le processus d’évaluation ;

  • Comprendre les fonctions d’un tuteur en ligne ;

  • Réguler le processus d’enseignement par une pratique réflexive.

1.1.2 Dispositif de mise en œuvre technique

Concernant le déroulement pratique de la formation, il convient de préciser que les enseignants étaient tenus de gérer eux-mêmes le téléchargement et l’installation, à partir de la plateforme de l’université Constantine 1, de logiciels tels que  : Vue, Opale, LibreOffice.

Ils devaient ensuite manipuler le logiciel Opale de manière à concevoir l’intégralité des contenus de leur cours (avant-propos, introduction, deux chapitres, références bibliographiques), générant ainsi plusieurs formats  : papier (LibreOffice ODT, PDF) et Web.

Il convient de noter que, bien qu’il soit difficile d’expliciter toutes les étapes de mise en ligne et d’organisation des cours sur la plateforme, les enseignants étaient tenus d’inclure obligatoirement les sections suivantes :

  • Description du module : avant-propos ;

  • Espace de discussion : forums et débats ;

  • Fiche contact et modalités d’évaluation ;

  • Objectifs généraux ;

  • Prérequis et pré-test ;

  • Plan et conception du cours : chapitres en version PDF, format SCORM, espaces de discussion, lectures complémentaires, liens utiles ;

  • Test intermédiaire (Quiz) : questions rédactionnelles, QCM, QCU, textes à trous ; les étudiants devaient cocher, rédiger ou lier ; les réponses étaient automatiquement affichées et notées ;

  • Test final : travail de rédaction ;

  • Références bibliographiques.

Par ailleurs, les enseignants étaient invités à produire deux vidéos pédagogiques :

  1. une vidéo brève de présentation du cours (about video),

  2. une vidéo plus longue développant un aspect du cours (vidéo pédagogique).

Pour chacune, ils devaient rédiger un script, insérer des animations, assurer le montage, puis publier le tout sur une chaîne YouTube dédiée. Les liens (ID) des vidéos devaient ensuite être déposés dans l’espace prévu sur la plateforme de formation, puis intégrés dans l’espace de conception de la plateforme Open Edx Studio.

À la lumière de ces éléments, il importe désormais de questionner la manière dont les enseignants perçoivent la formation suivie, ainsi que sa mise en pratique réelle dans leurs cours.

1.2 Gestion des entretiens semi-directifs

En nous intéressant au discours épilinguistique des enseignants témoins, nous mettons en évidence les éléments de la formation qu’ils retiennent. Notre objectif n’est pas de leur demander d’exposer en détail l’ensemble des contenus de la formation, mais de comprendre ce que leurs discours révèlent en termes de représentations : attentes, habitudes, pratiques pédagogiques.

Ainsi, pour cerner les représentations des enseignants de la faculté des langues de l’université Alger 2, nous avons eu recours à des entretiens semi-directifs, menés auprès de quatre enseignants, tous recrutés en avril 2021, période à laquelle l’enseignement à distance ou hybride s’est imposé. Ces enseignants travaillent dans différents départements (français, anglais, italien). Nous avons structuré les questions autour de thèmes définis, consignés dans un guide d’entretien, en nous appuyant sur deux axes préalablement délimités :

  1. La formation aux TIC et aux pratiques pédagogiques pour un enseignement hybride ;

  2. La conception de l’évaluation dans le cadre d’un enseignement hybride.

Les propos des enseignants, recueillis lors des entretiens par le biais d’un enregistrement audio, ont été transcrits avant d’être soumis à analyse.

2. Présentation analytique des entretiens

Nous avons procédé à l’analyse des propos recueillis, en les organisant selon des thématiques récurrentes identifiées dans les discours épilinguistiques de nos témoins. Par ailleurs, toutes les notions soulignées et en gras dans le texte renvoient à des critères d’analyse du discours épilinguistique établis dans l’article de Canut (1998 : 69-90). Ces critères ont été retenus et mobilisés lors de notre lecture-analyse des discours, puis répertoriés en fonction des traits communs suivants :

2.1 Représentations des enseignants formés quant aux contenus de la formation en ligne

À partir des réponses des enseignants aux questions relatives à leur profil (diplôme en informatique, date de recrutement, années d’expérience dans l’enseignement supérieur), nous pouvons constater que les profils divergent, notamment en ce qui concerne la maîtrise des outils informatiques. Il sera donc intéressant de voir, à la fin de cette analyse, si l’enseignante E2, qui maîtrise moins l’outil informatique et exprimait des attentes vis-à-vis de la formation, a obtenu les réponses et les apports attendus.

2.1.1 Apports de la formation : aide, apprentissage et solidarité

Les enseignants s’accordent sur l’utilité de la formation. Ils insistent sur son caractère ludique et instructif, et précisent qu’elle a constitué une véritable aide pédagogique ainsi qu’une source d’apprentissage :

E1 : ça m’a aidé à mettre mon cours en ligne / c’était facile / on a appris des choses qu’on ignorait.

