Ainsi naquit un homme ou l’engendrement rituel du récit

Nafa Kamal et Djamel Zenati

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Nafa Kamal et Djamel Zenati, « Ainsi naquit un homme ou l’engendrement rituel du récit  », Aleph [En ligne], Vol.1 (1) | 2014, mis en ligne le 25 juin 2015, consulté le 23 novembre 2024. URL : https://aleph.edinum.org/783

Les récits tiennent une large place dans notre culture. De nombreuses théories s’offrent la critique pour les comprendre et les interpréter. Certaines tiennent compte de leur place dans l’histoire, d’autres les abordent en fonction de leur intérêt sociologique et psychanalytique ou examinent leurs conditions de production et/ou de réception, d’autres enfin ne les envisagent qu’en eux-mêmes. Que faut-il privilégier dans un cadre didactique ? Nous avons choisi d’inscrire notre étude dans le cadre de la narratologie à partir d’une double perspective : l’une considère les récits en tant qu’objets linguistiques, clos sur eux-mêmes, indépendamment de leur production et de leur réception, l’autre consiste en l’idée que, au-delà de leur diversité apparente, les récits affichent des structures de base et des règles d’organisations analogues qui constituent à la fois l’objet de la narratologie et les outils d’analyse des différents récits que l’on peut rencontrer. C’est dans cette double perspective que sera analysée la structure narrative organisant le processus historique de la guerre de libération comme référent extra-textuel dans Ainsi naquit un Homme de Myriam Ben

Les récits tiennent une large place dans notre culture. De nombreuses théories s’offrent la critique pour les comprendre et les interpréter. Certaines tiennent compte de leur place dans l’histoire, d’autres les abordent en fonction de leur intérêt sociologique et psychanalytique ou examinent leurs conditions de production et/ou de réception, d’autres enfin ne les envisagent qu’en eux-mêmes. Que faut-il privilégier dans un cadre didactique ? Nous avons choisi d’inscrire notre étude dans le cadre de la narratologie à partir d’une double perspective : l’une considère les récits en tant qu’objets linguistiques, clos sur eux-mêmes, indépendamment de leur production et de leur réception, l’autre consiste en l’idée que, au-delà de leur diversité apparente, les récits affichent des structures de base et des règles d’organisations analogues qui constituent à la fois l’objet de la narratologie et les outils d’analyse des différents récits que l’on peut rencontrer.

Ce choix se justifie doublement, nous semble-t-il, en premier lieu, d’un point de vue didactique, cette théorie du récit propose à la critique des instruments d’analyse indispensables, explicables, maniables et suffisamment rigoureux pour l’analyse et le commentaire. En second lieu, les concepts de l’approche interne (narratologie) n’entrent pas en contradiction avec ceux d’autres théories interprétatives. Les analyses effectuées grâce à eux pourront donc fournir un soubassement solide — en évitant bien des dérives aussi bien à étudiant qu’à l’enseignant pour des études plus complexes mettant en relation les récits avec l’histoire, la société ou le psychisme des auteurs et des lecteurs.

Portée par un souci d’ordre didactique, l’approche que nous proposons ici de la structure de la nouvelle Ainsi naquit un homme de Myriam Ben s’inscrit entièrement dans cette perspective.

Structure narrative de la nouvelle

La lecture de la nouvelle Ainsi naquit un homme  de M. Ben nous plonge dans l’univers de la lutte de libération nationale. Un narrateur anonyme, mais omniprésent raconte sa propre histoire à la première personne « Je ». Il dévoile ses sentiments, ses hésitations et les états d’âme qui l’ont traversé lorsque la vérité sur l’histoire de son père lui est révélée progressivement par Medjnoun, le fou du village. La nouvelle fonctionne ainsi selon trois moments : tout d’abord une amélioration à obtenir (un savoir concernant le père), en second lieu, un processus où le fils, narrateur et agent de la quête, reste paradoxalement passif, et enfin une amélioration obtenue accompagnée d’une prise de conscience en faveur de la lutte de libération nationale. La nouvelle se compose non seulement d’un récit charnière dont le père est le héros, mais aussi de microrécits enclavés ou parallèles qui brisent la chronologie événementielle au profit d’une unité et d’un rythme fondés sur la répétition d’un même thème.

