La musique joue un très grand rôle dans le cinéma, elle remplit plusieurs fonctions comme la diffusion des émotions, la création des atmosphères particulières qui mettent en valeur des séquences précises des films ou des documentaires. Aussi est-elle utilisée comme identificateur de certains personnages et de certaines situations comme celles de l’épouvante ou de la joie. Souvent, elle est inaudible et passe pour inaperçue, notamment quand elle accompagne des moments de transition entre les actions. Mais quand elle est inexistante, son absence se fait ressentir. Cela prouve que même en étant quelque chose d’invisible elle est d’une importance majeure pour toute production cinématographique ou télévisuelle. Indissociable de l’agencement scénique du film, elle constitue alors un signal méta-communicationnel majeur, qui communique avec le spectateur au niveau de son inconscient, et influe par conséquent sur son émotion et sa réception de l’information. Elle devient le canal idéal pour véhiculer un discours précis. La musique représente donc un champ d’observation particulièrement fertile pour qui tente d’en percevoir les mécanismes psychologiques, esthétiques, sociologiques et politiques. Et ce sont justement ces aspects de la musique qui nous intéressent dans le présent article, sans prétendre à une analyse psychologique exhaustive, nous tentons dans ce présent article d’interroger les effets de la musique dans deux productions cinématographiques distinctes, lors de la même période, celle de la guerre de libération nationale. Il s’agit des documentaires suivants : L’Algérie vue par les autorités françaises en 1958 1(archives de l’INA/Institut national de l’audiovisuel) et L’Algérie en flamme de René Vautier.2 Deux échantillons emblématiques représentatifs d’un pan tragique de l’histoire de l’Algérie pendant la colonisation française. Une seule histoire racontée et diffusée par deux camps opposés (l’armée coloniale française et l’armée de libération algérienne FLN). L’idée est de voir comment ces deux derniers exploitent la musique afin de communiquer les images des horreurs de la guerre, et comment cette musique influe sur la réception des documentaires.
Il est question de voir comment la musique est mise au service du renforcement identitaire en période de guerre dans les deux camps, quel public vise-t-elle réellement, mais il s’agit surtout d’analyser ces deux supports dans le but de comparer comment la musique interagit comme procédé de narration à côté de l’image. Car il sera posé que, du côté du colonisateur, l’image de l’algérien en tant qu’« Autre » est construite sur base de clichés et de poncifs œuvrant à le dévaloriser. Cette manière de représenter l’algérien comme un être inférieur remonte aussi au dix-neuvième siècle avec la peinture et les récits de voyages. L’avènement du cinéma va aussi faciliter la tâche pour la propagande coloniale.3
1. La musique dans le documentaire L’Algérie vue par les autorités françaises en 1958
Le contexte politique en Algérie est tendu, la guerre fait rage. La France déploie des efforts pour maintenir l’Algérie sous son joug. Par conséquent, une production cinématographique voit le jour au service de cet objectif.
Il ne s’agit plus de contrôler seulement l’image, mais de promouvoir un discours. Pour cela, l’administration coloniale française a mené une véritable action psychologique massive à travers le cinéma en élaborant des documentaires exaltants, copiés du modèle américain en vogue depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Ils sont réalisés par le service cinématographique des armées et l’INA (L’Institut national de l’audiovisuel français) sur les bienfaits de la présence coloniale française en Algérie.
Les thématiques les plus récurrentes sont celles relatives à la vie sociale : des scènes de classes d’enfants « indigènes » dans des écoles érigées par l’administration coloniale, des scènes de soins médicaux de masse, des compagnes de vaccination, et des constructions urbaines, édifices, hôpitaux, routes, réalisés par l’armée française et des scènes qui démontrent le succès de la modernisation du secteur agricole4, le tout narré par une voix off très solennelle.
Mais pour conforter davantage cette action de contrôle, un nouveau concept est mobilisé désormais dans les documentaires : la musique.
Cet art conçu comme un langage des passions et des émotions, à la puissance significative dans l’univers social et politique. Jean-Jacques Rousseau a noté auparavant son importance5 Objet symbolique des représentations collectives, la musique est un fait social aux dimensions mobilisatrices et influentes. Elle alimente une conception de l’histoire de l’humanité; non seulement elle enregistre et interprète les souvenirs et les traditions, mais elle construit aussi des identités.6 Elle peut aussi jouer un rôle politique de formation du citoyen et de contestation; le monde musical s’ouvre ainsi aux événements et à l’histoire internationale, acquérant une conscience politique. Et puisque la musique suscite des passions et des émotions et est parfois connectée avec des messages patriotiques, politiques ou révolutionnaires, elle joue un rôle important dans la mobilisation des masses et il est inévitable qu’elle ait été aussi instrumentalisée systématiquement pendant les guerres, qui sont par définition des moments de confrontation internationale. La relation entre la musique et la guerre est constamment présente dans l’histoire de l’humanité, car il y a eu de multiples manifestations de guerre dans le champ musical aussi bien que de la musique sur les champs de bataille. L’exemple le plus connu dans l’histoire de l’instrumentalisation musicale est celui de l’Allemagne pendant la Deuxième Guerre mondiale et sa tentative de domination du monde.
