Processus de re-création du mythe des fileuses

Ecriture et filage dans Puisque mon cœur est mort de Maissa Bey

OUALI Imane.

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OUALI Imane., « Processus de re-création du mythe des fileuses », Aleph [En ligne], 7 (2) | 2020, mis en ligne le 11 août 2020, consulté le 29 mars 2024. URL : https://aleph.edinum.org/2575

Cet article s’intéresse au mythe des fileuses très présent dans l’imaginaire antique. Le corpus que nous avons choisi nous semble réinvestir ce mythe en présentant plusieurs de ses figures. Ainsi, Philomèle, Pénélope et les trois moires tissent la trame narrative accompagnant le personnage principal qui se retrouve en chacune d’elle. L’étude examine aussi la cyclicité du récit et les temps de l’écriture.

ملخص : تركز هذه المقالة على أسطورة المغازل الموجودة في الخيال القديم. يبدو أن المجموعة التي اخترناها تعيد استثمار هذه الأسطورة من خلال تقديم العديد من أرقامها. وهكذا، فيلوميل، بينيلوب، أريان والأثواب الثلاثة نسج المؤامرة السردية المصاحبة للشخصية الرئيسية الموجودة في كل منها. تبحث الدراسة أيضًا في دورية القصة وأوقات الكتابة.

This article focuses on the myth of spinners very present in the ancient imagination. The corpus we have chosen seems to reinvest this myth by presenting several of its figures. Thus, Philomèle, Pénélope, Ariane and the three moires weave the narrative plot accompanying the main character that is found in each of them. The study also examines the cyclicity of the story and the times of writing.

Introduction

Le mythe est le catalyseur de l’imaginaire humain. Il permet au surnaturel de surgir et de se fondre dans la normalité. Ainsi, d’après Durand, « La littérature et spécialement le récit romanesque sont un département du mythe ». ((Durand 1961 :12)

Initiée par ce dernier dans les années soixante-dix, la mythocritique entre dans le cadre de la nouvelle critique. C’est un champ d’étude très vaste, inépuisable pour les écrivains et les critiques. Elle s’attaque à l’imaginaire humain qui selon Durand, serait édifié par des mythes fondamentaux, originels, présents dans toute œuvre romanesque. Elle représente un pont qui met en relation un texte littéraire et un mythe donné. Elle cherche dans un texte les traces et les éléments mythiques (mythèmes) qui y sont disséminés par l’auteur. Le mythe est donc le sujet principal de la mythocritique.

Parmi ses définitions les plus célèbres, citons (Mircea Eliade 1963 :14) : « Le mythe est une réalité culturelle extrêmement complexe, qui peut être abordée et interprétée dans des perspectives multiples et complémentaires. » On retrouve dans cette définition, la première explication du mythe et sa première fonction. Eliade, parle de « réalité culturelle », le mythe est donc le résultat de cette évidence culturelle, et se construit avec un imaginaire culturellement dirigé. Les êtres humains édifient des mythes pour expliquer leurs conditions et leurs situations. Eliade met en évidence la capacité d’interprétations diverses que peut revêtir le mythe. Aussi, dans un autre passage, il rapporte clairement cette tendance à l’évolution, il note : « La majorité des mythes grecs ont été racontés et, par conséquent, modifiés, articulés … ». (Eliade 1963 :13) 

Le mythe n’est donc pas statique, il est dynamique et en permanente variation. Il revêt également une autre caractéristique des plus importantes : sa sacralité « Le mythe est considéré comme une histoire sacrée, et donc une ‘‘ histoire vraie’’, parce qu’il se réfère toujours à des réalités. » (Eliade 1963 :16) 

Un des supports pour la création mythique est la littérature. En effet, nous avons croisé au cours de l’Histoire littéraire de grands personnages qui se sont directement élevés au rang de personnages mythique, « Ni l’histoire, ni le réel ne sont en eux-mêmes mythiques. Ils peuvent cependant le devenir ». ( Ferrier-Caveriviere 1988 : 02.)

Le professeur Philippe Sellier se pose la question du récit devenant mythe : « Quel est le seuil à partir duquel un récit atteint une complexité suffisante pour accéder, éventuellement, à la dignité de mythe littéraire ? » (Sellier 1984 :123.)

Le mythe est inhérent à toutes les cultures et civilisations. Chaque groupe humain se caractérise par un imaginaire qui lui est propre et qui lui permet de construire et d’expliquer sa réalité. Mais avec le temps et l’influence des civilisations entre elles, le mythe ne se cantonne plus à une certaine région ou pays. En effet, il devient universel à l’exemple des mythes gréco-latins, qui aujourd’hui sont connus et exploités partout dans le monde.