La structure de l’œuvre sera abordée à partir des concepts de l’analyse narratologique élaborés par Cl. Bremond dans La logique du récit. Selon lui, on peut dégager du récit des séquences élémentaires composées de trois moments (virtualité, actualisation, résultat). Il s’appuie sur une définition précise du récit : tout récit consiste en un discours intégrant une succession d’événements d’intérêt humain dans l’unité d’une même action. Où il n’y a pas succession, le récit n’advient pas et laisse place à

  • la description. (si les objets du discours sont associés par une contiguïté spatiale),

  • déduction (s’ils s’impliquent l’un l’autre),

  • effusion lyrique (s’ils s’évoquent par métaphore ou métonymie)

  • etc.

Là où il n’y a pas intégration dans l’unité d’une action, le récit reste dans le proscrit et ouvre la voie à l’actualisation d’une chronologie, d’une énonciation d’une succession de faits non coordonnés. Et là enfin où il n’y a pas implication d’intérêt humain (où les événements rapportés ne sont ni produits par des agents, ni subis par des patients anthropomorphes), il ne peut y avoir de récit, parce que c’est seulement par rapport à un projet humain que les événements prennent sens et s’organisent en une série temporelle structurée où toute séquence est nommable (voir notre découpage en séquences : nomination des séquences et des microrécits).

L’application de la théorie de Bremond nous a paru rentable pour décrire la structure de la nouvelle et du récit portant sur le père en particulier (voir les schémas réalisés). Cependant, la dynamique du récit étant issue d’une tension créée par la présence de microrécits enclavés ou en parallèle relevant d’une logique rituelle, il nous a fallu, pour les besoins de l’analyse, enrichir notre étude de l’utilisation des outils théoriques proposés par T.Todorov.

Structure de la nouvelle

Structure de la nouvelle

Plusieurs microrécits composent donc cette nouvelle :

  • celui qui concerne la chatte de Medjnoun (récit A)

  • celui de la fille du docteur (récit B)

  • celui portant sur madame Lambez (récit C)

  • celui portant sur le narrateur et le rite (récit D)

  • celui qui intéresse Medjnoun (récit F)

Le récit sur le narrateur et sa prise de conscience englobent les autres (dimension extérieure) tandis que les microrécits (dimension intérieure) commencent avec le surgissement du signifiant de l’actant héros (Medjnoun, la sauvage, le père, madame Lambez). À la fin du récit sur le père, l’histoire, au lieu de se terminer, continue avec l’apparition du signifiant « moi, je » renvoyant à Medjnoun. En fait, chaque microrécit viendra remplir de significations nouvelles ; ces signifiants qui, au début du récit, ne font que poser un simple jugement d’existence quant à ce qu’ils désignent. L’activité scripturale est fortement motivée par un fléchage du sens organisé par la structure de la nouvelle.

C’est de ce point de vue que s’éclaire l’histoire du père. L’étude de la structure de ce récit montre que les séquences enclavées servent à mettre en évidence la présence conflictuelle des protagonistes : le père et le docteur ; le colon et le colonisé. Il s’agit d’une aide à recevoir qui ne sera pas reçue par le colonisé. Au processus d’actualisation de l’aide correspond ainsi une série de séquences qui s’enchaînent et nous montrent que le texte fonctionne sur des pactes à conclure (deux séquences), des négociations et des engagements non respectés (deux séquences) pour aboutir à l’incommunicabilité entre colon et colonisé. Cette redondance des séquences remplit dans ce cas une fonction sociale dans la mesure où elle souligne l’impossibilité du dialogue et la rupture entre les deux mondes présents par la nouvelle (celui du dominé et celui du dominant). L’aide à recevoir se traduit alors par une question de vie ou de mort (celle de l’enfant) présupposant ainsi la violence qui va s’installer dans la séquence ou toute communication avec le colon et son serviteur Ali s’avère impossible.

