Désir de vie, folie et volonté de savoir dans Moze de Zahia Rahmani

الرغبة في الحياة والجنون والإرادة في موز ل زاهية رحماني

Desire For Life, Madness And The Will To Know In Moze By Zahia Rahmani

Souad Ait Dahmane

p. 427-441

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Souad Ait Dahmane, « Désir de vie, folie et volonté de savoir dans Moze de Zahia Rahmani », Aleph, Vol 10 (2) | 2023, 427-441.

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Souad Ait Dahmane, « Désir de vie, folie et volonté de savoir dans Moze de Zahia Rahmani », Aleph [على الإنترنت], Vol 10 (2) | 2023, نشر في الإنترنت 31 mars 2023, تاريخ الاطلاع 03 décembre 2024. URL : https://aleph.edinum.org/8301

Littéralement rejetée par son milieu, indésirable en Algérie, intruse en France, marquée du sceau paternel de l’infamie, Zahia Rahmani, fille de harki, née en 1962 puis exilée en France en 1967, impose sa voix puissante et vivifiante et raconte dans son récit Moze (2003) son histoire et celle de son père avec lequel elle entretient une relation difficile et ambiguë. Mon travail se propose ainsi d’étudier le discours de l’auteur en m’appuyant sur la réflexion de Michel Foucault et de son Ordre du discours, dont le fonctionnement s’articule autour de trois pôles dits d’exclusion : le désir, le pouvoir et le savoir. J’essaie de démontrer comment, à chacune de ces trois étapes, celle qui veut s’assumer en tant que sujet de discours court des dangers pouvant aller jusqu’à la mort.

مرفوضة حرفيا من قبل بيئتها ، غير مرغوب فيها في الجزائر ، دخيلة في فرنسا ، تتميز بختم العار الأبوي ، زاهية رحماني ، ابنة حركي ، المولودة عام 1962 ثم المنفية في فرنسا عام 1967 ، تفرض صوتها القوي والمنشط وتروي في قصتها Moze (2003) قصتها وقصة والدها الذي تربطها به علاقة صعبة وغامضة. لذلك يقترح عملي دراسة خطاب المؤلف بناء على انعكاس ميشيل فوكو ونظامه في الخطاب، الذي يدور عمله حول ثلاثة أقطاب استبعاد: الرغبة والسلطة والمعرفة. أحاول أن أوضح كيف، في كل مرحلة من هذه المراحل الثلاث ، الشخص الذي يريد أن يفترض نفسه كموضوع للكلام ، يواجه مخاطر تصل إلى الموت

Literally rejected by her environment, unwanted in Algeria, intruder in France, marked with the paternal seal of infamy, Zahia Rahmani, daughter of harki, born in 1962 then exiled to France in 1967, imposes her powerful and invigorating voice and tells in her story Moze (2003) her story and that of her father with whom she has a difficult and ambiguous relationship. My work thus proposes to study the discourse of the author by relying on the reflection of Michel Foucault and his Order of discourse, whose functioning is articulated around three so-called poles of exclusion: desire, power and knowledge. I try to demonstrate how, at each of these three stages, the one who wants to assume herself as the subject of discourse runs risks that can go as far as death.

Introduction

La question des harkis 1 demeure un sujet tabou dans notre pays pour des raisons souvent politiques, mémorielles ou encore éthiques, liées au rôle joué par ces hommes durant la guerre de libération. Le silence, qui continue de plomber ce sujet dans la réalité, commence à se faire entendre dans la littérature en y semant un certain désordre. En effet, quarante ans après l’indépendance de l’Algérie, le champ littéraire des années 2002-2003 a vu l’émergence d’une série de textes produits par des enfants de harkis. Catalogués comme des traîtres, de jeunes romanciers osent prendre leur plume pour dire le mal qui les ronge, en Algérie et/ou en France. Le désir d’exister de ces écrivains, voués à assumer la « faute » de leur père, s’affirme haut et clair dans la différence innée, puis assumée. Cette aventure, à la fois existentielle et scripturaire, ne pourra être que transgressive, dressée contre la violence du réel, puisant dans les mots sa puissance et sa beauté.

Cette tendance qui se propose à rendre compte d’un vécu de « malheur », au plus près de la blessure ressentie, je l’ai trouvée particulièrement dans le récit Moze, de l’écrivaine algérienne Zahia Rahmani, paru en 2003. L’auteure, fille de harki est née en Algérie en 1962 avant de commencer son exil en France en 1967. Littéralement ostracisée par son milieu, indésirable en Algérie, intruse en France, marquée du sceau paternel de l’infamie, elle donne de la voix et raconte son histoire et celle de son père avec lequel elle entretient une relation difficile et ambiguë. En quête de réponses existentielles et afin de s’affranchir d’un passé pesant et honteux, Zahia Rahmani n’hésite pas à poser des questionnements à propos des deux pays, la France et l’Algérie, qui lui ont fait subir tant d’injustices, tout en élargissant son regard critique sur un monde où l’empathie et la compassion disparaissent au profit de la déshumanisation et de la déraison.

