Analyse sociolinguistique des commentaires des Algériens sur Facebook : L’influence de la langue française et son évolution

تحليل لغوي اجتماعي لتعليقات الجزائريين على فيسبوك: تأثير اللغة الفرنسية وتطورها

Sociolinguistic analysis of Algerian comments on Facebook: The influence of the French language and its evolution

Fadila Moulasserdoun

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Fadila Moulasserdoun, « Analyse sociolinguistique des commentaires des Algériens sur Facebook : L’influence de la langue française et son évolution », Aleph [En ligne], mis en ligne le 07 septembre 2023, consulté le 28 avril 2024. URL : https://aleph.edinum.org/9671

En Algérie, le contact entre les langues a contribué à l’émergence de caractéristiques linguistiques particulières au français, enrichies par les réalités locales et les langues nationales. L’avènement des technologies de l’information et de la communication (TIC) a accéléré la diffusion de ces phénomènes linguistiques. L’apparition de nouvelles formes de langage atypique sur Facebook a suscité notre intérêt, nous incitant à analyser les commentaires des utilisateurs algériens de cette plateforme. Cette forme d’écriture se caractérise par la fusion de deux systèmes linguistiques distincts, l’arabe et le français. Les médias sociaux offrent à leurs utilisateurs une liberté d’expression totale, les éloignant souvent des normes linguistiques conventionnelles. Notre objectif de recherche est de documenter l’existence de ce langage atypique et d’en identifier les traits distinctifs. Mots clés

في الجزائر، ساهم اتصال اللغات في ظهور سمات لغوية خاصة باللغة الفرنسية، تثرى بالواقع الجزائري واللغات الوطنية. ظهور تكنولوجيا المعلومات والاتصال (TIC) ساهم في تسريع انتشار هذه الظواهر اللغوية. ظهور أشكال جديدة من اللغة الغير تقليدية على فيسبوك دفعنا إلى إجراء تحليل لتعليقات المستخدمين الجزائريين على هذه المنصة. تتميز هذه النوعية من الكتابة بالاندماج بين نظامين لغويين مختلفين، اللغة العربية واللغة الفرنسية. تمنح وسائل التواصل الاجتماعي لمستخدميها حرية التعبير الكاملة، مما يبعدهم في كثير من الأحيان عن المعايير اللغوية التقليدية. هدفنا في البحث هو توثيق وجود هذا اللغة الغير تقليدية وتحديد ملامحها المميزة. كلمات مفتاحيّة

In Algeria, language contact has led to the emergence of linguistic characteristics specific to French, enriched by local realities and national languages. The advent of Information and Communication Technologies (ICT) has accelerated the spread of these linguistic phenomena. The appearance of new forms of atypical language on Facebook has piqued our interest, prompting us to analyze the comments of Algerian users on this platform. This form of writing is characterized by the fusion of two distinct linguistic systems, Arabic and French. Social media platforms grant their users complete freedom of expression, often diverging from conventional linguistic norms. Our research objective is to document the existence of this atypical language and identify its distinctive features.

Introduction

L’Algérie se distingue par sa diversité socio-culturelle caractérisée par la présence de plusieurs langues et variétés telles que l’arabe classique, l’arabe dialectal, le berbère, le français et l’anglais. Actuellement, comme nous pouvons le constater, la langue française s’impose dans tous les domaines de la vie quotidienne des Algériens, en grande partie grâce à l’éclatement des frontières via les réseaux sociaux. Bien qu’elle puisse parfois prendre une forme atypique, mêlant des éléments de l’arabe, elle rend les échanges communicationnels possibles et intensifs entre les jeunes Algériens. Cette utilisation atypique de la langue française ne doit pas être considérée comme destructrice, mais plutôt comme une manifestation de la richesse linguistique et de l’héritage culturel de l’Algérie.

Notre travail de recherche s’inscrit dans le domaine de la sociolinguistique et se concentre sur une typologie langagière présente sur les réseaux sociaux, en particulier Facebook. Le contact des langues en Algérie favorise l’émergence de particularités linguistiques du français qui s’enrichissent au contact des réalités algériennes et des langues nationales. De plus, l’avènement des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) a accéléré la fréquence de ces phénomènes et a contribué à leur large diffusion dans le paysage sociolinguistique algérien.

