Introduction
Au cœur du paysage musical algérien, comme dans de nombreux autres pays, le rap transcende les frontières de l’art pour devenir un miroir reflétant les tensions, les aspirations et les luttes d’une jeunesse en quête de voix. Dans cet univers vibrant et contestataire, où les mots deviennent des armes et les rimes des manifestes, nous explorerons la violence verbale comme moyen de compétition artistique et d’affirmation de soi.
Il est important de souligner que l’expression de la violence dans la chanson de rap ne doit pas être interprétée de manière littérale, mais plutôt comprise comme une forme de critique sociale et de dénonciation des injustices. En effet, le rap dans le contexte algérien, tout comme le rap dans d’autres contextes, est un reflet des réalités complexes et des tensions sociales qui caractérisent la société. Par conséquent, cette contribution s’attachera à analyser les motivations, les mécanismes linguistiques et les significations socioculturelles qui sous-tendent l’expression de la violence verbale dans le rap algérien.
Une observation récurrente dans les chansons de rap algérien est le mélange des langues et l’expression de la violence. Ce phénomène linguistique mérite une attention particulière, car il reflète non seulement le paysage linguistique du pays, mais aussi les réalités sociopolitiques et les préoccupations de la jeunesse précédemment citée. Le rap est donc un mode d’expression privilégié des jeunes en Algérie, offrant un espace pour exprimer leurs frustrations et leurs aspirations, notamment à travers une pratique communément désignée sous le terme de « clash » ou de « beef ». Il s’agit d’une modalité d’affrontement verbal permettant aux rappeurs de s’affronter à travers des paroles incisives, agressives et provocatrices. Par conséquent, cette joute linguistique dans le rap n’est pas uniquement une confrontation artistique, mais aussi le symptôme d’une société en mutation. Elle met en lumière le pouvoir du langage dans l’expression des tensions et des aspirations individuelles au sein de la société. En effet, l’utilisation flamboyante du clash par les rappeurs vise à remettre en question les normes socioculturelles et politiques, tout en affirmant leur identité et leur légitimité dans un contexte marqué par les inégalités et les injustices, comme le suggère Hisham Aidi dans son ouvrage (2014).
L’analyse discursive approfondie du clash offre l’opportunité de comprendre les moyens linguistiques, les stratégies discursives, les mécanismes de communication et les dynamiques de pouvoir qui se déploient à travers la violence verbale dans les chansons des rappeurs algériens. À titre illustratif, le récent clash entre Didine Canon 16, MC Artisan et Trap King, qui émerge sur le réseautage socionumérique, est une manifestation saisissante de la violence verbale dans le rap. Cet incident surgit comme un phénomène éclairant les complexités et les nuances inhérentes à cette forme de conflit verbal, dont l’impact dépasse largement le cadre des interactions sur Internet pour résonner à travers les sphères médiatiques et socioculturelles. En examinant les thématiques et les stratégies discursives investies par ces rappeurs, nous tenterons de saisir les enjeux identitaires, socioculturels et politiques qui animent cette forme d’expression artistique. Bref, l’analyse du discours de la violence verbale entre ces chanteurs de rap algérien se révèle être un sujet d’étude pertinent et inédit en sciences du langage, notamment en analyse du discours.
Cette investigation aspire à apporter un éclairage nouveau sur le rôle du clash entre les rappeurs dans la construction de l’identité et de la conscience sociale en Algérie. En mettant en lumière les subtilités et les nuances de la violence verbale dans le rap algérien, elle vise à enrichir notre compréhension de ce phénomène socioculturel complexe et dynamique, tout en soulignant son importance en tant que mode d’expression authentique et puissant pour la jeunesse algérienne. C’est pourquoi nous nous interrogeons :
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Quelles sont les langues et les thèmes utilisés dans la chanson de rap algérien ?
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Quelles sont les différentes stratégies discursives utilisées lors des confrontations verbales entre les rappeurs, notamment dans le cadre du « clash », pour exprimer la violence verbale dans les chansons de rap en Algérie ?