Nous allons justement constater cette instrumentalisation de la musique dans les deux documentaires que nous avons pris pour supports, ou la musique est d’abord mobilisée pour un projet criminel, celui de justifier une présence étrangère dans un pays souverain. Mais elle sera ensuite, de la même manière exploitée pour dénoncer ce discours colonialiste. La musique devient aussi dans ce contexte un outil redoutable de diffusion de discours et de contre-discours.
Sans prétendre faire une analyse complète de toutes les productions cinématographiques sur l’Algérie en période coloniale, nous avons constaté que la musique utilisée dans ce genre de documentaire est très souvent la même, légère et joyeuse, qui ne correspond en aucun cas à l’ambiance et au contenu traité dont le thème est souvent la guerre.
Ainsi, dans le documentaire de l’INA, le choix d’une musique légère est inattendu d’autant plus que la plupart des vidéos, hormis leur contenu sur les « services de la France coloniale » en Algérie, montraient souvent des images très violentes de cadavres, qui auraient été actuellement interdites de diffusion dans les médias. À ce stade, nous nous sommes interrogés sur la raison réelle derrière ce choix particulier de musique, s’agit-il d’un choix ciblé derrière lequel plane une volonté de persuasion politique? Mais est-ce déjà possible de faire passer un quelconque message politique à travers une simple musique instrumentale?
La musique a toujours eu un lien étroit avec la politique. L’histoire a depuis toujours vu l’utilisation de ce support comme outil de propagande au service du pouvoir. 7
Devenue vecteur de propagande, la musique est donc mise au service de l’occupant afin de le soutenir dans sa guerre, sa politique d’occupation et son refus de toute contestation.
Mais qu’en est-il de la musique instrumentale? Cette dernière ne contient aucun slogan politique ou nationaliste, et malgré le fait qu’elle soit à la base une musique de film détournée dans des documentaires politiques, il est difficile de croire en sa neutralité idéologique, comme il est difficile pour nous de prétendre à une analyse en l’absence d’une méthode spécifique qui relève du domaine de la musicologie sur un ensemble de symboles. Il est bien évidemment impossible de déterminer la nature politique d’un son, en revanche, ce sont le contexte et les conditions de son utilisation qui procurent une résonance politique. Avant de procéder à l’analyse de l’effet de la musique dans les deux documentaires, il est nécessaire de revenir d’abord sur leur contexte historique.
Les deux films documentaires ont été produits dans un contexte de la guerre de libération nationale. En 1958, les Algériens entament la quatrième année de lutte de libération.
L’Algérie revendique depuis longtemps son indépendance alors qu’un large mouvement de décolonisation a lieu après la Seconde Guerre mondiale dans le monde entier. Les affrontements entre les Algériens et l’armée française sont de plus en plus violents. À partir du 1er novembre 1954, la répression exercée sur les Algériens devient plus violente et plus atroce, elle est générale. Toutes les couches sociales sont touchées par un dispositif répressif démesuré mis en place par une armée française humiliée au Vietnam. La guerre devient coûteuse pour la France coloniale qui ne cesse de doubler d’efforts de guerre notamment avec la découverte de gisements de pétrole et de gaz sur le territoire algérien en 1956.
En 1955, l’état d’urgence est proclamé. Les effectifs de l’armée seront doublés. C’est le début d’une guerre meurtrière qui oppose les Algériens à l’armée française, aux partisans de l’Algérie française et aux harkis. Les violences s’enchaînent dans les deux pays, touchant militaires et civils. La bataille d’Alger qui va durer presque toute l’année 1957 en est l’illustration parfaite.
L’année suivante est marquée par une crise politique, c’est l’année du doute pour l’armée française qui malgré les moyens mobilisés, la répression et l’appui de certains harkis, avait du mal à en finir avec l’ALN. Cette même année est marquée par la chute de la quatrième république et l’arrivée au pouvoir du général Charles de Gaule appelé par Jacques Massu et le Comité de salut public après le coup d’État d’Alger du 13 mai 1958. Le général de Gaule prend la présidence du Conseil pour gérer la crise algérienne. Il a pour mission de proposer une nouvelle Constitution française pour servir de texte fondamental à la Ve République. Son texte est adopté et il est élu président en décembre. Se rendant en Algérie en 1958, il prononce un célèbre discours le 4 juin à Alger. Il s’adresse au peuple algérien en disant : « Je vous ai compris! ». Ce sont ses propositions pacificatrices qui mèneront progressivement à la fin du conflit, à l’indépendance totale de l’Algérie et aux accords d’Évian (1962) ainsi qu’à un traité de commercialisation.
L’année 1958 est aussi une année charnière pour l’ALN durant laquelle ses rangs ont été renforcés quantitativement et qualitativement, d’ailleurs, la plupart des historiens parlent de 1958 comme étant « l’année de l’ALN », qui fut en même temps l’année de la création à l’extérieur un gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), présidé jusqu’en 1961 par Ferhat Abbas.