L’auteure de Moze impose sa voix puissante et vivifiante, forçant l’admiration, mais aussi l’interrogation : non désirée, quel désir l’anime? Et de quelles vérités serait-elle porteuse, car, s’attaquant à un tabou, elle ne peut proférer qu’une parole déviante?

Mon travail se propose ainsi d’étudier le discours de la narratrice en m’aidant de Michel Foucault et de son Ordre du discours, dont le fonctionnement quelque peu schématisé pour des raisons de méthode, s’articule autour de trois pôles dits d’exclusion : le désir, le pouvoir et le savoir. Le premier engage fondamentalement la question de l’être en bute à l’interdit et au permis qui régissent les sociétés normées; au prix de quels renoncements et/ou compromissions est-il possible pour un individu de se construire selon un désir profond, inscrit dans sa nature d’homme « particulier », irréductible au formatage ordinaire? À partir de là, le chemin est tout tracé pour lui : la dissidence, le désaveu des institutions et le refus des conventions morales et sociales. C’est ce que le deuxième pôle (pouvoir) démontrera en le désignant comme un être déraisonnable par opposition à la raison générale, commune. Dans ces conditions, aurait-il le pouvoir d’avoir raison contre tous? Y aurait-il un sens à ce que ce « fou » fait et dit? C’est tout l’enjeu, crucial, du troisième pôle (savoir) où s’opposeront le vrai et le faux, et où se révélera au finalement un diseur de vérités. Un sujet de discours plein et entier, bien que marginal.

À la lumière de la réflexion foucaldienne, j’essaierai d’étudier le parcours de la narratrice de Moze, misant à chacune des trois étapes (désir, pouvoir, savoir) sur son statut de sujet de discours, au mépris du danger, y compris mortel.

1. Désir : entre permis et interdit

Tout discours, selon Michel Foucault est déterminé par un ensemble de codes et de normes qui contraignent les individus dans une société donnée, selon trois pôles précis : le désir, le pouvoir et le savoir « On sait bien qu’on n’a pas le droit de tout dire, qu’on ne peut pas parler de tout dans n’importe quelle circonstance, que n’importe qui ne peut pas parler de n’importe quoi » (Foucault, 1971 : 11). Cela paraît une évidence. Encore faut-il montrer les mécanismes de ce fonctionnement.

L’aventure commence par le désir d’un être de s’aventurer sur des territoires sensibles, voire interdits, car susceptibles de fragiliser l’édifice social. Michel Foucault en cible deux, précisément : la politique et la sexualité.

Étant donné que les modalités et les conditions de toute prise de parole sont définies et immuables, l’enjeu de tout discours est nécessairement un enjeu de pouvoir. Or, si la majorité des gens « normaux » ne pose aucun souci, il est des êtres qui ne sont pas décidés à se plier aux normes et convenances collectives. Propulsés par leur désir intense d’être eux-mêmes, au nom d’une différence intrinsèque, faite d’aspirations et d’ambitions particulières, ils se font un devoir de franchir le seuil de l’interdit. Ce n’est qu’en prenant ce risque qu’ils peuvent prétendre à l’aventure qui fera d’eux, au final, des sujets de discours, c’est-à-dire des êtres dotés d’une conscience imprégnée et totale, décidés à ne pas se taire sur les abus de ces sociétés mortifères et mortifiantes. Cet individu armé de cette conscience entière s’appelle, ici, Zahia Rahmani. La littérature, espace de transgression par excellence, est le terrain sur lequel elle s’attaque au tabou du harki, évoqué au début de ce travail.

La souillure, le déshonneur et la honte transmis à ses enfants par le père, supplétif de l’armée française durant la guerre d’Algérie, sont au cœur de notre roman. Fille de harki, un traître aux yeux de tous, Zahia Rahmani endosse le costume dès les premières pages du récit.

Cet homme concerne l’histoire. Il n’en est pourtant pas. Il n’aurait pas dû être. On le nomme vite, très vite, harki. Harki est le mot pacte qui le désigne. Le mot que ses enfants doivent dire, pour dire qu’ils sont ici par ce père qui l’est; parce qu’ils sont enfants de… Je me dis, je me désigne, enfant de ça! Le dire ce mot qui me justifie. Ce qui me justifie est… (Rahmani, 2003 : 22)

Frappée d’une tare congénitale, l’auteure se voit condamnée à être rattachée à ce père que les autres nomment harki, un mot qu’elle-même s’interdit de prononcer, même si c’est le seul qui la justifie. Enfant du silence, du vide de trois points de suspension. Pire. Enfant de « ça ». Mieux vaudrait être bâtard, peut-être, que ce rien, ce néant auxquels le père condamne ses enfants.