La présente recherche sur la violence verbale dans le rap algérien vise deux objectifs principaux : tout d’abord, elle cherche à comprendre les motivations et les mécanismes linguistiques qui sous-tendent l’utilisation de la violence verbale par les rappeurs algériens. Cette analyse approfondie permettra d’explorer les raisons pour lesquelles ces artistes intègrent des éléments de violence verbale dans leurs chansons, en examinant les influences langagières, socioculturelles et artistiques qui façonnent cette expression. Ensuite, notre étude se concentre sur l’analyse des thèmes et des messages sociaux véhiculés par cette violence verbale exprimée à travers le phénomène du clash entre les rappeurs algériens. Nous cherchons donc à explorer les sujets abordés dans les paroles violentes du rap algérien, en identifiant les problèmes sociaux, les injustices et les revendications exprimées, afin de mieux comprendre leur impact sur la société.
Ce travail de recherche qui se penche sur l’analyse de la violence verbale dans le rap algérien, avec un focus particulier sur le conflit véhiculé par le clash entre Didine Canon 16, MC Artisan et Trap King, met à l’examen des concepts théoriques, conceptuels et l’établissement des choix méthodologiques qui seront utiles dans la constitution, l’analyse et la discussion du corpus recueilli. En définitive, il éclaire d’un jour nouveau le récent affrontement, qui est le clash entre les rappeurs algériens, offrant un prisme analytique pour comprendre les dynamiques sociodiscursives de pouvoir et d’identité qui sous-tendent leurs échanges verbaux.
1. Rap algérien et son art du clash : tradition et évolution
Pour une progression cohérente, nous présenterons le cheminement du rap en Algérie, depuis son émergence dans la culture underground locale jusqu’à sa reconnaissance et sa diffusion à l’échelle mondiale, mettant en lumière le « clash » en tant que phénomène musical majeur.
1.1. Rap algérien : de la culture underground à la scène universelle
Dès les années 1990, le rap a émergé en Algérie, sollicitant l’intérêt de la jeunesse, comme l’a relevé Jacqueline Billiez (1998 : 125), pour qui la culture musicale représente un moyen important d’expression des différences sociales et culturelles chez les jeunes. Initialement, le rap algérien était confiné à une culture underground, surtout présente dans les grandes villes urbaines comme Alger (Intik, MBS), Oran (Groupe Torino Palermo Catania – TPC) et Annaba (groupe de Lotfi Double Kanon), où les thèmes politiques étaient souvent abordés. Selon Miliani (2002 : 772), ce genre musical a évolué grâce à la médiation de la télévision, à l’introduction des chaînes paraboliques, à la diversité de la presse nationale et aux conditions sociopolitiques de l’époque en Algérie. Il est indispensable de noter que la révolution numérique et l’avènement des plateformes comme YouTube ont donné un nouvel élan au rap algérien : il a gagné en visibilité, atteignant même les régions rurales, où de nombreux rappeurs abordent désormais des sujets sociaux.
Au cours des années 1990, il faut indiquer que le mouvement rap en Algérie est devenu l’un des plus importants du monde arabe et musulman, tant en termes quantitatifs que qualitatifs (Virolle, 2007 : 55). La médiatisation croissante du rap algérien à la fin de ces années a permis aux artistes de sortir de l’ombre, avec une augmentation notable des émissions de radio dédiées, des festivals de hip-hop et de la production de cassettes (Miliani, 2005 : 78). Malgré les défis rencontrés pendant la période tumultueuse de la décennie noire du terrorisme, certains rappeurs ont persisté dans leur engagement, tandis que d’autres ont choisi l’exil en France par crainte pour leur sécurité. Ainsi, le rap en Algérie offre un espace riche pour une expression artistique multilingue, reflétant les conflits générationnels et les défis linguistiques rencontrés par la jeunesse du pays. Nous constatons qu’au départ ce type de chanson a été influencé par les modèles américains et français. En effet, le hip-hop algérien a progressivement cherché à développer son propre style, ancré dans la culture locale (Boumedini, 2017 : 45).
