Introduction
Le présent travail porte sur la réflexion épistémologique et méthodologique consacrée à la construction de l’archive et du corpus, et de leur problématisation, relativement au projet de recherche portant sur la spatialité du topique « Algérie » dans le discours.1 Il est question de rendre compte du cheminement critique, emprunté dans le cadre d’une approche empirique, pour asseoir les fondements épistémologiques des données de langage à soumettre à l’analyse.
Cette réflexion s’est imposée dans le cadre d’une approche qualitative et empirique, portant sur des objets de discours caractérisés comme objets complexes, relevant du paradigme interprétatif et holistique. Comme le souligne A. Mucchielli2, elle constitue un temps fort du processus de recherche qu’il y a lieu d’éclairer et de formaliser, en explicitant la pensée scientifique qui les institue en tant qu’objets d’étude pertinents.
Partant d’une démarche onomasiologique qui consiste à chercher à donner des formes discursives à un certain sens ou à un certain effet pragmatique, comme il est repris à notre compte ici par rapport à la spatialité dans/par le langage, Marie-Paul Jacques et Thiery Poibeau3 insistent sur la nécessité d’un travail d’interprétation des données qui implique nécessairement que chaque étape de choix soit motivée. En somme, comme le rappelle Jean-Philippe Dalbera4, ces données doivent être instaurées sous l’effet de la réflexion dialectique entre donné/construit, terrain/théorie soutenu par le principe de la récursivité.
Il s’agit de voir sous quelles conditions méthodologiques s’opère de manière pertinente en analyse du discours la constitution des données de l’archive, puis leur transposition en données de corpus. Voir précisément comment, partant de l’éclairage de départ relatif au sujet de la spatialité du topique « Algérie » dans le discours, construire, empiriquement, des problématiques à même de donner une portée heuristique aux données de l’archive et à celles du corpus.
En rapport à notre projet de recherche, il est question d’une mise au point conceptuelle des deux notions d’archive et de corpus pour préparer la réflexion analytique :
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une réflexion sur la construction de l’archive, ses configurations, ses délimitations ou sa saturation ;
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une réflexion sur la construction du corpus et les critères qui instaurent les données adéquates au sujet et telles qu’elles peuvent être l’émanation de problématiques ;
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une réflexion sur le statut heuristique des notions d’espace et de spatialité, telles qu’elles peuvent déterminer les données discursives à analyser relativement au topique « Algérie », à la lumière d’élaborations de problématiques et d’hypothèses qui mettent en perspective leur analyse.
1. Mise au point conceptuelle de la notion d’Archive dans le cadre d’une approche empirique en AD
Les travaux de méthodologie se sont appuyés en Analyse du discours sur l’établissement de la distinction entre la notion d’archive et celle de corpus. La présentation de leurs définitions respectives permettra dans le cadre de ce travail d’aboutir à une conceptualisation en accord avec l’objectif de recherche et la matérialité langagière obtenue par le recueil des documents à travers le Web, guidé dans un premier temps par des critères thématiques, au premier desquels le topique « Algérie ».
Ce premier recueil « tous azimuts » de documents, dans le cadre d’une démarche exploratoire et thématique, débouche sur une matérialité discursive imposante, aux ramifications thématiques nombreuses et enchevêtrées. Cela a rendu la catégorisation et la classification des faits de langage hasardeuse et rend par conséquent nécessaire sa réorganisation sur la base d’autres critères opératoires, obtenus moyennant une réflexion conceptuelle, afin de rendre opératoires la sélection et l’ordonnancement des faits de discours, tel qu’ils peuvent être institués en tant qu’objets d’étude.
1.1. Modèle de construction de l’archive : paramétrage d’un système d’énoncés (textes)
Dans le Dictionnaire d’Analyse du discours5, la notion d’archive est située à un niveau de données langagières qualifié de « particulier » par M. Foucault6 : « Celui d’une pratique qui fait surgir une multiplicité d’énoncés comme autant d’événements réguliers, comme autant de choses offertes au traitement et à la manipulation. ». Autrement dit, « le système général de la formation et la transformation des énoncés. ». Les auteurs du dictionnaire rappellent que J. Guilhaumou et D. Maldidier, R. Robin7 renforcent l’idée selon laquelle l’archive est une mise en ordre en soi puisqu’il s’agit de « dispositifs d’archive spécifiques d’un thème, d’un événement, d’un itinéraire ». Il est rappelé aussi que M. Pêcheux et C. Fuchs8, en employant la formulation de « corpus obtenu par voie archivistique », renvoient au découpage qu’opère l’analyste dans l’ensemble des énoncés conservés.
Pour notre part, on retiendra de cette première présentation liminaire, néanmoins condensée, de la notion d’archive, le fait qu’elle résulte, pour des besoins de recherche, d’une construction (pratique) contrôlée par l’analyste (traitement, manipulation, découpage). À retenir également que l’archive débouche, par nécessité scientifique, sur une organisation de données langagières, assimilable à un système où prévaut donc un ordre fondé sur les principes régularité et de hiérarchie.