Le français atypique, caractérisé par une fusion de l’arabe et du français, est perçu comme une nouvelle forme linguistique et graphique qui marque les écrits des internautes algériens sur Facebook. Les réseaux sociaux offrent à leurs utilisateurs une liberté d’expression totale, où ils peuvent s’affranchir des normes linguistiques conventionnelles. Nous constatons l’émergence de nouveaux procédés linguistiques caractérisés par des normes particulières propres aux utilisateurs de Facebook.

L’apparition de ces nouvelles formes linguistiques atypiques sur Facebook nous amène à poser les questions suivantes :

  • Quelles sont les particularités linguistiques du français atypique (cassé et arabisé) dans les commentaires des utilisateurs algériens de Facebook?

  • Quel est son impact sur l’évolution du système linguistique français?

Notre travail se consacre à l’étude d’un corpus composé d’une vingtaine de commentaires collectés sur la page Facebook de nos proches, amis et étudiants. À partir de ce corpus, nous tenterons de décrire et d’analyser les différentes formes graphiques du français utilisé sur Facebook.

Notre objectif premier est d’identifier les procédés linguistiques utilisés dans les commentaires des utilisateurs algériens de Facebook, puis de les analyser pour en déterminer les fonctionnalités et les variations. Enfin, nous chercherons à dégager les caractéristiques de ce phénomène linguistique, actuellement considéré comme une facilité et une souplesse communicationnelle renforçant les liens entre les internautes.

La créativité de ce langage atypique dans les discussions et les commentaires des utilisateurs algériens de Facebook est devenue une nécessité langagière, une addiction à laquelle ils ne peuvent se soustraire. Selon notre recherche, ce phénomène linguistique constitue un code de communication commun à presque tous les utilisateurs algériens des réseaux sociaux.

1. Volet méthodologique

1.1. Contexte de la recherche

Pour comprendre notre recherche, il est essentiel de définir le contexte de notre étude, à savoir le réseau social Facebook. Apparus il y a seulement une décennie, les réseaux sociaux sont désormais omniprésents, la plupart des individus possédant un compte sur au moins un réseau social. Facebook est le réseau social le plus répandu dans le monde, fondé par Mark Zuckerberg en 2004. Il s’agit d’une plateforme majeure de rencontres, d’échanges, de relations et de communication dans le monde entier. Un réseau social est défini par les individus qui le composent et les liens qui existent entre eux; il n’a pas de frontière marquée. Chaque réseau peut être perçu comme le point focal d’une constellation d’amis, de connaissances, de membres de la famille, de collègues de travail, de voisins, etc.

Facebook offre un moyen de communication idéal, d’information, de partage et de rapprochement entre ses utilisateurs. Il renforce également les relations d’amitié et d’amour, agissant comme un remède efficace contre la solitude. De plus, il offre une immense liberté d’expression, permettant aux gens de publier, de regarder et de commenter sans censure ni frontières. Cependant, il présente également des inconvénients tels que l’intimidation, la cybercriminalité et la perte de temps, ce qui peut nuire à la vie professionnelle et à la santé des individus. Ainsi, bien que les réseaux sociaux aient le potentiel d’être bénéfiques, ils peuvent également être dévastateurs s’ils sont utilisés de manière irresponsable.

1.1.1. Les langues sur Facebook

En Algérie, plusieurs langues sont utilisées sur Facebook, notamment l’arabe, le français et même l’anglais. Selon notre recherche, la majorité des internautes algériens préfèrent utiliser la langue française, qui est omniprésente dans leurs conversations quotidiennes. La plupart d’entre eux ont recours à des pratiques linguistiques telles que l’emprunt et l’alternance codique (arabe, français) pour faciliter la communication. Ces pratiques impliquent des modifications de l’orthographe et des formes grammaticales du français, dans le but d’économiser du langage, du temps et des efforts.

1.1.2. Le commentaire

Nous pensons qu’il est important de définir le commentaire avant de commencer notre analyse. Le commentaire est un exposé par lequel on explique, on interprète, on juge un texte (Dictionnaire de français Larousse). C’est un ensemble d’opinions, de critiques, d’explications ou de remarques sur des photos, des vidéos, un produit commercial, etc., publiés sur Facebook. D’après nos constatations, les internautes algériens préfèrent utiliser leur propre langue (arabe algérien ou français atypique) en l’employant dans leurs commentaires avec de nouvelles formes d’écriture qui leur permettent de développer leur créativité linguistique sans s’attacher aux normes standards d’écriture. Ils visent surtout à obtenir une communication libre, simple, efficace, rapide et spontanée.