Il nous disait, Vous n’êtes rien! Ni exilés, ni immigrés, vous n’êtes rien. Vous ne serez pas français. Débrouillez-vous avec ça! Vous serez toujours rien. Moze passait son temps à le dire. C’est vrai. À croire qu’il jouissait de le dire. Vous n’êtes rien. Rien. Être harki, c’est être ce rien, c’est vivre en étant ce rien. (Rahmani, 2003 : 73)

À ce « rien » est refusé le droit de vivre dans un milieu et des lieux qui sont les siens, mais où l’hostilité et la cruauté sont chose ordinaire.

Et dans ce village on m’a lynchée. Trois jours après (…) Cinq filles, des enfants, m’attendaient dans une impasse. Elles ont pris les pierres des murs tombés, des pierres blanches qu’elles m’ont jetées au visage et sur le corps. J’avais mal et je voyais mon sang couler. Je ne connaissais personne. J’ai eu peur, je n’ai pas pu crier. J’ai alors fait la morte. (…) Après, il y a eu les chiens. Ils ont lâché les chiens sur moi (…) J’ai eu beau hurler de douleur, c’est seulement quand les chiens ont suffisamment mangé mes jambes que leurs jeunes maîtres les ont repris pour courir s’enfermer chez eux, me laissant seule. (Rahmani, 2003 : 69-70)

La haine et les agressions sont le lot quotidien de la « damnée condamnée », comme en témoignent cette meute d’enfants qui ont son âge et pourraient être ses camarades, et cette horde de chiens aussi enragés que leurs maîtres. Pourquoi cette furie? De quoi est-elle coupable? Coupable d’être née? Coupable d’avoir la faute paternelle tatouée dans sa chair et son âme? Oui. Et c’est de cela qu’elle veut se défaire, car s’il y a faute, celle-ci n’est pas la sienne.

Ce regard insoutenable, cette figure extrême de la culpabilité, je veux m’en défaire. Je ne veux pourtant pas l’innocenter. Qu’en est-il de cette faute? Celle que je porte qui n’est pas mienne et que je ne peux pardonner? Comment sortir seule d’une culpabilité endossée? Cette vie donnée au berceau. La faute de Moze, je veux dire qu’elle est ma chair et mon habit. (Rahmani, 2003 : 23)

La honte que ressent la narratrice ne correspond à aucune faute avérée. Innocente, sa culpabilité est reliée à une situation qui engage son père et revécue chaque soir, dans la honte et la violence.

Face à lui, les mains dans le dos, les uns derrière les autres, on devait tous les dires, l’ordre importait peu, seulement, il ne fallait en oublier aucun,
Bonjour madame,
bonjour monsieur,
excusez-moi, madame,
je m’excuse monsieur
bonsoir madame
pardon madame (…)
merci, merci, merci beaucoup, beaucoup madame!
Un merci mal dit, un manque, une gifle! Chaque soir, il fallait s’effacer et tenir debout, le regarder dans les yeux, se faire gifler, ne pas pleurer et rentrer toute cette triste chose en soi. (Rahmani, 2003 : 65)

Consciente de son handicap, de sa honte, l’auteure doit garder le secret et enfermer en elle « cette triste chose », s’enfoncer dans une solitude complète pour espérer éviter les railleries, les attaques, voire le lynchage. Bâillonnée, réduite à néant, elle est sommée de cesser d’exister. Elle apprendra à s’excuser, à courber l’échine, à baisser le regard tout en absorbant celui des autres, qui la juge et la condamne, à n’être rien, à l’extérieur comme à l’intérieur d’elle-même. Cette sensation d’enfermement dans sa corporéité, cette conscience de l’incapacité de se défaire d’une culpabilité qui lui colle à la peau et de l’impossibilité de devenir une autre rendent sa souffrance insoutenable.

Ainsi va le fonctionnement dans cet environnement hostile et hypocrite dans lequel vit l’auteure. Elle est reconnue coupable par tous, cataloguée dans le « hors-norme », désignée comme une « hors-la-loi » sans avoir jamais pourtant commis de crime.

Ainsi se pose avec acuité dans le récit la question de la marginalisation et de l’exclusion des êtres considérés comme anormaux, voués à un enfermement monstrueux au plus profond d’eux-mêmes à cause d’une faute qui n’est pas la leur, en l’occurrence celle d’un père.

Dans ce pandémonium imposé dès le départ à l’auteure, nul autre choix pour elle que la transgression, dans la mesure où elle décide, malgré tout et contre tous, d’exister. Ce projet de vie est naturel, mais il paraît totalement démesuré face à tant d’adversité. Il ne saurait en être autrement, tant l’auteure est animée d’un désir fondamental, jailli du plus profond de son être, lui enjoignant de s’imposer dans sa singularité et sa monstruosité, après avoir survécu à plusieurs tentatives d’anéantissement et de meurtre, à commencer par sa mère qui tenta de se débarrasser d’elle alors qu’elle n’était qu’un embryon.