Le mythe voyage et donc le mythe féminin aussi. Nous avons remarqué l’abondance des études sur ce dernier en littérature. La femme et les représentations qu’elle peut avoir ont toujours été un sujet captivant. Nous avons trouvé d’innombrables mythes et analyses liés à celles-ci. Depuis Eve, Pandore et Gaia, en passant par Phèdre, la figure de la sirène, Hyppolyte, Médée, La Kahena, Pocahontas, Nedjma et même Maryline Monroe, le mythe féminin fait rage. Tantôt mythe de la mère, mythe de la femme idéale, mythe de la femme sauvage, mythe de la femme réelle et tantôt mythe de la femme fatale, mythe de la femme patrie, le féminin fait l’objet de toutes les appellations. Tous les aspects de celui-ci sont disséqués, analysés et étudiés. Les femmes maghrébines ne font pas exception à cette frénésie mythificatrice, Ahlem MOSTAGHANEMI parle dans son ouvrage Femmes et écritures des différentes représentations qu’a la femme dans les écrits maghrébins. Nous retrouvons aussi dans un article intitulé Deux mythes féminins du Maghreb : la Kahina et Aïcha Kandicha deux grandes figures de la culture maghrébine, devenues mythes :

« Deux figures féminines qui traversent l’histoire culturelle du Maghreb ont marqué leur époque par leur personnalité extraordinaire et leurs actes fabuleux au point d’en devenir des mythes par les symboles qu’elles transmettent : la Kahina et Aïcha Kandicha. » (Douider 2012)

Notre corpus intitulé Puisque mon cœur est mort est le cinquième roman de l’auteure Maissa BEY, il a été publié en avril 2010 aux éditions Barzakh. Il aborde l’une des périodes les plus sombres de l’Histoire algérienne, la plus sanglante et assassine.

Puisque mon cœur est mort nous plonge dans la folie meurtrière qui a embrasé l’Algérie durant les années noires. Le roman met en scène Aida, professeur d’anglais à l’université, qui après avoir perdu son seul et unique enfant (Nadir), assassiné par un islamiste, sombre dans une lente descente aux enfers. Aida est meurtrie et inconsolable, cette tragédie l’a consumée. Elle s’abandonne, n’a plus envie de vivre, n’a plus de raison de vivre, elle déclare : « Je n’ai plus rien à perdre, puisque j’ai tout perdu, puisque mon cœur est mort ». (Bey 2010 : 86) Cependant, après avoir vu la photo du meurtrier de son fils, elle décide de se venger. Et pour encore se raccrocher à la vie et ne pas mourir tout à fait, elle écrit chaque soir, dans un cahier d’écolier des lettres à son fils disparu : « Chaque soir, j’avance à tâtons sur la page pour tracer le chemin qui me mène à toi ». (Bey 2010 : 39) Elle y conte sa solitude, la vie sans lui et son immense douleur :« Je n’ai pas allumé de feu. Mais j’étais bien près de me consumer… ». (Bey 2010 : 114) Elle lui expose aussi son terrible projet de vengeance. Elle s’isole, se renferme dans son affliction, rejette les autres, leurs règles, exècre la morale sociale, elle qui si longtemps a essayé d’entrer dans le moule. Et plus que tout, elle s’insurge contre cette loi du silence, cette omerta qui veut bâillonner sa douleur.

A travers cette étude sur Puisque mon cœur est mort de Maissa Bey (2010), nous allons essayer de détecter le mythe des fileuses qui nous semble réinvesti dans le texte. Notre but serait de tenter de voir comment filage et écriture se rejoignent et dans quelle mesure le personnage principal de l’œuvre retenue se retrouve dans la figure mythique de la fileuse.

Dans un premier temps, nous étudierons les fileuses et les mythèmes qui nous mènent à elles. Ainsi, Philomèle, Pénélope et les trois moires seront investies dans notre étude.

Dans un second temps, nous nous référerons aux temps dits « sacrés » du filage pour le lier aux temps sacrés de l’écriture. Nous verrons comment de fil en aiguille, le mythe des fileuses tisse sa toile sur le texte de Maissa Bey.