Cette rupture entraîne un processus de dégradation. Le père tue l’infirmier avec un couteau avant de rejoindre le maquis. C’est donc l’enchaînement des séquences et leur enclavement (pacte non conclu, engagement non tenu, négociations impossibles, persuasion VS dissuasion) qui dramatisent la rupture entre les deux protagonistes (colon/colonisé) et nous impliquent dans l’idée que la violence devient inéluctable. La structure du récit manifeste avec force l’opposition entre deux mondes inconciliables à travers les perspectives de l’agent (le père) et du patient (le docteur). Ces rapports conflictuels viennent justifier d’une violence dont la fatalité nous est suggérée aussi bien par les événements textuels que sociaux.

La structure de la nouvelle sert à traduire les conflits idéologiques qui traversent la société. C’est ainsi que les récits suivants — l’un portant sur les ruses qu’utilise madame Lambez, l’autre relatant l’inconscience et l’indifférence affichées par la fille du docteur face aux supplications de l’arabe ayant besoin d’aide - contribuent tous les deux à renforcer, chez le lecteur, l’idée d’une situation pénible et incontrôlable. À la violence du colon, on ne peut répondre que par la violence du colonisé qui prépare la lutte de libération nationale (dégradation VS amélioration). Tel est le slogan qui structure le texte et constitue la révélation apportée par Medjnoun. Le témoignage est apprentissage du passé. Les récits de Medjnoun préparent la prise de conscience en faveur de l’utilisation de la violence contre le colonisateur. Dès lors, le thème « moi, je » n’est plus qu’un signifiant qui va chercher sa signification dans la mise en spectacle d’un individu pris dans une lutte collective et où l’apparition des pronoms « tu « et « vous » correspond à une fonction implicative qui invite de façon récurrente à se préparer pour les grands jours. Cette macro-séquence pose, comme amélioration à obtenir, la dignité dans l’immédiat et la libération nationale dans l’avenir. La séquence qui lui succède est celle de la préparation à la lutte (crever les yeux du colon) par des moyens violents (le parchemin, le fusil).

C’est ainsi que la mise en parallèle de récits relativement indépendants correspond à la production d’une logique du récit fortement rythmée et structurée par la répétition d’un même thème, celui de la violence engendrée par une situation sociale tendue qui détermine le parcours narratif des personnages.

Pour le colonisé (le père, le fils, Medjnoun), la perspective se présente donc de la manière suivante :

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On voit très bien dans la macro-séquence des moyens mis en œuvre que la parole (révélation et lecture du parchemin) doit être liée à la violence (rite violent, couteau et fusil) et à la rupture (il faut rompre avec le colon en allant dans les montagnes - séquence du père au maquis). C’est ainsi que pour le fils, il s’agit plus que de continuer la lutte révélée et commencée par le père. C’est la naissance d’un nouveau monde où la renaissance, qui s’annonce, vient justifier le titre : « ainsi naquit un homme ».

Le conditionnement historique de la pratique littéraire s’inscrit dans l’œuvre même : les mots, les structures et les visions qui la constituent sont pris dans une tradition, mobilisés par des conflits socioculturels enracinés dans l’expérience historique. La vision que l’écrivain se fait de son univers oblige le scripteur à remettre en question ses sources d’inspiration et sa technique.

C’est pourquoi, la révélation et la renaissance établissent, au-delà de la lutte politique un glissement de sens qui se traduit par la surdétermination de la séquence où Ali est tué avec un couteau à lame cassée. En effet, elle s’imbrique dans un autre récit, celui du sacrifice des pigeons par Medjnoun et de la purification par le sang versé. La poésie, les fantasmes, l’interrogation prennent alors le pas sur le récit proprement dit. Une autre logique narrative s’installe, celle du rite qui se manifeste dans la séquence où l’infirmier meurt et dans le récit de la chatte, marquant ainsi une rupture avec celui du père. Le rite, porté par une activité structurante qui relève de l’enchâssement des récits, introduit des brisures renvoyant à une logique autre, celle d’une subjectivité brisée et connotée par la folie et le rêve. La nouvelle est alors traversée violemment par une logique rituelle qui, en entrant en concurrence avec la logique narrative, ne cesse d’interroger le signe et de le déconstruire.