En 2024, le rap algérien connaît constamment une évolution dynamique, mêlant contact de langues, rencontre des cultures et thèmes contemporains. Les artistes cherchent un équilibre entre identité algérienne et influences internationales, diffusant leur musique à travers les plateformes de streaming et les réseaux socionumériques, élargissant ainsi leur audience à l’échelle mondiale. En dépit des défis persistants, le rap demeure un outil essentiel d’expression et de résistance pour la jeunesse algérienne, explorant les réalités sociales et politiques du pays et contribuant ainsi à sa narration contemporaine.
1.2. Art du clash dans le rap : entre tradition et évolution
Avant d’aborder le clash en tant qu’art, il convient d’en définir le concept. Selon le dictionnaire en ligne Larousse, le terme « clash » ou « clashes » ou encore « clashs » (n. m.) est un anglicisme signifiant un désaccord, un conflit ou une rupture brutale et violente. Dans le journal Le Monde, il est défini ainsi : « Tradition du rap, le clash, joute verbale entre deux artistes hip-hop, n’a rien à voir avec l’échange désormais célèbre de menaces et d’insultes proférées sur les réseaux sociaux par Booba et Rohff » (2014).
La première utilisation du phénomène du « clash » dans le contexte du hip-hop demeure difficile à déterminer précisément en raison de son évolution au fil du temps, influencée par divers facteurs culturels et artistiques. Cependant, on peut faire remonter ses premières manifestations aux compétitions verbales entre artistes, notamment au sein du mouvement culturel des années 1970 et au début des années 1980 aux États-Unis. Un exemple documenté de cette époque est l’échange de diss tracks entre les célèbres groupes de rap new-yorkais The Cold Crush Brothers et The Fantastic Romantic Five : c’était un événement médiatisé qui a marqué le début d’une tradition de rivalités et de confrontations verbales dans le hip-hop. Il a donné naissance à ce qu’on appelle le phénomène du « clash ».
Au fil des dernières décennies, soit 54 ans après, le clash s’est développé pour devenir un élément central de la culture et de l’identité du rap, tant dans les quartiers que dans les médias et sur les plateformes numériques. Actuellement, la compétition ne repose plus sur la qualité des rimes, mais plutôt sur le nombre de clics rémunérés par YouTube. En conséquence, le clash demeure un outil fondamental permettant aux artistes de s’affirmer, de défendre leur réputation et d’engager le public. Dans le cadre de cette recherche, nous explorons ce mode d’expression urbaine dans le contexte du rap via YouTube comme une forme d’affrontement verbal caractérisée par des joutes rhétoriques et des échanges d’insultes.
Cette recherche adopte une perspective novatrice sur le concept de « clash » dans le contexte du rap algérien. Ce concept fait référence à une forme d’affrontement verbal entre artistes, caractérisée par des joutes rhétoriques agressives au sein des chansons. Il y a des expressions utilisées dans le monde du hip-hop en anglais, telles que les « freestyles » (une liberté d’expression, où l’artiste laisse libre cours à sa créativité et à son « flow » sans contrainte de structure ou de thème prédéterminé) ou des débats publics. À travers ce moyen artistique, le clash constitue une manifestation de compétition et d’affirmation performante et spontanée de soi au sein de la culture hip-hop, où les artistes déploient leurs compétences linguistiques et leur créativité pour défendre leur réputation, critiquer leurs pairs ou exprimer leurs opinions sur divers sujets. Les rappeurs rivalisent également en utilisant des paroles acerbes, des jeux de mots, des métaphores et ce qu’on nomme les « punchlines » (formes de créativité percutantes et mémorables) pour dénigrer ou défier leurs adversaires. Ce phénomène artistique peut se manifester de différentes manières, comme dans « diss tracks » (paroles agressives marquant le manque de respect en anglais) et des « battles » en direct lors de cercles de rap improvisés appelés « cyphers ». À ce sujet, nous évoquons comme illustration les quatre premiers vers de la chanson « Block » (réf. : annexes). Petit à petit, le vocable clash s’est démocratisé en accaparant une place dans les médias socionumériques. Sa fréquente utilisation entre les rappeurs est motivée par des rivalités personnelles, des désaccords artistiques ou le désir de démontrer ses talents et sa supériorité dans l’univers du rap, comme l’illustrent les vers 17 et 18 de la chanson « Tornado » (réf. : annexes). Ce phénomène, bien que parfois controversé, demeure un élément incontournable de la culture rap, suscitant souvent l’intérêt des fans, des chercheurs pluridisciplinaires (musiciens, journalistes, sociologues, etc.), et particulièrement des linguistes et sociolinguistes comme Pierre Martin (2017) en France et Fatiha Kouidri (2009), Karim Hammou (2014), et d’autres dans le contexte algérien.