1. Les fileuses

1.1. Philomèle

Le mot texte vient du grec textus, qui signifie tisser. Ecrire, est-ce tisser ? A ce propos :

« Le fil a opéré, à lui seul, comme une seconde entrée en écriture du mythe des fileuses. Les nombreuses expressions du fil qui émaillent le français, autant que les actualisations mêmes des fileuses, assurent la filiation entre le fil de la parole et l’écriture ». ( Liborel 1988 : 631)

Le fil donc, initialement fil de la fileuse, devient à travers les nombreuses expressions du français fil de la parole qui devient écriture. « A tâtons, je déroule le fil. Pour te rejoindre. Mais aussi pour ne pas laisser jaillir le cri ». (Bey 2010 : 118) « Ce n’est qu’au point du jour que j’ai réussi à retrouver le fil » (Bey 2010 : 116), ou encore lit-on : « De lui à moi, un fil tendu. J’aiguise ma haine sur ce fil. J’avance sur ce fil. » (Bey 2010 : 180.)

Aida écrit pour son fils afin de toujours communiquer avec lui, pour garder le contact. Elle ne veut pas le laisser, elle ne veut pas qu’il la laisse.

Les occurrences au mythe de Philomèle nous semblent présentes dans notre corpus. Ainsi, notre narratrice communique elle aussi avec son fils. Elle lui écrit, tout comme Philomèle a tissé pour avertir sa sœur. Le tissage communicatif dans le mythe se meut en écriture dans notre roman.

« L’histoire des deux filles du roi d’Athènes Pandion est racontée par Ovide. Procné, donnée comme épouse au prince thrace Térée qui lui a fait un fils, Itys, se languit de sa sœur tendrement aimée Philomèle. Térée se charge de la lui amener, mais en chemin, il viole la jeune fille et lui coupe la langue pour l’empêcher de parler. Philomèle avertit Procné en tissant son horrible aventure. Pour se venger, les deux sœurs tuent Itys, le servent cuisiné à son père et s’enfuient. Tous sont métamorphosés en oiseaux : Philomèle en hirondelle, Procné en rossignol, Térée en huppe et Itys en roitelet. » (Leduc 2010)

Le tissage chez Philomèle a la même vertu chez Aida. Celle du contact : « Chaque soir j’avance à tâtons sur la page pour tracer le chemin qui me mène à toi. » (Bey 2010 : 39) Les deux communiquent avec l’autre, difficile à joindre. Pour Aida l’obstacle est la mort, pour Philomèle, l’obstacle est l’enfermement et la mutilation. Les deux n’ont plus la capacité de parler. Elles ne peuvent communiquer que par ces actes qui sont le tissage et l’écriture et qui ne font qu’un. « Le fil tordu par la fileuse métaphorise les roulades de sa « voix » et le tissage est « un tissu textuel » où se donnent à voir la vie, le mode d’action et l’être profond de la tisseuse. » (Leduc 2010) Ainsi, le tissage en sa vertu de tissu textuel constitue lui-même un texte.

Nous nous intéresserons, dans la parie qui suit au mythe odysséen qui nous semble investit dans la narration.

1.2. Pénélope 

Il nous semble retrouver le mythe d’Ulysse dans le texte. En effet Aida tout comme Pénélope, femme d’Ulysse qui tisse en attendant son bien aimé, écrit en se représentant son fils. Nadir et Ulysse sont ceux qui manquent, les absents, nous retrouvons des occurrences à ce manque de l’autre chez Aida : « Je t’écris pour défier l’absence » (Bey 2010 : 19) ; « Il n’y a plus d’odeurs de vie dans la maison puisque tu n’es plus là pour les sentir, les deviner ». (Bey 2010 : 72)

Ulysse manque aussi à son royaume : « Pour Pénélope, qui l’attend depuis si longtemps, pour Télémaque, qui est parti à sa recherche, pour les prétendants qui festoient en se disputant à la fois Quelqu’un et personne. » (Brunel 1992 : 63.)

Aida écrit non pas en attendant, mais en se lamentant de la perte de son fils, elle effectue chaque soir tout comme pénélope un ouvrage qui leur permet de garder contact avec l’absent. L’une chaque soir tisse, l’autre chaque soir écrit : « Chaque soir, j’avance à tâtons sur la page pour tracer le chemin qui me mène à toi ». (Bey 2010 : 39) « Avant de venir te retrouver ce soir ». (Bey 2010 : 42)

Il y a dans le roman des mythèmes qui nous mènent sur la piste du mythe d’Ulysse :

  • L’écriture pour Aida et le tissage chez pénélope. Toutes deux font ces activités pour se rapprocher de l’absent et se protéger de la folie (pour Aida) ou du mariage forcé (pour Pénélope). L’écriture et le tissage sont pour toutes deux un moyen de libération. Aida se libère de ses idées, elle fait son deuil et Pénélope se libère du devoir qu’elle a de se remarier et ainsi de donner un nouveau roi à Ithaque, tisser et détruire chaque soir son ouvrage lui permet de garder sa liberté.