La structure rituelle du récit

Cette logique du récit qui tient compte de la succession des événements à partir de l’amélioration à obtenir pour le patient ne suffit pas à rendre compte de l’intérêt du lecteur pour le récit. L’essentiel n’est-il pas dans le rite, dans l’interrogation portée sur les signes « tu vois ces signes... », sur le sens, et sur la métamorphose de l’esprit du narrateur ? La logique du récit n’est-elle pas dans la subjectivité du « je » et son interrogation constante dans le récit ?

Pour cerner ces problèmes à travers la structure de la nouvelle, nous faisons appel aux idées développées par T. Todorov dans Poétique de la prose. Dans son étude intitulée : la quête du récit, « le Graal », il souligne que l’organisation du récit se fait donc au niveau de l’interprétation et non à celui des événements à interpréter. Les combinaisons de ces événements sont parfois peu cohérentes, mais cela ne veut pas dire que le récit manque d’organisation, simplement cette organisation se situe au niveau des idées non à celui des événements. II propose de distinguer deux types d’épreuves : les épreuves narratives et les épreuves rituelles. Dans le premier cas, on ne sait pas si le héros va réussir les épreuves, dans le deuxième, le héros réussit les épreuves parce qu’il est élu.

Dans la nouvelle de M.Ben, l’intérêt du lecteur n’est pas retenu par les questions : que va faire le père ? Que se passe-t-il après ? Il n’est pas non plus dans le déroulement des actions et des épreuves qui servent le récit, mais dans les questions : qui est le père ? Qui est Medjnoun, le sauvage ? Qui est le narrateur ? Tout cela se traduit par un qui suis-je ? Une quête d’identité et de sens. L’interrogation se pose dans le récit, par le récit, sur le récit. On peut dire ainsi avec Todorov dans son analyse sur « le Graal » : nous avons deux types d’intérêt : l’un se déroule sur une ligne horizontale : on veut savoir ce que chaque événement provoque, ce qu’il fait. L’autre représente une série de variations qui s’empilent sur une verticale : ce qu’on cherche sur chaque événement, ce qu’il est. Le premier est un récit de contiguïté, le second de substitution. Nous pouvons dire que le récit sur le père est de contiguïté tandis que la nouvelle est un récit de substitution. Pour Todorov, on peut dire d’une manière générale, que le premier type d’organisation est le plus fréquent dans la fiction, le second en poésie... Des deux techniques d’intrigue, l’enchaînement et l’enchâssement c’est la seconde que l’on doit s’attendre à trouver ici : les récits enchâssés foisonnent. Ils ont une double fonction : offrir une nouvelle variation sur le même thème et expliquer les symboles qui continuent à apparaître dans l’histoire. La « signifiance » du récit se réalise à travers les histoires enchâssées et ces dernières suppléent un dynamisme qui manque dans le récit-cadre : les objets deviennent héros de l’histoire tandis que les héros se mobilisent comme des objets.

Dans la nouvelle, les microrécits ne sont pas dans un rapport de causalité, mais de substitution. Ils reprennent les mêmes thèmes : naissance, incommunicabilité, rapports de violence, rupture entre colon et colonisé.

Ces thèmes renvoient au niveau symbolique à la renaissance et à la quête d’une identité ; l’accouchement difficile dune révolution ainsi que la prise de conscience en faveur de la guerre de libération nationale avec comme passage obligé l’utilisation de la violence

Les différents récits se présentent ainsi :

Récit A

« la chatte terrifiait tout le village »

« son ventre enflait enflait ».

Thème de la naissance et de la terreur

Récit B

L’accent est mis sur l’indifférence et le mépris affichés par le docteur vis-à-vis du colonisé menacé par la mort

Thème de l’incommunicabilité et de la rupture entre le colon et le colonisé

Récit C

Madame Lambez dupe les Arabes avec cynisme.