Par ailleurs, compte tenu du lieu de circulation des articles, visés par la présente recherche, la construction de notre archive se fera à partir d’un autre « système » d’archivage et de circulation des textes, propre aux moteurs de recherche sur internet. Il faudra à la fois en tenir compte et s’en démarquer dans une démarque scientifique de création de nouvelles configurations des textes sur des critères propres à une conceptualisation discursive procédurale, c’est-à-dire relative à des procédés de discours et leurs effets de sens.
Pour ce qui est du paramétrage de la mise en ordre des textes dans l’archive, à partir des synthèses élaborées par quelques auteurs et au vu de la matérialité discursive inhérente au topique Algérie, trois (3) enjeux émergent comme paramètres problématisant la notion d’archive.
D’abord, un enjeu de légitimation. Selon Charaudeau9, les énoncés (textes) à archiver sont tributaires de la mémoire en tant que « pris dans un inter-discours serré » et d’un positionnement qui implique leur inscription dans le cadre d’institutions. Ces dernières confèrent aux énoncés leur légitimité et leur autorité, en « contraignent l’énonciation » et « fixent des enjeux historiques sociaux, intellectuels… ». Inscrire un texte dans une archive et lui conférer cette valeur archivistique, cela revient, indique-t-il, à « penser d’emblée son émergence historique et mode d’existence », à penser « l’articulation dans une énonciation d’un déploiement textuel et d’un faire social » (54). Il s’agit de rapporter à une « identité discursive », à caractère social, ou à un « dispositif énonciatif », des événements verbaux (textes et êtres humains) « qu’il fait vivre et qu’ils font vivre » (53).
Ensuite, un enjeu de vériconditionnalité. Se référant à Derrida et partant du principe de « non neutralité de ce qui est retenu comme effet de vérité », Soussa Romão et all.10 arrivent à l’idée d’une double dimension des énoncés de l’archive : celle relevant de la présence et celles relevant de l’absence. Dans le même sens, Derrida parle de « mémoire des événements » et de « destruction des données » ; Foucault d’« apparition » et d’« effacement » ; Charadeau d’« énonçable » et « d’inénonçable ». Cela est indicateur d’une double matérialité langagière que chaque archive projette : une interface de données saisies par leur présence en surface et une projection en profondeur non révélée qui devient l’objet de construction de l’analyste. C’est ce que Pêcheux exprime par l’exigence d’une lecture au-delà du littéral, c’est-à-dire au-delà d’une lecture autorisée par les instances ou du seul ordre du repérable. En somme, à l’aide d’une « lecture interprétative ».
Enfin, un enjeu de médiatisation. D’Armenio Enzo11, travaillant sur des archives et des corpus médiatisés et parlant de « pertinences médiales » rattachées à une « véritable expérience du sens », oriente la discussion en soulevant les enjeux de médialité dans le cadre desquels s’organisent les discours. À travers cela est postulé la « mutation du concept d’archive due à la diffusion du paradigme numérique » (110) sous les signes de la « collection », l’« expérience » et la « praxis », pour l’appréhension du « pouvoir sémiotisant des médias ». Les médias sont ainsi considérés comme des objets signifiants dans le cadre de l’archive numérique, se présentant sous les termes d’« interface » et de « support » renvoyant aux « composantes techniques indispensables de toutes les productions sémiotiques » (109).
Sous cet angle, la médialité renvoie à une pluri-sémiotique qui amène à reconsidérer, à la lumière (et mesure) de son déploiement, la richesse énonciative qui caractérise les documents d’archives numériques. Il s’agit de considérer les écarts à établir entre les documents d’archives qu’on traite traditionnellement (matérialité textuelle) et les supports et substances relatifs à la sémiotique de l’interface numérique. Cette double matérialité est à réunir dans le paramétrage analytique de l’archive pour les besoins de la recherche et à réunir également dans le processus d’interprétation auquel elle sera soumise, sous le signe du concept d’« appropriation ». L’archive (texte et substance) est affaire de réception et à ce titre le lecteur-spectateur (profane et savant) procède à l’appréciation des écarts : entre personnes, entre temporalités (actuels/inactuels) et entre spatialités (d’ici/d’ailleurs) induits par la technologie à l’égard des matériaux sémiotiques : numérique/analogique, haute/basse définition, photo (graphie)/synthèse, local/global, échelles de temps diverses, perspectives diverses, formes/déformations, fixité/dynamique et fluidité, etc.
1.2. Autour de l’archive du topique « Algérie » : dynamique et échelle de configuration et de reconfiguration
La mise en place de l’archive de la spatialité du topique « Algérie » dans le discours a évolué, dans le cadre d’une démarche empirique, d’une saisie superficielle et immédiate de l’observation de l’archive-externe à une saisie analytique et conceptuelle avec les paramètres du paradigme de la discursivité, de l’Analyse du discours et de l’approche inférentielle adoptée.
L’archive externe obéit aux modes d’organisation propres à la réalité sociale et ses propres dispositifs de génération, de stockage et de mise en circulation. L’observation et la recherche documentaire se sont effectuées par le biais des sites Web. Cette première saisie de la matérialité sémiotique (textes et interfaces des sites) ne pouvait s’appuyer dans un premier temps que sur la base de critères thématiques en interrogeant les moteurs de recherche à l’aide de mots clés : d’abord, « Algérie » et « espace », comme noyaux focaux, renvoyant au processus discursif et sociocognitif de spatialisation du/dans le langage tel qu’il opère par rapport au topique « Algérie » ; puis en y introduisant chemin faisant des variations de combinaisons.