1.2. Présentation du corpus

1.2.1. Diversité linguistique des facebookers algériens 

D’après notre recherche entamée sur Facebook, nous remarquons qu’il existe deux genres de Facebookers en Algérie : les francophones avec une certaine maîtrise du français et les arabophones qui utilisent l’arabe algérien avec parfois des emprunts lexicaux français complètement arabisés.

Dans notre recherche, nous nous sommes intéressés aux commentaires des francophones parmi nos proches, amis et étudiants pour rendre compte des particularités linguistiques du français. Nous avons collecté une vingtaine de commentaires de leurs pages Facebook. Ces commentaires sont rédigés dans différentes situations de communication.

Afin de mieux réaliser notre travail, nous avons fait appel à une démarche à la fois consultative, sélective et interprétative des commentaires publiés sur Facebook : nous avons d’abord consulté différentes pages Facebook. Ensuite, nous avons sélectionné les commentaires les plus pertinents pour notre analyse. Dans notre sélection, nous nous sommes intéressés au code linguistique seulement, nous en avons omis le code iconique, les smileys par exemple, qui ne sont pas le but de cette recherche. Notre intérêt est de déceler les formes graphiques du français atypique qui ne cessent de marquer les commentaires des Facebookers algériens, et à travers lesquels nous pouvons comprendre leurs représentations sur la langue arabe et française qui diffèrent d’un groupe à l’autre des internautes. Les francophones maîtrisant plus ou moins le français le valorisent dans leurs écrits. Alors que les arabophones sont beaucoup plus influencés par l’arabe algérien dans leurs commentaires, un arabe mixte (arabe/français).

1.2.2. Commentaires recueillis depuis les pages Facebook sélectionnées

Voici un ensemble de commentaires que nous avons sélectionnés pour notre analyse. Certes, notre corpus n’est pas exhaustif, nous avons choisi seulement les phrases les plus pertinentes pour notre analyse afin de donner un aperçu sur les particularités linguistiques du français dans les écrits des Facebookers algériens.

Notre échantillon de travail est composé de sept conversations que nous avons désignées par des lettres alphabétiques (a-b-c-d-e-f-g), nous avons omis d’utiliser les pseudonymes des Facebookers pour garder leur anonymat. La plupart sont des étudiants de langue française, en master « Sciences du langage»  et « Langue et culture »; d’autres sont nos proches et amies. Ces internautes sont des jeunes maîtrisant plus ou moins la langue française.

A. Kwa? ? ? Mé je crois K ct une info intéressante
- Swa disant C vré… parfwa C incroyable ces gens
- Dézoli mais ql est la date de cet info? ?
B- Hahahahahaaa je suis le berger malin Mrc pr le partage
- Hhhhhh oooh mon dieu merciii! partagii! ! !
- Bravooo! ! ! les filles vous êtes superbes
- Félicitations à vous mes sœurettes je vs aime
C - Roh tergoud! va dormir!
- C’pa vrai! ! machi nichèn! !
- Mrc ZINA jtm bcp… BN8
D- Saha ftourkoum bonsoir Nchalah ça va pour vs kirakom les filles svp je veux les titres des cours et mrc bq bonne soirée
- Mrc Chaima dnc li3ndh les cours y publihom
- 3toona jst les titres psq lcahi rah plein
- Eval oral ou bien exam écrit psq les LC ont eu une éval oral
E- C’la bel époque! ! LOL
- Ihhh pleins de choses ont changés kheli lbir bghtah sa me fais mal rien qu y penser
F- Les recettes ta3 oum walid sont les meilleures
- Celles de oum walid c just parfait! !
G- C mn partum préféré! ! !
- Moi perso nesta3amalh il est bien mlih bzeeeff

2. Analyse du corpus

2.1. Les contaminations linguistiques

Dans notre analyse, nous allons d’abord expliquer certains phénomènes de contact de langues, à savoir l’alternance codique et l’emprunt lexical. Nous constatons que l’alternance codique est présente dans certains commentaires étant donné que les facebookers sont francophones :