Thème de la rupture

Récit D

La prise de conscience passe par le sang versé, le sacrifice, le rite magique.

Thème de la violence et de la naissance

Récit E

La violence s’installe et débouche sur le départ au maquis, lieu de préparation de la résurrection et de l’insurrection

Thème de la naissance, renaissance de la violence, de la libération et de la prise de la conscience

Récit F

Sur Medjnoun qui garde le parchemin et le fusil.

Thème de la violence libératrice, de la parole libératrice, de la quête d’identité et du sens

L’enchaînement entre ces récits est réalisé par l’apparition du signifiant nommant le héros au début de chacun des microrécits. Le signifiant se remplit de significations issues d’un déploiement de symboles qui viennent de la réitération des thèmes supports de la logique du récit.

À ce niveau de notre analyse, il convient de nous arrêter sur ces symboles qui structurent le texte.

La logique narrative est dépassée par la logique rituelle. La violence nécessaire à la libération du colonisé est assimilée à la Rédemption par le sacrifice de l’homme. L’on peut dire après Todorov que, dans le récit rituel (toujours poétique), la logique narrative se trouve être des signes d’autres choses, des parties d’un immense rite. Le récit consiste en un témoignage sur le passé : tout est dit dans l’incipit. Le narrateur, grâce à Medjnoun, va recevoir la révélation. Le sens de cette révélation devient une véritable énigme, objet du récit. Dès lors, l’histoire ne s’arrête plus à la lutte de libération nationale, à la prise de conscience militante qui suit le rite et les séquences où le parchemin et le fusil éclipsent par leur présence les actants humains : « les objets deviennent héros de l’histoire tandis que les héros se mobilisent » ; l’histoire devient une quête du sens qui n’est plus à chercher dans la causalité des événements historiques marquant le récit narratif, mais dans l’appréhension du sens de la révélation et de l’articulation séquentielle qui, par les symboles, signifient autre chose que la prise de conscience d’un processus historique auquel il faut participer. Il s’agit de s’interroger sur le signe et les symboles produits par le récit. Le fou devient prophète inspiré, le père a pour signifiant le combattant sacré, le sang du pigeon renvoie à la lutte avec une dimension magique (le sang de ton père te protègera). L’accès à la révélation s’avère non seulement une aventure et une récompense, mais participe aussi de l’ordre divin et du miracle qui mène à la résurrection.

Le récit dès lors n’est plus seulement une quête d’identité, une leçon tirée de l’histoire, un apprentissage du passé, mais devient une quête de sens, un sens connoté produit par les séquences qui se répondent, se substituent sur le plan symbolique pour devenir les métaphores d’un signe qui doit naître dans, et par le récit ainsi que dans, et par le rite, comme une activité symbolique au même titre que la nouvelle. L’activité textuelle nous entraîne ainsi vers une interrogation sur le sens du processus historique quand il est subordonné à la religion. Dans ce récit, apprentissage du passé, bien que la logique narrative mette en avant la guerre de libération nationale en tant que processus historique, celui-ci est subverti par la logique du récit virtuel. Dès lors, la conscience collective n’apparaît plus comme conséquence de la lutte et de l’action, mais elle trouve son origine dans le divin, la prophétie et le parchemin. Ce sont les récits symboliques qui sont questionnés et non plus l’histoire. Le récit par ce jeu entre les séquences crée des signes sur lesquels il s’interroge. Le narrateur ne sonde plus l’histoire pour en tirer des leçons, mais questionne les signifiants produits par les microrécits. C’est le récit qui interroge le récit (sa propre production). Le mystère dont parle le narrateur n’est plus que le mystère de l’écriture.