  • L’élément de l’attente, Pénélope attend son époux et Aida attend la libération, la vengeance et la mort. La narratrice écrit : « Euh… j’attends…non, je regarde passer le temps. ».

  • Ulysse pourrait être Nadir, celui qui est parti, qui n’arrive pas à rentrer. Pénélope a toujours espoir, mais Aida n’a rien à quoi se raccrocher. « Reprendre le fil. Te confier les plus intimes de mes pensées. Retisser avec toi la trame des jours un instant rompue ». (Bey 2010 :19.)

Ainsi, le mythe Odysséen est investi dans notre corpus. Aida est à la recherche du fils perdu, comme pénélope est à la recherche du mari disparu. Nadir et Ulysse sont les absents qu’on appelle chaque soir.

1.3. Les moires

« Il y a trois temps pour faire un fil, et le corps doit s’adapter en trois gestes ou actes différents à cette division technique. C’est la complémentarité des temps et des gestes de filer, qui, dans le mythe des fileuses, donnerait au chiffre trois sn caractère magico-religieux. Trois séquences et postures pour annoncer l’état d’achèvement, de totalité, de perfection ». (Liborel 1988 : 615.)

Le filage passe donc par trois temps et trois périodes. Le chiffre trois revêt une dimension sacrée.

Le symbole ultime des fileuses est sans aucun doute les moires qui sont au nombre de trois : « Elles sont au nombre de trois, trois sœurs. Ensemble, elles président à la destinée des hommes : Clotho file le fil de leur vie, Lachésis distribue les âmes et Athropos, qui coupe le fil, est la plus terrible. Selon Hésiode, elles poursuivent les criminels de leur colère. » (Hesiode) Ce sont elles qui symbolisent les trois phases de la vie des Hommes. La naissance, la vie et la mort. Le nombre trois, très symbolique se trouve dans la narration. L’écriture de Aida passe par trois temps. Celle de la folie : « Je sais qu’en parlant de moi, on hésite entre deux adjectifs. Meskina ou Mahboula. La pauvre ou la folle. Tout compte fait, je préfère le second : je ne veux pas être l’objet de leur pitié ». (Bey 2010 : 53) Celle de la haine : « j’ai la haine » (Bey 2010 : 108) déclare-t-elle en pensant à l’assassin de son fils. Et enfin, celle de la vengeance : « Regarde cette main qui trace ces mots sur la plage. Cette main qui tremble. Cette main qui a tué. » (Bey 2010 : 179)

Aussi, le récit commence avec la description de la mort et finit par la description de la mort également. Il nous semble voir là un élément de l’écriture cyclique qui tourne et se retourne pour finir par revenir à son thème de départ.

Ainsi, la cyclicité dans notre corps est présentée par l’intrigue qui assume la même thématique au début et à la fin : celle de la mort inéluctable. Il y a naissance, vie et mort. La trinité des phases de Aida correspondent la trinité des moires. Elles sont trois et président à la destinée humaine.

Un autre élément reliant notre narratrice aux moires nous semble présent, la vengeance. Les moires sont vengeresses, elles vengent les crimes impunis. Le mythème de la vengeance fait partie des caractéristiques de notre personnage principal. Le meurtre de son fils demeure impuni, elle veut restaurer elle-même la justice. Les moires celles qui réparent les injustices. « Les Moires établies dans un temps et un ordre très anciens sont déesses de la loi ». (Liborel 1988 : 623) Aida déclare : « Rien ne pourra entamer mon désir de te venger, mon exigence de justice. » (Bey 2010 : 162)

Le destin est un terme qui revient souvent dans le récit. « Voilà donc comment se définit le destin. Inexorable. Impitoyable. Tout est écrit ». (Bey 2010 : 170) Ainsi, la narratrice le maudit, essaie de s’en accommoder et en reprend le fil. Aida reprend son destin au fil de l’écriture. Cette dernière l’aide à replacer sa destinée. Elle écrit /file son destin. « Je suis à présente maitresse de mon destin. » (Bey 2010 : 69) Les moires sont les maitresses de tous les destins, Aida s’assimile à elles en étant maitresse du sien. « Au fuseau ou à la quenouille, elles filent le destin des hommes. (Liborel 1988 : 620)

2. Temps « sacrés » du filage et temps « sacrés » de l’écriture

Il y a dans le monde mythique, religieux et métaphysique des temps ou des lieux qu’on qualifie de sacré. C’est une dimension où l’humain ordinaire n’a pas sa place, il s’agit de transcender notre monde pour accéder à ces lieux et à ces temps où : « Le sacré se manifeste toujours comme une réalité d’un tout autre ordre que les réalités « naturelles ». » (Eliade 2012 :16.)