E2 : ça concernait surtout la conception d’un cours sur une plateforme sur Moodle / donc ça tournait surtout autour de ça / c’est-à-dire maîtriser le maximum de logiciels pour rendre le cours plus attractif… on a utilisé plusieurs logiciels / c’était Opal et le dernier c’était Edx // l’étudiant est censé trouver sur la plateforme le cours qu’on donne en classe / et effectivement ça m’a beaucoup aidée / même pour élaborer ma fiche.

Il ressort de ces témoignages que les contenus de la formation étaient suffisamment riches pour que les enseignants en retiennent plusieurs étapes. Toutefois, ils insistent sur l’importance de la solidarité entre collègues, affirmant qu’ils se sont entraidés tout au long du processus.

À travers ces énoncés, on perçoit une tension implicite : les enseignants semblent avoir davantage appris grâce à des ressources alternatives (vidéos YouTube, entraide) que par le biais du guide officiel (PDF) mis à disposition sur la plateforme de l’université de Constantine. Cela suggère que l’accès à l’information et la gestion autonome du contenu de la formation n’étaient pas toujours aisés.

L’analyse conjointe des interventions d’E1 et d’E2 permet de dégager plusieurs lignes de force quant à la manière dont les enseignants perçoivent, s’approprient et évaluent la formation reçue. L’enjeu central tourne autour de deux dimensions complémentaires : l’acquisition de compétences techniques et l’importance du collectif dans l’expérience de formation.

Il ressort de ces observations trois constats :

  1. Appropriation technique et valeur pragmatique de la formation

  • Les propos d’E1 sont brefs, assertifs, et orientés vers l’efficacité perçue de la formation : « ça m’a aidé… », « c’était facile », « on a appris… ». Il s’agit d’une posture de bénéfice immédiat, exprimée à travers une évaluation succincte, mais résolument positive. L’usage du on (vs. je) indique une projection sur le collectif, mais sans détailler ni différencier les profils ou les parcours. La forme reste globale et peu circonstanciée.

  • E2, à l’inverse, déploie un discours plus dense, structuré et circonstancié, orienté vers la nature des contenus (Moodle, OPAL, EdX), mais aussi vers leur transposition concrète dans la pratique professionnelle : « l’étudiant est censé trouver… », « même pour élaborer ma fiche ». Cette formulation montre que la formation ne se réduit pas à un apport technologique : elle est intégrée dans une stratégie pédagogique plus large. La fonction instrumentale des outils est alors mise en lien avec les attentes des étudiants, ce qui témoigne d’un positionnement réflexif.

  1. La solidarité comme moteur invisible de réussite : Le second segment, centré sur la solidarité entre collègues, marque un glissement d’une analyse technico-pédagogique à une éthique du collectif. Le pronom nous devient sujet de l’action : « ce qui nous a aidés… », « s’il n’y avait pas cette solidarité… ». L’enseignant E2 introduit une dimension affective, relationnelle et horizontale, soulignant que la réussite de la formation n’est pas uniquement due aux contenus, mais aussi à la dynamique d’entraide.
    L’anecdote sur Nouredine Azzam joue un rôle de narration héroïque locale, en valorisant une figure tutélaire qui permet à ses pairs de progresser. L’expression finale « grâce à lui on n’aurait rien terminé », renforcée par le rire (R), constitue un acte de gratitude, mais aussi une forme d’humour autocritique : elle atténue la dépendance tout en soulignant l’importance de relais informels dans les parcours d’apprentissage.

  2. Énonciation et subjectivité : entre individualisation et co-construction : Sur le plan énonciatif, l’extrait illustre une tension constante entre l’individuel et le collectif. Les locuteurs naviguent entre « je », « on » et « nous », ce qui reflète une polyphonie énonciative (Bakhtine, Authier-Revuz). L’expérience est à la fois subjective (impact personnel) et intersubjective (partagée dans un groupe), ce qui fait écho à la notion de co-construction de sens en situation (Kerbrat-Orecchioni).

E2 : ce qui nous a aidés / je pense qu’on n’aurait pas terminé notre formation s’il n’y avait pas cette solidarité entre enseignants / et même y avait un enseignant aussi / eee comment il s’appelait / Nouredine Azzam / il a fait une chaîne YouTube spécialement pour les enseignants qui (G) eee qui suivent cette formation / grâce à lui, on n’aurait rien terminé (R).

Cet extrait révèle une double dynamique propre aux formations numériques en contexte universitaire :

  • d’un côté, une appropriation technique active intégrée dans les gestes professionnels (avec reconnaissance des outils et transfert vers la pratique) ;

  • de l’autre, une valeur sociale implicite fondée sur la coopération, l’exemplarité entre pairs et l’auto-organisation des enseignants.