1.1. L’Algérie vue par les autorités françaises en 1958 : une colonisation à « visage humain »
Le documentaire est proposé par les archives de l’INA, et est disponible sur YouTube. Ce film documentaire de 14 minutes relate les « événements algériens » du point de vue des autorités françaises. L’utilisation de la musique commence avant même le début du documentaire et elle est lancée dès le début du générique (une pratique tout à fait normale puisqu’au cinéma, tout commence généralement en musique). C’est dire l’importance du premier morceau : de lui dépend la façon dont le spectateur entre dans le film, sa première impression et ses attentes. La couleur est suggérée dès le départ, il s’agit d’une entrée en musique aux intonations glorieuses et exaltantes, accompagnée simultanément par une voix grave : « Il n’est sans doute pas mauvais d’entrer dans le drame algérien par l’Algérie elle-même; un coup d’œil sur Alger, qui n’a été voici 130 ans qu’une bourgade moyenâgeuse donne tout de suite le ton des transformations accomplies ».8 Le narrateur décrit ensuite les « cent trente ans d’aménagement de l’Algérie »9 dans le domaine urbain, et industriel. Des prises de vues de bâtiments, de « constructions majestueuses »10, de barrages, de travaux d’irrigation qui fertilisent l’espace, « où naguère s’étendait un immense désert »11, vignes, blés, forage de pétrole, un port animé aux riches activités, « et tout cela est l’œuvre d’un siècle français ».12 Le début du documentaire est une réelle promotion de ce que l’on appelle aujourd’hui « les bienfaits de la colonisation ». Le journaliste présente l’Algérie comme un ensemble de la réussite française dans tous les domaines économiques du projet français : urbain agricole et industriel (0 : 28/01 : 40).
Ensuite, son discours bascule vers les ennemis qui essaient de « compromettre » cette réussite, dont le bénéfice revient, selon les images, aux indigènes algériens, qui tout au long des séquences, sont exhibés en travailleurs heureux et satisfaits. Ils bénéficient dans tous les secteurs d’activité de moyens et appareils sophistiqués leur permettant d’accomplir confortablement leurs tâches. La musique ne s’arrête à aucun moment, elle continue, plus grave, avec des percussions fortes et rythmées accompagnant l’épopée coloniale dans ses réalisations bénéfiques, sabotées par « les terroristes » indigènes.
Voies ferrées détruites, poteaux électriques arrachés, des arbres et des fermes brûlées, animaux égorgés, autocars attaqués, des blessés portés soigneusement par les Français sont secourus par l’hélicoptère, des cadavres mutilés, découverts par des soldats français, le spectacle est désolant, des images d’horreur défilent, le ton de la musique change, la mélodie est triste, on sent une volonté de compassion dans les notes musicales qui se poursuivent sur cette lancée, jusqu’aux séquences des funérailles des victimes françaises et des victimes musulmanes (04 : 10/05 : 58).
Mais la vie reprend son court et après les séquences dramatiques, l’accent est remis sur l’expansion économique de l’Algérie, avec un discours de promotion sur l’armée française « ce qu’est venue faire l’armée ici, ce n’est pas une reconquête comme une habile propagande veut le faire croire, elle est venue pour assurer la continuation de la vie algérienne et la sauvegarde des groupes humains qui vivent ensemble, sur cette terre depuis cinq générations »13
Les séquences qui succèdent montrent une armée qui a repris les travaux. Malgré un climat de menace et d’insécurité, le génie militaire, armé de son savoir-faire veille à accomplir une œuvre à la source d’une nouvelle civilisation prête à accueillir et soigner les indigènes qui se sont entre temps bien multipliés. Une armée qui édifie un barrage, qui dessine et construit des routes qui ouvre des écoles même dans les régions les plus reculées de l’Algérie qui procède au remplacement du maître « victime de persécution »14 et offre spontanément son instruction. Bref, cette séquence montrée est accompagnée d’une musique solennelle, qui se veut presque un hommage à une armée « humaine », salvatrice et bienfaitrice. La musique qui accompagne toutes les images des exploits de cette armée semble participer à la promotion de l’action psychologique que l’armée française avait entamée après l’installation des sections administratives spécialisée (les SAS).
Ensuite, des images choquantes de cadavres d’enfants et d’adultes égorgés, pour la plupart, sont remises en scène, avec comme toile de fond une musique joyeuse et désinvolte, qui continue même lors du bref passage emblématique ou cinq importants « chefs rebelles » qui ont donné du fil à retordre à l’armée française sont capturés, il s’agit des membres fondateurs et militants du Front de libération national algérien (FLN) : Ahmed Ben Bella, Mohamed Khider, Hocine Aït Ahmed, Mohamed Boudiaf, et Mostefa Lacheref. Le journaliste commente cette scène brièvement, avec un ton expéditif et désintéressé « qu’il est inutile d’épiloguer ».15
Le documentaire se poursuit, toujours avec la même musique, mais avec des tons cette fois-ci plus graves, accompagné de la voix enorgueillie du journaliste sur l’efficacité des forces de l’armée française coloniale dans la surveillance des frontières algériennes terrestres et maritimes, et sa réussite a contré le trafic d’armes à destination de l’Algérie pour les militants du FLN.
