La métaphore du zoo ou l’autrement dit dans L’Hibiscus de Mouloud Mammeri 

استعارة حديقة الحيوانات أو القول بطريقة أخرى في قصة L’Hibiscus لمولود معمري

The metaphor of the zoo or Told otherwise, in Mouloud Mammeri’s short story L’Hibiscus

Fatima Boukhelou

p. 97-110

Fatima Boukhelou, « La métaphore du zoo ou l’autrement dit dans L’Hibiscus de Mouloud Mammeri  », Aleph, 8 (4) | -1, 97-110.

Fatima Boukhelou, « La métaphore du zoo ou l’autrement dit dans L’Hibiscus de Mouloud Mammeri  », Aleph [], 8 (4) | 2021, 25 June 2021, 03 December 2024. URL : https://aleph.edinum.org/5203

Dans le présent article, nous nous proposons de démontrer que la nouvelle intitulée L’Hibiscus, publiée en 1985, est un récit second qui reprend de manière allégorique l’œuvre romanesque La Traversée, publiée en 1982.
Mouloud Mammeri recourt à la métaphore du zoo dans le récit second, L’Hibiscus, pour mettre en représentation la situation du pays réduit à une immense ménagerie. La technique de l’autrement dit constitue pour l’auteur un subterfuge lui permettant de contourner l’inter-dit et de dire autre-ment l’indi-cible.

نسعىمن خلال هذه المقالة لإثبات أنّ القصة القصيرة الموسومة ب "التيل/الجلجلL’Hibiscus، التي نُشرت في عام 1985، هي قصة ثانية تتناول مجازيًا رواية العبورLa Traversée، التي نُشرت عام 1982.
يستعين مولود معمري بالاستعارة في القصة الثّانية L’Hibiscusليقوم بتمثيل وضع البلاد التيتمّتقليصهاإلىحديقةحيواناتهائلة. وتشكّلتقنية"بمعنىآخر"بالنّسبةللمؤلِّفحيلةتسمحلهبتجاوزالحظروقولالأشياء التي لا تقال بطريقة أخرى.

We propose, in this paper, to demonstrate that the short story entitled L’Hibiscus, published in 1985, is a second story that takes up the novel La Traversée with an allegorical manner takes up the work, published in 1982.
Mouloud Mammeri uses the metaphor of the zoo in the second story,
L’Hibiscus, to make evident a representation of the situation lived in the country, which was reduced to an immense menagerie. The technique of Told otherwise, is considered, for the author, as a shift allowing him to get around the prohibition (l’inter-dit) and to say otherwise (autre-ment), what cannot be said (l’indi-cible).

Introduction

Publié en 1982, La Traversée est le quatrième et dernier roman de Mouloud Mammeri qui confie à Tahar Djaout qu’entre son premier roman La Colline Oubliée et son dernier roman La Traversée, trente ans se sont écoulés. Et Mammeri de préciser :  « Dans l’intervalle, j’ai publié quatre romans, deux pièces de théâtre, quatre nouvelles1 ». (Mammeri, 1987 : 24)

Les nouvelles et pièces de théâtre publiées par Mammeri entre 1973 et 1987 constituent des récits seconds qui se présentent comme la nervure de ces autres grands récits que sont les romans qu’elles reprennent et annoncent, qu’elles amplifient surtout, et qu’elles répercutent.

De nouvelles en romans, de romans en pièces théâtrales, de pièces théâtrales en articles allégoriques, s’instaure une répétition inlassable dont, pour reprendre Michel Foucault, « la multiplicité ouverte, l’aléa sont transférés, par le principe même du commentaire, de ce qui risquerait d’être dit, sur le nombre, la forme, le masque, la circonstance de la répétition. » (Foucault, 1971 : 28) C’est ainsi que nous pouvons avancer que « le nouveau n’est pas dans ce qui est dit, mais dans l’événement de son retour. »(Foucault, 1971 : 28)

Le Banquet et la Mort absurde des Aztèques, publiés en 1973, pré-dit La Traversée. La Meute (1976) reprend la phase terminale de L’Opium et le Bâton (1965). Ténéré Atavique, paru en 1981, annonce La Traversée allégorique (1982), laquelle sera reprise dans la nouvelle L’Hibiscus (1985). Tous ces écrits sont autant de « cris lancés par écrit », qui se répètent et se reflètent, ce qui nous fait dire que cette réflexivité est une mise en abyme, telle que la définit Lucien Dällenbach : « est mise en abyme toute enclave entretenant une relation de similitude avec l’œuvre qui la contient. » (Dällenbach, 1977 : 18)

Tout en réactivant le sens, la mise en œuvre de la répétition constante permet au texte second de devenir commentaire(s) dont, pour reprendre Michel Foucault, le dessein essentiel est de conjurer le hasard du discours :

Le moutonnement indéfini des commentaires est travaillé de l’intérieur par le rêve d’une répétition masquée : à son horizon, il n’y a peut-être rien d’autre que ce qui était à son point de départ, la simple récitation. Le commentaire conjure le hasard du discours en lui faisant la part : il permet bien de dire autre chose que le texte même, mais à condition que ce soit le texte même qui soit dit et en quelque sorte accompli.. (Foucault, 1971 : 28).