2. Au cœur du clash : enquête sur la violence verbale dans le rap algérien
Plongeant au cœur de l’analyse, cette enquête explore les langues en confrontation dans le rap algérien à travers le clash emblématique entre Didine Canon 16, MC Artisan et Trap King, dévoilant le pouvoir des mots comme arme et offrant une analyse thématique approfondie de la violence verbale. En s’appuyant sur une méthodologie rigoureuse et un corpus varié, cette étude décrypte le discours de la violence verbale, mettant en lumière les dynamiques linguistiques et les conflits sous-jacents dans le paysage du rap algérien.
2.1. Corpus et méthodologie
La présente recherche se concentre sur l’analyse de la violence verbale dans deux titres phares du rap algérien, écrits et interprétés par deux rappeurs en conflit : Didine Canon 16, MC Artisan et Trap King. Cette recherche vise à explorer les dynamiques de confrontation verbale caractéristiques de ces rappeurs algériens, qui s’affrontent par ce qu’on appelle le « clash » défini plus haut. Pour ce faire, nous avons sélectionné ces chansons spécifiques (Réf : Annexe) afin d’identifier et d’analyser les mots et les expressions qui incarnent cette violence verbale au sein de leurs échanges. Comme l’atteste le morceau « Glock », Didine Canon 16 et MC Artisan lancent des provocations à l’égard de Trap King, adoptant un ton et un langage particulièrement agressifs et recourant à des comparaisons dénigrantes pour minimiser leur rival. En réponse, Trap King contre-attaque à travers le même style musical, en employant des injures et des menaces, témoignant ainsi de la virulence des affrontements verbaux dans le rap algérien. Cependant, pour saisir pleinement les enjeux de ces joutes verbales, une compréhension approfondie des protagonistes s’impose. Nous proposons donc une brève biographie de ces acteurs du rap algérien, afin d’éclairer certaines nuances de leur affrontement.
À savoir :
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Didine Canon 16, alias Khireddine Yousfi, figure emblématique du rap algérien, est reconnu pour ses prises de position tranchantes. Résidant à Alger et originaire de Mila, il a gagné sa popularité avec son titre « Akhtini W N3ich Wahdani ». En 2018, il a exploré la musique variétale, élargissant ainsi son public. Son succès l’a conduit à collaborer avec des sociétés de production de renom comme la plateforme Anghami, et son duo avec Chemssou Freeklane a connu un triomphe en 2020, avec plus de 73 millions de vues sur YouTube.
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MC Artisan, né Ayman Jeffal à Souk Ahras, a émergé sur la scène du rap algérien après la sortie de son mixtape « Ordonnance » en 2015. Son morceau « Glock » avec Didine Canon 16, objet de notre étude, a atteint plus de 130 millions de vues, faisant de lui une figure marquante. Il est salué pour ses textes incisifs et son interaction dynamique avec son public sur les réseaux sociaux. En 2022, il a été invité au festival international de Timgad et a également exploré le domaine de l’acteur dans la série « L’Ikhtiar El-Awwal » diffusée lors du Ramadan 2023, ajoutant ainsi une nouvelle corde à son arc artistique.
