Travelling odonymique du centre historique d’Alger : Bab El Oued, la Casbah, Alger centre

جولة أودونيمية في المركز التاريخي لمدينة الجزائر : باب الوادي، القصبة، وسط الجزائر

An Odonymic Survey of Algiers’ Historic Centre : Bab El Oued, the Casbah, and Central Algiers

Réda Sebih

p. 263-289

Réda Sebih, « Travelling odonymique du centre historique d’Alger : Bab El Oued, la Casbah, Alger centre », Aleph, 263-289.

Réda Sebih, « Travelling odonymique du centre historique d’Alger : Bab El Oued, la Casbah, Alger centre », Aleph [], 25 December 2025, 31 December 2025. URL : https://aleph.edinum.org/15675

Cette contribution tente de mettre en évidence le rapport entre la toponymie officielle et la toponymie locale. Il s’agit d’étudier, au moyen d’une enquête pluridimensionnelle, les aspects sociolinguistiques et géographiques de la signalétique, sous ses différentes formes, dans l’espace algérois, plus précisément dans le centre historique d’Alger. L’analyse sera centrée sur les langues utilisées dans les deux signalétiques locales et officielles, ainsi que sur l’impact de ce choix sur les identités des uns et des autres.

تحاول هذه المساهمة تسليط الضوء على العلاقة بين أسماء المواقع الجغرافية الرسمية وأسماء المواقع الجغرافية المحلية. الهدف هو دراسة الجانب الاجتماعي اللغوي والجغرافي للافتات بأشكالها المختلفة، من خلال تحقيق متعدد الأبعاد في منطقة الجزائر العاصمة، وبشكل أدق في المركز التاريخي لمدينة الجزائر العاصمة. سيركز التحليل على اللغات المستخدمة في كل من اللافتات المحلية والرسمية ولكن أيضًا على تأثير اختيار هذه الأخيرة على هوية المدينة.

This contribution highlights the relationship between official and local toponymy. It's about studying, through a multidimensional survey the sociolinguistic and geographical aspect of signage in its different forms in the Algerian area, more precisely the historic center of Algiers. The analysis will focus on the languages ​​used in the two local and official signs and also on the impact of the choice of the latter on the identities of each others.

Introduction

Dilué dans la masse urbaine, le centre historique d’Alger est difficile à circonscrire ; il l’est plus encore à parcourir d’un bout à l’autre, tant ses limites demeurent mouvantes. En fin de compte, il existe autant de « centres historiques » que de circuits — ou de moyens de transport — empruntés.

Les trois noyaux de la ville (cités dans le titre) concentrent chacun des strates de l’histoire d’Alger et portent, tant bien que mal, les traces et les marques des peuples qui y ont séjourné.

L’objectif de cette contribution est de mettre en évidence le lien entre le pouvoir symbolique de l’État et l’appropriation de l’espace à travers la dénomination des lieux par les habitants. Il s’agira, autrement dit, d’examiner la signalétique officielle, les dénominations de voirie et les langues d’affichage qui les caractérisent, afin de comprendre la politique linguistique qui les encadre, puis de confronter ces dispositifs aux désignations locales et sociales.

Dans cette perspective, le centre historique d’Alger sera interrogé d’un point de vue sociolinguistique, en mobilisant certains apports de la géographie sociale. La notion de « consommation de l’espace » (au sens des géographes) est ici particulièrement féconde : elle éclaire la relation des individus et des communautés à leur environnement urbain, et renseigne surtout sur leur adhésion — ou leur rupture — à l’égard de la signalétique officielle.

La toponymie et l’odonymie urbaines constitueront donc des notions de base, associées à l’analyse linguistique, pour répondre aux questions suivantes : quelle(s) langue(s) est (sont) mobilisée(s) dans l’odonymie de la ville ? L’usage de l’ancienne ou de la nouvelle odonymie — en arabe, en français ou dans d’autres langues — est-il révélateur d’un processus d’appropriation linguistique de l’espace et d’une identité urbaine ? Qu’en est-il, aujourd’hui, de la superposition des désignations de rues au fil de l’histoire ?

J’émets l’hypothèse que le choix de la dénomination — et de la langue — varie selon les générations, avec, pour certaines catégories, un recours à des désignations plus identitaires qu’ordinaires.

Pour mettre à l’épreuve cette hypothèse, le parcours suivra un itinéraire précis. Le travelling prendra son départ à Bab El Oued, plus exactement à Basseta (appelée Bazéta). Le choix n’a pas été simple, puisque l’on entre à Bab El Oued par plusieurs endroits : c’est l’enquête qui m’a conduit à retenir ce point de départ, auquel je reviendrai. Je passerai ensuite par les Trois Horloges, l’avenue Colonel Lotfi, puis la rampe Louni Arezki. Une pause sera alors marquée à la Casbah d’Alger — pause inévitable, puisque la condensation et la concentration de la matière brute y sont particulièrement importantes. Le travelling s’achèvera enfin à la place du Premier Mai, après la traversée d’Alger centre (rue Abane Ramdane, place de l’Émir Abd el-Kader, rue Didouche Mourad, rue Hassiba Ben Bouali).

1. Au-delà de la signification odonymique

S’intéresser à la toponymie urbaine équivaut à une fouille pluridimensionnelle. En effet, le travail peut être descriptif, lorsqu’il s’agit de retracer les contours d’un portrait urbain ; il peut être comparatif, lorsqu’il confronte (sur un plan synchronique et/ou diachronique) les anciens aux nouveaux toponymes, ou encore ceux de deux villes ayant des points communs. Il peut enfin être analytique, en visant une étude lexicale, linguistique, phonétique, pragmatique ou sémiologique des toponymes.

Une fouille, parce que chaque toponyme, chaque odonyme ou anthroponyme exige une lecture plurielle pour être décodé et interprété au regard de son appropriation, de son classement et/ou de sa fonction urbaine.