Scandant l’œuvre et la réécrivant indéfiniment, les récits seconds fonctionnent comme des rappels, sorte de conjuration de l’oubli en train de s’instaurer. Ils sont la manifestation d’une mémoire qui refuse de s’éteindre et figurent des traces qui réapparaissent et se réimpriment, de manière récurrente, en vue de s’opposer à la déconstruction de la vraie mémoire afin qu’elle ne soit pas dépouillée de sa fonction matricielle de l’histoire.

1.La migration générique : du roman à la nouvelle

Dans les années 80, après la publication de La Traversée, Mouloud Mammeri délaisse l’écriture romanesque et opte pour l’écriture de récits brefs qui constituent la forme la plus privilégiée de l’écriture dans l’urgence2, de même qu’ils favorisent l’écriture de la crise ainsi que la tentative de résorber la crise. Michel Viegnes précise que la nouvelle est un récit allégorique par excellence permettant à l’auteur de mettre en représentation des personnages emblématiques, qui, plutôt que d’être simplement des portraits individuels, culminent en densité jusqu’à devenir portrait d’une culture, d’un peuple, d’une époque (Viegnes, 1989 : 86).

Les nouvelles mettent en scène des personnages emblématiques figurant une Mémoire et une Parole qui ne se laissent pas étouffer. La parole murmurée en un lieu résonne avec une amplitude plus grande dans un autre lieu, où elle est relayée et transformée pour donner une autre forme de parole, même et autre. La parole reflue en sourdine, source souterraine, latente, attendant le moment de sourdre et de monter d’un ton, de plusieurs, pour éclater en voix plurielles. Vibrante de toute la sève qui l’innerve, la Parole irrigue la Mémoire et la garde vivace. Le Verbe plein de verve et de vigueur est immémorial. Miracle de l’esprit qu’on ne peut réduire, il est hymne à la vie accordée au monde. Verbe du Prophète dans La Meute, de Mourad dans La Traversée, de l’autre Mourad de L’Hibiscus que nous nous proposons d’étudier dans le présent article.

On peut dire alors que le Verbe restauré ou en voie de restauration dans ces nouvelles vient achopper contre l’Ordre instauré dans le réel et le contredire, en en violant la Loi et l’esprit. La répétition est répercussion du cri, sursaut de vie contre l’Un érigé en dogme, contre un unanimisme négateur des plurialités et des différences. L’esprit indompté, indomptable, s’insurge contre les règles édictées et le silence imposé. Corrélativement, l’imaginaire revient en force après avoir été irrigué par les puissances de l’image et de la mémoire.

Analogon des romans, les récits brefs en condensent le sens et le déplacent, se jouant ainsi des embûches de la censure et de l’amnésie. Ils s’adressent à la Mémoire qu’ils rappellent à la mémoire, qu’ils gardent vigilante, tout comme le faisaient jadis les amusnaws dans les marchés et les assemblées, qui, usant de paraboles, déjouaient le contrôle des autorités coloniales et atteignaient la cible. Ils ont donc cette double fonction, redire ou prédire, mais transgresser surtout et contrevenir.

Ainsi, les récits spéculaires instaurent des sortes de répercussions analogues à la voix qui ricoche et résonne dans les plus hautes altitudes. Ils figurent autant de traces qui favorisent le rappel du passé et fonctionnent comme la figuration de la  «représentation de l’absence » en vue de conjurer l’oubli. Il y a donc manifestement inversion du code, et transgression du code de la Loi. Puisque la parole/mémoire est proscrite, il faut la transcrire, l’inscrire, la réécrire, la re-figurer, indéfiniment jusqu’à provoquer sa réapparition et susciter sa réémergence. Mouloud Mammeri soutient que le discours émis par ces récits est similaire à ce son insolite et « signifiant rendu par un tambour qu’une main fiévreuse, un soir d’été, bat à rompre » (Mammeri, 1987 : 28). Derrière cette répétition, il y a donc intention de redire et désir de le faire d’une certaine façon, car « derrière la manière de dire, il y a aussi du dire » affirme notre auteur.