Les variations ont porté sur l’un ou l’autre des termes, c’est-à-dire par la complexification et l’hétérogénéisation de l’objet thématique « Algérie » et par celles de sa dimension spatiale. Cette complexification-hétérogénéisation s’est effectuée de manière empirique, en ce sens que c’est en fonction des données archivistiques générées par le Web, que des hypothèses de possibles configurations apparaissent au fur et à mesure de l’observation.
Ainsi, les combinaisons se présentent comme suit : a) autour du topique « Algérie » : Algérie ; Algérie-Monde ; Algérie-Monde arabe ; Algérie-Monde Amazigh ; Algérie-Monde musulman ; Algérie-Méditerranée ; Algérie-Maghreb ; Algérie-Afrique ; Algérie-Europe ; Algérie-Maroc, Algérie-Tunisie ; Algérie-Sahel ; Algérie-terre ; Algérie-mer ; Algérie-ciel ; Algérie-économie (commerce, services) ; Algérie-éducation ; Algérie-culte ; etc. ; b) autour du topique « spatialité » : Algérie-Nord ; Algérie-Sud ; Algérie-Ouest ; Algérie-Est ; Algérie-urbain ; Algérie-rural ; Algérie-centre ; Algérie-périphérie ; Algérie-frontières ; Algérie-Sahara ; Algérie-Montagne ; Algérie-littoral ; Algérie-de l’intérieur ; etc.
À cette génération ouverte de thèmes correspondent une myriade de sites qui s’inscrivent dans des thématiques tout aussi diverses et multiples :
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des sites relatifs à la médialité des organes de presse traditionnels ou numériques : www.elwatan.com ; www.libertealgerie.com ; www.maghrebemergent.info ; www.dépechedekabylie.com ; www.echouroukonligne.com ; www.algerie360.com ; www.nouvelobs.com ; www.aps.dz ; www.alg24.net ; etc. ;
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des sites relatifs à la médialité des organismes gouvernementaux et internationaux : https://www.unicef.org/algeria ; wwwapn.dz. ; www.menadefense.net ; www.ambafrance.org ; www.embalgeria.pt ; etc. ;
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des sites relatifs à la médialité de structures socioprofessionnelles et socioculturelles : www.bna.dz ; www.usinenouvelle.com ; www.vinyculture.com ; www.maison-monde.com ; www.futurascience ;com ; www.admin.if-algerie.com ; www.kabyles.net ; etc.
Cette diversité des voix de la médialité, croisée avec celle des thématiques, appelle à faire trois remarques principales : a) le faisceau des orientations thématiques se complexifie en fonction de nombreux déterminants : géographiques, domaines d’activités, d’échelles sociales et professionnelles, etc. ; b) les thèmes de la spatialité de l’Algérie sont distribués parfois, parfois par rapport à certaines thématiques, entre médias dont la parole peut être perçue comme « sérieuse » et d’autres comme « non sérieuse » ; c) en fonction de la nature de la médialité, la distribution se fait également entre médias de « promotion » (propagande) de la spatialité de l’Algérie ou de critique (d’opposition).
Les écueils de cette organisation thématique sont plus puissants que les avantages que l’on peut lui trouver pour rendre caduque l’organisation d’une archive cohérente et pertinente. D’abord, la déclinaison des thèmes et des sous-thèmes peut se poursuivre à l’infini dans leur extension spatiale et temporelle : génération de thèmes spatiaux extensibles sans fin tant dans le sens de l’élargissement que de la réduction des perspectives ; même extension sans fin sur le plan de la chronologie de génération des documents (passés, actuels, futurs). Encore plus handicapant est l’indétermination des plans de classification et d’organisation thématique. Les énoncés (textes) peuvent indifféremment appartenir au topique Algérie qu’à celui de la spatialité, augmentant par là le champ de génération de textes en fonction d’une infinité de combinaisons thématiques. Si cette première approche est nécessaire à titre exploratoire, la nécessité d’y introduire des critères de catégorisation et de classification a conduit à injecter donc une part de conceptualisation. En d’autres termes, rationaliser autrement l’archive en se fiant à la puissance ordonnatrice des procédés discursifs, mieux définis et dont le rendement est plus élevé.
Pour ce faire, l’exploration thématique, se révélant non opératoire, a conduit en même temps, par un biais critique, à faire ressortir la pertinence de certains critères de sélection pertinents au vu de l’objectif de recherche, celui de modéliser in fine les parcours interprétatifs de l’instauration de configurations discursives et sociocognitives de la spatialité de l’Algérie. C’est ainsi que les critères suivants se sont imposés :
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tenir compte de la titrologie des articles générés par les moteurs de recherche pour leur vertu programmatique ;
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tenir compte des dénominations des sites et de leurs modes et procédés de diffusion des articles dans le sens où des indications utiles peuvent être fournies pour apprécier l’orientation de l’information et sa signification ;
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tenir compte de la double dimension médiatique des articles en introduisant la notion de « textes médiatiques médiatisés » où ce double prisme médiatique peut renseigner autrement le rapport aux médias : à la fois textes médiatiques dédiés à la diffusion de l’information et objets eux-mêmes de médiatisation et de diffusion. Cela augmente le rendement interprétatif en termes de signifiance.