Dans son article intitulé « La bataille des noms de rues d’Alger » (2006), Paul Siblot énumère dix subdivisions dans la dénomination des rues d’Alger. Entre l’« autocélébration » politico-militaire, la confrontation religieuse et la présentation bestiaire de la ville, il en déduit que la désignation des rues d’Alger s’est faite dans l’anarchie : « Ici, il n’y a pas un seul fil de discours, pas même un discours, mais quelque deux cents noms en désordre » (Siblot, 2006, p. 153). C’est dans « la cohésion finale du tout » qu’il faut voir Alger, un tout toujours insaisissable et méconnu.

De nos jours, la visite du centre historique d’Alger révèle un très grand décalage entre la toponymie officielle et la toponymie d’usage. Plus qu’une superposition toponymique, il s’agit d’un entassement entre les dénominations institutionnelles et toutes les autres formes de repérage spatial. Ce repérage pourrait être révélateur d’un repérage identitaire et sociolangagier. La mémoire collective a joué un rôle majeur dans la transmission et le maintien d’une toponymie orale identitaire, qui a résisté des siècles durant à toute autre forme de marquage spatial. L’usage même des lieux est donc particulièrement intéressant à analyser, d’autant que le tissu urbain compte parmi les plus complexes d’Algérie.

Les dénominations en langue française perdurent, et leur usage n’est certainement pas anodin ; il sera donc question de marqueurs/démarqueurs identitaires et sociolangagiers (Chaouite & Ouamara, 2007, p. 85). Ce marquage a joué un rôle important dans la patrimonialisation matérielle et immatérielle de la ville. S’oppose ainsi, dans l’usage spatial du centre historique d’Alger, la patrimonialisation à l’exclusion, la valorisation à la dévalorisation, l’appropriation au rejet, les marques identitaires aux traces héritées comme vestiges d’un passé sans importance.

La marque peut se distinguer de la trace (Ripoll, 2004, p. 10) : « La marque n’est pas un vestige du passé ; elle a une fonction dans le présent et renvoie à des individus, groupes sociaux ou institutions qu’elle rend présents, même en leur absence. » Il ajoute : « La trace désigne plutôt ce qui subsiste du passé, autrement dit la matérialisation de l’action anthropologique dans l’espace physique, en tant qu’elle a eu lieu dans le passé… »

Sur le plan sociolangagier, la mise en mots de l’espace peut transformer une trace en marque, de sorte à en faire un patrimoine ; elle peut aussi dévaloriser une marque afin de la dépatrimonialiser, préparant ainsi la destruction ou la démolition de sa structure architecturale ou physique. Une définition éclairante est formulée dans ce sens par Vincent Veschambre, selon laquelle « l’enjeu de la patrimonialisation est celui du passage de la trace à la marque, avec les notions d’intentionnalité, de distinctions statutaires qui y sont associées » (Veschambre, 2008, p. 22).

La normalisation des noms de lieux est nécessaire à la conception de cartes géographiques, mais l’usage qui en est fait révèle la distance qui sépare les ordonnateurs de cette consignation spatiale des usagers des lieux — habitants comme passagers.

Entre la mémoire collective et la néotoponymie urbaine, il existe une relation de complémentarité et/ou de complicité, qui dit la ville en sous-entendant toutes les strates mémorielles et les appropriations spatiales. La question qui se pose est la suivante : quelle relation les différents néotoponymes — officiels, officieux ou populaires — ont-ils entretenue avec l’urbanité/citadinité, l’urbanisation et les différents occupants de l’espace algérois ?

2. Polyonymie urbaine : superpositions et conflits de nomination

Durant les premiers mois qui ont suivi le débarquement des troupes françaises en 1830, les militaires, désespérés de retrouver leur chemin à cause des ruelles étroites et enchevêtrées, traçaient des traits de couleurs différentes sur les murs pour s’y déplacer aisément. Ensuite, la tâche de nommer les rues algéroises fut confiée à M. Filhon. Henri Clein (2003, p. 45) avoue que ce projet avait défiguré la ville : « … ce fut certes là, nous le redisons, une chose très regrettable, car les rues d’Alger perdirent, de ce fait, de très pittoresques dénominations, variant à chaque tournant et dues à certaines particularités, certains édifices, certains souvenirs. »

Ces odonymes avaient une relation directe avec les activités et l’identité des autochtones ; ils désignaient :

  • Des personnages emblématiques de la ville : Zenqet Bouaqacha (rue de la Grenade), Zenqet Boutichert (rue Marmole)…

  • Des activités commerciales : Zenqet ellahamine…

  • Des marabouts : Zenqet Sidi Bougdour…

  • Des noms de grandes familles de la Casbah : rue N’fissa…

  • Des mythes : Aaqibet Echitane (rue du Diable)…

Chaque odonyme renvoie à une mémoire collective révélant une facette de l’identité de la ville, car les noms de rues d’Alger étaient plutôt une fusion entre les toponymes, les anthroponymes (noms de personnes), les ethnonymes (noms donnés à une communauté ou à un groupe), les allonymes (noms donnés par un groupe à un lieu pour remplacer le nom officiel d’un quartier ou d’une rue) et les exonymes (noms donnés par un groupe à lui-même ou à un autre groupe, pour marquer un territoire ou pour se démarquer des autres).

Mais après l’indépendance, l’odonymie a été refaite. C’est normal : le but était d’effacer les traces du colon. Toutefois, la période de transition, sur le plan toponymique, a pris beaucoup de temps, de sorte qu’aujourd’hui les noms de rues sont quasiment polyonymiques.