2. La nouvelle L’Hibiscus ou le pays zooifié

Publiée en 1985, trois ans après La Traversée, L’Hibiscus est une allégorie de la mise en place de l’Ordre dans le Nord du pays. Cette nouvelle, écrite cinq années après le Printemps berbère, est, à ce titre, pleinement significative. Elle met en scène une ménagerie, qui figure une sorte de « résidence surveillée », où se rencontrent Mourad, journaliste licencié de son travail pour avoir refusé de s’auto-censurer3 et le gardien du zoo. L’évaluation de la situation prévalant au sein de cette contrée zooifiée s’effectue à travers le regard de Mourad, et de son double, le gardien. Comme le soutient Philippe Hamon :

 le topographique, d’emblée [qui] tend à suggérer un univers évaluatif pose un sujet comme ancrage, source, et origine du site. Le spectateur, valorisé, mis en relief, valorise en retour le personnage-spectateur (focalisateur), donc tend à le mettre lui-même en relief en lui faisant endosser rétroactivement un certain nombre de compétences et de qualifications (…) soit au contraire en soulignant une discordance ; dans les deux cas, le texte accentue la relation entre le spectacle et son spectateur, l’objet et le sujet, en fait un moment fort de l’intrigue. (Hamon, 1984 : 114).

L’on déduit qu’il y a double évaluation, effectuée à travers une conscience bipolaire, celle de Mourad, reprise et commentée par le gardien. L’appréhension de la situation par Mourad, se reflétant dans sa posture lucide, silencieuse, mais critique, est interprétée à voix haute, avec une bonne dose de dérision par le gardien, qui suit le regard évaluateur de son double, allant jusqu’à attirer son attention sur ce qu’il ne pourrait ni ne voudrait voir :

… C’est tellement plus agréable d’être un Vandale. Toutes ces fleurs en cage, ces arbres alignés comme des soldats à l’exercice, ces pancartes qui interdisent… interdire ! On a envie de saccager tout cela, pour que les fleurs volent, pour que la folie prenne les arbres, pour que ça vive… (Mammeri, 1985 : 84).

Le gardien et Mourad figurent la confrontation de deux consciences qui manifestent deux projets de société, deux visions du monde aux antipodes l’une de l’autre. Porte-parole du pouvoir, le gardien en est le symbole, comme l’attestent sa casquette et sa baguette4 fonctionnant comme des indices de propagande, sa loquacité et ses commentaires énoncent, d’une part, le programme mis en œuvre en vue d’assurer le bien-être du peuple, et d’autre part, les mises en garde destinées à ceux qui n’y adhèrent pas5.

Tandis que Mourad, de par son attitude pleine de réserve, incarne une conscience pleine de sagesse et de vigilance. Se faisant un devoir de tout observer, son regard, qui réticule tout l’espace, devient focalisateur et dénonciateur, si bien que son évaluation permet d’appréhender pleinement l’entreprise accomplie. Ses répliques fonctionnent comme des objections que le gardien n’a de cesse que de contester. C’est d’ailleurs ce même gardien qui envoie Mourad vers la ménagerie :

- Quand je vous ai vu seul sur votre banc, je me suis dit : -Drif Laouer, celui-là, c’est un instruit, il doit être encore plus malheureux que les autres. Il faut faire quelque chose pour lui. J’ai tenté le coup de la ménagerie. (Mammeri, 1985 : 91)

Si, pour reprendre Kamel Gaha, « Le recours à la projection de certains détails d’une réalité donnée pour représenter toute la réalité constitue un exemple de représentation par “symbolisation” (Gaha, 1979 : 285), l’on peut déduire que ce jardin symbolise l’Algérie post-indépendante. Les métaphores des cages et des barreaux se rapportent à tout l’espace quadrillé, étiqueté, mesuré. En outre, la représentation allégorique et les structures de la narration présentent une grande affinité qui se vérifie dans l’énoncé qui participe des deux isotopies, celle de l’enfermement et celle du désenfermement des Vandales :

Attention aux Vandales !...Il y a trente ans de cela… Et depuis trente ans je n’ai cessé de faire la guerre aux Vandales… (Mammeri, 1985 : 84).

3.La négation du passé et des origines

Dès le départ, le ton est donné à travers la présentation de l’espace que l’adverbe “derrière” avec ses deux occurrences vient surdéterminer : le décor est planté, derrière il y a le passé renié, que développe une métaphore filée sur le mode pastoral : “route moutonnière”, “passé bucolique”, “moutons”. La mer est derrière : oubliée, occultée. L’imaginaire, pollué, est corrélativement privé d’air, de mémoire, de passé, d’origines. L’on conclut qu’il y a obturation du passé et impossibilité de retour en arrière.

La mer est là, susurrant doucement, à quelques mètres, derrière la route dite moutonnière, en souvenir d’un passé bucolique, dont personne n’avait plus souvenance. Mais qui avait loisir d’écouter la mer ou de la voir, derrière cette longue bande de poussière rouge où, à la place des moutons, ne vrombissait plus à longueur d’année que l’orchestre rageur des véhicules de tous les noms : le chœur des damnés. (Mammeri, 1985 : 78-79)

Si bien qu’il n’y a d’autre possibilité que celle de regarder droit devant en suivant aveuglément ce “chœur de damnés”. C’est notamment la métaphore filée sur le mode bruyant et agressif qui esquisse la perspective de l’avenir du pays avec tous les projets mécanistes, gigantesques, négateurs de toute dimension humaine et naturelle. C’est l’acmé du machinisme, selon l’expression de Michel Maffesoli (Maffesoli, 1985 : 84), l’ère du métal et du bruit, de la démesure et de la vitesse qu’on appelle le progrès :  « A un jet de pierre la ville est là, et ses murs, qui barrent le ciel et vous le livrent, miroir cassé en petits carrés anguleux. »(Mammeri, 1985 : 79).