Ces critères une fois mis en œuvre, la réflexion sur la catégorisation et la classification des textes archivistiques s’est déterminée sur deux axes en fonction de leur inscription dans une double dimension : ontologique et empirique. Le contenu des articles lus à la lumière des titres et de l’orientation informationnelle des sites a conduit à distinguer :
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D’une part, un ensemble de textes situables sur le plan ontologique en tant qu’articulation des notions d’existence relative à l’ÊTRE à l’ESPACE. Ainsi, cet ensemble de textes porte, sur la base de la formule Être-espace, sur ce qu’on a fini par désigner comme spatialité d’identification. Autrement dit, l’espace « Algérie » en tant d’Êtres (espace), une spatialité porteuse de caractérisations identificatrices, donc par rapport auxquelles opère son identification et sa reconnaissance, comme cadre « primordial » d’existence ; par ailleurs, de l’être à l’espace Algérie où l’Algérie est posée comme dans une formule inverse en tant Espace-Etre et à ce titre l’objet auquel l’Être s’identifie et construit son identité.
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D’autre part, un ensemble de textes situables sur un plan téléologique où prévaut l’articulation entre la modalité du FAIRE et l’espace, qui est pris ici dans une perspective empirique en tant que spatialité incarnée, vécue, sentie. Elle se fonde sur la modalité du FAIRE dans la mesure où c’est la pratique et l’action-interaction que se génèrent, se configurent et se reconfigurent des spatialités. Là aussi, on peut envisager le rapport faire-espace dans une double formulation. D’une part, l’espace comme un faire, en ce sens qu’il génère des discours induisant des pratiques et des comportements ; d’autre part en tant résultante d’un faire c’est-à-dire où s’incarnent des discours, des pratiques et des comportements. Par exemple, pensons aux spatialités articulées à des champs socioprofessionnels (métiers) : soit ce sont certains lieux qui surdéterminent les discours, les pratiques et les comportements ; soit ce sont ces deniers qui surdéterminent les lieux. C’est le cas par exemple des nouveaux lieux déterminés par des activités.
En considérant les deux mouvements, d’une part de l’ontologique (Être-espace) à l’empirique (Faire-espace) et, d’autre part, d’une formule à une autre, il est possible même d’obtenir une archive de textes qui permet de retracer la genèse de ces rapports, en repérant l’acte de création où les pratiques créent des lieux originels et en considérant ensuite dans quelle mesure ces lieux créés finissement par caractériser des pratiques (discursives et comportementales).
2. Mise au point conceptuelle de la notion de corpus dans le cadre d’une approche empirique en AD
Au vu des considérations précédentes, il est question présentement de retracer le cheminement conceptuel et méthodologique qui a présidé à la mise en place du corpus relatif à l’étude de la spatialité du topique « Algérie » dans le discours. Il s’agit d’en déterminer les critères de sélection, leur caractérisation, leur organisation en ensembles de signifiance et d’en évaluer l’acceptabilité.
2.1. Modèle de construction du corpus ou le corpus comme objet d’étude en soi
Ce modèle se réfère à la donnée analysable, identifiable, en Analyse du discours et dans le cadre d’une approche de réception, aux énoncés, tels qu’ils peuvent susciter des problématiques à différentes échelles de leur appréhension et appropriation. Pour la notion de corpus, la mise au point méthodologique cheminera en s’arrêtant méthodiquement à la nature des données, à leur fonctionnalité, à leurs valeurs heuristiques et, à l’issue de cela, à l’approche de leur constitution.
Parler de données de corpus, c’est parler d’un ensemble d’énoncés qui sera soumis à l’analyse. Le corpus renvoie à des données langagières générées par l’analyste dans le cadre d’un paradigme scientifique ou comme le dit Céline Vaguer12 dans le cadre d’une appropriation scientifique paramétrée dans un cadre épistémologique. Dans ce sens, construire un corpus revient à construire conceptuellement la réalité langagière à étudier en décalage par rapport à son état naturel donné dans sa totalité et différemment de la réalité conceptualisée de l’archive bien qu’elle s’en inspire pour se préciser à travers des problématiques liées à des procédés discursifs instituant une lecture interprétative.
Au vu de la démarche empirico-inductive qu’implique le paradigme épistémologique des linguistiques du discours, les données à générer sont envisagées comme données d’attestation de pratiques langagières à considérer non pas sous l’angle de la représentation, mais de la pertinence. À ce titre, en suivant Nathalie Garric et J. Longhi13, ces données sont dites pertinentes, au vu de l’articulation Texte-contexte-finalité. Elles n’ont pas pour vertu de représenter une réalité qui n’est qu’une illusion au vu du rapport de vérité qu’elle suppose. Ces données reconstituent plutôt des pratiques configurant un certain rapport à la réalité sous l’angle de l’interprétation, en tant que raisonnement pragmatique où prévaut l’efficacité, prisme de la logique naturelle qui gouverne son fonctionnement : adéquation du texte au contexte ; adéquation du texte à la finalité de son énonciation.