Enfin, vers la fin du film, la musique redevient enthousiaste et joyeuse lors des séquences de rédemption d’un chef rebelle des Aurès qui selon le journaliste se soit rendu de pleins grés aux autorités françaises, et va même jusqu’à lancer un appel de reddition à ses compatriotes : « Adjoul a compris ».16 Tout de suite des scènes de foules d’indigènes, une parabole évidente aux compatriotes qu’a exhorté Adjoul, sont montrées accourant vers des soldats français afin de « trouver protection, de s’assurer une liberté et un travail dans un pays qui menacerait d’être la proie des factions et du désordre continuelle comme il l’était autre fois », le journaliste termine son discours d’une voix plus lente en martelant ses mots « l’Algérie est un problème français qui exige une solution française ».17
1.2. Musique, voix, images et dimension politique
Le projet colonial en Algérie est bien évidemment présenté dans ce film de propagande comme étant réussi grâce au soi-disant développement économique que la France insuffle à l’Algérie.
Un projet mis en péril par des « sauvages » cela implique, ainsi, qu’être « civilisé » veut dire être quelqu’un d’essentiellement économique. L’intervention du journaliste est une longue tirade sur les bienfaits de l’armée française en Algérie, accompagnée par une musique légère et enthousiaste pour la plupart du temps.
Cette vidéo de propagande est destinée dans un premier temps à la population indigène et a pour but de rétablir « la vérité » sur la présence bienfaitrice française en Algérie, contre « le mensonge à propos d’une occupation coloniale ». La musique glorieuse accompagne un discours et des images qui ont pour ambition de convaincre les autochtones de l’implication de la France dans la vie indigène, de son empathie et de sa compassion envers les malheurs de cette population, de la supériorité de la culture coloniale française, de ses bienfaits et surtout de sa nécessité pour leur survie. Mais de plus, elle vise à travers le choix d’une musique française, un renforcement du rattachement identitaire des Algériens autochtones à la patrie mère : La France.
Cette dernière veut consolider le sentiment patriotique chez les indigènes, sans pour autant avoir l’intention de les considérer un jour comme des Français à part entière.
Enfin, le caractère joyeux et désinvolte de cette musique est justement choisi pour subvertir des séquences importantes comme la capture des chefs du Front de libération nationale, l’intention derrière est de minimiser ces événements, accentuer leur futilité et marquer le désintérêt d’une France puissante et hautaine, qui ne montre aucune inquiétude face aux combattants du Front de libération nationale algériens. La musique, similaire à celles utilisées dans les comédies frivoles et romantiques de l’époque, est détournée et réutilisée pour amortir l’importance comme la violence du contexte du documentaire. Par ailleurs, n’oublions pas l’importance de la deuxième musique qui domine le documentaire, qui est aussi importante que la première : la voix humaine du journaliste.
En effet, rappelons que le son dans un film se compose de trois catégories différentes, qui vivent ensemble simultanément : la parole, l’effet sonore et la musique. Ces dernières sont reliées par la voix humaine, qui peut être aussi considérée comme un effet sonore, un effet sonore peut jouer le rôle de la musique, et la musique peut prendre la fonction d’un effet sonore et de la parole. Cette position très intéressante du son du film permet toute sorte de manipulations ou musique instrumentale et une voix humaine, souvent grave, désinvolte ou rébarbative, sont combinées pour assurer une tonalité aux registres développée.
Dans un deuxième temps, nous avons constaté que le documentaire ne vise pas uniquement un public algérien. Il s’agit non seulement d’une vidéo de propagande coloniale, mais de plus, une publicité de l’armée française qui tente désespérément d’attirer du renfort humain qui se fait de plus en plus réticent à rejoindre ses troupes. L’utilisation d’une musique justement légère lors des opérations militaires et la diffusion des cadavres mutilés, ont pour but d’atténuer la gravité et la violence de la situation, la musique qui est limite joyeuse banalise le contexte et la cruauté des images.
Quant à l’utilisation du requiem lors de la diffusion des images des funérailles des victimes françaises des « terroristes algériens », le but est de réveiller le sentiment nationaliste des Français. La triste mélodie qui montrait la compassion des colons aux Algériens, parce que des images de deuils d’Algériens sont diffusées, est censée aussi amadouer les Français et les impliquer directement dans les tragiques événements.
Enfin, la diffusion des exploits de l’armée française en Algérie en matière d’éducation, d’industrie et d’urbanisation : « l’armée a quitté ses armes »18 accompagnées d’une musique glorieuse et la voix solennelle du journaliste, est la combine idéale pour convaincre les jeunes Français encore réticents à rejoindre l’armée, du caractère humain de cette dernière, les persuader que venir en Algérie et rejoindre ses troupes ne rime pas forcément avec la prise d’armes, mais s’ils viennent c’est pour accomplir une mission plus noble : il s’agit d’une mission humanitaire dont le but est d’apporter la civilisation à la manière des missionnaires, aider les indigènes et les protéger d’eux-mêmes puisqu’ils sont incapables de le faire.