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Trap King, de son vrai nom Zakaria Rejimi, se distingue dans le rap algérien, comme dans la « trap », où ses textes abordent la vie difficile des quartiers défavorisés et la quête de succès. Son influence grandit grâce à son habileté à créer des sons accrocheurs et à partager des récits percutants sur les plateformes en ligne. Il est aussi connu pour ses confrontations lyriques dans le milieu du rap. Son style est marqué par de nombreux tatouages, reflets de son identité artistique et de son appartenance à la culture hip-hop. Cependant, sa carrière est assombrie par une condamnation à 18 mois de prison pour son implication dans une agression à Alger.
Ces rappeurs algériens, en l’occurrence Didine Canon 16, MC Artisan et Trap King, ont été choisis pour cette recherche en raison de leur influence significative dans le paysage musical algérien. Leur popularité et leur impact dans le domaine du rap, notamment à travers leurs paroles et leur style musical distinctif, en font des figures pertinentes pour une étude sur la violence verbale dans ce milieu. Leurs interactions, comme les affrontements verbaux et les clashs, fournissent un terrain d’observation idéal pour analyser les dynamiques de la violence verbale et ses manifestations dans le rap algérien. Ainsi, ils sont des sujets de choix pour cette étude.
Cette investigation s’inscrit dans le domaine des sciences du langage, axée sur l’analyse du discours, qui est pertinente. Cette dernière offre un cadre conceptuel et méthodologique permettant d’étudier les paroles des chansons, les messages véhiculés et les stratégies rhétoriques utilisées par les rappeurs lors de leurs confrontations. En se concentrant sur le langage agressif et sa manipulation artistique, l’analyse du discours de la violence permet de dévoiler les dynamiques socioculturelles présentes dans les textes du rap algérien, en mettant en lumière les thèmes abordés, les perceptions de l’injustice sociale, les questions d’identité et les réactions politiques. Ce domaine met en avant l’analyse de la violence à travers des textes des « clasheurs », soulignant l’emploi de techniques narratives spécifiques au rap. Continuellement évolutif, le rap algérien s’inscrit dans une dynamique globale tout en préservant ses spécificités locales, servant ainsi de miroir aux réalités socioculturelles algériennes.
Dans le cadre de cette enquête, nous adopterons une approche conforme aux principes méthodologiques établis pour garantir la validité des données. Nous intégrerons à notre méthode d’analyse une combinaison de méthodes quantitatives et qualitatives, chacune apportant un éclairage spécifique sur le sujet d’étude. La méthode quantitative sera essentielle pour obtenir des résultats objectifs et mesurables, tandis que la méthode qualitative permettra une exploration approfondie des significations et des contextes sociaux des données. Cette approche nous permettra de démontrer des faits et d’interpréter nos résultats selon les objectifs soulignés.
Pour la collecte des données numériques, nous opterons pour la méthode d’observation systématique, largement reconnue dans des disciplines comme la sociologie et l’anthropologie. Nous utiliserons également des outils modernes tels que l’ordinateur, la clé USB, Internet et YouTube. Ainsi, les captures d’écran seront particulièrement utiles pour documenter visuellement les sources d’information, facilitant ainsi une analyse détaillée des données enregistrées. Ces instruments seront choisis en raison de leur rôle déterminant dans la collecte, l’organisation et le traitement des données nécessaires à l’analyse. Nous proposons la figure N° 4, ci-après, qui illustre en détail les différentes étapes, les approches méthodologiques et les outils utilisés dans cette recherche.
En somme, notre approche méthodologique combinant différentes méthodes et outils permettra de mener une analyse exhaustive et rigoureuse des données collectées, tout en respectant les objectifs et les exigences de cette investigation.
2.2. Langues en confrontation dans le rap algérien : « clash » Didine, MC Artisan vs Trap King
L’analyse des chansons de rap algérien opposant Clash Didine, MC Artisan et Trap King révèle des dynamiques linguistiques et socioculturelles intéressantes. Dans le graphique 1, l’arabe prédomine avec 75 %, suivi du français avec 14 % et de l’anglais avec 11 %, reflétant la réalité linguistique de la société algérienne. Cette répartition témoigne de l’usage attendu de l’arabe en tant que langue maternelle et véhiculaire, ainsi que de l’influence persistante du français héritée de la colonisation. L’incorporation de l’anglais soulève des interrogations sur l’impact de la culture mondiale sur l’expression artistique de la jeunesse algérienne.