Dans le même sens, et sous le signe de l’intertextualité et de l’interdiscursivité, François Rastier14 parle de données supratextuelles à combiner à des données contextuelles dont la particularité, comme l’indiquent dans son sillage Émile Comby et Yannick Mosset15, est de constituer, loin du paradigme de l’explicite et du réalisme, des données implicites inférables en vertu du principe de pertinence. C’est dans ce sens que la spatialité est saisie à travers le régime de la discursivité en tant qu’ordre transcendant l’hétérogène textuel et contextuel qui en constitue la manifestation dispersée et diffuse.
Les données du corpus (discours), comme le précisent N. Garric et J. Longhi, servent à donner une matérialité attestée (l’hétérogène textuel) au principe de variation, lequel est lié au principe d’interprétation. Patrick Charaudeau16 définit dans ce sens l’interprétation comme la voie réflexive qui mène à l’identification du sens social. Emilie Comby et Yannick Mosset, sur la base de l’approche corpus-driven, attribuent au corpus la fonction de faire émerger de manière inductive des savoirs linguistiques, tels qu’ils s’articulent de manière pertinente à des savoirs sociocognitifs et permettent d’éclairer les pratiques de sujets sociaux en contexte. Comme l’affirme F. Rastier, les données protéiformes du discours participent au fait de faire ressortir les logiques sociocognitives qui édifient un lieu d’énonciation (d’observation) emblématique. De là ressort une fonction pratique dans le sens où les données discursives du corpus renvoient par définition à des données pratiques établies en vue d’une gamme d’applications (analyse). Il s’agit selon le même auteur de surpasser l’écueil de l’objectivisme pour rappeler qu’objectivité se rapporte dans ce sens à des données adéquates à une tâche qui définit sa représentativité, en parlant précisément de pertinences des corpus.
Objets complexes relevant de mécanismes interprétatifs, les données discursives participent d’une compréhension des univers de discours fondée sur le critère d’acceptabilité. Les données sont posées à ce titre comme traces et inscriptions établies, en guise de preuves pour l’édification de la signifiance des sujets visés. Par rapport à l’archive, le corpus se distingue par des objectifs intrinsèques. Ce sont des données qui font, par un processus d’objectivation, la réflexion de la variation et des sources d’hétérogénéisation, à la mise en place des configurations des schèmes discursifs et sociocognitifs révélateurs d’objets emblématiques. Ces derniers constituent, en fin de parcours de l’interprétation, des plans de compréhension d’une situation discursive avec des déterminations de différents ordres. P. Charaudeau en établit quelques-uns : cognitif, au sens de catégorisation des configurations globales des manifestations discursives ; communicationnel, au sens de détermination des sujets de parole et des buts ; représentationnel, au sens de formulation d’hypothèses interprétatives de représentations sociocognitives ou d’identification du sens social des discours, c’est-à-dire accéder à des hypothèses posées comme dominantes à un moment donné de la vie sociale (positionnements sociaux, pratiques et types de sujets).
2.2. Autour du corpus du topique « Algérie » : phénoménologie et discursivité
Pour approfondir la contextualisation heuristique des données amorcée pour l’archive afin d’en extraire le corpus au sens d’ensemble de données exploitables, d’autres notions participent à la précision du sujet et de sa mise en perspective analytique, relativement à notre projet de recherche. Il est question de préciser la définition des notions d’« espace » et de « spatialité » ; ensuite, à la lumière de ces précisions, celles générées pour problématiser les données à intégrer dans le cadre d’un corpus d’étude que nous avons rattaché par hypothèse aux phénomènes de « saillance » et « prédication ».
2.2.1. Espace et spatialité : dialectique ontologique et phénoménologique
L’Espace, l’Être et le Temps sont donnés, d’un point de vue ontologique, comme des entités fondamentales de l’Existence, déterminées par leur précédence et leur prééminence. D’où l’intérêt particulier qu’ont l’homme et la société pour l’espace, comme le confirme Maloutas17 aussi bien l’homme ordinaire que l’homme savant sont conscients de la primordialité de la problématique de l’espace qui s’exprime, comme l’affirme Patrick Juinet18, par la question primordiale de savoir « comment accéder au réel », en l’occurrence comment accéder à la saisie de l’espace. Cette conscience procède d’abord, comme le rappelle Maloutas, d’une « intuition pure » précédant « toute intuition sensitive » ; c’est d’abord, comme le précise P. Juignet la conscience de l’existence d’un « monde auquel participent les êtres humains, mais qui ne dépend pas d’eux », « ne dépend pas de la connaissance des hommes, n’obéit ni à ses croyances, ni à ces volontés ».
L’Homme, dans les limites de ses facultés et de ses réalisations n’a accès qu’à des avatars de l’Espace, par la médiation nécessaire du langage (discours et langue). Le langage constitue ainsi le lieu privilégié, comme l’affirment W. Klein et R. Nüse19, « d’informer sur la structure et la fonction de la langue dans un des domaines les plus importants [l’espace] » et « d’éclairer l’une des catégories les plus fondamentales de la cognition humaine [penser et connaitre l’Espace] ».