 « Roh tergoud ! Va dormir! » 
 « C’pa vrai! ! Machi nichèn! ! »
 « Saha ftourkoum bonsoir Nchalah ça va pour vs kirakom les filles svp je veux les titres des cours et mrc bq bonne soirée » 
« » Mrc Chaima dnc li3ndh les cours y publihom » 
« 3toona jst les titre psq lcahi rah plein » 

Nous remarquons dans ces exemples la juxtaposition de deux codes linguistiques distincts : le français et l’arabe algérien. C’est une stratégie de communication, ou de ce que nous pouvons appeler à l’instar de Giles Howard, « l’adaptation de la parole ».  (Howard, 2016), où l’alternance codique constitue une stratégie par laquelle le locuteur s’adapte et adapte son discours à son interlocuteur. Notre travail consiste, dans un premier temps, à mettre en évidence les caractéristiques linguistiques des mots, des fragments et des énoncés employés dans les deux codes du langage des facebookers.

Ce qui attire notre attention dans les deux premiers commentaires est l’emploi de la réitération, une forme langagière courante chez les internautes qui consiste à employer une expression deux fois dans deux codes différents : « Roh tergoud ! Va dormir! », « C’pa vrai! ! Machi nichèn! ! », « Ça va pour vs kirakom ». Les réitérations « peuvent servir à clarifier ce qu’on dit, mais souvent elles ne servent qu’à amplifier ou à faire ressortir un message»  (Gumperz L., 1989). L’expression répétée ou la reformulation n’apportent aucune information mais elles servent d’emphase, à amplifier le potentiel référentiel.

Dans les tours de parole mixtes, nous distinguons des lexies et des fragments tirés des deux codes. Les internautes francophones emploient des lexies ou des expressions qui représentent des situations, des objets ou des actions qui ne peuvent pas être exprimés en français, comme « ZINA»  (belle), « Saha ftourkoum»  (bon appétit), « Nchalah»  (si Dieu le veut), « mlih bzeeeff»  (trop bon), « rah»  (il est), pour rendre leurs messages plus expressifs et plus significatifs.

Par contre, les termes et les expressions français se réfèrent à des réalités ou des objets que le facebooker ne peut désigner par un terme ou une expression en arabe dialectal vu son imprégnation de la langue française.

Quant à l’emprunt lexical français, il est considéré comme étant un phénomène linguistique plus fréquent issu du contact des langues. Ce phénomène est largement répandu dans les commentaires des facebookers algériens. Selon Calvet :  

« L’emprunt est un phénomène collectif, car beaucoup de langues empruntent une grande partie de leur vocabulaire à des langues voisines… Les emprunts se font dans les deux sens, mais normalement lorsque deux langues sont en contact, la langue communautaire dominée a recours aux ressources linguistiques de la langue communautaire dominante»  (Calvet L. -J., 2009).

Voici un relevé d’emprunts lexicaux français pris des commentaires des facebookers : « Dézoli, partagi, lcahi ». Nous remarquons dans ces exemples que le phonème [e], une voyelle mi-ouverte à la fin des mots, est remplacé par le phonème [i], une voyelle ouverte. Le [e] est un phonème qui n’existe pas dans le système phonétique arabe. L’emprunt lexical français est susceptible d’être adapté à la prononciation du dialecte algérien. En effet, cette adaptation est imposée parfois par les difficultés phonétiques que posent ces mots aux utilisateurs de la langue emprunteuse. De ce fait, le facebooker algérien, qui cherche la facilité et la simplicité, écrit comme il prononce oralement; il adapte ainsi les unités empruntées au vocalisme déjà connu dans sa langue, mais le degré d’adaptation de ces lexies empruntées diffère d’une personne à l’autre. Quant à l’emprunt « y publihom»  (Il les publie) du verbe publier, il a subi la conjugaison de l’arabe algérien. En intégrant les verbes français dans des contextes à dominance arabe, les facebookers algériens leur font subir des transformations et leur adoptent les règles de conjugaison de leur parler quotidien, ajoutant ainsi le [j] (le yod), marquant le présent et désignant la troisième personne du singulier « il ». Enfin, nous pouvons dire que l’emprunt de la langue française dans les commentaires des facebookers algériens s’avère être un excellent processus de secours et d’enrichissement lexical dans des situations d’incompétence langagière et de blocage.