La parole recueillie donne ainsi accès à une représentation située, ancrée dans le vécu de formation, où les ressources techniques n’opèrent que par médiation sociale, et où l’efficacité perçue repose autant sur les relations humaines que sur le dispositif institutionnel.

2.1.2 Gestion du temps et organisation des activités

Les enseignants expriment, à travers la répétition de certains motifs discursifs, un ressenti ambivalent : la formation leur apparaît riche et formatrice, mais également source de stress et de surcharge. Ils évoquent un manque de temps pour assimiler les contenus et accomplir les tâches demandées :

E1 : le contenu était assez riche et intéressant / mais on était limité par le temps / et par la préparation des cours aussi / chaque semaine il fallait poster un cours qui serait évalué / c’était stressant / on avait une nouvelle version, des choses / mais ce n’était pas faisable de solliciter des enseignants à la dernière minute / c’est vrai qu’on a des difficultés parfois quand on ne maîtrise pas certaines choses (G).

E2 : mais ce n’était pas une formation destinée à notre spécialité / parce que c’était une formation commune à toutes les personnes qui ont été recrutées / donc elle visait un seul axe : comment encourager cette formation hybride ou à distance / mais on apprend sur le terrain par expérience / il fallait être à la base bonne en informatique.

E3 : les délais impartis / qui pouvaient être courts face aux autres obligations hebdomadaires de préparation des cours // non / la formation ne répond pas à toutes nos attentes / le côté pratique en présentiel aurait été largement apprécié / par exemple le volet des cartes mémoire.
E4 : on n’a pas reçu la formation qu’il faut dans le domaine de l’informatique et de la pédagogie / nous étions livrés à nous-mêmes.

Malgré ces difficultés, les enseignants affirment avoir compris l’intérêt de supports techniques, comme la vidéo pédagogique, jugée attractive, mémorable et motivante. Ils reconnaissent cependant qu’ils ne disposent ni des compétences techniques ni des moyens technologiques (montage, animation) nécessaires pour les réaliser efficacement.

E2 explique que les consignes données lors de la formation étaient trop concises et inadaptées à des débutants. N’ayant pas bénéficié d’un accompagnement suffisant, elle déclare avoir dû apprendre seule à utiliser des logiciels complexes (Adobe Premiere Pro, Magix Video Pro X, Final Cut Pro X, etc.) dont l’accès nécessite en plus des achats. Faute de ressources, elle s’est finalement rabattue sur un logiciel plus simple (Bandicam), conseillé par une collègue.

Les enseignants interrogés effectuent une forme d’évaluation critique des contenus de la formation. Ils témoignent d’un sentiment de précipitation, d’une absence d’apprentissage technique solide, et d’un décalage entre les attentes pédagogiques et les moyens réels mis à disposition.

Ce troisième segment met en évidence un basculement dans la tonalité énonciative, où les témoignages prennent un relief plus critique, centré sur les limites perçues du dispositif de formation. Trois axes saillants structurent ces représentations.

    1. Une reconnaissance partielle entachée de contraintes structurelles : L’intervention de E1 commence par une évaluation modérément positive : « le contenu était assez riche et intéressant » — formulation modalisée (assez), révélant une satisfaction nuancée. Toutefois, cette appréciation est immédiatement contrecarrée par une série de plaintes pragmatiques : limites temporelles, stress, mise en ligne hebdomadaire, nouveaux outils imprévus. Cet enchaînement de contraintes traduit une désorganisation ressentie, renforcée par l’usage d’énoncés impersonnels (il fallait, ce n’était pas faisable), qui dépersonnalisent la charge imposée tout en renforçant son poids normatif.
      L’énoncé final de E1 : « on a des difficultés parfois quand on ne maîtrise pas certaines choses (G) » constitue une auto-diagnose prudente, marquée par une atténuation (parfois, certaines choses), mais aussi par une gestualité implicite (G) signalant un inconfort assumé.

    2. Une critique ouverte du dispositif et de ses angles morts : Les propos de E3 renforcent cette tension. L’usage de la négation brute « non » suivi de « la formation ne répond pas à toutes nos attentes » produit un effet de rejet direct, rare dans les corpus de formation. Ce tour abrupt est immédiatement compensé par une proposition constructive : « le côté pratique en présentiel aurait été apprécié ». On passe ici d’une critique à une formulation de besoin, ce qui évite le repli dans la plainte pure et engage une forme de suggestion implicite de réajustement (manque de présentiel, de manipulation d’outils, comme les cartes mémoire).
      Le vocabulaire utilisé renforce l’idée que la formation ne permet pas un ancrage opérationnel immédiat : elle reste abstraite, déconnectée du rythme hebdomadaire réel des enseignants.