Le sacré se manifeste lors des fêtes religieuses où les mythes sont invoqués par des rites et des cérémonies, Eliade remarque à ce propos :

« L’homme religieux vit ainsi dans deux espèces de Temps, dont la plus importante, le Temps sacré, se présente sous l’aspect paradoxal d’un Temps circulaire, réversible et récupérable, sorte d’éternel présent mythique que l’on réintègre périodiquement par le truchement des rites. » (Eliade 2012 :64.)

Le profane est un autre temps ordinaire et banal, celui qui s’écoule quotidiennement et qui ne contient aucune signification symbolique.

« Pas plus que l’espace, le Temps n’est pour l’homme religieux, homogène ni continu. Il y a les intervalles de Temps sacré, le temps des fêtes (en majorité, des fêtes périodiques) ; il y a d’autre part, le Temps profane, la durée temporelle ordinaire dans laquelle s’inscrivent les actes dénués de signification religieuse. Entre ces deux espèces de Temps, il existe, bien entendu, une solution de continuité ; mais, par le moyen des rites, l’homme religieux peut « passer » sans danger de la durée temporelle ordinaire au Temps sacré. » (Eliade 2012 :63.)

Le temps sacré est la période dans laquelle est raconté le mythe. Il est : « périodiquement réactualisé dans les religions pré-chrétiennes (surtout dans les religions archaïques), est un Temps mythique, un temps primordial, non-identifiable au passé historique (…) » (Eliade 2012 :66.)

Si nous assimilons le filage et l’écriture, il nous semble entrevoir le temps sacré dans notre texte lors du temps de l’écriture. En effet, ces deux actes similaires se passent le soir et revêtent une symbolique qui leur est propre. « …contes et légendes, font du soir à la nuit tombée des moments de prédilection. La femme, seule ou avec d’autres femmes file au coin du feu… » (Liborel 1988 : 618) Les fileuses filent la nuit.

« Les fileuses, durant les veillées où elles filent, hors du champ du regard de l’homme, parlent, évoquent, chantent. Ce sont des pratiques qui inquiètent et fascinent. A filer tout le temps, la fileuse se construirait la possibilité de s’introduire dans un autre monde. Est-ce celui du sacré qui se tiendrait toujours au-delà du monde profane ? » (Liborel 1988 : 617)

Aida écrit la nuit « Chaque soir j’avance à tâtons sur la page pour tracer le chemin qui me mène à toi. » (Bey 2010 : 39) Il nous semble donc évident que le temps de l’écriture, tout comme celui du filage, est sacré.

La nuit est le temps où ces actes qui revêtent une caractéristique métaphysique se passent. Dans l’ombre du soir, les mains se délient et les êtres accèdent au sacré.

Conclusion

Il nous semble avoir détecté dans notre corpus une présence mythique. Les références aux mythes des fileuses sont disséminées à travers toute la narration. Le mythe de Philomèle qui tisse pour communiquer sa détresse à sa sœur nous semble relié à l’action d’écrire que maintient Aida chaque soir, pour communiquer, elle aussi sa détresse à son fils.

Les mythes de Pénélope serait aussi investi dans la narration. En effet, cette dernière communique avec l’aimé. Il nous semble retrouver Aida dans la figure de Pénélope qui tisse en attendant son Ulysse et en défiant son absence. L’analyse du mythe Odysséen participe à la confirmation de l’environnement mythique du texte. Le chiffre trois, présent dans la narration à travers trois grandes étapes que traverse la narratrice confirme la présence des trois moires fileuses. Ces dernières ont prêté leur vertus à Aida.

La détermination de la valeur temporelle dans le récit confirmerait l’ambiance mythique disséminée par l’auteur. Le temps sacré de l’écriture, relié aux temps sacrés du filage, serait un temps guérisseur, il est celui qui délivre la narratrice de l’immense douleur qu’elle ressent.

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BRUNEL, Pierre. 1992. Mythocritique, théorie et parcours . Paris : Puf.

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OUALI Imane.

Université Alger 2

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