La mère était dans un état de désespoir extrême. Elle se sentait abandonnée en Algérie après le départ de la France, doublement affectée par la perte de son beau-père et par l’absence de son mari dont elle n’avait aucune nouvelle. Elle aurait bien voulu se débarrasser du bébé qu’elle portait dans son ventre, mais celui-ci s’était accroché à la vie, contrecarrant l’infanticide. Plus tard, à treize ans, l’enfant survit à une tentative d’assassinat au couteau. Selon ses agresseurs, restés impunis, la fille d’un harki méritait la mort. Et comme si ces plans d’élimination physique ne suffisaient pas, la machine bureaucratique et judiciaire française s’était mise en branle pour finir le travail d’anéantissement, symbolique cette fois, en lui refusant une identité officialisant son existence.

Dans des circonstances de supplices intenables et dans des conditions de rejet terrifiant, il est plus aisé pour tout individu de trouver des forces pour périr que pour vivre, mais notre personnage principal fait exception à la règle et se décide à se battre contre un monde meurtrier qui veut l’achever. Pas question de lâcher prise face à un environnement hostile, encore moins de mourir. Sans papiers et le corps meurtri à la suite de tant de coups reçus, elle refuse de s’avouer vaincue. Elle s’accroche à la vie, habitée par un désir débordant le joug imposé par son père, son milieu et toutes les personnes cruelles qu’elle rencontre sur son chemin. Elle aurait pu céder à la mort, tant celle-ci lui fait de l’œil, tant elle lui colle à la peau, tant elle lui est consubstantielle. Tel ne fut pas le cas pourtant, elle refuse d’abdiquer, de mourir à petit feu et décide de se dresser, coûte que coûte, en adversaire redoutable contre tous ceux qui veulent l’anéantir.

Alors que l’auteure tourne le dos à la mort pour avancer dans la vie, son père fait, quant à lui, le choix de la finitude. Honteux et coupable d’avoir trahi son pays et ses frères, il en perd la voix « Une nuit, après avoir crié si fort et si longtemps, il s’est soudainement tu pour toujours » (Rahmani, 2003 : 19). Réduit à un silence qui dit ses défaites, il en arrive un jour au suicide, sa mort physique venant consacrer une disparition actée depuis longtemps « C’est arrivé le 11 novembre. Mais c’est venu bien avant. Vivant, il était mort » (Rahmani, 2003 : 19). Avec le suicide du « traître », on assiste à un renversement de situation. C’est la mort, paradoxalement, qui donne une existence au père, et ce n’est qu’après cette mort que la fille se réapproprie la voix de son paternel « Je suis parole de mort faisant serment avec la mort comme parole. Moze m’a offert la sienne. » (Rahmani, 2003 : 24) Incapable de raconter un vécu honteux et douloureux, le défunt trouve en sa fille un porte-parole inespéré autant que précieux. Bien des vérités ont été tues et s’apprêtent à être dévoilées.

La mort du père aphone cesse subitement d’être banale ou absurde et apparaît au contraire stimulante, faisant valoir aux yeux de sa fille une possibilité unique de remplir de sens le vide de toute une existence. Cette mort prend une forme de vie, permettant de restituer à l’homme son statut de père, et ce grâce à sa fille qui lui assure en quelque sorte un salut proche de l’immortalité « Cette mort fait de lui mon père. Je pleure mon père mort. Oui, il est le père d’enfants qui pleurent sa mort. » (Rahmani, 2003 : 79).

Face à l’irréversibilité du temps et à la conscience de son incapacité à invalider ses actes, le père se saisit de la mort pour redonner consistance à son existence. Comme si le choix de se donner la mort allait racheter les choix qu’il avait dû faire durant la guerre de libération « Sa mort lui donne un rôle que sa vie durant il n’a pu exprimer » (Rahmani, 2003 : 45). Cette métamorphose d’un être inanimé en un être vivant par le biais de la mort lui donne le sentiment d’une incroyable liberté qui rejaillit sur sa fille. Celle-ci se saisit fougueusement et placidement de la parole, s’octroyant une seconde naissance, par le biais de la mort de son père. La disparition physique de son père lui apparaît comme une alternative à sa propre mort au cours d’une scène extrêmement symbolique, où nous voyons un père léguer sa voix et redonner la vie à sa fille, aussitôt qu’il s’éteint. On réalise ainsi que la vie et la mort dans Moze ne s’opposent pas comme l’être et le non-être, elles cheminent côte à côte dans un rapport de complémentarité et non d’antinomie.

Ainsi, au désir du père de mettre fin à sa vie va répondre le désir inverse de sa fille de se donner une existence de femme libre, rebelle et subversive. Au mutisme assourdissant du père va s’opposer le cri de colère et de désillusion de la fille envers la politique française qui n’a jamais tenu ses promesses.

2. Pouvoir : entre raison et déraison

Dans L’Ordre du discours, la seconde procédure d’exclusion externe renvoie au pôle du pouvoir, convoquant l’ordonnancement de la vie en société par le biais des institutions multiples et diverses, fixant les règles de ce qui peut et/ou doit être dit ou fait, et que Michel Foucault nomme les gouvermentalités.