    3. Un sentiment d’abandon pédagogique et technique : Les deux interventions suivantes — E4 puis E2 — explicitent un ressenti d’isolement structurel. E4 exprime une critique nette et condensée : « on n’a pas reçu la formation qu’il faut… nous étions livrés à nous-mêmes ». Il s’agit ici d’un reproche collectif (on, nous), sans détour, qui accuse une faille institutionnelle dans la transmission des compétences numériques et pédagogiques.

De son côté, E2 nuance cette critique en déplaçant le problème vers la cible de la formation : « ce n’était pas destiné à notre spécialité ». Par cette justification, le locuteur opère une recontextualisation structurelle : la formation était générique, indifférenciée, donc inadaptée. L’échec ou la difficulté n’est pas imputée à l’individu, mais au modèle de formation uniformisé.
Enfin, la dernière phrase — « il fallait être à la base bonne en informatique » — constitue une critique implicite du présupposé institutionnel : le dispositif semble reposer sur une compétence supposée, et non formée, ce qui marginalise les enseignants moins aguerris. L’expression « à la base » renforce cette idée d’exclusion par défaut.

Ce troisième extrait révèle des représentations marquées par :

    • Une surcharge cognitive et logistique, liée à une exigence hebdomadaire peu compatible avec les obligations régulières ;

    • Un ressenti d’inadéquation de la formation, jugée trop généraliste et peu opérationnelle

    • Une demande implicite de formation ciblée et en présentiel, qui combine apport technique, accompagnement, et interaction réelle.

La tonalité dominante est donc celle d’un manque de reconnaissance des réalités professionnelles et d’une fragilité dans l’ingénierie de la formation, perçue comme excluante pour les profils moins formés en informatique. Ce corpus appelle ainsi à une reconception inclusive des dispositifs hybrides, prenant en compte la diversité des profils, des rythmes et des besoins des enseignants concernés.

2.2 Conception de l’évaluation en ligne par les enseignants formés

Nous avons interrogé les enseignants quant à leur perception de l’élaboration de l’évaluation en ligne. Les réponses permettent d’identifier deux moments distincts dans leur rapport à l’évaluation :

  • un moment « pendant la formation »,

  • un moment « après la formation ».

Cette distinction souligne une évolution dans les pratiques : des évaluations intégrées aux modules de formation dans un cadre prescrit, puis un retour à des pratiques présentielles une fois la formation achevée.

2.2.1.Pendant la formation

Durant la période de formation, les enseignants expliquent avoir appris à mettre en place différents types d’activités d’évaluation. Ils étaient tenus de varier les exercices proposés en ligne afin de valider leur atelier de formation :

E1 : j’ai varié les activités / comme QCM / c’était amusant / il y avait aussi le type à choix multiples / réponses courtes / vrai ou faux / la rédaction surtout pour les 3es années / je posais une question de réflexion afin qu’ils puissent répondre en rédaction.

E2 : c’était des QCM / c’était des QCU / euh voilà / je pense qu’on avait ces trois types d’activités / voilà c’était ça / voilà les QCU et QCM et les exercices à trous / c’était une technique qu’il fallait faire eee sur la plateforme / sinon on pouvait aussi faire des activités / mais on m’y obligeait à diversifier.

Ces propos laissent penser que la variété des activités découle davantage d’une obligation imposée par la formation que d’un choix pédagogique librement assumé. En dehors de ce cadre contraint, certains enseignants déclarent préférer envoyer des sujets de rédaction par mail plutôt que de proposer des QCM sur la plateforme.

Ils soulignent également le désintérêt manifeste des étudiants pour la plateforme Moodle, ceux-ci préférant recourir au courrier électronique ou aux réseaux sociaux pour accéder aux contenus ou rendre leur travail.

L’extrait met en lumière :

    • Une hétérogénéité lexicale (QCM/QCU, trous, rédaction…), signe d’une typologie d’activités en construction ;

    • Des marqueurs de subjectivité modalisée (je pense que, amusant…), typiques de discours épilinguistiques (Canut, Kerbrat) ;

    • Une tension récurrente entre initiative personnelle (E1) et imposition institutionnelle (E2, on m’y obligeait) ;

    • La présence de marqueurs de désengagement épistémique (je pense que, voilà…), révélateurs d’un positionnement incertain, mais réflexif.

2.2.2 Après la formation

Une fois la formation terminée, les enseignants interrogés se montrent unanimes : ils ne recourent plus à la diversité des outils d’évaluation en ligne. Ils affirment que l’évaluation en présentiel est redevenue la norme dans leurs pratiques :

E3 : les activités d’évaluation en ligne sont loin de révéler le véritable niveau des étudiants / pour la facilité qu’ils s’octroient dans la recherche de l’information / (ce n’est plus un travail personnel) / il me semble que rien ne remplace l’évaluation en présentiel / encore faut-il que les salles de cours et les amphithéâtres soient exploités dans la juste limite de leur capacité d’accueil / pour ne pas retomber dans le piège du travail collectif (G) (…) / sous forme de tests / mais la majeure partie des étudiants ne s’est jamais connectée / donc obligation de les recevoir par mail… / maintenant je le fais en présentiel / en ligne / c’est soit du plagiat / soit de l’intelligence artificielle.