2.2. Les particularités linguistiques du français dans les commentaires des internautes

Les incorrections de la langue française dans les commentaires des facebookers sont souvent fréquentes. Nous remarquons une langue défectueuse, incorrecte. Les internautes transgressent les normes du français standard dans leurs écrits comme nous le constatons dans les exemples suivants : « Kwa? ? ? Mé, Swa disant, c vré, parfwa, bel époque, sa me fais mal rien qu y pense, etc ». L’orthographe et la syntaxe ne sont pas respectées. Nous remarquons une omission de la négation, des pronoms personnels, des déterminants, des accents, une négligence de la plupart des signes de ponctuation. Les signes les plus utilisés sont le point d’exclamation et d’interrogation pour exprimer un étonnement, une surprise, une interrogation, et pour donner plus de charges émotionnelles au message. Malgré l’utilisation de ce français cassé et atypique, les internautes arrivent à se faire comprendre aisément sans aucune difficulté, puisqu’ils partagent le même code de communication sur Facebook, un nouveau code linguistique en perpétuelle évolution.

Une autre particularité de ce phénomène linguistique est l’abréviation, qui est perçue comme étant un procédé graphique consistant à supprimer certaines lettres dans un mot ou dans une expression donnée pour obtenir une nouvelle forme graphique courte. Voici quelques exemples relevés des commentaires ci-dessus : « ql, mrc, jtm bcp, mrc bp, dnc, jst, psq, vs, pr ». Nous constatons que ces mots sont formés d’un squelette consonantique sans voyelle. Ce procédé est fortement présent dans la plupart des commentaires. Les facebookers algériens ont tendance à recourir à ce dernier dans leurs écrits par économie du langage, de temps et d’espace. En plus de simplifier et de faciliter la communication, ce phénomène linguistique n’a pas un caractère de langage universel, chaque internaute est libre de créer de nouvelles formes d’abréviations du français dans ses commentaires. Cette liberté d’expression encourage les facebookers à l’échange communicationnel puisqu’ils ne sont pas contraints de respecter le bon usage de la langue.

Nous remarquons aussi dans les commentaires des facebookers que les mots composés de plus de deux syllabes subissent différents traitements phonologiques comme la troncation, qui est une réduction du nombre de syllabes dans un mot. Parmi les traitements courants, nous relevons l’apocope qui est la troncation de la partie finale, la chute d’un ou de plusieurs phonèmes, d’une ou de plusieurs syllabes à la fin d’un mot comme : « Eval, Exam, perso, info ». Ce procédé linguistique est généralement dû à des facteurs sociolinguistiques. Le nombre de syllabes dans un mot est parfois plus élevé, ce qui pousse les facebookers à en supprimer quelques-unes pour faciliter l’échange communicationnel. Le facteur de l’économie du langage joue un rôle important et crucial dans l’écriture sur Facebook, permettant d’écrire plus de mots en peu de temps.

Un autre procédé linguistique constaté dans les écrits des internautes est le sigle, qui est un ensemble de lettres initiales majuscules qui, épelées, forment un mot servant d’abréviation. Ces sigles sont utilisés par les facebookers algériens dans des situations variées. À force d’utiliser ces différents sigles dans les communications électroniques entre les facebookers, ils finissent par acquérir un caractère conventionnel.

Alors que l’acronyme, selon la même source, est une abréviation d’une expression dont on conserve les éléments essentiels, ces derniers sont articulés comme un seul mot, comme nous le constatons dans « LOL»  (Laughing out loud), qui signifie riant à voix haute ou mort de rire. Ce procédé est peu utilisé dans les commentaires des facebookers algériens.

En outre, nous remarquons une autre pratique linguistique constamment utilisée par les internautes qui est le logogramme, défini comme étant la valeur graphique et phonétique attribuée à un chiffre pour remplacer une lettre donnée. Ce procédé consiste à employer certains chiffres à la place de certaines lettres. Les facebookers utilisent généralement des chiffres qui possèdent la même valeur phonétique que les lettres remplacées. Le logogramme  « BN8»  a la signification de « Bonne nuit », nous remarquons dans cet exemple que le chiffre huit (8) a la même valeur phonétique que [ϥi], qui, au contact de [n] à la fin du mot « bonne»  [bↃn], avec la chute du [ə] final, devient « nuit»  [nϥi] pour obtenir [bↃnϥi].

