Le tutorat à l’université d’Alger 2 : les raisons d’un échec

التدريس في جامعة الجزائر 2 : أسباب الفشل

Tutoring at the University of Algiers 2 : the reasons of a failure

Ouali Khadidja

p. 145-152

Ouali Khadidja, « Le tutorat à l’université d’Alger 2 : les raisons d’un échec », Aleph, 8 (2) | 2021, 145-152.

Ouali Khadidja, « Le tutorat à l’université d’Alger 2 : les raisons d’un échec », Aleph [], 8 (2) | 2021, , 28 March 2024. URL : https://aleph.edinum.org/4195

Entré en vigueur durant l’année 2004/2005, le système LMD (Licence-Master-Doctorat) a engendré un réel bouleversement des pratiques pédagogiques universitaires. C’est dans ce contexte que le tutorat a été mis en place dans la plupart des universités algériennes et plus particulièrement à l’université d’Alger 2. Afin de comprendre au mieux ce dispositif et de saisir pourquoi il a échoué, nous avons essayé à travers cette étude de l’analyser. Nous avons également interprété les comptes rendus des enseignants tuteurs de l’université d’Alger 2 que nous avons interrogés. Enfin, nous finirons par proposer des solutions pour l’amélioration de ce dispositif dans le cas où il serait amené à être réintroduit à l’avenir.

وقد أدى نظام LMD (الترخيص - ماجستير - دكتورات)، الذي دخل حيز التنفيذ في 2004/2005 ، إلى اضطراب حقيقي في ممارسات التدريس الجامعي. وفي هذا السياق، تم إنشاء الدروس الخصوصية في معظم الجامعات الجزائرية، وبشكل خاص في جامعة الجزائر 2. من أجل فهم أفضل لهذا الجهاز وفهم سبب فشله، حاولنا من خلال هذه الدراسة لتحليله. كما فسرنا تقارير المعلمين المعلمين في جامعة الجزائر 2 الذين قابلناهم. وأخيرا، سنقترح في نهاية المطاف حلولا لتحسين هذا النظام في حالة إعادة العمل به في المستقبل

The LMD (Licence-Master-Doctorate) system, which came into force in 2004/2005, has led to a real upheaval in university teaching practices. It is in this context that tutoring has been introduced in most Algerian universities and more particularly at the University of Algiers 2. In order to understand this system as well as possible and to grasp why it failed, we have tried to analyse it through this study. We also interpreted the reports of the tutor teachers of the University of Algiers 2 that we interviewed. Finally, we will end up proposing solutions for the improvement of this system should it be reintroduced in the future.

Introduction

L’introduction du système LMD dans le cadre de la réforme universitaire dès la rentrée de 2004-2005 avait pour objectif de se conformer au système européen où chaque niveau d’études est atteint par l’acquisition de crédits. Ainsi, la validation de ces crédits (sous forme de cours, TD et TP) permettait à l’étudiant de progresser plus rapidement.

Afin de garantir la réussite du plus grand nombre d’étudiants, ce nouveau système LMD propose le suivi et l’encadrement des nouveaux bacheliers à travers un dispositif : le Tutorat qui a pour mission d’accompagner les étudiants et de faciliter leur intégration dans la vie universitaire. Ce dispositif, destiné aux étudiants de première année, est un soutien personnalisé qui les aide à acquérir l’autonomie nécessaire afin de poursuivre leurs études supérieures.

Nous rappelons que le tutorat peut être effectué soit par des pairs, soit par des enseignants. Le tutorat par les pairs est l’un des dispositifs fréquemment utilisés dans les universités en Europe, notamment en France (Annoot, Marchat et Poteaux, 2003). En d’autres termes, la relation d’aide à l’apprentissage s’effectue entre personnes d’un même groupe social (un étudiant - tuteur d’un autre étudiant, et non un enseignant). Dans notre étude, ce n’est pas le cas, car il est question d’enseignants qui sont les tuteurs des étudiants de première année. Ces derniers appelés les « tutorés » sont des étudiants en difficulté qui ont besoin d’une aide ponctuelle pour une durée déterminée.

Quant au « tuteur », son rôle diffère de celui d’un enseignant puisque sa tâche ne consiste pas à dispenser des cours, mais plutôt à assurer certaines activités d’ordres : administrative, informative, méthodologique, et psychologique. À ce titre, plusieurs établissements à travers le territoire ont bénéficié de formations qui ont abouti, entre autres, à l’élaboration d’un guide qui vise à promouvoir et à valoriser la mission du tutorat. Pourtant, force est de constater aujourd’hui que ce tutorat est totalement absent au sein de l’université d’Alger 2. Pour comprendre les raisons de cet échec, nous avons interrogé les enseignants qui ont été sollicités pour ce dispositif et qui nous ont fait part de leur ressenti, mais aussi des difficultés rencontrées.