3. Enquête de terrain et protocole de collecte

Elle s’est faite en trois temps : un travail de bureau d’abord, pour la récolte des cartes géographiques d’Alger centre (anciennes et nouvelles). Cette première enquête m’a permis de récupérer plusieurs cartes cadastrales récentes, et d’autres datant de l’époque coloniale, avec les anciens et les nouveaux noms de rues. Une douzaine de cartes sont en ma possession : cartes muettes, anciennes cartes d’Alger centre, nouvelles cartes illustrant les voiries, les axes, et d’autres cartes touristiques réalisées et mises à la disposition des touristes par le biais d’associations algéroises. En voici quelques exemples :

Carte 1. Noms des rues de Bab El Oued

Carte 1. Noms des rues de Bab El Oued

. Source : APC d’Alger

Puis, un second travail de terrain a été réalisé : il consiste en une enquête participante fondée sur des entretiens semi-directifs. Au cours de certains entretiens, lorsque les conditions me le permettaient, j’ai eu recours à la technique du « dessin à main levée », en demandant à mes enquêtés de dessiner un itinéraire détaillé pour aller de Bab El Oued à la place du 1er Mai. Voici un scan d’un itinéraire obtenu. Il est à noter que, dans l’analyse, il ne s’agira pas d’étudier les représentations, mais les dénominations.

Figure 1. Extrait illustrant la technique du dessin à main levée

Figure 1. Extrait illustrant la technique du dessin à main levée

Auteur : un informateur

D’autres types d’entretiens ont également été effectués ; ils reposent sur des enregistrements audiovisuels, selon une technique personnelle (Sebih, 2017) que j’ai intitulée « Récit de vie sur carte géographique ». Il s’agit de filmer les mains d’un informateur en train de raconter sa vie, tout en ponctuant son discours sur une carte géographique. Les noms de rues et les itinéraires y trouvent un support, et l’apport discursif en matière de positionnement identitaire y est particulièrement intéressant. L’objectif est de questionner des personnes qui habitent ou ont habité Alger, afin de rendre compte d’éventuelles différences ou différenciations.Figure 2. Images illustrant la technique du « Récit de vie sur carte géographique ».

Figure 2. Images illustrant la technique du « Récit de vie sur carte géographique »

Figure 2. Images illustrant la technique du « Récit de vie sur carte géographique »

Source : auteur de l’article

Figure 3. Images illustrant la technique du « Récit de vie sur carte géographique »

Figure 3. Images illustrant la technique du « Récit de vie sur carte géographique »

Source : auteur de l’article

Enfin, la troisième partie de mon enquête consiste à effectuer des trajets (à pied et en voiture) tout en prenant des photos et des séquences vidéo mettant l’accent sur les plaques signalétiques et sur tout type de marquage du territoire, qu’il soit officiel ou local. Le corpus iconographique est composé de 903 photos et d’environ 40 minutes de vidéos de travelling. En voici quelques exemples :

  • Période, terrain et constitution du corpus. La collecte a été réalisée entre novembre 2019 et octobre 2020, sur une durée totale de onze mois, dans un périmètre couvrant Bab El Oued, la Casbah et le centre d’Alger. Le corpus se compose de : (i) de documents cartographiques (cartes cadastrales, cartes muettes, cartes anciennes/actualisées, supports touristiques) ; (ii) d’un corpus iconographique issu du travelling (prises de vue et séquences vidéo centrées sur la signalétique et les marquages territoriaux).

  • Participants. L’enquête de terrain mobilise 17 informateurs, sélectionnés pour leur familiarité avec l’espace étudié (résidents actuels, anciens résidents ou usagers réguliers) et pour la diversité des profils : âges approximatifs 19–77 ans (femmes et hommes), répertoires linguistiques (pratiques déclarées de l’arabe, du français et de l’anglais), ancrage de quartier (habitants situés le long du parcours d’étude : Casbah, Bab El Oued et Alger centre). Cette diversité permet de comparer les dénominations d’usage et leurs éventuelles variations selon l’expérience urbaine et la génération.
    Environ 90 % des informateurs sont résidents des quartiers étudiés ; les 10 % restants sont d’anciens habitants qui se considèrent toujours comme faisant partie de l’identité de ces quartiers. Cette répartition permet de croiser des pratiques de dénomination ancrées dans l’usage quotidien et des pratiques fondées sur une mémoire résidentielle plus ancienne.

  • Modalités d’enquête. Les entretiens ont été conduits sous forme semi-directive, avec une durée minimale de 12 minutes par entretien, et enregistrés en audio et/ou en audiovisuel. Deux dispositifs ont été privilégiés : (1) le « dessin à main levée », visant à faire émerger des repères nominaux au fil d’un itinéraire ; (2) le « récit de vie sur carte géographique » (Sebih, 2017), fondé sur le commentaire d’une carte et la verbalisation des points de passage. Les itinéraires ont été retenus selon des critères de centralité, de fréquence d’usage, de valeur patrimoniale, de densité de signalétique et d’accessibilité, afin de croiser les axes principaux et les micro-voies.
    Les itinéraires ont été réalisés en deux temps : dans un premier temps, en voiture, afin de finaliser le travelling et de stabiliser le parcours ; dans un second temps, à pied, pour les prises de photographies et la conduite des entretiens. Certains lieux ont nécessité davantage d’arrêts que d’autres, en fonction de la densité et de la complexité des informations recueillies.

  • Éthique. L’enquête respecte les principes usuels de la recherche en sciences humaines : consentement éclairé, anonymisation des participants (pseudonymisation, suppression d’indices identifiants) et gestion du droit à l’image. Les enregistrements et les photographies ont été réalisés avec l’accord des personnes concernées ; lorsque nécessaire, les éléments identifiants sont floutés ou masqués et les données sont conservées de façon sécurisée (support et durée de conservation : à préciser).