E2 : la formation / elle est conçue aussi pour un profil complètement différent / et pour des conditions différentes hein / c’est-à-dire que ce qu’on apprend dans la formation / il n’est pas 100 % applicable / pourquoi ? / la formation elle travaille sur le système LMD / le système LMD / c’est-à-dire on est censé avoir des groupes de 25 / avec des groupes de 25 vous arrivez à les corriger / c’est-à-dire à les rassembler déjà en ligne.

Les enseignants ajoutent spontanément que l’évaluation en ligne est désormais quasiment abandonnée. Au fil de leur discours, ils élargissent leur critique à l’ensemble de l’enseignement à distance, préférant un retour aux méthodes dites traditionnelles, où l’ensemble des activités (cours et évaluations) se déroulent en présence :

E1 : j’ai essayé / mais ça n’a pas marché / je n’avais pas trop le choix / c’était décourageant / je faisais la théâtralisation des cours / et j’adore faire ça / c’est intéressant en présentiel / mais pas à distance.

E2 : honnêtement j’adore faire les cours en présentiel / je déteste le cours en ligne / je déteste faire les choses en ligne (R) / non, mais c’est incroyable (R) / j’adore être dans une salle de euh de cours / et travailler directement avec mes étudiants.

Ces deux temporalités — le pendant la formation et la post-formation — rappellent que les représentations sont dynamiques et situées. Blanchet, Moore et Asselah-Rahal (2009 : 10) rappellent à juste titre que :

« L’hétérogénéité des représentations et des comportements humains et sociaux est primordiale, à tel degré que tous sont situés et ne sont compréhensibles que dans les situations, dans les contextes donc, où ils se développent, y compris de façon apparemment paradoxale ou chaotique. »

La contextualisation des réticences exprimées par les enseignants ainsi que leurs représentations clairement formulées montrent que ces dernières évoluent au fil des expériences. Le regard initialement positif porté sur les dispositifs de formation aux TICE se transforme, dans la pratique quotidienne, en une mise à distance de ces outils, jugés trop éloignés des réalités matérielles, institutionnelles ou culturelles de leur contexte d’enseignement.

Ce dernier extrait constitue un tournant discursif : il témoigne d’un désengagement progressif vis-à-vis de l’enseignement et de l’évaluation en ligne, souvent jugés peu fiables, voire contre-productifs. Le rejet du numérique comme modalité centrale ne s’exprime pas uniquement en termes techniques, mais affectifs, institutionnels et pédagogiques.

  1. Un discrédit fort porté sur les évaluations en ligne : L’intervention de E3 ouvre sur un jugement cinglant : « les activités d’évaluation en ligne sont loin de révéler le véritable niveau ». Le recours à l’expression « loin de » exprime une distance évaluative radicale, doublée d’une mise en cause de la validité du travail personnel : « ce n’est plus un travail personnel ». L’orateur installe ainsi une vision du numérique comme facteur de déperdition éthique, en raison des facilités offertes par Internet (copié-collé, IA, etc.).
    Il émet une réserve sur la faisabilité logistique : les problèmes de salles, d’amphis, de connexion et d’accès induisent un basculement contraint vers d’autres formes (tests, mails, etc.), mais sans efficacité. Le glissement vers le plagiat ou l’IA traduit une inquiétude nouvelle, très actuelle, qui minore la valeur du numérique comme outil d’évaluation fiable.
    La conclusion : « maintenant je le fais en présentiel » n’est pas anodine : elle marque une rupture nette avec les pratiques en ligne, dans une perspective de réappropriation éthique et pédagogique.

  2. Un écart croissant entre modèle de formation et réalité du terrain : L’intervention de E2 prolonge ce constat en adoptant un ton plus sociotechnique : « la formation est conçue pour un profil complètement différent ». L’usage de complètement renforce l’idée d’un décalage structurel, renforcé par la critique implicite des présupposés du système LMD. Le locuteur dénonce la disjonction entre le cadre de la formation et les conditions effectives dans lesquelles les enseignants évoluent.
    Ce point est capital : il souligne que le rejet du numérique ne vient pas d’un conservatisme technophobe, mais d’un malaise structurel face à un modèle plaqué, inadapté à des contextes massifiés, surchargés, non stabilisés.