Incarnant la raison, ces gouvernementalités aux ramifications tentaculaires imposent un mécanisme de fonctionnement social dont la puissance et le caractère sournois sont tels que la majorité des individus y adhèrent « normalement » dans un monde dont l’ordre n’est pas susceptible d’être remis en cause aveugle aux enjeux de pouvoir et de liberté individuels. Une fois la règle intériorisée par cette masse informe, aveugle et sourde aux enjeux de pouvoir et de liberté individuels, il est facile d’identifier et de circonscrire les dissidents, de les désigner à l’opinion publique comme des marginaux, des individus privés de cette raison communément partagée, méritant leur mise à l’écart, prison ou asile. Des fous, en quelque sorte.

Cette représentation globale d’un encadrement sociopolitique pourrait trouver son équivalent dans les sociétés servant de cadre au roman Moze de Zahia Rahmani.

L’auteure, comme nous l’avons vu plus haut, est l’objet d’une violence morale et physique innommable, qui apparaît comme un retentissement logique et légitime des fautes perpétrées par son père à l’égard de son pays et de ses frères de combat. Avec une telle souillure inscrite dans sa chair, l’auteure se sent constamment prisonnière du regard haineux de l’autre. L’histoire « impertinente » de son géniteur la dispense de toute véritable affiliation dans la communauté de ses ancêtres, à savoir la communauté algérienne. Et quand bien même elle changerait de territoire, elle se retrouvera dans les mêmes conditions d’exclusion. La preuve en est le bidonville, glauque et infâme dans lequel elle et sa famille sont parquées à leur arrivée en France, après avoir fui l’Algérie qui ne veut pas d’eux. Ostracisés ici et là-bas. Voués à l’inhumanité par les politiques des deux bords.

Rejetée dans son pays de naissance, la voilà tombée dans le piège que la France a ourdi contre son père et ses semblables, au mépris de son histoire et de sa culture, peu soucieuse de la misère et de la souffrance de ceux qui ont pris son parti et soutenu sa cause, foulant aux pieds ses grands idéaux de fraternité et d’égalité, fracassant sa fameuse rengaine sur les droits de l’homme.

La fille du « soldat français » aurait été en droit de réclamer plus de dignité et de respect. Tombée de haut, elle prend conscience dans ces campements, sordides et français, que nulle part il n’y aura pour elle de lieu où exister. Amer constat que l’auteure commence à peine à réaliser.

L’auteure de Moze est une enfant indésirable enfantée dans la honte et le mépris. Rien de ce qu’elle subit n’est de sa faute, et pourtant elle se voit bannie de partout, à commencer par sa famille, dont on attendrait pourtant qu’elle soit, parmi d’autres structures sociales comme l’école ou l’hôpital, réconfortante et sécurisante.

À un enfermement dans un camp insalubre, manquant de la plus élémentaire des hygiènes, sans sanitaires ni eau courante, se rajoute quelques mois après, l’enfermement à double tour dans une baraque sordide pour l’auteure et sa famille « Là, il nous a enfermés dès notre arrivée. » (Rahmani, 2003 : 50) La maltraitance se poursuit, dont le père est cette fois-ci directement responsable, après celle que l’enfant a subie à cause de lui en Algérie, en quelque sorte sous forme de dommage collatéral. Tels les pestiférés d’antan, l’auteure, sa mère, ses sœurs et ses frères sont condamnés au confinement, comme s’ils étaient porteurs de germes susceptibles de contaminer leur entourage.

Condamnés à la plus cruelle des solitudes dès leur arrivée en France, tous les membres de la famille se voient contraints de vivre « chez eux » comme des prisonniers, reclus à l’intérieur d’un espace réduit au milieu de cette plus grande prison mouroir qu’est le camp français. La décision paternelle de verrouiller leur porte aggrave l’ostracisme politique de l’État français. Il ne reste plus à l’enfant qu’à regarder le monde à travers des barreaux, observer et essayer de le décoder.

Loin d’être un lieu réconfortant et sécurisant, la famille dans Moze apparaît comme un lieu de violence, conjuguant la domination paternelle à l’infamie discriminatoire du pays soi-disant d’accueil. Confiné dans son mutisme, le père vit en retrait de sa famille, installé dans sa bulle d’indifférence face à la souffrance bouillonnante de sa fille, furieuse, qui veut tout comprendre de sa situation de « bannie. » Son géniteur lui fait l’effet d’une coquille vide, une ombre aux contours flous, opaques, qu’il est difficile de percer. « Porteur de la faute », donc responsable du trouble qui détruit l’harmonie de toute la famille, comment peut-il se maintenir dans ce silence assourdissant? Et ce silence, est-il un moyen de se mettre à l’abri d’un passé qui lui fait peur ou honte, ou bien l’expression d’une culpabilité insurmontable, après avoir échappé à la mort contrairement à certains de ses compagnons?