  • Droit à l’image et à la réutilisation des archives. Sauf mention contraire, les photographies sont de l’auteur. Lorsqu’elles ne l’ont pas été, les images proviennent du programme CMEP 08MDU740 (Tassili), Dynamiques socio-langagières de l’espace algérois : mémoire des lieux et mise en mots de l’habitat dit populaire (2008–2011), porté par PREFics EA3207 (Université Rennes 2), avec pour coordinatrice algérienne Assia Lounici (Université d’Alger) et pour coordinateur français Thierry Bulot (Université Rennes 2). Ce programme a notamment permis la réalisation du web-documentaire Dans les murs de la Casbah (diffusé sur le site de France 24 entre 2012 et 2022), dont je suis officiellement co-auteur. Le contrat signé avec la société de production Vivement Lundi précise que je suis autorisé à utiliser les images et les enregistrements sonores et/ou audiovisuels dans un cadre professionnel et scientifique.

Figure 4. Illustrations des prises de vue du corpus

Figure 4. Illustrations des prises de vue du corpus

Source : auteur de l’article

4. Parcours odonymique : signalétique urbaine, langues d’affichage et repères d’usage

4.1. Bab El Oued : plaques, équivalences et désignations concurrentes

Figure 5. Entrée de l’APC de Bab El Oued

Figure 5. Entrée de l’APC de Bab El Oued

Source : auteur de l’article

L’APC de Basseta est mon point de départ, car non seulement c’est un lieu qui revient souvent dans mes entretiens, mais dès la lecture de l’enseigne d’entrée, les langues utilisées attirent l’attention. Le français a été remplacé par le tifinagh, l’écriture de la langue berbère, reconnue comme langue officielle depuis quelques années. C’est, par ailleurs, la rue qui mène directement aux Trois Horloges (qui désignent tantôt le marché, la place et le quartier qui les abrite).

L’ancien quartier des immigrés occidentaux (Italiens, Espagnols, Maltais…) qui abritait les premières manufactures françaises n’a pas connu de changement radical sur le plan architectural. L’artiste inconnu qui a conçu les « Trois Horloges » ne se doutait certainement pas que son chef-d’œuvre allait perdurer aussi longtemps.

Figure 6. Les Trois Horloges, en 2023

Figure 6. Les Trois Horloges, en 2023

Source : auteur de l’article

Figure 7. Les Trois Horloges, en 1960

Figure 7. Les Trois Horloges, en 1960

Source internet : http://algeroisementvotre.free.fr/site1000/alger10/alger051.html

La comparaison des deux photos démontre l’abandon dont est victime ce monument, qui, d’ailleurs, ne comporte aucune inscription malgré son importance en tant que repère socio-spatial chez les autochtones.

La descente de l’avenue Colonel Lotfi m’amène vers des lieux célèbres de Bab El Oued ; justement, tout y tient : ce partage des repères entre les groupes et les communautés.

En effet, tous nos enquêtés évoquent le marché parallèle des bijoux à Bab El Oued, une rue que certains me désignent comme « la Rue Rachid Kouache », d’autres comme « la CASORAL », et d’autres encore comme « Triq El Monoprix » (la rue du Monoprix). Il n’y a pas de règle à rechercher dans ces pratiques, à mon sens. La ville est plurielle sur tous les plans, y compris — et surtout — sur le plan des repères. La finalité est justement ce que le choix de la désignation évoque sur le plan identitaire.

J’arrive à présent à la rampe Louni Arezki, longtemps appelée la rampe Vallée (héritage de l’époque coloniale, rejeté par la population et les autorités), qui débouche sur la rue Bab El Oued.

Figure 8. Plaque signalétique au rond-point du lycée Okba

Figure 8. Plaque signalétique au rond-point du lycée Okba

Source : auteur de l’article

Au passage, selon le moyen de déplacement, les lycées Okba I et II, ou le lycée Émir Abd el-Kader (appelé « lycée l’Émir »), présentent encore un décalage entre la désignation officielle et la désignation locale. En effet, pour un même endroit, les repères de certains informateurs sont l’un des deux lycées, tandis qu’un repère qui revient assez fréquemment est la DGSN (Direction générale de la Sûreté nationale). En revanche, personne n’évoque, à cet endroit, la rampe Louni Arezki qui, en fin de compte, change de limites selon les pratiques de chaque groupe, et aucun de nos enquêtés n’a mentionné le jardin de Prague, situé à côté du lycée l’Émir.

Figure 9. Entrée du jardin de Prague

Figure 9. Entrée du jardin de Prague

Source : auteur de l’article

Sur le plan de la toponymie et de l’odonymie, d’un côté, sur le peu de plaques discrètes que j’ai croisées, mes enquêtés n’en connaissent que quelques-unes. Certains informateurs découvraient avec moi le nom d’une rue qu’ils empruntaient depuis leur enfance.

Prenons l’exemple de la carte suivante, dont j’ai fait un agrandissement : elle m’a été remise par le service technique de l’APC de la Casbah.

Carte 2. Les noms des rues à Bab El Oued

Carte 2. Les noms des rues à Bab El Oued

Source : APC d’Alger

Ce qui y est intéressant, c’est la richesse des noms sur cette carte. Dès la première lecture, les noms arabes et français se font remarquer, mais une seconde lecture permet de constater que ce sont les grands axes, boulevards et avenues qui dominent en langue arabe, alors que les petites ruelles ont gardé (dans plusieurs cas) leur nom en français : « Boulevard Saïd Touati », « Avenue Colonel Lotfi » / « Rue Lavoisier », « Rue Lavoisier » …

En revanche, sur une carte Google Maps, on retrouve essentiellement les odonymes arabes, sinon un ou deux en français :

Carte 3. Odonymes des rues de Bab El Oued

Carte 3. Odonymes des rues de Bab El Oued

Source : Google Maps

Entre les cartes 2 et 3, seules les rues Rosseti et Condorcet sont des odonymes occidentaux communs.