2. L’Algérie en flamme de René Vautier : Debout les damnés de la terre!
2.1. L’art au service d’un engagement
Lors de la guerre d’Algérie, le déséquilibre entre une armée coloniale puissante, usant de moyens modernes, en conflit avec des combattants de l’ALN aux moyens plus rudimentaires se fait ressentir dans les images. Mais les Algériens ripostent tant bien que mal, et usent à leurs tours des documents cinématographiques, certes moins hollywoodiennes, pour parler de leur cause.
Dès 1957, les cinéastes connaissent organisation et formation, grâce à l’aide notamment de jeunes cinéastes français qui ont rejoint l’ALN (armée de libération nationale). Certains, proches de la gauche, ont longuement soutenu la guerre des Algériens, comme René Vautier, qui réalise : Algérie en flammes, un film de 23 minutes en 16 mm, tourné en grande partie clandestinement en Algérie en 1956-1957, et une nation, l’Algérie, en 1957, et bien d’autres documentaires.
Écroué et censuré, martyr de la liberté d’expression, René Vautier, cinéaste français, est toujours resté fidèle à ses engagements et à ses principes. Sur le front de tous les combats contre l’oppression des peuples, il a vu quasiment la plupart de ses films interdits de diffusion à la télévision, malgré toutes les distinctions obtenues. En quête de causes justes, caméra au poing, ce militant des droits de l’homme n’a jamais hésité à mettre « l’image et le son à la disposition des gens à qui les pouvoirs constitués les refusent », pour hurler son refus du colonialisme, son rejet du racisme et son opposition à l’exploitation et à l’oppression de l’homme.
À l’aube de la lutte pour l’indépendance de l’Algérie, René Vautier a produit un film sur la conquête de l’Algérie par la France en 1830. Il fut sévèrement critiqué par le ministère français des Affaires étrangères qui considérait cette prédiction d’une rébellion de l’Algérie contre l’oppresseur étranger, comme un danger pour la sécurité nationale.
En réaction à cette accusation, René Vautier tourne Algérie en flammes en 1958, à la manière d’un reportage sur le mouvement algérien de la résistance. Le documentaire d’une durée de 22 : 04 est réalisé dans des conditions exceptionnelles (en pleine guerre d’Algérie et dans les maquis du FLN) et avec des moyens techniques élémentaires (caméra de petit format). En vivant parmi « les moudjahidines », René Vautier et sa petite caméra vont immortaliser la vie au maquis. Le réalisateur appuie la cause algérienne et témoigne de l’engagement des populations avec le FLN dont elles font partie. Le film dément la propagande coloniale faisant de la guerre entreprise en Algérie de simples opérations de police et de maintien de l’ordre en montrant les bombardements de villages, les populations fuyant leurs terres brûlées et les forêts ravagées par le napalm. Algérie en flammes est un film de maquis, expression éminemment militaire. Il est construit en quatre parties sur le principe du montage en parallèle et de la composition découpée et ordonnée d’un récit politique : 1/Le maquis algérien, son combat, son quotidien 2/La caravane de civils 3/La tragédie Sakiet Sidi Youssef 4/Conclusion sur la nécessité d’une résistance pour l’indépendance.
Ce film appartient à la catégorie du reportage filmé en 16 millimètres, travaillé en caméra portée, technique déjà utilisée par la résistance française pendant la Seconde Guerre mondiale.
Sans trop attendre, René Vautier n’hésite pas à utiliser un procédé musical dès le début du film pour nous transmettre son opinion politique. La musique d’ouverture n’est autre que la version instrumentale de l’hymne national algérien, l’idéal pour annoncer la couleur révolutionnaire.
Une fois le générique terminé, une musique instrumentale de cinéma accompagne des images de paysages algériens et la voix calme, modulée et agréable du journaliste « l’Algérie, sol brûlé, arrosé de sang et de larme; l’arc-en-ciel symbole de lumière et de liberté ». La musique se transforme soudain en hymne national algérien vers la minute 01 : 10/01 : 18, le journaliste enchaîne : « au côté de son armée de libération nationale, le peuple algérien lutte pour sa liberté et sa dignité contre la brutalité des envahisseurs français ou la domination coloniale s’exerce depuis presque cent cinquante ans. »
Des images de combattants algériens sont diffusées, la première séquence montre comment les éléments de l’ALN font saboter un train et se retirent ensuite dans le maquis.