Une chose est sûre pour l’auteure. L’homme mutique qu’est son père est atteint d’une folie qui peut se déclarer à chaque instant « Une nuit, il nous a réveillés pour nous tuer. Il a pointé sur nous un fusil et il nous a demandé de le suivre dans la cour. Il nous a alignés. Il avait le regard d’un fou. » (Rahmani, 2003 : 74) Heureusement, cette nuit-là le sang n’a pas coulé, mais pour autant, le danger reste présent, d’autant plus menaçant qu’il émane du père, figure tutélaire s’il en est, dans une famille normale. Le foyer, synonyme de douce chaleur, n’est dans Moze qu’un lieu d’angoisse et d’effroi.

Dès lors, la question se pose de savoir quelles sont les chances pour l’auteure de sauvegarder sa raison, après tant de sévices et de périls. Aucune. La fille de Moze le fou devient folle à son tour, comme si le mal était héréditaire. Elle est habitée par des idées meurtrières, plus précisément un désir parricide qui répond à l’accumulation des années de honte, de colère et de rancœur. Hantée par l’image monstrueuse de ce père qui a trahi son pays et ses frères, effrayée par les scènes de démence qu’il déchaîne contre sa famille, elle pointe un jour un fusil sur lui, impuissante à désarmer avec des mots la folie meurtrière du moment.

« J’ai eu peur qu’il ne tue ma mère. Je suis montée à l’étage, j’ai pris une chaise, j’ai saisi l’arme au-dessus de l’armoire, j’y ai glissé deux cartouches et, de l’escalier, je l’ai mis en joue. Je lui ai demandé de ne plus crier, de ne plus bouger. J’ai voulu le tuer. Je devais le tuer. Ma mère a crié si fort en me voyant que l’arme m’a glissée de l’épaule. Le fusil était lourd, je suis tombée des marches. Je l’ai tué ce jour-là. Je ne l’ai plus jamais aimé vivant. » (Rahmani, 2003 : 75)

Le coup n’est pas parti, elle ne l’a pas tué, mais c’est tout comme. La force de l’intention équivalant à l’acte lui-même, elle se sent désormais délivrée de lui et de sa violence criminelle. « Il fallait être fou, fou avec lui, dit ma sœur. On ne gagnait qu’à ce prix, en faisant le fou. Elle dit que ma folie le délivrait de la sienne. » (Rahmani, 2003 : 76)

Il apparaît ainsi, aux yeux de l’auteure que le seul moyen de canaliser la folie de son père est sa propre folie. Mais la nature de ces deux folies est-elle la même? Si oui, le récit perd tout son sens, ruinant les efforts de celle dont l’existence, depuis son plus jeune âge, est en bute à un déchaînement de violence contre elle, et qui décide malgré tout de ne pas céder à la victimisation. Sa voix n’a faibli à aucun moment, faisant entendre haut et clair un cri de rage qui, loin d’être celui d’une démente, clame une innocence bafouée, une injustice fondamentalement subie. Percluse de coups et de blessures, rejetée par tous, la fille de Moze est encore debout, prête à énoncer ses propres vérités sur elle et le monde qui a été impitoyable à son égard.

La folle, dans ces conditions, saurait-elle avoir raison contre l’adversité ambiante?

3. Savoir : entre le vrai et le faux

En publiant son livre, Zahia Rahmani montre tout d’abord qu’elle refuse d’être une simple victime. Puis, en l’intitulant Moze, c’est comme si elle dégainait une arme, non pas contre son père qui est pourtant à l’origine de ses malheurs, mais contre ceux qui en ont fait un « traître » dans une histoire complexe, où le rôle des acteurs doit être précisé en matière de responsabilité, et donc de culpabilité. Si le harki est responsable de son engagement dans l’armée française, celle-ci se devait d’honorer son propre engagement, en le traitant comme un soldat français à part entière. L’heure des comptes a sonné. Celle de la vérité, aussi, qui est l’enjeu primordial d’un discours à charge contre les « vrais » responsables d’un désastre existentiel qui concerne non seulement l’auteure, mais aussi son père, tombés tous deux, solidaires, dans la nasse d’une histoire honteuse. Moze — Mohamed et Zahia — n’a d’autre choix que de s’attaquer aux « secrets d’Histoire », aux tabous dont le dévoilement signifiera peut-être pour eux une forme de délivrance, et pour le lecteur un enseignement profitable.

On peut comprendre, dans ces conditions, que le discours de Zahia Rahmani ne peut qu’être transgressif, déranger les tenants d’un ordre moral et vertueux. La réalité est toute autre.

« Les guerres se terminent par l’échange des hommes! Mais Moze, on ne l’a pas demandé. Ni lui, ni aucun de ses camarades n’a été demandé. Français depuis 1900, mais on vous les laisse. On n’en veut plus. Moze n’était plus français et les autorités algériennes l’avaient assigné comme Étranger à la nation. Ils l’ont interné. Mais dans un camp. N’est-ce pas encore une folie que d’être détenu sans titre, sans nationalité et sans pays? » (Rahmani, 2003 : 44)

La folie. Le mot-clé est prononcé, au cœur d’un discours qui n’est pas un plaidoyer en faveur des victimes, mais un réquisitoire désignant le bourreau. De quel côté se trouve la folie? Chez celui qui est interné dans un camp de manière indigne et injuste, ou ceux qui l’anéantissent de cette manière, délibérément, réduisant un vivant à rien, le privant de papiers et de pays?