  3. L’affectivité au cœur de la représentation du présentiel : Les interventions finales de E1 et E2 s’ancrent dans une subjectivité forte. E1, d’abord, relate un échec personnel : « j’ai essayé / mais ça n’a pas marché », mais bascule vite vers une déclaration de plaisir professionnel : « j’adore faire ça ». La « théâtralisation du cours » fonctionne comme métaphore du don de soi pédagogique, incompatible avec l’écran.
    E2 renforce cette subjectivité : les verbes « j’adore », « je déteste » sont répétés plusieurs fois, jusqu’à la formulation caricaturale volontaire : « non, mais c’est incroyable (R) ». Le rire final ne masque pas l’intensité émotionnelle du propos, mais en atténue le ton normatif, comme une manière de dédramatiser un rejet pourtant ferme.
    Ce rejet ne concerne pas tant la technologie en soi que la médiation distante, désincarnée, artificielle qu’elle impose. La salle de classe y est réhabilitée comme lieu de contact, d’échange vivant, de spontanéité.

Ce corpus révèle un glissement d’une critique technique vers une critique existentielle : le numérique ne serait pas seulement inadapté aux contraintes d’enseignement, il anéantirait les conditions sensibles de la transmission.

Les enseignants ne rejettent pas la technologie par principe, mais au nom d’un attachement viscéral à une pédagogie incarnée, dans un cadre interactif qu’ils considèrent comme plus éthique, plus vrai, plus efficace.

En filigrane, cette séquence appelle une revalorisation des pratiques présentielles, ou du moins une hybridation maîtrisée, dans laquelle les enseignants restent acteurs de la modalité, et non exécutants d’un modèle imposé.

3. Synthèse des perceptions des enseignants formés

Les enseignants interviewés semblent partager une vision relativement homogène de la formation reçue. Tous affirment avoir suivi avec assiduité les différents modules, mais soulignent la difficulté à se projeter dans des pratiques pérennes d’enseignement hybride. Autrement dit, s’ils reconnaissent avoir acquis un ensemble de compétences techniques, ces dernières n’ont que peu modifié leurs habitudes professionnelles, restant peu transférées dans les usages ordinaires.

Trois facteurs majeurs ressortent de leurs discours pour expliquer ce décalage.

3.1. Le caractère contraint et précipité de la formation

Les enseignants rapportent avoir été inscrits d’office à la formation, sans explication claire ni préparation en amont. L’assimilation rapide de contenus techniques complexes dans un délai restreint a engendré un sentiment de surcharge cognitive, de démotivation et de désengagement initial.

E2 : au début / on nous a dit qu’on allait suivre une formation / on n’a pas été avertis au préalable / du coup y avait des enseignants qui étaient démotivés / d’autres qui n’étaient pas à jour / et moi j’ai senti que c’était très dense / je voulais suivre, mais c’était beaucoup.

Ce verbatim met en lumière le tiraillement entre obligation institutionnelle et désir d’investissement personnel. L’alternance entre la voix collective (« on ») et la subjectivité assumée (« je ») souligne la tension ressentie. Le déséquilibre entre volonté d’implication et conditions de mise en œuvre a sapé l’efficacité de l’entrée en formation.

3.2. L’absence de suivi post-formation

Une fois les modules achevés, les enseignants ont été laissés sans accompagnement ni espace d’échange ou de consolidation des acquis. Cette rupture brutale entre temps de formation et temps professionnels a entraîné un désengagement rapide.

E1 : une fois qu’on a eu notre attestation / c’était terminé / on s’est débrouillés / moi j’ai arrêté de faire des vidéos / c’était trop compliqué.

La construction « c’était terminé / on s’est débrouillés » exprime une forme d’abandon institutionnel. Le refus de continuer à produire du contenu vidéo témoigne d’un renoncement concret, révélateur de la fragilité des acquis lorsqu’ils ne sont pas intégrés dans une stratégie pédagogique durable ni soutenus collectivement.

3.3. Le faible ancrage de la culture numérique dans l’univers académique

Plusieurs enseignants évoquent un environnement professionnel peu favorable à l’innovation. Le clivage entre volonté individuelle de changement et normes collectives figées est ici clairement formulé.

E4 : moi j’ai envie de changer / mais quand j’en parle avec les autres / ils trouvent que ça sert à rien / ils veulent juste finir le programme / même si les étudiants ne comprennent pas / ce n’est pas grave / ils préfèrent la méthode classique.

Ce témoignage illustre la pression du conformisme pédagogique. Le discours rapporté (« ils trouvent que ça sert à rien ») révèle une norme implicite de reproduction, où l’on préfère achever le programme plutôt que garantir la compréhension. La critique ne porte donc pas seulement sur les outils numériques, mais sur un habitus professionnel résistant à toute reconfiguration.

Sur le plan discursif, on note une opposition entre un « je » désireux de changement et un « ils » collectif perçu comme immobile. Le locuteur E4 construit son énonciation sur le mode de la dissociation : son désir personnel d’innovation se heurte à l’inertie de ses collègues. L’usage du discours rapporté et du présent de vérité générale (« ils veulent juste finir… ») installe un système normatif stable, peu perméable à la transformation.