Les deux pôles du cosmos sont livrés à l’œuvre d’un démiurge dément qui, de jardin édénique qu’était le pays, en a fait un espace surveillé, au milieu duquel se dresse la ménagerie. Au travers de la métaphore végétale et florale, de cette « symphonie de fleurs diaprées qui pleuraient l’exil », de la beauté naturelle encagée qui semble crier après la liberté se profile le destin présent et futur des habitants. La terre, répartie en cages, se reflète dans le ciel ; l’espace d’en haut devient l’exacte réplique de l’espace d’en bas : morcelé, mesuré et parcimonieusement compté. Le ciel dans lequel miroite la terre, qui le reflète infiniment à son tour, est une métaphore filée sur le mode de l’emprisonnement, de la main-mise sur le bas et le haut de l’univers, une appropriation de la terre et de ses occupants.

Voilà une utopie de l’enfermement parfait, et pour reprendre Michel Foucault « en face des prisons ruinées, grouillantes, et peuplées de supplices que gravait Piranese, le Panopticon fait figure de cage cruelle et savante » (Foucault, 1975 : 207).

En effet, ce jardin rappelle curieusement « le diagramme d’un mécanisme de pouvoir ramené à sa forme idéale ». Le diagramme qui n’a d’autre instrument physique « qu’une architecture et une géométrie agit directement sur les individus, il “donne à l’esprit du pouvoir sur l’esprit.” (Foucault, 1975 : 207-208). Il s’agit donc, pour reprendre Foucault, du schéma panoptique qui » est destiné à se diffuser dans le corps social », et qui « a pour vocation de devenir une fonction généralisée ». Comme l’explique encore Foucault, un tel schéma a pour fonction d’amplifier l’aménagement du pouvoir qu’il élève à l’extrême, dans le but de :

Rendre plus fortes les forces de coercition, faire croître et régner la terreur. Intensificateur de pouvoir et multiplicateur de dissuasion. Aménagement de l’espace terrestre et aérien, et même aquatique, distribution des quotas à travers tout le corps social… (Foucault, 1975 : 207-208)

La réduction de l’espace induit inévitablement la réduction de la liberté, laissant entendre que tout le pays est assigné à résidence surveillée : le Jardin d’essai d’où « émerge un flot de verdure entre les grilles de fer forgé, avec ces murs hauts comme des paravents de théâtre et ces bruits hargneux de la ville, levés dès avant l’aube et à peine estompés tard après minuit ». (Mammeri, 1985 : 78), est une immense prison qui réfère à l’espace vert annexé du Nord du pays.

Les commentaires du gardien prennent alors tout leur sens. Se rangeant du côté de ceux-là mêmes auxquels il interdit, le gardien met en relief ce qu’il dénonce, qui se trouve être ce que justement il accomplit avec le plus de conscience. Il est le double de Mourad, énonçant ce que ce dernier ne peut s’empêcher de penser. Ainsi l’évaluation, perçue à travers le regard de Mourad, est commentée et analysée par son autre/double ; elle n’en acquiert que plus de force et d’ambivalence. Philippe Hamon explique que le « fait de faire regarder un spectacle » avec ou sans personnage » par deux (ou plusieurs) personnages permet à l’auteur de juxtaposer deux ou (plusieurs) évaluations contradictoires, donc de «brouiller » l’espace normatif qui accompagnent la scène. » (Hamon, 1984 : 114).

Les « Vandales » auxquels le gardien avait fait la guerre depuis trente ans6 est une expression métaphorique qui, par glissement de sens, pourrait devenir Barbares, Berbères, dont l’insoumission à l’ordre établi est notoire et à la soumission desquels on œuvre à travers cette ménagerie. En suivant la promenade de Mourad, commentée par le gardien, l’on comprend que l’univers décrit allégoriquement ici n’est rien d’autre qu’un univers carcéral qui va atteindre son point culminant avec le zoo : » Après le guichet du zoo, Mourad pouvait prendre plusieurs chemins. Tous apparemment se valaient. Un démiurge dément avait accolé les félins aux oiseaux des îles, l’alligator à l’aigle des Andes… » (Mammeri, 1985 : 87)