Sur les lieux, les plaques signalétiques regroupent toutes les inscriptions étatiques, officielles ou autorisées s’adressant aux usagers des voies publiques. Elles peuvent être réparties en trois grands ensembles. Le premier groupe réunit les plaques bleues portant les noms des lieux : elles sont bilingues, en arabe et en français. La langue arabe est toujours en position supérieure et, sur quelques plaques, lorsque la rue porte un nom en français, celui-ci est transcrit en arabe, et vice-versa.

Figure 10. Plaques signalétiques à Bab El Oued

Figure 10. Plaques signalétiques à Bab El Oued

Source : auteur de l’article.

Figure 11. Plaques signalétiques à Bab El Oued

Figure 11. Plaques signalétiques à Bab El Oued

Source : auteur de l’article

Figure 12. Plaques signalétiques à Bab El Oued.

Figure 12. Plaques signalétiques à Bab El Oued.

Source : auteur de l’article

Pour ne prendre que ces trois exemples, il est à noter que, sur la première plaque, « Impasse Bertelon », la transcription en arabe comporte une erreur, puisque « mamar », en arabe classique, ne signifie pas une impasse, mais plutôt un passage. Cette impasse n’apparaît sur aucune carte parmi celles que j’ai consultées, ni sur Internet, d’ailleurs.

Sur la deuxième plaque, « Rampe Louni Arezki », la transcription en arabe est également particulière, puisque « darbouze » n’existe pas dans l’arabe standard, mais plutôt dans l’arabe dialectal.

Enfin, sur la troisième plaque, « Bastion 23 » est transcrite en « Palais des Raïs » en arabe ; ce sont d’ailleurs les deux appellations du palais, et les concepteurs ont préféré la plus célèbre. Sur une autre plaque, le nom du musée est si long en arabe que la transcription en français a été abandonnée : « Musée national des Arts et Traditions populaires Dar Khdaouedj Elamia ».

Le deuxième groupe de plaques signalétiques renvoie aux enseignes, aux plaques et à toutes les inscriptions officielles désignant les institutions, les établissements ou les administrations étatiques. Je l’ai déjà évoqué plus haut : les dernières enseignes ne contiennent que deux langues, l’arabe et le berbère.

Figure 13. Enseigne illustrant l’effacement de la langue française

Figure 13. Enseigne illustrant l’effacement de la langue française

Source : auteur de l’article

Cependant, beaucoup de plaques n’ont pas été changées depuis plusieurs décennies et conservent les deux langues en usage dans la signalétique officielle : l’arabe et le français.

Enfin, le troisième groupe de plaques signalétiques rassemble les stèles, les plaques commémoratives et les plaques d’établissements privés sur les lieux publics. Elles se caractérisent par l’emploi de l’arabe et du français, avec une légère prédominance du français.

Figure 14. Les langues sur les plaques signalétiques

Figure 14. Les langues sur les plaques signalétiques

Source : auteur de l’article

Figure 15. Les langues sur les plaques signalétiques

Figure 15. Les langues sur les plaques signalétiques

Source : auteur de l’article

Figure 16. Les langues sur les plaques signalétiques

Figure 16. Les langues sur les plaques signalétiques

Source : auteur de l’article

Figure 17. Les langues sur les plaques signalétiques

Figure 17. Les langues sur les plaques signalétiques

Source : auteur de l’article

La rue de Bab El Oued me mène à la place des Martyrs, frontière de la Casbah, où je dois ralentir pour m’intéresser à la toponymie dite casbadjie.

4.2. La Casbah d’Alger : stratification des noms et mémoire urbaine

J’entre à la Casbah par la place des Martyrs ; mais son cœur est à l’intérieur, entre ses ruelles qui cachent un trésor toponymique et odonymique unique.

Unique, parce que nulle part ailleurs on ne trouve une pratique spatiale (officielle ou locale) comparable à celle du vieil Alger.

Figure 18. Bouche de métro de la place des Martyrs

Figure 18. Bouche de métro de la place des Martyrs

Source : auteur de l’article

Dès l’entrée, une forme de rupture toponymique s’opère, comme on l’a observé à Bab El Oued, et ce, dès qu’on pénètre à l’intérieur de la ville : la façade du centre historique d’Alger est essentiellement donnée à voir sur les grands boulevards, comme la rue Bab Azzoun, la rue Hassiba…

Figure 19. Rue Bab Azzoun

Figure 19. Rue Bab Azzoun

Source : auteur de l’article

J’entre faire une courte visite à l’intérieur de la Casbah, et la rupture évoquée plus haut est visible sur les deux plans : le fond et la forme. En effet, sur le plan de la forme, j’ai retrouvé de nombreuses plaques (noires, aux contours verts) datant de l’époque des arrondissements algérois ; d’autres plaques sont écrites dans une calligraphie rappelant l’époque ottomane.

Figure 20. Plaques signalétiques à l’intérieur de la Casbah

Figure 20. Plaques signalétiques à l’intérieur de la Casbah

Source : auteur de l’article

Sur le plan du contenu, les plaques comportant des noms français ou occidentaux, transcrits en arabe, attirent l’attention :

Figure 21. Plaques signalétiques portant des noms français écrits en arabe

Figure 21. Plaques signalétiques portant des noms français écrits en arabe

Source : auteur de l’article

L’analyse devient plus intéressante lorsqu’on s’intéresse à la dénomination des lieux par les habitants de la Casbah. Il existe une pratique spatiolangagière qui permet aux uns et aux autres de s’identifier comme anciens ou nouveaux à la Casbah.

J’ai constaté que nommer les rues à la Casbah relève d’un marquage/démarquage identitaire, puisque l’emploi des nouveaux ou des anciens noms, en français ou en arabe, révèle le degré d’ancienneté casbadjie ; ce dernier renvoie à l’authenticité casbadjie familiale, donc au degré de citadinité des interlocuteurs. Un autre phénomène contribue à la complexification de la toponymie urbaine à la Casbah : l’usage des patronymes dans l’odonymie collective. Les rues, entre « casbadjies », sont nommées d’après les grandes familles de chaque quartier, dont elles étaient les doyennes. Ce qui attire l’attention, c’est que, dans la plupart des cas, ces familles sont propriétaires, mais n’habitent plus la Casbah ; plus encore, beaucoup de ces maisons se sont effondrées.