Les soldats algériens sont filmés dans leur quotidien, dans des situations banales et décontractées, en train de manger, de discuter, d’étudier, de dormir ou d’apprendre les techniques des armes. Il s’agit de simples hommes et femmes qui vivent dans une communauté fraternelle, l’accent est mis sur le caractère familial et solidaire qui les réunit. Des soldats courageux, sans prétention, vivant de moyens très rudimentaires, mais toujours le sourire aux lèvres, joyeux et de bonne humeur. La musique s’arrête à peine et elle est vite remplacée par une chanson patriotique égyptienne dédiée à la révolution algérienne en langue arabe « yatir yatayer ». Le journaliste commente avec une voix émue : « leur chant parle de liberté et de la popularité des peuples arabes ».19
Le chant se tue, le relais est dès la minute 04 : 10 passent encore une fois à un hymne national accentué de tambours militaires, montrant simultanément des séquences de soldats en phase de préparation de missions de combats. À la minute 05 : 21, le décor change et la musique avec, la flûte émet une petite ligne mélodique très profonde et douce à la manière des braves paysannes montrées préparant un repas frugal pour les troupes qui n’est autre qu’une simple kessra, une galette algérienne à base de semoule, distribuée et reçue joyeusement par des soldats « qui se contentent de peu ». Cette musique, cette flûte montre l’ancrage de l’Algérie dans une culture que celle de la France voulait imposer en Algérie. Elle est un démenti sans appel à ceux qui prétendent que l’Algérie était la France.
Ensuite, un chien, et des mulets sont montrés « alors que l’armée française est complètement motorisée »20, des troupes de soldats qui s’alignent, se préparent à quitter le maquis, les blessés qui restent, dans une infirmerie de campement éphémère. La musique transitoire est remplacée par un chant révolutionnaire patriotique à la minute 06 : 33 : « Min Djibalina », un chant patriotique algérien glorifiant le combat nationaliste pour l’indépendance de l’Algérie, dont les textes sont l’œuvre de Mohamed Laïd Al-Khalifa, rendue célèbre par les scouts musulmans algériens qui l’ont chanté durant les manifestations du 8 mai 1945 à Sétif, et qui comporte entre ses lignes et ses refrains une musique inspirée du chant patriotique français « Régiment de Sambre-et-Meuse ».21
Le chant perdure lors de la longue procession des soldats qui descendent de la montagne, sous l’appel à la lutte pour la patrie, mais exprime surtout une aspiration à une vie meilleure et à la résistance. Les « fils de l’Algérie » sont les « fils des lions » protégeant leur pays. L’histoire et la nature sont appelées en témoins : « tout en toi grandit, son amour est végétal », « Tu as dans l’histoire un rang rayonnant au-delà de tes hauteurs ». Lieux de résistance, de combat et de refuge, les montagnes sont le berceau par excellence de l’identité algérienne et de la liberté. À la fois sauvage et glorieux, le lion s’y nourrit et s’offre en modèle aux hommes.
Par ailleurs, à la minute 07 : 18, c’est un hommage que rend Vautier aux femmes combattantes algériennes sous une musique classique résignée, des femmes qui luttent courageusement à côté des hommes, « aujourd’hui, elles sont infirmières dans l’armée algérienne, elles doivent recourir aux armes pour défendre leur honneur, les Français ne respectent pas la convention de Genève et font aussi la guerre aux femmes et aux enfants » des femmes soldats qui n’aident pas seulement à panser les blessures des combattants, les séquences les montrent assises à même la terre avec des enfants et des femmes, soutenant ces villageois dans la misère, les aident dans le besoin, la faim et la maladie, « conséquences de quatre ans de guerre et de cent cinquante ans d’exploitation » des images d’enfants, de villageois dont la pauvreté est évidente sont montrées, sous une musique et une voix triste et empathique du journaliste qui traduisent le contexte pauvre et misérable dont il est question. À la minute 08 : 16, la musique est plus grave et résignée aux images des combattants algériens de l’ALN partageant la nourriture avec les villageois, des combattants soutenus et aimés par le peuple, qui leur offrent gîte et nourriture, des hommes filmés dans leur sommeil, en totale confiance, car protégés par leurs hôtes. 09 : 14 : l’hymne national resurgit, les soldats de l’ALN effectuent une longue marche vers une mission d’attaque, ponctuée par des haltes, traversant dans le courage et la résignation, montagnes et ravins. Le ton change à la minute 10 : 44, l’heure est grave, la mélodie redevient grave et alarmante, tout comme le timbre de la voix du journaliste, les maquisards de l’ALN sont repérés pas les avions militaires français, un accrochage a lieu. Ensuite, lors de la séquence de la capture des quatre déserteurs militaires français dont deux sont algériens, ces derniers montrant, tous les quatre, leur adhérence à la cause algérienne en fournissant un mot de passe qui leur a été octroyé par un agent de liaison, sont accueillis par les éléments de l’ALN « comme des frères » dans la minute 12 : 16, avec un bref clin d’œil musical de La Marseillaise, un chant patriotique de la Révolution française adopté par la France comme hymne national. 