La juxtaposition des dimensions de l’univers, qui appartiennent à des milieux complètement différents, exhibe le désir de réduire les forces latentes du cosmos, d’assujettir le monde et de dompter tout souffle antagonique, donc tout imaginaire et partant, toute psyché dont on veut effacer jusqu’à la moindre tigrure. Pareille attitude trahit une tendance hégémonique certaine dont les proportions tendent à prendre une plus grande ampleur. Mourad, en tournée dans cette contrée zooifiée, en découvre toutes les subtilités, dont le raffinement va crescendo :

Mourad sentait gonfler au fond de sa gorge l’écœurement des spectacles fétides ou des grandes laideurs. D’une stalle à une autre se répétait la même déchéance sans espoir, comme ces visions de cauchemar qui s’engendrent l’une l’autre jusqu’à l’épouvante… Il allait repasser la porte :
Vous cherchez le chacal ? cria le gardien. Il est de l’autre côté de la grille. Il est au bout de l’allée. Il vient juste d’arriver… C’est un sauvage. Il n’a pas encore appris la civilisation… (Mammeri, 1985 : 88).

La civilisation se définit donc à l’aune de l’espace mesuré avec parcimonie et du temps dompté et maîtrisé. Dans ce désir de ramener la vie sociale à « l’Un », d’uniformiser la pensée, il y a castration et gigantisation, symboles au travers desquels se fait l’annexion des forces latentes de la psyché, réduisant toute tension contradictorielle à néant et le démontrant avec puissance et détermination comme force de dissuasion. Le jardin fait référence à l’Algérie indépendante, jardin au milieu duquel le zoo et la ménagerie, érigés en exemplum, constituent l’attraction la plus intéressante. Les animaux les plus sauvages, espèces en voie de disparition, y sont encagés, en vue de servir d’exemple à ceux qui refusent la domestication, c’est à dire la civilisation.

L’instauration d’une existence parfaitement réglée, vouée au bonheur de la collectivité, entièrement débarrassée de ses scories mythiques et utopiques, est en passe d’être réalisée. La pureté et la perfection ne peuvent être instaurées qu’au travers d’un catharsisme, lequel, selon Michel Maffesoli (Maffesoli, 1975 : 147) nécessite l’élimination de la part d’ombre qui constitue tout individu. Le passage suivant met en représentation l’espace aménagé en ménagerie :

Treize barreaux, trois murs, un plafond bas, un plancher fangeux, un espace mesuré : deux mètres sur deux ; quatre pattes courtes tissaient, affolées, la faim de la forêt absente. (Mammeri, 1985 : 88).

Dans un style dépouillé, réduit à l’essentiel, au travers d’une énumération à la forme nominale stricte, le décor est posé - décor réduit lui aussi à l’essentiel- un espace mesuré soigneusement au centimètre près. Devenant verbale, la dernière phrase du paragraphe, joue alors le rôle de point d’orgue : ces quatre pattes - figure métonymique prégnante de force et de désespoir- crient leur désarroi tout en tissant leur faim de la forêt absente. Partant, c’est le verbe « tisser » qui sauve du néant et apporte le contrepoids à la désespérance généralisée. L’animal du désert, réfractaire à toute domesticité, est le symbole en même temps que le frère de ces autres « sauvages » auxquels il est fait référence.

Ces Barbares/Berbère/Nomades/Vandales, qui peuplent le désert, rappellent l’Eternel Jugurtha. Le verbe « tisser », disions-nous, exprime une action hautement salvatrice et laisse entrevoir un horizon d’attente empreint d’espérance, tant au travers de l’action exprimée et de la manière dont elle est exprimée qu’au niveau du champ sur lequel porte l’action. L’action de tisser à quatre pattes suggère une attitude posturale archaïque en même temps que pleine de détermination : cette posture manifeste une farouche et tenace volonté de tisser et de continuer à le faire jusqu’à l’aboutissement de l’œuvre7 Il n’est que de penser à la prégnance symbolique de cette activité8 pour en appréhender la portée : le rêve du retour de la forêt que l’on tisse et que l’on oppose à l’absence instaurée, est en latence, il n’attend que de reprendre vie et forme. La forêt absente, tout comme la mer reléguée derrière la route moutonnière, sont là, à portée de main et de rêve. Il suffit alors d’y penser et de travailler à l’avènement de leur retour, d’inverser le processus et de restaurer ce qui avait été, car, pour reprendre Paul Ricœur, « nul ne peut faire que ce qui n’est plus n’ait été. » (Ricœur, 2000 : 573)

La jungle étant une allégorie de la vie d’avant l’indépendance, l’on peut alléguer que la ménagerie symbolise alors la vie post-indépendante, où tout avait été mis en œuvre pour épargner au peuple la famine, mais aussi pour le dissuader d’entrevoir tout autre forme de pensée que celle qui prévaut et que l’on a décidée pour lui. Le dialogue final met en exergue l’antagonisme patent entre les deux visions du monde dont il démontre l’impossible conciliation :