La répétition de la conjonction de coordination « même si… ce n’est pas grave… » montre que la transmission du savoir est ici subordonnée à une logique d’achèvement formel. L’enseignement est réduit à une obligation programmatique, au détriment de la compréhension réelle. Cette réduction est incompatible avec les objectifs d’une pédagogie numérique ou hybride fondée sur l’adaptation, l’interactivité, et la réflexivité.

Ce fragment révèle une situation de résistance partielle au changement, bien connue dans les processus d’innovation en contexte institutionnel. La formation, perçue comme imposée, non accompagnée, et peu valorisée, n’a pas produit les effets escomptés.

En somme, les obstacles à l’appropriation durable de l’enseignement hybride ne relèvent pas tant de la qualité des modules que de l’environnement professionnel, encore marqué par :

  • une surcharge administrative,

  • un manque d’équipement,

  • une faible reconnaissance institutionnelle de l’investissement pédagogique,

  • et une culture dominante peu sensible à l’hybridation ou à l’expérimentation.

C’est dans cet écart entre compétences acquises et contexte de travail réel que se loge le hiatus entre formation et transformation.

Conclusion

Au terme de cette étude, il ressort de cela que la formation suivie par les enseignants interrogés a été globalement bien accueillie, en particulier parce qu’elle a permis de prendre conscience de certaines évolutions pédagogiques liées au numérique. Elle a offert aux enseignants une première expérience structurée de l’enseignement hybride, en mettant à leur disposition des ressources, des outils, et des cadres d’évaluation nouveaux.

Cependant, cette réception globalement positive ne masque pas une série de limites importantes :

  • le caractère contraint de la formation, imposée sans concertation ni diagnostic préalable ;

  • la surcharge cognitive et logistique générée par les délais serrés et le manque d’accompagnement individualisé ;

  • le défaut d’ancrage durable des outils numériques dans les pratiques enseignantes réelles ;

  • le retour rapide à des méthodes présentielles, perçues comme plus efficaces ou mieux adaptées au contexte matériel local.

L’ensemble des représentations exprimées par les enseignants témoins converge vers une interrogation centrale : comment adapter les ambitions pédagogiques nationales et institutionnelles aux réalités concrètes des enseignants débutants ? Cette question invite à penser la formation non comme un moment ponctuel, mais comme un processus longitudinal, réflexif et accompagné, prenant en compte les résistances, les trajectoires individuelles, et les contextes d’exercice.

En ce sens, la posture de recherche adoptée ici — attentive au discours épilinguistique, au contexte et aux tensions latentes — permet de dépasser une simple évaluation fonctionnelle de la formation. Elle autorise une lecture critique, ancrée dans les pratiques, et soucieuse de proposer des pistes pour un renforcement durable de la culture numérique universitaire, en lien avec les réalités professionnelles des enseignants.

Dimension

Facteur bloquant

Effet perçu

Citation associée

Institutionnel

Absence de suivi

Démotivation

« On s’est débrouillés »

Technique

Complexité des contenus

Abandon

« J’ai arrêté les vidéos »

Culturel

Normes pédagogiques figées

Résistance passive

« Ils trouvent que ça sert à rien »

Belhani, A. (2019). *Canevas de rédaction d’un portfolio dans le cadre de la formation aux TICE et pratiques pédagogiques*. Université Frères Mentouri Constantine 1.

Belhani, A. (2021). *Guide de formation aux TIC et pratiques pédagogiques au profit des enseignants universitaires nouvellement recrutés : guide d’accompagnement*. Université Frères Mentouri Constantine 1.

Blanchet, P., Moore, D., & Asselah-Rahal, S. (2009). *Perspectives pour une didactique des langues contextualisée : Pourquoi s’interroger sur les contextes en didactique des langues ?* Archives contemporaines / Agence universitaire de la Francophonie (AUF). (Publié initialement en 2008)

Blanchet, P. (2012). *La linguistique de terrain : Méthode et théorie. Une approche ethnolinguistique de la complexité*. Presses universitaires de Rennes.

Canut, C. (1998). Pour une analyse des productions épilinguistiques : Imaginaires linguistiques en Afrique. Dans *Actes du colloque : Attitudes, représentations* (pp. 69–90).

Castellotti, V., & Moore, D. (2002). « Représentations sociales des langues et enseignements ». Dans *Guide pour l’élaboration des politiques linguistiques éducatives en Europe : De la diversité linguistique à l’éducation plurilingue*. Étude de référence, DGIV, Strasbourg.

Culioli, A. (1990). « La linguistique : de l’empirique au formel. » Dans Pour une linguistique de l’énonciation. Opérations et représentations (Tome 1, pp. 9–46). Ophrys. (Travaux originaux en 1968)

Pendanx, M. (1998). *Les activités d’apprentissage en classe de langues*. Hachette FLE.