12 : 26. La voix du journaliste est résignée et plus grave que jamais. Des scènes d’assaut entre l’armée algérienne et l’armée française défilent, Min Djibalina précède la Marseillaise à côté des bruits stridents des mitraillettes et des bombes qui finissent par prendre le dessus sur le chant patriotique. Min Djibalina réapparaît furtivement vers 14 : 19. Elle est vite remplacée par un chant patriotique a capella en langue arabe « IKhwani la tensaw chouhada » (mes frères, n’oubliez pas les martyrs) un hommage aux martyrs tombés dans le champ d’honneur, qui sied aux images de deuils des troupes de l’armée de l’ALN sur la perte de leurs frères combattants : « ils n’ont pas honte de leurs larmes, ils haïssent cette sale guerre, mais ils savent que la paix, l’indépendance ne se confirme que par la lutte, leurs frères et leurs amis ne sont pas tombés en vain ». Juste après, vers la séquence 15 : 32, débute La Marseillaise et disparaît aussitôt qu’elle est réapparue pour se transformer en Kassaman, l’hymne national algérien. René Vautier introduit le tambour militaire français (16 : 46) lors de la diffusion d’images de désolation de terres brûlées au napalm par l’armée française, et appuie avec une voix triste et désolée : « comme ce pays pourrait être beau », le tambour militaire continue avec les images des villageois chassés de leurs villages « et fugitifs dans leur propre pays », témoigne le journaliste avec toujours une voix attristée et grave. Une musique instrumentale triste est par la suite diffusée avec des séquences des mêmes villageois fugitifs, montrant leurs dures conditions de survie, aidés dans leur malheur par l’armée algérienne sous la mélodie du chant révolutionnaire Mawtini. Le film se termine enfin avec des images de cadavres d’enfants de femmes et d’hommes du village de Sakiet Sidi Youssef, le journaliste précise le jour et l’heure 8 février 1958 10 h du matin, et rajoute avec une voix résignée et solennelle : « ils cherchaient un refuge, ils ont trouvé la mort ».
2.2. Musique, voix, images et dimension politique dans l’Algérie en flamme
En réponse à la propagande française, qui présente les « fellaghas » algériens comme des bandes inorganisées de terroristes sanguinaires, le documentaire de René Vautier, révèle l’existence d’une armée régulière (l’ALN), proche du peuple et efficace dans sa lutte pour l’indépendance.
Ce sont de braves hommes contraints à faire la guerre, qui sont représentés et présentés par Vautier qui n’hésite pas à dévoiler leur sensibilité en montrant des moudjahidines pleurant les leurs, des hommes courageux et humbles, qui se contentent de peu et disposent de peu de moyens, des moudjahidines pacifistes qui accueillent des déserteurs à bras ouverts comme des frères en les embrassant.
Tout au long du documentaire, la voix empathique du journaliste, hymnes nationaux et chants patriotiques interfèrent dans le récit. Il est important ici de souligner l’importance de ces derniers, véritables chansons miroirs du contexte sociopolitique d’une époque. Les historiens des mentalités révolutionnaires ont attiré l’attention sur les fonctions spécifiques des supports musicaux. Georges Lefebvre, dès 1934, dans son article sur « les Foules révolutionnaires »22, affirmait que les imprimés, les discours et les chansons pouvaient contribuer « à former la mentalité collective »23 Michel Vovelle, plus récemment, dans sa préface à l’ouvrage de Robert Brécy, les considère comme un enjeu pour capter les faveurs de l’opinion. Quant à Emmet Kennedy, il considère les chants patriotiques et hymnes nationaux dans son ouvrage A cultural History of the French Revolution (Yale University Press, 1989) comme étant des associations de paroles versifiées ou rythmées selon les règles de la prosodie, et dotées d’une mélodie appropriée, les chants patriotiques constituent une véritable source au statut mixte, entre oralité et écrit, elle joue le conditionnement des masses et la préparation des grandes mobilisations patriotiques des sociétés grâce aux mélodies, comme moyen mnémotechnique, constituant un élément fondamental à la diffusion d’une idéologie puisqu’attrayantes et facilement assimilables.24 C’est dans ce contexte de guerre que les chants patriotiques sont créés dans une Algérie en guerre, outre leur fonction révolutionnaire pour encourager l’adhésion des masses à la cause du mouvement de libération nationale, ils sont aussi le moyen de s’émanciper et de se dégager de l’emprise culturelle francophone coloniale. Dans le documentaire, René Vautier ne lésine pas à les utiliser, renforçant ainsi le thème de chaque séquence avec le chant qui lui est approprié. Mais en plus, il ne se contente pas de communiquer, à travers les chants révolutionnaires, la noblesse d’une révolution devant laquelle il est invraisemblablement admiratif, Vautier s’amuse à faire interagir les deux hymnes nationaux des deux camps ennemis dans son récit : il s’agit de Kassaman et de La Marseillaise, qui reviennent en Leitmotiv dans le film en version instrumentale. Rappelons ici l’importance de l’hymne national dans l’histoire de l’humanité : ce dernier est très important pour tous les pays, mais encore plus pour les jeunes nations, qui ont la volonté d’affirmer leur indépendance par leur musique, grâce à sa