Une autre caractéristique du français atypique dans les commentaires des facebookers algériens est l’utilisation des syllabogrammes, qui consistent à remplacer une syllabe par un graphème de l’orthographe française dans le but de raccourcir les mots et économiser ainsi l’espace et le temps, comme dans « C»  (c’est), « K»  (que). Nous remarquons donc que les facebookers emploient uniquement une lettre pour définir un mot ayant la même valeur sonore. L’exemple de syllabogramme le plus fréquent est celui de « C»  qui remplace « C’est ».

Parmi les méthodes utilisées par les utilisateurs de Facebook pour exprimer et transmettre leurs sentiments, leurs émotions, nous avons l’étirement graphique, qui est considéré comme un processus expressif utilisé uniquement pour l’écriture électronique sur ordinateurs ou smartphones. Ce phénomène d’étirement graphique se manifeste comme étant un appui appliqué généralement sur la dernière lettre pour la faire prolonger. Nous citons les exemples suivants : « merciii ! !» ,  «bravooo ! !» ,  «bzeeeff» . Les facebookers ont recours à ce procédé, très répandu dans les commentaires, pour montrer l’intensité de leurs émotions et de leurs sentiments aux internautes.

Enfin, le procédé de l’onomatopée est fortement utilisé dans les écrits sur Facebook. Il est défini comme étant un cri, un son, un groupement de sons exprimant certains sentiments, et grammaticalement proche de l’interjection. Celle-ci est souvent présente dans les commentaires des facebookers algériens. Nous citons quelques exemples relevés des commentaires : «Hhhhhh»  ou « Hahahahahaaa»  (rire), « oooh»  (étonnement). Cette pratique linguistique n’est pas toujours fréquente mais reste plus ou moins répandue dans certains commentaires. Les facebookers algériens l’emploient pour exprimer leurs états d’âme, leurs sentiments, et attester ainsi de leurs réactions à propos d’un sujet précis.

Conclusion

Notre travail avait pour objectif de démontrer les particularités linguistiques du français dans les commentaires des facebookers algériens. À la lumière de nos analyses, il est évident que l’écriture électronique offre aux utilisateurs de Facebook l’opportunité de jouer avec les mots et les graphies. L’internaute algérien est devenu un créateur d’un nouveau code de communication, propre à lui, en rapport avec ses représentations et ses compétences linguistiques.

Les résultats de notre analyse des commentaires des facebookers algériens montrent que la majorité d’entre eux utilisent un français atypique, parfois cassé, arabisé, et métissé, sans se soucier des règles fondamentales de la langue française. Ils préfèrent s’exprimer comme ils parlent, écrivant librement sans se préoccuper de l’orthographe ni de la syntaxe des phrases. Parfois, ils utilisent deux codes linguistiques (arabe algérien et français), ce qui donne lieu à des alternances codiques et à des emprunts dans leurs commentaires, leur permettant ainsi de donner plus d’intensité émotionnelle à leurs messages. Ils ont également recours à divers procédés linguistiques tels que les abréviations, les sigles, les acronymes, etc., dans le but de se démarquer les uns des autres, tout en économisant langage, temps et espace, et en transmettant leurs états d’âme, leurs sensations et leurs réactions aux autres. Cette utilisation de la langue est une stratégie linguistique visant à assurer l’intercompréhension entre eux. Ce qui compte pour eux, c’est l’échange communicationnel libre, spontané, simple et rapide.

En fin de compte, nous considérons notre recherche comme un élément clé qui pourrait ouvrir de nouvelles perspectives de recherche sur les pratiques langagières des internautes sur les réseaux sociaux. Nous envisageons d’exploiter les résultats obtenus pour analyser le contact des langues étrangères dans l’univers scolaire, universitaire et social des Algériens. Cette démarche nous permettrait de suivre de près l’impact social, culturel et politique des langues sur les réseaux sociaux en Algérie. Notre recherche constitue ainsi une contribution à la compréhension des dynamiques langagières contemporaines dans un contexte de communication numérique en évolution constante.

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Fadila Moulasserdoun

Université Mustapha Stambouli - Mascara

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