… Logés, nourris, soignés aux frais de l’Etat… Et le spectacle tous les jours.
- Les spectacles ?
-Tous ces hommes qui défilent devant eux à longueur de journée. Et puis surtout il y a la sécurité : s’ils étaient dans leur coin de jungle, ils passeraient les nuits à hurler de faim, de froid, de peur, à errer, le ventre secoué de spasmes, l’œil guettant l’ennemi plus que la proie.
-Il y en a peut-être d’assez vicieux pour préférer cela.
-Peut-être ! Il y en a qui aiment bien la soupe chaude.
- Ce n’est pas l’avis du chacal. (Mammeri, 1985 : 93)

Ce n’est pas le chacal, c’est l’ours blanc qui va susciter le fameux cri de colère de Mourad. La détresse de cet animal/frère, sa solitude, son silence, mais surtout sa mort inéluctablement proche, inspirent au journaliste le cri et les vomissements qui l’accompagnent. Car si le chacal crie après la forêt et rêve encore et toujours de cet espace absent mais présent dans la mémoire9, l’ours blanc - cadeau des Soviétiques, et la nuance est ici de taille - a surtout et déjà abdiqué. En effet, l’ours blanc ne rêve plus, n’attend plus que la mort, il est même déjà mort. Une telle posture résignée, déjà dé-faite, finit par ébranler Mourad et susciter en lui l’instinct atavique de révolte :

« Mais hurle, imbécile ! »
Mourad regarda autour de lui : personne ne l’avait entendu crier. Puis il sentit son ventre se contracter. Il eut juste le temps de reprendre l’allée en courant et de passer la porte en coup de vent. Une détente sèche le projeta contre l’hibiscus. Coupé en deux, le ventre creusé par des spasmes brutaux, il se mit à vomir. (Mammeri, 1985 : 90).

Si l’avalage et la manducation sont, selon Gilbert Durand, un principe de transsubstantiation (Durand, 1969 : 293), l’opération inverse devrait bien évidemment avoir un sens tout à fait opposé. Ces vomissements, rejet de toute nourriture, sont des signes de rejet de ce système négateur de l’humain et de la vie. Mourad vomit le système et contre le système. L’effet, qui, sur lui, aurait dû être dissuasif, induit des résultats opposés. Il est hors de question pour lui de « prendre l’un des chemins qui s’offraient à lui » pour se rallier au troupeau et faire siens les principes qui ont présidé au chaos. C’est l’inverse qui se produit. Le rebelle est définitivement convaincu de l’impossibilité d’opter pour un tel système et de l’inefficience de toute contrainte sur lui.

4. Le passé ressuscité

Il est remarquable de voir combien les effets de la mer/mère sont apaisants10 et libérateurs sur son psychisme. L’étendue aquatique apporte le contrepoids à l’opacité, à l’enfermement du système dont elle va battre en brèche les mécanismes. Comme dans La Traversée, le double de Mourad - ou le même - puise dans le passé, dans les origines, à même la mémoire, la force de faire face, de faire front, d’aller de l’avant.

Ce passage montre comment le cosmos et les éléments naturels viennent au secours du naufragé de cette nef sans espoir : le chant de la mer/mère qui berce la peine, s’élève à travers les palmiers droits11, dont la hauteur, la noblesse et la majesté transcendent la petitesse de l’espace érigé. Gaston Bachelard soutient avec raison : « Rendu aux forces imaginaires, investi de notre espace intérieur, l’arbre entre avec nous dans une émulation de la grandeur. » (Bachelard, 1957 : 182). Puisant par suite la force nécessaire à même la nature - réduite pourtant à un simple décor, dépouillée de ses potentialités bénéfiques -, Mourad ressource son psychisme, augmente sa force mentale au contact de la grandeur naturelle, car, poursuit Bachelard : « L’arbre a toujours un destin de grandeur. Ce destin il le propage. L’arbre agrandit ce qui l’entoure » (Bachelard, 1957 : 182). Et nous ajouterons que l’arbre agrandit celui qui le voit, le perçoit, le respecte et se mesure à lui non pour le combattre, mais pour communier avec lui.

Un redoublement des valences s’opère par la conjugaison des puissances aquatique et dynamique, lesquelles, surgissant du fond abyssal, tournent autour de l’axe ascensionnel pour s’élever avec force vers la voûte céleste. Conséquemment, ces puissances surdéterminées apportent le contrepoids à la main-mise sur l’univers et délivrent Mourad de la nasse. Le bleu de la grande nappe étale renvoie au bleu du ciel qui avait été morcelé et qui, inversement, reprend souverainement ses droits et sa puissance célestes. Le bleu, couleur spirituelle par excellence, jaillissant du plus profond de l’univers, de l’élément liquide12, déchire la trame de la prison et efface les vicissitudes, irrigue et libère le psychisme de Mourad. Cette puissance spirituelle lui forge un contre-être, elle lui insuffle le désir de se battre, de demeurer dans cette posture irréductible : debout et contre. Partant, elle fait de lui l’être même de l’offensivité.