Sous ce rapport étroit établi entre Espace et Langage, il y a lieu de situer la réflexion des rapports de l’Homme à l’Espace et donc du Langage à l’Espace dans le paradigme du phénoménologique et de l’historique, en dehors de toute saisie impossible de l’intuition pure ou de l’objectivisme de l’ontologique absolu. Il est plutôt question, comme l’indique Maloutas, de révéler les « traces » et les « termes » généraux du matérialisme historique à la base du « passage de la spatialité humaine dont le concept descriptif est le « lieu » vers la spatialité sociale dont le concept descriptif est « l’espace » ». P. Juignet, sur la base de la distinction entre le Réel (statut ontologique) et la Réalité (statut phénoménologique et langagier), renvoie au fait de « penser le Réel [ici Espace] grâce à la réalité [ici lieu] dans une relation de « nécessité » et « d’indépendance » ». La remontée réflexive se fait donc de l’empirique objectivé au conceptuel. Dans ce sens, il est question de « géographie humaniste (Maloutas), d’ontologie « locale », « prudente » et « implicite » (Juignet) et de « dire implicitement quelque chose sur le monde, en l’occurrence sur l’espace (Klein et Nüse).
2.2.2. Spatialité et langage
Sur la base de ce qui précède, une précision terminologique supplémentaire est nécessaire. Il s’agit, pour la clarté de notre propos, d’établir la distinction entre les termes « espace » et « spatialité ». Le terme « Espace » est réservé pour renvoyer à la portée ontologique sociale et linguistique de la question spatiale ; quant au terme « spatialité », il renvoie à sa portée phénoménologique et discursive. Le terme « spatialité », en tant que terme composé, offre l’avantage de renvoyer par sa composante adjectivale (spatial) aux propriétés, caractéristiques, des fonctions et des qualités, et par le suffixe (–ité) à introduire une substantivation abstraite renvoyant au concept éclairant un processus de formation d’un fait, en l’occurrence l’espace comme résultat de construction discursive et sociocognitive.
Le rapport de l’espace au langage est engagé dans ce présent travail sous le signe de la discursivité et à ce titre, comme le souligne Rastier, il est question d’inscrire ce rapport dans le cadre d’une ontologie plurielle (vs ontologie unique) résultat d’un processus de « dé-ontologisation ». Cette rupture avec toute possibilité d’une déontologie est exprimée par Klein et Nuse en ces termes : « Toutes les langues ont développé un riche répertoire de moyens permettant d’exprimer la référence spatiale. C’est pour cette raison que l’on devrait s’attendre, en analysant le langage spatial, à découvrir un système possédant une organisation simple et claire. Il n’en est rien. ».
Une linguistique de corpus dans le cadre d’une approche empirique et d’un point de vue phénoménologique et discursif, la dimension spatiale du langage est à instituer comme l’affirme Rastier sur le préalable du FAIRE sur l’ÊTRE. Ainsi, l’instituer sur le VERBE (vs Nom), sur les accidents (vs substance), sur la multiplicité (vs unicité) et sur la variation (vs invariance). Cela correspond à la « diversité sémiotique des textes », les « corrélations complexes entre contenus et expressions » (plurivocité et équivocité), les « incidences constituantes du contexte ».
2.2.3. La pragmatique inférentielle : cadre heuristique adéquat de génération des données
C’est dans ce sens que la pragmatique inférentielle s’impose comme cadre heuristique adéquat pour la génération des données dans cette perspective phénoménologique et discursive. Suivant la définition consacrée de la pragmatique inférentielle, en tant que pragmatique portant sur les aspects non sémantiques du sens d’un énoncé, et par là établis de façon non logique, mais suivant le principe de pertinence, précisé par J. Moeschler20 comme « la construction d’hypothèses contextuelles pertinentes pour la construction des hypothèses anticipatoires. »
Les données du corpus à établir relèvent ainsi d’une spatialité qui prend les qualificatifs suivants : spatialité implicite, complexe et procédurale. En tant que spatialité implicite, elle relève d’une indicialité participant d’hypothèses inférentielles ou d’implicatures en tant que contenus non dits. J. Moeschler21 parle d’expression procédurale dans la mesure où « (…) elle nous donne des instructions sur la façon de construire le contexte dans lequel doit être interprété l’énoncé ». (70)
Elle est posée ainsi comme objet complexe renvoyant à des données discursives relevant de configurations relatives qui s’inscrivent dans un processus de construction qui confère à la spatialité son caractère procédural. Il s’agit d’adopter une approche procédurale que J. Moschler définit comme « (…) toute forme d’approche qui associe une procédure, c’est-à-dire un schéma inférentiel à une expression linguistique » (69). Il est question ainsi d’interprétation dans la mesure où « « (…) interpréter un énoncé ne revient pas à mettre entre parenthèses d’autres interprétations possibles, mais à enrichir l’interprétation en fonction de propriétés du contexte sélectionné » (70)
Ainsi, la signification en générale et celle de la spatialité résultent de la conjonction de l’intention informative telle qu’elle peut être déterminée par l’intention communicative. Autrement dit, la signification spatiale relève davantage d’une interprétation que d’une propriété définitoire. À ce titre, le processus interprétatif, qui fixe, dans le cadre de la pragmatique inférentielle, les données et les parcours interprétatifs, évolue d’un cadre où la spatialité est envisagée comme spatialité vécue, en tant qu’expérience humaine et sociale à un cadre heuristique dit figuratif où la spatialité est envisagée comme spatialité sociale abstraite, pouvant faire objet de modélisation.