1. La mission du tutorat

Le tutorat est une mission de suivi permanent et d’accompagnement de l’étudiant afin de l’impliquer dans son propre apprentissage. Selon le guide du tuteur (2009), la mission revêt plusieurs aspects :

  • Informatif/administratif : Accueil, orientation, médiation : les cursus de formation, l’assiduité aux enseignements, la progression, les crédits et les dettes, les salles, la bibliothèque, le rectorat, l’infirmerie, le restaurant universitaire, le rôle du délégué, etc.

  • Pédagogique : Accompagnement à l’apprentissage et aide individualisée : prendre des notes, préparer ses exercices, rechercher et consulter des ouvrages.

  • Méthodologique : Initiation aux méthodes de travail universitaire que ce soit à titre personnel ou en groupe : revoir le cours, préparer le TD, faire des recherches bibliographiques.

  • Technique : Conseils pour l’utilisation des outils et supports pédagogiques : comment utiliser internet pour la recherche d’informations, ou consulter des ouvrages à la bibliothèque ?

  • Psychologique : Aide à l’intégration dans la vie universitaire et stimulation de la motivation de l’étudiant : écouter l’étudiant, l’encourager, le conseiller, le rassurer.

  • Professionnel : Aide l’étudiant à la concrétisation de son projet professionnel et à son insertion dans le monde du travail.

2. La tâche ou le rôle du tuteur

Le tutorat est un acte volontaire dont la mission est d’accompagner l’étudiant pour lui faciliter son intégration dans la vie universitaire. Le tuteur doit être motivé par sa mission et faire preuve de plusieurs qualités :

  • Il doit être solidaire avec son groupe d’étudiants pour atteindre les objectifs fixés.

  • Il doit être créatif pour enseigner un savoir accompagné d’un savoir-faire.

  • Il doit être enthousiaste en encourageant l’étudiant et en le motivant.

  • Il doit se préparer adéquatement pour chaque rencontre, faire un compte rendu avec une fiche de suivi en y mentionnant les dates et heures ainsi que le sujet abordé.

Le tuteur, en contact régulier avec l’étudiant (une correspondance toutes les deux semaines au moins) doit garder systématiquement une copie de ses envois et des messages reçus par l’étudiant. Si un tuteur rencontre des difficultés avec un étudiant, il doit en avertir le responsable du domaine de formation ou le responsable pédagogique hiérarchique.

Le tuteur, dont la mission est de repérer les difficultés de l’étudiant et de lui permettre de les surmonter en y apportant une aide comme l’éclaircissement de certains points du cours, la recherche de documents ou de méthodes d’apprentissage, ne peut se substituer au professeur ou empiéter sur son rôle.

Et même si le rôle de chacun des acteurs est clairement défini, mis à l’épreuve des réalités, souvent mais un souvent fort voisin de toujours, les tuteurs, intermédiaires entre les étudiants et les professeurs qu’ils secondent, « Les tuteurs ont tendance à se prendre pour des enseignants... » (Baudrit, 2000).

De quoi résulte cette confusion ? Quelle est la raison de cette reconnaissance ténue du rôle du tuteur ? Dépend-elle d’une absence d’une formation appropriée et adéquate ?

3. Rôles et responsabilités du tutoré

Comme pour l’enseignant-tuteur, le tutoré doit, lui aussi, répondre à des devoirs, selon Myre et David (2015) :

  • II s’engage à assister à ses cours.

  • Il doit réviser ses notes, faire ses exercices et ses lectures avant chaque rencontre (ne pas les faire avec le tuteur) et être respectueux en tout temps.

  • Il s’engage à être ponctuel à chaque rencontre et d’aviser le tuteur 24 heures à l’avance s’il ne peut se présenter à une rencontre prévue.

  • Il pose des questions sur les incompréhensions qui subsistent après un cours ou après avoir fait un exercice et pose ses questions à l’enseignant si le tuteur ne peut y répondre.

4. La formation des enseignants au tutorat

  1. Durée : La formation s’est déroulée à Alger sur deux jours à raison de trois sessions différentes durant l’année. Elle a été assurée par Claude Fintz et Françoise Cros et sanctionnée par un diplôme au terme de la formation.

  2. Profil des enseignants tuteurs : Les sessions de formations ont réuni une dizaine d’enseignants, essentiellement des maîtres assistants nouvellement recrutés, majoritairement de sexe féminin, relevant de différents départements (français, anglais, italien, allemand, psychologie, sociologie….).