À folie, folie et demie. Celle de Zahia Rahmani est un moyen de connaissance inestimable, comme l’affirme Michel Foucault.

Pour le philosophe, la folie à laquelle on ne consacre plus de place dans notre monde contemporain et que les institutions s’appliquent à faire taire, est un moyen de connaissance précieux.

La folie de la folie est secrètement raison. Et cette non-folie comme contenue de la folie est le deuxième point essentiel à marquer à propos de la déraison. La déraison, c’est que la vérité de la folie est raison (Foucault, 1972 : 224)

C’est cette folie que les institutions s’appliquent à faire taire au profit de vérités fabriquées en leur faveur dans les livres d’histoire, ou déclarées honteuses pour éliminer toute menace de débat. En l’occurrence, il s’agit, au premier chef, du dossier brûlant des harkis, qui parasite les récits mémoriels des deux camps, la France et l’Algérie.

Si les deux ex-ennemis s’entendent pour étouffer ce dossier, Zahia Rahmani n’est pas décidée à se taire. Dans son roman, elle montre que les deux États — relayés sur le terrain social par des entités ou des individus malfaisants, elles-mêmes victimes d’une idéologie officielle efficace — sont loin d’être irréprochables en matière de morale et d’éthique. La lâcheté et la déloyauté qui sont à l’origine de l’exclusion de son père et de sa famille sont au cœur même du fonctionnement de leurs institutions.

S’érigeant en procureur général, Zahia Rahmani lance au président de la commission de réparation créée après la mort de Moze : « Quel est le pire crime? Trahir son frère! C’est le crime de Moze, mais trahir celui qui pour toi a trahi son frère, ça c’est un autre crime. N’est-ce pas le vôtre? ». L’auteure ne cherche pas à innocenter son père, ni même à justifier sa trahison. Si de ce côté la chose est avérée, il manque dans le tribunal de l’Histoire de la guerre d’Algérie le principal coupable : l’État français qui, à l’aide de ses tentacules institutionnels, administrations préfectorales et cours de justice, a abandonné un certain nombre de harkis à leur sort (mortel) en Algérie, et qu’ici, chez lui, il les a parqués dans des camps de la honte. La vérité est là, éclatante dans un discours incisif, teinté d’ironie et parfois de sarcasme pour mieux mordre la bête dévoratrice de ses enfants. Arrivé avec sa famille dans le pays dont il a épousé et défendu la cause, Moze est condamné à une mort symbolique avant d’en arriver au suicide, finissant par réaliser une mise à mort en quelque sorte annoncée.

Bien que la charge de l’auteure soit essentiellement dirigée contre la France qui n’a pas protégé ses hommes (et leurs familles), ces soldats qui se sont battus pour elle, elle ne se prive pas pour autant d’incriminer l’État algérien fraîchement indépendant dans le dossier des harkis, lui reprochant de les livrer à un déchaînement de haine, eux et leurs enfants innocents, sans aucune possibilité de recours ou de défense. Ce faisant, Zahia Rahmani prend le risque de soulever une question extrêmement épineuse, suscitant encore une polémique paraissant sans fin. Elle évoque et déplore le nombre important de harkis sauvagement tués à l’indépendance de l’Algérie, devant leur famille et leurs enfants à l’instigation du FLN. À ses yeux, les motivations — si légitimes soient-elles qui animaient les vainqueurs ne sauraient justifier d’aucune manière l’horreur infligée aux « coupables »

Ils furent abandonnés pour être tués. Tués durant des semaines. Tués par les leurs. Les frères héros devenus. Tués devant leurs mères, devant leurs sœurs, tués devant leurs femmes, devant leurs enfants vivants encore. Tués par les leurs. Les frères héros. (Rahmani, 2003 : 20)

Barbarie et vengeance aveugle, absence de justice et d’humanité, est-ce cela à quoi pouvait prétendre une Algérie fière de son indépendance, quelques semaines, à peine, après avoir vaincu l’ennemi français, dont on disait qu’il avait commis les pires exactions sur tant d’innocents? Où sont, après sept ans et demi de guerre, les fondements républicains du nouvel État prétendant à devenir une nation : la dignité, la tolérance, le pardon, le respect dû à soi-même et aux autres? Toutes ces questions rhétoriques sont posées dans le discours de Zahia Rahmani hurlant toute sa rage et sa colère.