Dans le graphique 2, une nette prédominance de l’anglais est observée avec 63 %, suivie de l’arabe dialectal avec 19 % et du français avec 18 %, marquant ainsi un changement significatif dans la distribution des langues. Cette suprématie de l’anglais peut être interprétée comme une quête d’authenticité artistique, influencée par le prestige associé à la culture hip-hop mondiale, qui est largement véhiculée en anglais. En parallèle, la persistance de l’arabe dialectal reflète un attachement aux racines locales et une volonté de préserver l’identité socioculturelle algérienne dans le rap.
Ces données soulignent les tensions et les évolutions perpétuelles du paysage linguistique et médiatique du rap algérien, témoignant des influences externes ainsi que des préoccupations internes des rappeurs concernant leur identité linguistique et socioculturelle. Les résultats des graphiques mettent en évidence la diversité linguistique des chansons de rap algérien, témoignant d’une alternance entre plusieurs langues. Les langues observées incluent l’arabe (standard et dialectal), le français et l’anglais. Le contexte linguistique algérien est défini par un « triangle linguistique » comprenant l’arabe classique, les langues maternelles (arabe dialectal et berbère) et les langues étrangères (français et anglais). Cette pratique est justifiée par les rappeurs pour diverses raisons, telles que la préservation des techniques empruntées aux chansons anglo-saxonnes et la représentation de leur identité socioculturelle, ce qui se reflète dans les paroles de chansons comme les premiers vers de la chanson « Glock » de Didine Canon 16 et MC Artisan. Selon ces artistes, pour prospérer dans un tel environnement mafieux, similaire à celui de Bogota, il est impératif de posséder les compétences nécessaires et de maîtriser les codes, surtout pour ceux ayant des antécédents. Cette mosaïque linguistique, souvent associée à un langage créatif perçu comme vulgaire ou violent, témoigne du comportement socioculturel des jeunes, communément appelés « ouled el houma » ou « ouled el quarti » (les jeunes du quartier). Elle s’inscrit dans une valorisation des pratiques d’oralité, incluant l’utilisation de l’argot et des insultes, comme le souligne Bautier (1997 : 6). Ce phénomène linguistique découle du bi/plurilinguisme observé chez la jeunesse urbaine algérienne depuis les années 1980, sujet d’étude dans les travaux sur les variations linguistiques des rappeurs. En effet, ces pratiques langagières revêtent une importance particulière dans le contexte de la jeunesse algérienne, où l’on observe parfois un conflit entre les langues utilisées par les jeunes (We code) et la langue officielle (They code), comme l’a souligné Louis-Jean Calvet (1994 : 67).
En outre, l’analyse du visage plurilingue des chansons de rap étudiées révèle une diversité des thèmes abordés dans chacune d’elles. Dans la chanson « Glock », les sujets incluent le clash, les menaces, les gros mots, les attaques et les provocations verbales, exprimées à travers un langage agressif en français, en arabe et en anglais. De même, dans la chanson « Tornado », on retrouve des thèmes comme le clash, la fierté, les provocations verbales, les menaces, les gros mots, les insultes et les attaques, également véhiculés à travers un langage agressif en français, en arabe et en anglais. Ces chansons reflètent un lien entre le langage utilisé et l’affirmation de l’identité des jeunes Algériens, se démarquant ainsi du langage plus conservateur de leurs aînés. Cette pratique langagière se caractérise par un emploi de la vulgarité, traduisant un malaise socioculturel, politique et un changement linguistique. Bref, les rappeurs algériens, inspirés par la musique mondiale, intègrent habilement différentes langues dans leurs chansons pour exprimer leur identité culturelle et sociale, parfois à des fins esthétiques, et cette diversité linguistique reflète l’évolution du rap algérien et la créativité artistique de ses interprètes.