La suite est non moins prégnante, qui réduit la silhouette du gardien avec sa « casquette d’officier et sa baguette de bambou à la main » à une caricature grotesque, sans poids ni consistance, à telle enseigne qu’elle finit par s’effacer au contact de l’espace nocturne, qui reconquiert de la sorte triomphalement ses droits. Aussi, peut-on citer Gilbert Durand qui affirme à juste raison que » c’est l’espace imaginaire qui au contraire reconstitue librement et immédiatement en chaque instant l’horizon et l’espérance de l’Etre en sa pérennité. Et c’est bien l’imaginaire qui apparaît comme recours suprême de la conscience, comme le cœur vivant de l’âme dont les diastoles et les systoles constituent l’authenticité du cogito. » (Durand, 1969 : 500).

Il y a par conséquent inversion des régimes de l’image. Le régime diurne, prédominant dans toute sa souveraineté teintée d’arrogance, est effacé. Son artificialité et sa triple puissance - militaire, sacerdotale et juridique - sont détrônées par les images apaisantes, sereines, pérennes et pacifiquement triomphantes du régime nocturne. Et la voix du gardien du temple de l’enfermement s’estompe, comme amortie par la distance, distance instaurée par les forces psychiques reconvoquées, par les puissances tout à la fois maternelles, sororales et solidaires du cosmos :

Dans les intervalles il ouvrait les yeux sur une grande nappe étale de bleu : la mer, entrevue à travers les fûts droits des palmiers, continuait de chanter doucement sur la grève. La silhouette du gardien se mit à gigoter dans l’air gris, puis elle s’estompa par degrés dans le noir envahissant et la nuit l’engloutit. Les arbres mirent un temps à surgir mollement de la brume épaisse où ils étaient noyés, puis Mourad put de nouveau distinguer la voix de Drif Laouer, comme amortie par la distance. (Mammeri, 1985 : 90).

Aussi, pouvons-nous conclure que les éléments naturels sont en parfaite symbiose avec les forces humaines qui les respectent et les considèrent non comme potentialités à réduire et exploiter, mais dimensions intégrantes de l’univers, avec lesquelles et aux côtés desquelles il faut œuvrer de concert, dans le respect et l’harmonie.

La mer restitue la mémoire à Mourad et lui montre la voie, elle redonne le bleu au ciel qui en avait été privé. L’espace extérieur vient ressourcer l’espace intérieur, le renflouer et l’agrandir immensément. Comme le dit Bachelard : « Dès qu’un espace est une valeur - et y a -t-il plus grande valeur que l’intimité ?- il grandit » (Bachelard, 1957 : 183). C’est alors que l’espace intime et l’espace extime fusionnent pour faire face et effacer tout sentiment d’oppression, libérer le potentiel de forces psychiques et morales enfouies. Si bien que tout sentiment d’enfermement, de peur ou d’impuissance, est exorcisé, rejeté par l’espace intérieur, aidé de surcroît par l’espace extérieur, parachevant l’invalidation et l’inefficience de toute tentative d’assujettissement.

Conclusion

La définition de la nouvelle comme forme privilégiée de l’écriture de l’urgence et comme modalité de l’autrement dit, nous a permis de démontrer les raisons qui sous tendent le choix de Mouloud Mammeri pour l’adoption de ce genre. L’écrivain opte pour le récit bref et l’allégorie pour mieux dire l’indicible, que le contexte des années 80 ne lui permettait ni d’énoncer ni de dénoncer. En recourant au récit second, Mouloud Mammeri dit autrement ce que le roman aurait certes pu dire, mais de surcroit, il le dit de manière beaucoup plus poétique, plus allégorique et symbolique. La nouvelle L’Hibiscus est une mise en abyme de La Traversée, qui, de ce fait, n’a plus rien à dire hormis la répétition de ce qui est déjà su. Elle est ce texte second qui doit universaliser le sens du récit premier, et doit, pour ce faire, pactiser thématiquement avec le symbole. L’on ne peut alors s’empêcher de voir là autant de preuves que  «la destinée singulière d’un être et d’un récit, dès qu’elle est prise dans l’ordre du symbole, ne peut qu’irradier et devenir l’index d’une signification universelle » pour reprendre Lucien Dällenbach (Dällenbach, 1977 : 88).