portée symbolique et son efficacité à susciter les émotions, à soulever les masses et les réunir autour d’une nation. D’où l’utilisation de l’hymne national algérien, un choix logique qui ne nous étonne guère. Mais qu’en est-il de La Marseillaise? Il est clair que l’utilisation de l’hymne national français n’est pas hasardeuse. Utilisé lors d’une séquence ou les soldats français et algériens, déserteurs de l’armée française, se joignent à la cause algérienne, ce chant patriotique français, qui dans son contexte originel, à la suite de la déclaration de guerre de la France à l’Autriche en 20 avril 1792, est un chant de guerre révolutionnaire, un hymne à la liberté, un appel patriotique à la mobilisation générale et une exhortation au combat contre la tyrannie et l’invasion étrangère. René Vautier, le réutilise justement, pour montrer son approbation aux soldats déserteurs, qui pour d’autres passeraient pour des « hors-la-loi », des complotistes contre leur pays d’origine, mais qui en réalité sont des humanistes, des vrais patriotiques, car être français, pays des révolutions, état de droits, c’est avant tout faire partie d’un pays qui refuse la tyrannie et les oppresseurs. Par cette association subversive en raison du contexte historique, de l’hymne national français dans une vidéo de soutien à la guerre de l’indépendance de l’Algérie, Vautier montre, fidèle à ses principes, son intention pacifiste qui espère ouvrir un dialogue entre Français et Algériens pour la paix. Enfin, soulignons en dernier lieu l’importance de deux autres procédés de narration dans le film, qui agissent comme une musique supplémentaire dans la trame du récit. D’abord la voix du journaliste, qui comme nous l’avons constaté plus haut, puisqu’ensemble de sons, agit comme une musique supplémentaire dans la trame du récit. Elle est tantôt réconciliante tout comme la finalité du documentaire d’ailleurs, tantôt résignée, grave, et surtout empathique. Et ensuite, les sonorités des armes de guerre (mitraillettes, bombardiers…) souvent utilisées nues, comme unique musique de fond, sans aucun autre arrière-plan musical, pour laisser le spectateur deviner la violence du contexte.
Conclusion
La musique est une pratique culturelle qui participe, consciemment ou non, à produire un discours. Victor Hugo écrivait que « la musique, c’est du bruit qui pense ». Presque tous les auteurs qui ont réfléchi à ces questions partent du postulat que la musique communique ce « quelque chose » qui a une dimension affective. Par conséquent, parce que la musique transmet des affects à travers des systèmes symboliques, et parce qu’elle émeut, elle est donc utilisée dans des efforts de mobilisations. Dans cette perspective, pour entraîner, il faut toucher, il faut émouvoir. Et c’est justement du même procédé dont il s’agit dans les deux documentaires qu’on vient d’analyser. Il s’agit d’émouvoir un public français dans la première vidéo, ou le but est de convaincre d’une part une population indigène de l’utilité de la présence coloniale chez elle, car nécessaire sinon elle serait perdue. L’utilisation de la musique occidentale dans le film de propagande de l’INA suit la logique de l’acculturation utilisée par le colonisateur, elle est une incarnation de la souveraineté de la France, un instrument à la gloire d’une puissance.
D’autre part, le documentaire veut concerner le public français par la guerre, berner et rassurer une jeunesse française, dans le cadre d’une politique de recrutement importante pour pallier la réticence à rejoindre les troupes de l’armée. Mais soulignons que le but d’émouvoir à travers des procédés musicaux en plus de l’image dans la première vidéo, n’est pas dicté que par un sentiment nationaliste français, il cache en réalité une bien autre intention, une autre inquiétude : la visée du discours est en réalité économique. Toute cette publicité, en grande pompe et aux allures hollywoodiennes sensationnelles et modernes, sur une armée française bienfaitrice coloniale, est en réalité dictée par la menace de la perte de la France d’une de ses plus importantes cartes économiques : l’Algérie.
Quant au deuxième documentaire, Vautier tente ouvertement à une reconnaissance de la cause algérienne et à l’internationalisation du conflit Algérie/France. L’association des chants patriotique est une réponse contre-propagande qui réaffirme une identité nationale longtemps étouffée par le colonisateur. L’instrumentalisation des hymnes nationaux des deux pays ennemis et des images est un mixage réussi puisqu’elle émeut. Animé d’un idéal humaniste, Vautier tente d’agir à travers ce dialogue sur l’opposition et vise un rapprochement entre les deux camps, car la musique « suscite de la communion, qui peut se restreindre à un groupe face aux autres, comme elle peut se propager rapidement, transcendant les différences ou les tensions ».25 Son film est porteur d’un discours pacifique, qui rappelle souvent l’obligation des soldats algériens de recourir à la guerre comme ultime moyen pour arracher leur indépendance de l’envahisseur français. Son documentaire est un poème visuel et sensoriel, qui espère « que la flamme de la guerre d’Algérie s’éteigne pour toujours et que la paix règne, jusqu’à ce que le peuple algérien soit maître chez lui ».26