3. Mise en perspective de l’analyse : synthèse et problématiques
La clôture de ce présent travail consiste à présenter les modèles archivistiques et de corpus à l’issue de la discussion des fondements épistémologiques et méthodologiques menées dans les sections précédentes. La présentation rédigée est accompagnée de schématisations descriptives des processus de modélisation.
3.1. Le modèle archivistique
Le modèle archivistique (cf. Schéma 1) conçu dans le cadre de cette étude repose sur une remontée conceptuelle heuristique qui débouche sur une lecture pragmatique et inférentielle des faits de langage relatifs à la mise en discours de la spatialité. Autrement dit, l’archive se définit en tant que représentation d’une réalité (vs réel) telle qu’elle puisse être découpée et configurée par des objectifs de recherche. Cela revient à l’envisager dans un processus de conceptualisation nécessaire et déterminée par les critères notionnels et phénoménologiques mis en perspective dans un cadre épistémologique, correspondant ici au langage (langue ou parole) et aux sciences du langage.
La construction de l’archive part d’une base archivistique opérée dans le champ social, i.e. en dehors du champ de recherche. Cela correspond à un champ d’inter discursivité désigné ici par « zone de l’hétérogène », identifiable aux logiques de production, de stockage et de diffusion des opérateurs sociaux en fonction des objectifs inhérents à leurs activités sociales. Dans ce cadre, l’archive sociale expose une matérialité textuelle et un faire social diffus et répartis sur la base d’une multiplicité de thématiques, d’événements et d’itinéraires. Par ailleurs, la spatialité discursive du topique « Algérie » est exposée par une double matérialité sémiotique : textuelle et numérique. Le chercheur, à ce stade, est confronté à la présence (mémoire, apparition, énonçable, repérable) de textes identifiables à une typologie sociale (textes institutionnels, journalistiques, juridiques, commerciaux, culturels, etc.) et de canaux de diffusion identifiables à des éléments langagiers pluri sémiotiques propres aux surfaces d’exposition des textes (sites Web). Cette archive sociale, au vu des objectifs de production-réception qui lui sont propres, est appréhendée dans le cadre d’une lecture littérale (s’informer ou se constituer une opinion), telle qu’elle est autorisée et orientée par les instances productrices.
À partir du moment où cette lecture est réorientée pour l’inscrire dans le cadre d’une recherche scientifique, il devient nécessaire de la reconsidérer dans le cadre d’un processus d’appropriation scientifique de la matérialité sémiotique exposée. Cela signifie que le découpage de la réalité discursive envisagée (ici spatialité-langage) est amené à être revu dans le cadre d’une lecture non littérale renvoyant à l’absence (disparition, inénonçable, inférable). Il s’agit d’une lecture conceptualisée de la matérialité sémiotique exposée qui vise à accéder, au-delà de l’information et de l’opinion autorisées au départ, à des dispositifs linguistiques (lexicologiques et morphosyntaxiques) ou, comme dans le cadre de cette présente recherche, aux dispositifs énonciatifs et pragmatiques (discursifs) et aux identités discursives des discours.
Dans le cadre de la science, l’archive se dote d’une valeur heuristique qui informe sur une zone non exposée relative d’une part, aux procédés discursifs et d’autre part à ce qu’ils permettent d’instaurer comme lecture non littérale des faits langagiers et sociaux en tant que compréhension inférée, au moyen donc d’une lecture pragmatique inférentielle. Cessent à ce niveau d’opérer les critères thématiques et ceux relatifs aux événements et aux itinéraires, trop diffus pour être des biais descriptifs dotés d’un pouvoir organisateur et d’interprétation. Entrent alors en jeu des critères que l’analyste reconstruit pour établir, par inférence, une typologie discursive articulée à des procédés discursifs renvoyant à une réalité, dans le cadre d’une médialité. C’est cette archive ainsi conçue et délimitée qui autorise l’appréhension du corpus, en tant qu’ensemble de données analysables.
3.2. Le modèle de corpus
Le modèle de la construction du corpus, tel qu’il est envisagé dans la présente recherche, a donc, pour base les données paramétrées de l’archive heuristique reconstruite. Toujours dans le cadre d’une appropriation scientifique des données, le passage de l’archive heuristique au corpus s’opère sur la base d’un processus d’objectivation des données, autrement dit leur assigner la valeur d’objets d’étude.
Cette objectivation, dans le cadre de l’analyse pragmatique des discours est adossée à l’objectif de reconstruire, par voie inférentielle, des savoirs dits supra textuels articulés à des savoirs contextuels. La matérialité sémiotique établie dans le cadre de l’archive est réorganisée de telle sorte à faire ressortir ce qui la caractérise foncièrement, à savoir une textualité fondée sur la variation (données variables), sur l’inférable (données implicites), sur l’interprétable (signifiance sociale). C’est dans ce sens qu’il est question de remonter au cadre conceptuel organisateur de l’hétérogène textuel, désigné par les termes de savoirs supratextuels, et au cadre conceptuel organisateur des schèmes sociocognitifs qui éclairent les savoirs contextuels.