Annexe 1 — Présentation synthétique de l’échantillon interrogé

Tableau récapitulatif : Expérience d’enseignement et formation en informatique

Enseignant·(e)

Expérience dans le domaine de l’enseignement

Formation en informatique

Enseignante 1 (E1)

Oui, enseignement en vacation à l’université (3 ans)

Oui, maîtrise de l’outil informatique

Enseignante 2 (E2)

Oui, enseignement au CEM (12 ans)

Maîtrise partielle de l’outil informatique — difficultés exprimées : formation jugée insuffisante et outils trop complexes

Enseignante 3 (E3)

Oui, enseignement en vacation à l’université (3 ans)

Oui, maîtrise de l’outil informatique

Enseignante 4 (E4)

Aucune

Aucune

Annexe 2 — Guide d’entretien (version corrigée)

Les objectifs de l’entretien sont présentés au préalable : il s’agit de recueillir les représentations, impressions et expériences des enseignants ayant suivi la formation aux TICE proposée par l’Université de Constantine pendant plus de sept mois. Les répondants sont invités à s’exprimer librement.

Questions d’ordre général

Ces données sont prises en compte pour l’analyse des entretiens :

Possédez-vous un diplôme en informatique ?

À quelle date avez-vous été recruté(e) ?

Avez-vous une expérience préalable dans l’enseignement supérieur ? Si oui, précisez la durée.

Axe 1 – Formation aux TIC et pratiques pédagogiques pour un enseignement hybride

Dans quel cadre et à quelle période avez-vous suivi cette formation ?

Quels étaient les objectifs et les contenus principaux de la formation ?

Quels éléments de la formation vous ont semblé particulièrement utiles ? Pourquoi ?

Sur quelles plateformes numériques avez-vous été formé(e) à publier vos cours ? Lesquelles utilisez-vous aujourd’hui ?

Avez-vous rencontré des difficultés lors de la mise en ligne de vos cours ? Si oui, lesquelles ?

Dans quelle mesure la formation a-t-elle répondu à vos attentes ?

Quelles difficultés avez-vous rencontrées au cours de la formation ?

Selon vous, quels aspects auraient mérité un approfondissement ou un traitement plus adapté ?

Axe 2 – Conception de l’évaluation dans un enseignement hybride

Avez-vous été formé(e) à concevoir des évaluations en ligne ? Si oui, à quels types d’activités ?

Quels types d’évaluations avez-vous mis en œuvre pendant la formation ? Sur quelles plateformes ?

Comment concevez-vous aujourd’hui vos évaluations en ligne ? Quelles plateformes et quelles modalités privilégiez-vous ?

Utilisez-vous des prétests pour évaluer les prérequis des étudiants ? Quelles activités proposez-vous à cette étape ?

Quels types d’évaluations proposez-vous en fin de chapitre ou de module ?

Quels supports ou plateformes utilisez-vous pour diffuser ces évaluations ?

Comment recevez-vous les travaux des étudiants ?

Mettez-vous en place un accompagnement ou une remédiation à la suite des évaluations ? Pourquoi ?

Quelles difficultés rencontrez-vous lors de la réception ou de la correction des copies en ligne ?

Pensez-vous que les formats d’évaluation proposés lors de la formation sont adaptés à vos étudiants (notamment à Alger 2) ?

Selon vous, est-il pertinent de maintenir l’usage de l’évaluation en ligne ? Pourquoi ?

Annexe 3 — Conventions de transcription

/ : pause brève

// : pause longue

(eee) : hésitation marquée

(R) : rire

(G) : gêne ou inconfort

[…] : ajout du chercheur

… : troncature volontaire

Annexe 4 — Tableau de codage interactionnel (extrait)

Locuteur

Extrait

Acte de langage

Subjectivité

Stratégie

Interprétation

E1

on s’est débrouillés

Constat d’abandon

on

Disqualification institutionnelle

Sentiment d’abandon

E2

c’était très dense

Évaluation subjective

je

Justification du malaise

Surcharge cognitive

E4

ils trouvent que ça sert à rien

Critique indirecte

ils

Rapport de tension

Norme de reproduction pédagogique

Annexe 5 — Extraits de corpus (verbatim annoté)

E2 : au début / on nous a dit qu’on allait suivre une formation / on n’a pas été avertis au préalable / du coup y’avait des enseignants qui étaient démotivés / d’autres qui n’étaient pas à jour / et moi j’ai senti que c’était très dense / je voulais suivre, mais c’était beaucoup.

E1 : une fois qu’on a eu notre attestation / c’était terminé / on s’est débrouillés / moi j’ai arrêté de faire des vidéos / c’était trop compliqué.

E4 : moi j’ai envie de changer / mais quand j’en parle avec les autres / ils trouvent que ça sert à rien / ils veulent juste finir le programme / même si les étudiants ne comprennent pas / ce n’est pas grave / ils préfèrent la méthode classique.

Annexe 6 — Facteurs perçus comme obstacles (synthèse)

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