L’inéluctabilité de la lutte de libération nationale se présente à travers la structure narrative comme un rait historique aussitôt dépassé pour se donner comme le résultat d’une volonté divine, prise en charge par la structure rituelle de la nouvelle, d’où l’anonymat du narrateur et la sacralisation des combattants élus et des objets (parchemin et fusil). Le sang versé reçoit sa justification dans cet immense rite qu’est la nouvelle. L’action révolutionnaire devient dans ce cas la voie tracée par Dieu et révélée par Medjnoun, le prophète. Le héros passif reçoit la révélation par le rite. Le processus historique est assimilé à un destin. La violence justifiée devient fatalité. La guerre et la violence, le sang versé, la quête d’identité ne sont plus à chercher comme la résultante des rapports colon/colonisé, mais la conséquence d’une volonté divine, d’un rite purificateur qui aboutit à la révélation à soi, à la renaissance et la résurrection.

Les séquences rituelles prennent alors leur place dans le récit (immense rite) comme des macro-signes qui permettent de déchiffrer le message divin, de comprendre la parole divine : le verbe. Ainsi donc, le verbe et les symboles sont interrogés par le récit lui-même. On arrive ainsi à un paradoxe ; en voulant atteindre le mystère, le divin, dépasser le terrestre et le processus historique, le récit ne fait que s’interroger sur sa propre production. C’est une interrogation non pas sur l’histoire, mais sur la langue que le narrateur prend en charge. En fait, le récit poétique rituel se répète dans les microrécits, car il est centré sur lui même, sur sa propre production autoréférentielle. D’où celte activité sur le langage qui fait la poésie et les répétitions qui scandent le récit et lui donnent son rythme..

Conclusion

Le travail sur le langage, le pouvoir de la langue cherche sa réponse dans le divin alors qu’il est le produit du récit lui-même. Ce paradoxe est assumé par la contradiction entre le récit narratif et le récit poétique qui crée ses propres symboles sur lesquels portent à la fois l’interrogation, le mystère et le fantastique de la nouvelle.

La violence prend une autre signification induite par l’enclave du rite dans le récit sur le père ; le pacte du narrateur se réalise dans l’acceptation de la révélation et du récit. Le narrateur échappe au couteau de Medjnoun et à la mort quand il accepte d’être celui à qui l’on raconte et celui qui écoute (la prophétie). Si le pacte est rompu, la communication cesse, rejoignant le thème de l’incommunicabilité, mais cette fois-ci lié à la mort possible du narrateur et/ou du lecteur ainsi que la brutalité de leur rapport.

À ce niveau de sens, on peut dire que la violence existante dans le rapport colon/colonisé est élargie (par la révélation) au rapport narrateur/Medjnoun et au rapport narrateur/lecteur qui doivent accepter le récit comme une révélation, la mort du récit entraînant la disparition de tous les protagonistes. Nous, retrouvons un peu Les mille et une nuits où, pour échapper à la mort, il faut raconter une histoire. On peut dire, comme Todorov, que l’ambiguïté ne vient pas de Dieu, mais de la révélation sur lui même : on a voulu se servir du récit terrestre des buts célestes et la contradiction est restée à j’intérieur du texte. La quête du père et de l’identité est devenue, par le récit (jeu des séquences et des microrécits), un dépassement du terrestre vers le céleste, mais cela reste une production du récit. Le mystère, la révélation sont le produit du travail sur la langue et de la structure du récit. La nouvelle obéit à une autre logique que celle de la structure narrative. Les séquences ne sont pas, dans ce cas, organisées par l’enchaînement des événements, mais par l’interrogation sur les signes textuels. L’intérêt du lecteur est surtout retenu par la quête de sens. Le cautionnement dans le récit devenant un immense rite auquel participe le lecteur qui construit par le symbole le rapport entre les séquences.

La structure de la nouvelle s’avère ainsi tributaire de trois niveaux qui l’organisent et lui donnent sa dynamique :

  1. Le récit comme structure narrative organisant le processus historique de la guerre de libération comme référent extra-textuel.

  2. Le récit comme structure rituelle organisant la nouvelle sur le plan symbolique. Il devient autoréférentiel.

  3. Le récit organisant les rapports narrateur/narrataire comme une quête de sens, une interrogation qui traverse tout le récit. C’est le récit qui interroge le récit et l’engendre.

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