« On avait promis à Moze l’entente et le respect de ses biens. Ce qui s’est passé ensuite il faut nous l’expliquer. Pourquoi sciemment l’horreur, le massacre, la persécution et le pillage de tant d’hommes. Pourquoi abandonner à la mort tant de pères? Pourquoi toutes ces mains qui les ont frappés, coupés, étranglés ont-elles pu le faire? Le fallait-il? Ces hommes étaient-ils des monstres? Et leurs enfants? Leurs femmes? Fallait-il les laisser si seuls, si démunis? Combien de morts? Cinq mille, cent mille hommes, cent cinquante mille? (Rahmani, 2003 : 42)

Le nombre de morts ne se compte plus. Tant de morts en Algérie et en France, oui, mais les plus malchanceux sont les survivants. À défaut de s’en débarrasser, on a livré les « traîtres » à la torture morale et physique. La fille de Moze en souffrira plus que son harki de père, auquel elle survit après son suicide.

Ce suicide est l’occasion pour l’auteure d’aborder un autre sujet tabou.

Le suicide, pour des raisons souvent morales et/ou religieuses, est vu comme un acte honteux et condamnable, et c’est tout. On n’en parle pas. L’auteure de Moze s’applique à traiter ce sujet, l’esprit libéré de tout préjugé. Elle prend soin d’installer le drame, en montrant l’habileté avec laquelle Moze se tue, le long mutisme qui précède son geste, le jour et le moment choisis pour passer à l’acte. Cette mise en scène est de nature à donner au suicide un caractère universel, questionnant la part de responsabilité de chacun dans les crimes commis dans notre monde « Je lui dis que sa mort fait de nous des assassins. Nous l’avons tué! Une vraie mort. Un crime. Mais qui l’a tué? Lui, elle, moi, vous tous. Est-ce que nous l’avons poussé pour qu’il meure? » (Rahmani, 2003 : p. 28)

La violence d’un tel acte ne touche pas seulement les proches. Elle entache les institutions qui fabriquent des hommes-morts. « Vivant, il était mort. » (Rahmani, 2003 : 19) Son suicide s’avère un crime, sa vie se révèle une longue agonie, ou peut-être que Moze est mort plusieurs fois.

À la douleur extrême due au suicide de son père, s’ajoute un constat des plus amers : mêmes morts, les harkis demeurent nuisibles et dangereux, allant même jusqu’à contaminer de leur « mal » leur pauvre descendance.

Toutes ces vérités sur l’Histoire et les destins broyés des individus permettent, d’une certaine manière, à Zahia Rahmani de répondre à la sempiternelle question : à quoi sert la littérature?

En s’inscrivant dans une démarche à contrecourant des représentations et des discours officiellement convenus, la littérature est le champ de tous les affrontements, libre d’énoncer et de dénoncer les dysfonctionnements d’un monde en proie à l’absurde, à l’inhumain. Moze est un exemple subtil des périls de la déraison, qui minent les États et des individus haineux, les premiers par calcul et les seconds, par ignorance ou idiotie. Armée de son libre arbitre et de sa souffrance qui ne la désarme pas, Zahia Rahmani signe un beau texte en guise d’hymne à un père détesté et aimé à la fois, trahi plutôt que traître dans une Histoire désespérante. C’est ainsi que se veut la littérature, l’espace de la complexité du réel et de tous les affrontements.

Conclusion

Il est évident que la question des harkis ne peut être saisie entièrement dans les quelques pages de mon article, tant celle-ci est délicate et susceptible de soulever de vives polémiques et controverses. Il est aussi certain que la profondeur de la pensée de Michel Foucault, relative au traitement du désir, du pouvoir et du savoir d’une part, et d’autre part, le foisonnement et l’aplomb littéraires de Moze, ne peuvent être épuisés dans ce modeste article. Néanmoins, tout au long de ce travail, je me suis efforcée d’étudier le discours mis en œuvre par Zahia Rahmani dans son roman, essayant de traquer les signaux éclairant les difficultés de la représentation de notre guerre de libération, par-delà les non-dits et les préjugés tenaces qui hantent encore les mémoires des deux côtés de la Méditerranée. Cette étude a pu, je l’espère, confirmer les avantages d’une littérature attachée à questionner notre condition d’homme, écartelée entre la sauvagerie et l’humanité, la passion et la raison, le traumatisme et la résilience.

Ce travail, nous a ouvert, par ailleurs, d’autres pistes d’investigation à explorer dans le futur, sur la question de tous ceux qu’on pourrait désigner comme les oubliés du discours dominant, qu’il s’agisse des femmes, des harkis, des androgynes ou de tout autre type de marginaux et d’exclus au nom de la bienséance bien-pensante. Ces « déviances » ne font pas peur à la littérature. Au contraire. Elle les trouve bonnes à dire, comme dans Moze.

1 Terme générique désignant les supplétifs algériens engagés aux côtés de l’armée française pendant la guerre d’Algérie.

Références bibliographiques :

Foucault M. 1971. L’ordre du discours. Gallimard. Paris.

Foucault M. 1972. L’histoire de la folie à l’âge classique. Gallimard. Paris

Rahmani Z. 2003. Moze

1 Terme générique désignant les supplétifs algériens engagés aux côtés de l’armée française pendant la guerre d’Algérie.

Souad Ait Dahmane

Alger الجزائر2

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