Ce qui a enrichi la toponymie ici est bien évidemment la profondeur historique et mémorielle des lieux ; le bâti, par sa diversité et son hétérogénéité, a contribué à cette pluridimensionalité de la référence. La haute Casbah a pu conserver de nombreuses bâtisses depuis l’époque ottomane, et quelques rues gardent encore une trace de cette présence lointaine, ce qui crée un sentiment de puissance et de légitimité à occuper le territoire, ainsi qu’une conscience d’avoir hérité d’un patrimoine toponymique symbolique. Mais attention : la trace ne doit certainement pas être confondue avec la marque, car c’est précisément ce qui distingue les uns des autres. Voici un extrait (j’ai demandé à un enquêté, selon la méthode du récit de vie sur carte géographique, de m’indiquer le chemin pour aller de la place des Martyrs à la rue N’fissa) :

« T : yokhredj l nedjma euh :/ yekhrodj lla rue maringo/mla rue maringo yetlaâ lnedjma meltem yeqder yekhredj fla rue n’fissa (Il sort de la rue Maringo ensuite de là, il monte vers Nedjma d’où il peut aller vers la rue N’fissa)
R : Nedjma, est-ce que c’est un ancien nom ?
Kh : ah c’t’un ancien nom
T : ancien nom ancien
R : y a qu’les casbadjis qui connaissent la rue Nedjma
Kh : ya plusieurs ruelles
T : yendjem yetlaâ lqahouet elmerrouk yaârfouha mezman / meltem yeqder yetlaâou le euh : hein ! (il peut monter au café le Maroc, il est connu depuis toujours il peut aller…)
R : pourquoi est-c’qu’on l’appelle la rue Nedjma ?
KH : pace’que
T : ken silima (il y avait un cinema) »

La référence aux anciens noms de ruelles démontre la maîtrise de la micro-mémoire collective, considérée comme une clé dans le processus d’authentification entre les Casbadjis : c’est une preuve de citadinité.

Prenons un autre exemple (ici avec la technique du dessin à main levée) : il s’agit de l’itinéraire qui devait me permettre d’aller de Bab El Oued à la place du Premier Mai.

Figure 22. Extrait de l’itinéraire d’un enquêté

Figure 22. Extrait de l’itinéraire d’un enquêté

Auteur : un informateur

L’élément le plus important à prendre en compte entre l’extrait de l’entretien ci-dessus et la figure 22 est l’âge de mes informateurs. En effet, dans l’extrait, il s’agit d’une personne âgée, alors que, dans l’itinéraire de la carte mentale, il s’agit d’un jeune d’une trentaine d’années. Évidemment, ni les repères ni la langue ne sont les mêmes. Lors de l’entretien, mon enquêté est sûr de lui ; il est convaincu de ses affirmations et je le sentais prêt à répondre à n’importe quelle question. En revanche, sur la carte mentale, le jeune informateur ne maîtrise ni le nom exact des lieux ni leur orthographe (pas très importante, certes). Son hésitation est claire et s’accentue lorsqu’il s’agit de choisir entre les noms en français et en arabe. Pourtant, son itinéraire est très efficace, à condition de comprendre et de connaître un peu les lieux, car la linéarité n’est que mentale.

Ce sont les repères sociaux et spatiaux qui renseignent sur la richesse et la complexité de la toponymie algéroise, qui demeure insaisissable, puisque ni la langue, ni les références, ni même le temps n’ont pu en rendre compte.

Ainsi, la toponymie officielle se faisait tantôt en mode monolingue (arabe ou français), tantôt en mode bilingue (arabe-français / arabe-tamazight). Dans la toponymie locale, l’usage des anciens noms (majoritairement en français) justifie un droit d’occupation de l’espace et permet l’appropriation de l’identité casbadjie. Demander son chemin à la Casbah avec les nouveaux noms de rues est une mission très délicate et vouée à l’échec.

La rupture de signalétique entre la Casbah et Bab El Oued se poursuit avec les stèles et les plaques commémoratives, puisqu’elles sont beaucoup plus nombreuses — la Casbah étant la plus ancienne —, mais, là aussi, les plaques sont monolingues ou bilingues (entre l’arabe et le français uniquement).

Figure 23. Langues des plaques commémoratives à la Casbah

Figure 23. Langues des plaques commémoratives à la Casbah

Source : auteur de l’article

Figure 24. Langues des plaques commémoratives à la Casbah

Figure 24. Langues des plaques commémoratives à la Casbah

Source : auteur de l’article

Figure 25. Langues des plaques commémoratives à la Casbah

Figure 25. Langues des plaques commémoratives à la Casbah

Source : auteur de l’article.

Avant de reprendre mon travelling vers le centre d’Alger, il serait intéressant de signaler une pratique toponymique peu recherchée par les services concernés, et ce constat peut être confirmé à l’échelle du territoire national : l’absence de consultation des citoyens avant l’installation des toponymes ou des odonymes.

En effet, sur la figure ci-dessous, à droite, une plaque commémorative précise le lieu exact où a été assassiné le martyr Arbadji Abderrahman, alors que, juste à côté, à environ trois mètres, une autre plaque attribue le nom de la rue à un autre martyr, pratiquement inconnu de tous nos informateurs.

Figure 26. Rapport entre la symbolique des lieux et celle des plaques.

Figure 26. Rapport entre la symbolique des lieux et celle des plaques.

Source : auteur de l’article.