1 Cet entretien a été réalisé en 1987, deux ans avant le décès de l’auteur, qui a eu entre-temps l’occasion de publier deux autres nouvelles

2 « Faire quelque chose avant la mort », pense Mourad dans La Traversée, en s’attelant sans attendre à la rédaction du fameux article allégorique qui

3 C’est aussi le cas de Mourad, journaliste dans La Traversée.

4 « Il s’affala sur le banc jadis vert d’une allée écartée des grands axes où coulaient des foules fatiguées. Le gardien vint s’asseoir sur la

5 « Ce n’est pas le manger, dit le gardien, c’est la ménagerie. Vous comprenez ? Il y en a que la ménagerie exalte mais d’autres, comme vous, la

6 Rappelons que cette nouvelle est publiée en 1985, exactement trente trois ans après l’indépendance du pays.

7 Cette activité éminemment symbolique appartient au régime nocturne de l’image et possède une extrême valorisation dans l’imaginaire mammérien, il n’

8 « La technologie des textiles par le rouet, le fuseau comme par ses produits, fils et étoffes, est donc dans son ensemble inductrice de pensées

9 Le rôle des traces mnésiques est primordiale dans toute l’œuvre mammérienne, c’est la mémoire – atavique - qui nous fait être ce que nous sommes

10 Gilbert Durand cite à juste titre Alquié pour qui l’eau n’est point liée à la purification, mais « elle l’est plutôt à la fluidité du désir, et

11 Les palmiers étant les arbres du désert - lieu de liberté par excellence dans l’imaginaire de notre auteur- il y a surdétermination des valences de

12 L’élément aquatique est une substance éminemment précieuse dans l’imaginaire mammérien. Dans Le Banquet, Acama, qui semble être la conscience de la

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Dällenbach, Lucien, 1977, Le Récit spéculaire. Essai sur la mise en abyme, Paris, Seuil, coll.  «Poétique ».

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1 Cet entretien a été réalisé en 1987, deux ans avant le décès de l’auteur, qui a eu entre-temps l’occasion de publier deux autres nouvelles essentielles : Escales (1987) et La Cité du Soleil (1987).

2 « Faire quelque chose avant la mort », pense Mourad dans La Traversée, en s’attelant sans attendre à la rédaction du fameux article allégorique qui sera à l’origine de la reconquête de la mémoire. La Traversée, Plon, Paris, 1982, p. 21.

3 C’est aussi le cas de Mourad, journaliste dans La Traversée.

4 « Il s’affala sur le banc jadis vert d’une allée écartée des grands axes où coulaient des foules fatiguées. Le gardien vint s’asseoir sur la dernière trace de vert près de lui. Il avait une casquette d’officier et une baguette de bambou à la main. » L’Hibiscus, op. cit., p. 79.

5 « Ce n’est pas le manger, dit le gardien, c’est la ménagerie. Vous comprenez ? Il y en a que la ménagerie exalte mais d’autres, comme vous, la vomissent contre l’hibiscus. Il faut croire que les prisons ne vous réussissent pas ? » L’Hibiscus, op. cit., p. 91.

6 Rappelons que cette nouvelle est publiée en 1985, exactement trente trois ans après l’indépendance du pays.

7 Cette activité éminemment symbolique appartient au régime nocturne de l’image et possède une extrême valorisation dans l’imaginaire mammérien, il n’est que de songer à Tamazouzt poursuivant jour et nuit sa tâche de fileuse et de tisserande, La Traversée, op. cit., p. 51.

8 « La technologie des textiles par le rouet, le fuseau comme par ses produits, fils et étoffes, est donc dans son ensemble inductrice de pensées unitaires de rêveries du continu et de la nécessaire fusion des contraires cosmiques ». Gilbert Durand, Les Structures anthropologiques de l’imaginaire, op. cit., p. 371-372.

9 Le rôle des traces mnésiques est primordiale dans toute l’œuvre mammérienne, c’est la mémoire – atavique - qui nous fait être ce que nous sommes, ainsi que le reconnaîtra Mourad au terme de sa traversée initiatique : «  Car maintenant je suis sûr que, si le désert atavique n’est entré dans que tard dans ma vie, il était inscrit dans mes veines depuis toujours. Peut-être l’ai-je apporté avec moi en naissant. (…) Le vaste monde est peuplé de tribus ancestrales et le naïf qui croit pouvoir passer à travers les frontières, il est flambé, y’a pas d’erreur! » La Traversée, op. cit., p. 172-173.

10 Gilbert Durand cite à juste titre Alquié pour qui l’eau n’est point liée à la purification, mais « elle l’est plutôt à la fluidité du désir, et oppose au monde d’une matière solide dont les objets se peuvent construire en machines, un monde parent de notre enfance où ne règnent point les contraignantes lois de la raison ». Les Structures anthropologiques de l’imaginaire, op. cit., p. 266.

11 Les palmiers étant les arbres du désert - lieu de liberté par excellence dans l’imaginaire de notre auteur- il y a surdétermination des valences de la libération et de la liberté : «  Toute frondaison est invitation à l’envol  ». Gilbert Durand, op. cit., p. 395.

12 L’élément aquatique est une substance éminemment précieuse dans l’imaginaire mammérien. Dans Le Banquet, Acama, qui semble être la conscience de la princesse Tecouchpo le fait remarquer : « Prince, les sages ont remarqué qu’entre les paysans et tout ce qui est liquide, les larmes, la sueur, et la pluie, il y a des affinités profondes.» Le Banquet, Plon, Paris, 1973, p. 120.

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