  3. Objectifs :

  • Sensibiliser au processus du tutorat universitaire pour les étudiants inscrits en L1.

  • Informer et analyser les implications du cadre officiel (lois et décrets) sur la définition du périmètre du tutorat.

  • Définir les conséquences du tutorat sur les pratiques pédagogiques des universitaires.

  • Identifier les compétences nécessaires à l’exercice du tutorat.

  • Construire des outils d’aide au pilotage du dispositif au tutorat (fiche de suivi, grille d’évaluation du dispositif, évaluation des progressions de l’étudiant).

Jour 1

Jour 2

Objectifs

Connaitre et s’approprier concrètement le cadre officiel du tutorat ainsi que les missions décrites

Savoir identifier les difficultés et les forces de l’étudiant pour l’aider à y remédier

Contenu

Le décret de 2009

Construction d’un descriptif des caractéristiques de l’étudiant L1

Procédures

Construire un schéma des responsabilités de mise en œuvre

Travail sur une fiche de suivi d’étudiant en tutorat

Évaluation

Élaboration d’une fiche officielle de présentation du tutorat dans son université

Fournir les éléments pour une charte du tutorat

Évaluation finale du tutorat

5. Programme du tutorat

5.1. Premier trimestre

Pour ce trimestre, les séances de tutorat sont consacrées à l’accueil et à l’intégration des étudiants nouvellement arrivés à l’université. Au fil des séances, comme le spécifie le Guide du tuteur (2009), ce dernier pourra :

  • Préciser son rôle, ses tâches et indiquer les moyens de mise en contact.

  • Orienter l’étudiant et le familiariser avec le campus universitaire.

  • Expliquer le système LMD et l’organisation des enseignements en licence.

  • Expliquer et commenter le règlement intérieur.

  • Expliquer les modes d’évaluation (examens, contrôle continu, etc.…)

5.2. Deuxième trimestre

Les séances de ce second semestre sont plutôt orientées vers la préparation aux examens. Ainsi, le tuteur devra : 

  • Informer l’étudiant sur le déroulement des examens (session normale et session de rattrapage).

  • Informer l’étudiant sur son droit à la consultation des copies.

  • Informer l’étudiant au respect des délais de réclamation.

  • Expliquer le fonctionnement des jurys de délibérations et le droit au recours.

5.3. Troisième trimestre

Durant ces séances, le tuteur devra faire acquérir aux étudiants l’autonomie nécessaire pour : 

  • Étudier en l’absence de l’enseignant.

  • Prendre la parole et se faire comprendre.

  • Identifier ses lacunes et les prendre en charge.

  • Préparer ses examens du second semestre sans assistance.

  • Mettre en place de nouvelles méthodes en cas d’échec.

6. Mise en place du dispositif au sein du département de français de l’université Alger 2

À l’instar des autres universités algériennes, et conformément au décret exécutif n° 09-03 du 06 Muharram 1430 correspondant au 03 janvier 2009, l’université d’Alger 2 s’est engagée dans le dispositif du tutorat afin d’accompagner les étudiants de première année et de lutter contre les redoublements.

Ainsi, au début du second semestre de l’année 2011, les enseignants qui avaient bénéficié de la formation se sont vus retirer un module dont le volume horaire est de 1h30 afin d’accueillir les étudiants et d’accomplir leur mission durant cette heure où ils sont censés enseigner. En effet, il n’était pas question de rémunérer ces séances de tutorat comme des heures supplémentaires. Ces modules retirés ont donc été attribués aux enseignants qui n’ont pas suivi la formation au tutorat. Les séances de tutorat étaient programmées au milieu de la journée de 12 h 30 à 14 heures (donc pendant la pause déjeuner). En effet, si elles avaient été programmées trop tôt ou trop tard, nous nous serions confrontés à l’absentéisme des étudiants.

6.1. Méthodologie

La méthodologie que nous avons choisie pour mener à bien cette étude est l’entretien. Nous nous sommes entretenus avec 5 enseignants qui ont participé au dispositif du tutorat et qui sont encore en exercice aujourd’hui au sein du département. Nous aurions aimé interroger beaucoup plus d’enseignants, mais ce n’était pas possible. En effet, certains enseignants qui avaient bénéficié de la formation et qui avaient contribué au dispositif ne sont plus en activité soit pour cause de mise en disponibilité soit pour départ définitif. Les questions que nous avons choisies pour mener à bien cette enquête sont d’ordre général : que pensez-vous du tutorat ? Combien de séances avez-vous organisées avec le tutoré ? Combien d’étudiants avez-vous eus à tutorer ? Les moyens mis à votre disposition étaient-ils suffisants et adéquats pour mener à bien votre mission ? Pourquoi selon vous ce dispositif a-t-il été interrompu ? Comment pourrait-on améliorer ce service à l’avenir ?