En quittant la Casbah pour atteindre la fin de la rue Bab Azzoun, certaines traces et marques ont attiré mon attention : il s’agit de l’étoile de David, symbole de la présence de familles juives à la Casbah. Une ancienne marque devenue une trace de présence.

Figure 27. L’étoile de David à la Casbah entre trace et marque

Figure 27. L’étoile de David à la Casbah entre trace et marque

Source : auteur de l’article.

Figure 28. L’étoile de David à la Casbah entre trace et marque

Figure 28. L’étoile de David à la Casbah entre trace et marque

Source : auteur de l’article

4.3. Alger centre : odonymie d’usage et recompositions contemporaines

Je reprends donc mon chemin vers le centre d’Alger. Il faut dire qu’à partir de cet endroit, la signalétique n’est pas très différente de celle de Bab El Oued, sinon moins dense et plus homogène, contrairement à celle de la Casbah.

Arrivé à la place de l’Émir Abd el-Kader, appelée « plass’t El Ôud » (place du cheval) en référence à la statue de l’Émir, certains informateurs appellent cet endroit « le Milkbar » et d’autres « la librairie du Tiers-monde », en référence à la bibliothèque qui porte le même nom, juste à côté de la place. La plaque de la place est monolingue (en arabe) et inscrite en caractères trop petits.

Figure 29. Place de l’Émir Abd El Kader

Figure 29. Place de l’Émir Abd El Kader

Source : auteur de l’article

C’est ensuite la rue Laarbi Ben Mhidi qui me mène au célèbre tunnel des Facultés, puis la rue Mohamed V et la place Audin. Le boulevard Colonel Amirouche me mène à la rue Hassiba Ben Bouali, appelée « Hassiba », qui débouche sur la place du Premier Mai.

Figure 30. Le Tunnel des Facultés

Figure 30. Le Tunnel des Facultés

Source : auteur de l’article

Ce qui est à noter concernant l’odonymie locale d’Alger centre, c’est que, suite au Hirak, la fonction même de quelques lieux a changé : le tunnel des Facultés a pris le toponyme de « Ghar Hirak » (la grotte du Hirak), en référence au « Ghar Hira » (la grotte de Hira), à La Mecque, où le Prophète Mohamed se retirait pour méditer.

Les repères locaux ne correspondent pas toujours aux noms des rues et des boulevards. La rue Mulhouse, le boulevard Cinq et le marché Clauzel sont autant de repères qui désignent, parallèlement, l’itinéraire recherché et l’identité exposée.

En effet, si la toponymie officielle reflète l’identité nationale, la toponymie locale reflète l’identité individuelle. Car plus les repères s’inscrivent dans la profondeur historique, plus leurs porteurs justifient leur appropriation de l’espace et de l’identité algéroise.

Conclusion

Au terme de ce travelling (certes très rapide, puisqu’il s’agit d’un article de quelques pages), il est important de rappeler que l’analyse et l’ensemble des descriptions proposées ne concernent que le parcours que j’ai emprunté et les enquêtés qui ont accepté de participer à mon enquête : le propos n’est pas représentatif de tout Alger, encore moins du centre historique d’Alger dans sa totalité.

De plus, je peux confirmer l’hypothèse avancée dans l’introduction : le choix des noms de rues dépend des générations, car ces noms fonctionnent davantage comme des repères identitaires que comme des repères strictement spatiaux. Ce sont ces choix mêmes qui renseignent sur le degré de citadinité et d’urbanité des uns comme des autres. En effet, les citadins se définissent comme les plus anciens à occuper l’espace et se présentent comme détenteurs des détails de la micro-mémoire collective, laquelle justifie, à son tour, leur droit d’occupation. Les urbains, venus ensuite, adoptent la pratique spatiolangagière telle qu’elle a été instaurée par les citadins.

La première conclusion est donc simple à déduire : dans des lieux dotés d’une profondeur historique telle que celle du centre historique d’Alger, il existe une toponymie citadine et une autre urbaine. Cela laisse entendre que l’appropriation de l’espace et de l’identité s’opère, en grande partie, par l’usage des anciens odonymes et toponymes (sur le plan géographique, bien sûr).

La seconde conclusion concerne le rapport des autorités — ou des concepteurs de toponymes et d’odonymes — avec les lieux qu’ils dénomment et leurs habitants. Toute initiative visant à imposer un toponyme destiné à être exploité comme repère spatial par la population nécessite une descente incontournable sur le terrain et une consultation de ceux qui sont censés s’en servir. À défaut, un fossé se creuserait entre les pratiques officielles et les appropriations locales, à travers la dénomination des lieux. C’est exactement ce qui se passe à Alger, et dans toutes les villes algériennes que je connais.

La bataille continue et bat son plein, même si une nouvelle donnée s’est ajoutée au paysage toponymique algérois (et algérien) : la suppression de la langue française des enseignes et des plaques des établissements étatiques, et son remplacement par la langue tamazight. Mes propos rejoignent l’idée développée par Dalila Morsly (1988, p. 13) : « Le fonctionnement du français dans la réalité algérienne d’aujourd’hui nous semble déterminé par les rapports que celui-ci entretient avec les autres langues en usage en Algérie : le berbère, l’arabe “dialectal” ou arabe non officiel et surtout l’arabe “classique” ou arabe officiel, son rival séculaire. »

À ce stade, la sociolinguistique interventionniste prendrait tout son sens en mettant entre les mains des responsables des données importantes issues du vécu des habitants du centre historique d’Alger.

Bouvier, J.-C., & Guillon, J.-M. (2007). La toponymie urbaine : Signification et enjeux. L’Harmattan.

Chachou, I. (2018). Sociolinguistique du Maghreb. Hibr.

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Kerouanton, J.-L. (2000). Introduction. Journée du patrimoine [Brochure]. DRAC.

Morsly, D. (1988). Le français dans la réalité algérienne. (Thèse de Doctorat d’État soutenue le 18-06-88 à l’Université Paris V, Sorbonne, sous la direction du Pr A. Martinet).