Les données du corpus sont envisagées sous cet angle comme des preuves d’attestation de la signifiance. Dans cet ordre d’idées, il y a lieu projeter la détermination des données discursives à analyser sur la base d’hypothèses qui mettent en perspective ce qui est appelé ici les lieux d’énonciation emblématiques où sont déterminés des enjeux relatifs à des logiques sociocognitives de l’organisation spatiale dans et par le discours. Les lieux d’énonciation emblématiques correspondent à des cadres d’organisation des activités discursives identifiables avec des paramètres énonciatifs transcendants, d’où leur caractère emblématique.
Au niveau de l’énonciation, la personne, le temps et l’espace d’énonciation acquièrent, par conceptualisation des données premières de l’énonciation, un statut symbolique. Ainsi, les déterminants de l’énonciation constituent les traces d’une détermination énonciative englobante et structurante. Par exemple l’énonciation journalistique, économique, culturelle peuvent se rencontrer dans un lieu d’énonciation emblématique d’une campagne de valorisation gouvernementale touristique d’une spatialité, en l’occurrence « Algérie ». Par remontée conceptuelle et symbolique, cette même campagne touristique peut s’identifier à un cadre supérieur d’une politique économique, voire d’une idéologie.
Au niveau des logiques sociocognitives, le sens social des activités discursives lié à la spatialité, ou sa signifiance, correspond à des schèmes de pensée de portée sociale justifiant et permettant de comprendre les conduites discursives et les pratiques au niveau local et individuel. Une spatialité peut être ainsi identifiable par des gestions identifiables variablement par des raisonnements logiques-formels ou pragmatiques-fonctionnels, par une saisie directe ou indirecte, par une saisie concrète ou transcendée par du symbolisme, etc.
3.3. Le modèle du corpus d’analyse de la spatialité du topique « Algérie » dans le discours
Au plus près de l’objet d’étude à reconstruire dans le cadre du sujet de recherche qui est la spatialité du topique « Algérie » dans le discours et au vu des mises au point méthodologiques et conceptuelles précédentes, il est question d’inscrire les données discursives dans la rationalité de leur dimension phénoménologique et empirique, i.e. en accord avec le matérialisme historique constitutif de la production-réception des activités langagières. Cela, en rupture avec la dimension ontologique de la notion d’Espace non envisageable sur le plan langagier.
Dans ce cadre, se dégagent deux lieux d’énonciation de la spatialité : une spatialité dite humaine soutenue par la notion de « lieu », correspondant au niveau local de l’énonciation ; une spatialité sociale, à laquelle l’analyse doit remonter, soutenue par la notion d’espace et qui correspond au niveau social de l’énonciation.
L’énonciation de la spatialité au niveau local relève d’un processus de dé-ontologisation dans le sens où, ramenée à la matérialité historique, l’espace, en tant que donnée ontologique (primaire) insaisissable, est requalifié en tant qu’entité empirique (locale et sociale) participant d’un double enjeu : un enjeu d’identification et un enjeu actionnel. La spatialité du terme « Algérie » est discutée dans ce cadre par le biais de deux modalités :
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la modalité de l’Être, à travers laquelle l’espace se pose ainsi comme entité à identifier (l’Être de l’espace ou l’identité de l’espace) et entité identificatrice (l’espace octroyant des identités) ;
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La modalité du Faire, à travers laquelle l’espace se pose comme entité agissante (agentivité) ou comme entité agie (objet d’action) ; dans le premier cas, il fait référence à l’action qu’il provoque et dans le second à l’action qui introduit en lui des modifications.
Les données observées à la lumière des deux modalités de l’Être et du Faire ont conduit à dégager deux problématiques : l’une relative au phénomène de « saillance » autour de l’articulation Espace-Etre ; l’autre au phénomène de la prédication autour de l’articulation Espace-Faire.
En référence au phénomène de « saillance » et à la modalité de l’Être (Espace-Etre), apparaissent des problématiques inhérentes à la centralité du NOM :
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la Dénomination formulaire (ex. Algérie continent ; Alger la blanche),
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la Comparaison-focalisation (Algérie, au sommet des pays africains ; Algérie, la plus riche des pays maghrébins),
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Le Cadrage référentiel, où le terme « Algérie » se pose comme thème contextualisant d’autres spatialités (Algérie, terre…, mer…).
En référence à la prédication et à la modalité du Faire (Espace-Faire), les problématiques sont inhérentes à la centralité du VERBE, à travers lequel s’entrevoit la création, la configuration et la reconfiguration de la spatialité de l’Algérie :
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Typologie des prédicats tels qu’ils s’insèrent dans la dynamique de la logique interlocutoire en œuvre dans le discours spatialisant et tels qu’ils permettent d’obtenir une représentation des champs d’action de la spatialité de l’Algérie : ex. Algérie, pays gazier (producteur de gaz).
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Performativité de la prédication pour une représentation de l’opérabilité des champs d’action de la spatialité de l’Algérie : ex. « Algérie, force de frappe ».
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Cela, en considérant un ensemble de variables telles que : centralité/périphérie, superficie/profondeur, points d’ancrage/extension, point d’ancrage/modification
C’est donc par le biais des concepts de Réalité (dimension phénoménologique) et des modalités de l’Etre et du Faire (dé-ontologisés) qu’est mise en perspective l’appréhension analytique du discours de la spatialité du terme « Algérie ». Cela fera l’objet de publications ultérieures, notamment autour de ces mises en perspectives : les phénomènes de saillance et de prédication et les notions qui leur sont respectivement inhérentes.