6.2. Bilan d’un échec

Au début de l’année universitaire suivante, le tutorat n’a pas été reconduit. Nous nous sommes donc penchés sur les raisons de son interruption en analysant les réponses des entretiens réalisés avec les enseignants ayant participé à ce dispositif. Les difficultés rencontrées le plus souvent évoquées sont :

  • Problème logistique : pas assez de salles disponibles ni de matériel pour mener convenablement la mission.

  • Groupes surchargés et nombre trop élevé d’étudiants : car pour assurer tous les enseignements il faut mobiliser tous les enseignants.

  • Problème d’ordre culturel : les séances de tutorat ne sont pas des cours de soutien, ni un substitut aux cours manqués, ni de l’assistanat.

  • Programme de la première année étant chargé : difficile de trouver du temps libre pour assister aux séances de tutorat.

  • Refus de rémunérer les enseignants comme un volume ordinaire, c’est-à-dire on considérait le tuteur comme un enseignant qui ne faisait rien, qui était au repos.

  • Pas obligatoire : donc pas d'étudiants.

Conclusion et recommandations : pour une écodidactique

Les résultats de notre étude ont démontré que le tutorat n’a pas « survécu » malgré les efforts déployés par l’université d’Alger 2 afin de le maintenir (comme la formation de tuteurs). En effet, l’établissement n’a pas pu mettre à la disposition du tuteur tous les moyens dont il a besoin (une salle, un bureau, du matériel) pour assurer sa mission. À cela s’ajoute le nombre trop élevé d’étudiants inscrits (à l’instar du système classique) et qui n’ont pas été sensibilisés convenablement à ce nouveau dispositif.

De ce fait, le tutorat tel qu’il est pratiqué en contexte européen n’est pas transposable en contexte algérien pour plusieurs raisons aussi bien matérielles qu’humaines. Il serait préférable d’adopter une philosophie du tutorat propre au cas algérien, en tenant compte des spécificités et des particularités socioculturelles de la société algérienne et des contraintes spécifiques à l’université d’accueil. Il n’y a de tutorat pertinent que s’il prend la juste mesure des contraintes de l’environnement immédiat de l’étudiant et de la structure d’accueil. D’un mot, le tutorat comme l’enseignement auquel il sert d’adjuvant nécessite une dimension écodidactique pour qu’il ne soit pas une simple transposition de schémas mis en œuvre dans d’autres conditions. Si nous voulons un jour restituer ce dispositif, nous préconisons donc de mettre en place des campagnes de sensibilisation au tutorat auprès des étudiants au début de chaque rentrée universitaire en organisant des journées portes ouvertes. Il convient également d’établir un guide du tutorat disponible, consultable et d’élargir sa diffusion afin que les étudiants prennent bien conscience de son intérêt. Enfin, en dernier lieu, il est nécessaire de revoir les modalités d’application du tutorat. S’il est utopique d’espérer un allègement des groupes, on pourrait (par exemple ne plus l’envisager dans un espace clos : la classe), car l’absence de salles disponibles est encore, à l’heure actuelle, un problème récurrent à l’université d’Alger 2. Il est donc impératif de revoir l’exercice du tutorat pour son bon fonctionnement au sein de cette dernière si l’on veut lutter contre l’échec universitaire.

Alava S, Clanet J, 2000, « Éléments pour une meilleure connaissance des pratiques tutorales : regards croisés sur la fonction de tuteur », « Revue des Sciences de l’Éducation, n° 3, pp 545-570.

Annoot E, Marchat J-F, Poteaux N, 2003, « Regards des tuteurs », n° « Recherche et formation, n° 43, pp 47-63.

Baudrit, Alain. 2000. « Note de synthèse ». Revue française de pédagogie 132 (1) : 125‑53. https://doi.org/10.3406/rfp.2000.1039.

Fofana A, 2011, n° Pour une organisation pratique du tutorat dans le système LMD en Afrique. Plan de formation et d’autoformation du tuteur. Paris. Éditions Publibook.

Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique, 2009, Guide du tuteur, Alger, Office des publications universitaires.

Myre V. et David K, 2015, Guide d’implantation d’un service de tutorat par les pairs, Université du Québec.

Décret exécutif n° 8-130 du 27 Rabie Ethani 1429 correspondant au 3 mai 2008 portant statut particulier de l’enseignant-chercheur.

Décret exécutif n° 09-03 du 6 Moharram 1430 correspondant au 3 janvier 2009 précisant la mission de tutorat et fixant les modalités de sa mise en œuvre.

Ouali Khadidja

Université Alger 2الجزائر

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