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Ripoll, F. (2004, juin). Réflexion sur les rapports entre marque et appropriation de l’espace. https://www.researchgate.net/profile/Fabrice_Ripoll/publication/259620473_Reflexions_sur_les_rapports_entre_marquage_et_appropriation_de_l'espace/links/00b7d52ceab81637cc000000/Reflexions-sur-les-rapports-entre-marquage-et-appropriation-de-lespace.pdf

Sebih, R. (2017). Proposition d’une nouvelle technique d’enquête : Le récit de vie sur carte géographique. MAARIF, (21).

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Siblot, P. (2006). La bataille des noms de rue d’Alger : Discours et idéologie d’une toponymie coloniale. Dans F. Manzano (Dir.), Noms propres, dynamiques identitaires et sociolinguistiques (Cahiers de sociolinguistique, No 11, pp. [à compléter]). Presses universitaires de Rennes.

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Carte 1. Noms des rues de Bab El Oued

Carte 1. Noms des rues de Bab El Oued

. Source : APC d’Alger

Figure 1. Extrait illustrant la technique du dessin à main levée

Figure 1. Extrait illustrant la technique du dessin à main levée

Auteur : un informateur

Figure 2. Images illustrant la technique du « Récit de vie sur carte géographique »

Figure 2. Images illustrant la technique du « Récit de vie sur carte géographique »

Source : auteur de l’article

Figure 3. Images illustrant la technique du « Récit de vie sur carte géographique »

Figure 3. Images illustrant la technique du « Récit de vie sur carte géographique »

Source : auteur de l’article

Figure 4. Illustrations des prises de vue du corpus

Figure 4. Illustrations des prises de vue du corpus

Source : auteur de l’article

Figure 5. Entrée de l’APC de Bab El Oued

Figure 5. Entrée de l’APC de Bab El Oued

Source : auteur de l’article

Figure 6. Les Trois Horloges, en 2023

Figure 6. Les Trois Horloges, en 2023

Source : auteur de l’article

Figure 8. Plaque signalétique au rond-point du lycée Okba

Figure 8. Plaque signalétique au rond-point du lycée Okba

Source : auteur de l’article

Figure 9. Entrée du jardin de Prague

Figure 9. Entrée du jardin de Prague

Source : auteur de l’article

Carte 2. Les noms des rues à Bab El Oued

Carte 2. Les noms des rues à Bab El Oued

Source : APC d’Alger

Carte 3. Odonymes des rues de Bab El Oued

Carte 3. Odonymes des rues de Bab El Oued

Source : Google Maps

Figure 10. Plaques signalétiques à Bab El Oued

Figure 10. Plaques signalétiques à Bab El Oued

Source : auteur de l’article.

Figure 11. Plaques signalétiques à Bab El Oued

Figure 11. Plaques signalétiques à Bab El Oued

Source : auteur de l’article

Figure 12. Plaques signalétiques à Bab El Oued.

Figure 12. Plaques signalétiques à Bab El Oued.

Source : auteur de l’article

Figure 13. Enseigne illustrant l’effacement de la langue française

Figure 13. Enseigne illustrant l’effacement de la langue française

Source : auteur de l’article

Figure 14. Les langues sur les plaques signalétiques

Figure 14. Les langues sur les plaques signalétiques

Source : auteur de l’article

Figure 15. Les langues sur les plaques signalétiques

Figure 15. Les langues sur les plaques signalétiques

Source : auteur de l’article

Figure 16. Les langues sur les plaques signalétiques

Figure 16. Les langues sur les plaques signalétiques

Source : auteur de l’article

Figure 17. Les langues sur les plaques signalétiques

Figure 17. Les langues sur les plaques signalétiques

Source : auteur de l’article

Figure 18. Bouche de métro de la place des Martyrs

Figure 18. Bouche de métro de la place des Martyrs

Source : auteur de l’article

Figure 19. Rue Bab Azzoun

Figure 19. Rue Bab Azzoun

Source : auteur de l’article

Figure 20. Plaques signalétiques à l’intérieur de la Casbah

Figure 20. Plaques signalétiques à l’intérieur de la Casbah

Source : auteur de l’article

Figure 21. Plaques signalétiques portant des noms français écrits en arabe

Figure 21. Plaques signalétiques portant des noms français écrits en arabe

Source : auteur de l’article

Figure 22. Extrait de l’itinéraire d’un enquêté

Figure 22. Extrait de l’itinéraire d’un enquêté

Auteur : un informateur

Figure 23. Langues des plaques commémoratives à la Casbah

Figure 23. Langues des plaques commémoratives à la Casbah

Source : auteur de l’article

Figure 24. Langues des plaques commémoratives à la Casbah

Figure 24. Langues des plaques commémoratives à la Casbah

Source : auteur de l’article

Figure 25. Langues des plaques commémoratives à la Casbah

Figure 25. Langues des plaques commémoratives à la Casbah

Source : auteur de l’article.

Figure 26. Rapport entre la symbolique des lieux et celle des plaques.

Figure 26. Rapport entre la symbolique des lieux et celle des plaques.

Source : auteur de l’article.

Figure 27. L’étoile de David à la Casbah entre trace et marque

Figure 27. L’étoile de David à la Casbah entre trace et marque

Source : auteur de l’article.

Figure 28. L’étoile de David à la Casbah entre trace et marque

Figure 28. L’étoile de David à la Casbah entre trace et marque

Source : auteur de l’article

Figure 29. Place de l’Émir Abd El Kader

Figure 29. Place de l’Émir Abd El Kader

Source : auteur de l’article

Figure 30. Le Tunnel des Facultés

Figure 30. Le Tunnel des Facultés

Source : auteur de l’article

Réda Sebih

Mohand Oulhadj - Université de Bouira

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