2.3. Mots comme arme : décryptage du discours de la violence verbale dans le rap algérien
À partir de notre éventail, nous constatons que les rappeurs comme Didine Klach, MC Artisan et Trap King intègrent la violence verbale comme moyen de créer et adopter une approche plus sporadique, voire vulgaire pour capter leur public. Dans ces chansons, différentes stratégies de violence verbale sont utilisées, telles que l’implicite, l’explicite, l’insulte, l’ironie, le sarcasme et la menace, pour provoquer des réactions émotionnelles chez les auditeurs et renforcer leur message. Dans l’analyse des exemples implicites et explicites des deux chansons, on constate une utilisation variée de la violence verbale par les rappeurs. Dans la chanson « Glock », le rappeur Didine Klach, par exemple, utilise des expressions comme « les putes w la prostitute » pour insulter son adversaire, adoptant ainsi une approche explicite de la violence verbale. De même, des menaces sont proférées de manière explicite, comme dans « Sahbi conseil ma testish ghir calma ». En revanche, d’autres expressions implicites sont utilisées pour insinuer des significations plus profondes, telles que « Andi plan ndif » (traduit : j’ai un plan propre) qui peut être interprété comme une déclaration de respectabilité, mais qui, en réalité, véhicule une signification implicite de comportement voyou. Dans la chanson « Tornado », le rappeur Trap King utilise également un mélange d’expressions explicites et implicites de violence verbale. Par exemple, l’expression « Chayad fi rabi createur » est une déclaration explicite de foi en Dieu, tandis que « Naatiik triha » est une menace physique explicite. D’autres expressions implicites comme « Ki njiw hnaya tatnahaw mel wojod » sous-entendent une menace sans la formuler explicitement.
Dans d’autres exemples cernés, les rappeurs utilisent diverses formes de violence verbale pour exprimer des émotions fortes et provoquer des réactions chez leur public. Dans un cas, Didine et MC Artisan utilisent l’insulte en traitant Trap King de manière vulgaire pour exprimer leur colère. Ils emploient également un langage grossier pour le provoquer. Dans d’autres cas, comme celui de l’ironie, Trap King utilise des expressions comme « Wlid laassima nta ghir sakan fiha » pour insinuer que son adversaire est originaire de zones rurales ou éloignées, ou encore « mskin yrapi bnifo » pour pointer du doigt les problèmes de prononciation de MC Artisan. Le sarcasme est également employé, comme dans l’exemple où Trap King ironise sur sa supériorité dans le rap algérien. Enfin, des menaces sont proférées, telles que « 3endi clan mkawad men hors-jeu hna mdhalma », où l’artiste se vante de ses liens avec un groupe violent, ou « Sahbi conseil ma testish ghir calma » où une menace est adressée à un adversaire. Ces cas illustrent la diversité des stratégies de violence verbale utilisées dans le rap algérien pour véhiculer des émotions fortes et affirmer une identité qui est la leur. En comparant leurs styles variés, nous observons comment ces rappeurs façonnent leurs identités et suscitent des réactions émotionnelles chez leur auditoire, faisant des mots une arme redoutable dans l’arène du rap algérien.
Conclusion
En scrutant avec précision le clash du rap algérien, cette investigation révèle comment les rappeurs, tels que Didine Klach, MC Artisan et Trap King, manient la violence verbale comme une arme, utilisant un éventail de stratégies explicites et implicites pour captiver leur public. Leurs confrontations, empreintes d’insultes, de menaces, d’ironie et de sarcasme, démontrent la richesse et la complexité du discours de la violence dans ce milieu. À travers l’analyse de leurs paroles incisives et provocantes, cette enquête plonge au cœur des affrontements verbaux, dévoilant ainsi les intrications de cette forme d’expression artistique et ses implications socioculturelles. Cette recherche ouvre la voie à une perspective de recherche prometteuse axée sur l’impact psychologique et social de la violence verbale dans le rap algérien.