Du Mythe d’Éros et psyché au conte Aicha, la fille du bûcheron de Nora Aceval : l’expression des sentiments en situation interculturelle

من أسطورة إيروس و بسيشي إلى قصة عائشة ، ابنة الحطاب بقلم نورا أسيفال : التعبير عن المشاعر في مواقف متعددة الثقافات

From the Myth of Eros and Psyche to the Tale of Aicha, the Daughter of Nora Acevals Woodcutter: Expression of Feelings in Intercultural Situations

Bouricha Amira

للإحالة المرجعية إلى هذا المقال

بحث إلكتروني

Bouricha Amira, « Du Mythe d’Éros et psyché au conte Aicha, la fille du bûcheron de Nora Aceval : l’expression des sentiments en situation interculturelle », Aleph [على الإنترنت], 7 (2) | 2020, نشر في الإنترنت 22 octobre 2020, تاريخ الاطلاع 28 mars 2024. URL : https://aleph.edinum.org/2648

La littérature de jeunesse connaît actuellement une émergence en Algérie. Elle récupère souvent les grands mythes et les contes traditionnels dans lesquels le thème de l’amour est omniprésent. Nora Aceval, conteuse franco-algérienne, recueille ainsi les contes de la tradition orale de la région des hauts plateaux de Tiaret. Cet article porte sur l’un de ces contes intitulé Aicha Bent el Hattab (Aicha, la fille du bûcheron) et le met en parallèle avec le récit des aventures d’Éros et Psyché tel que nous les rapporte Apulée, lui-même originaire d’Hippone, actuelle Annaba, dans son roman L’Âne d’or. Cet article mène un essai de comparaison entre le mythe et le conte sur le plan narratif et sociologique mais en se centrant sur le thème de la découverte de l’amour et de la sexualité.

يعرف أدب الشباب بزوغا كبيرا في الجزائر ويستلهم معالمه من أشهر الأساطير و الحكايات الشعبية حيث يعتبر موضوع الحب موضوعا متداولا بكثرة. و تقوم الراوية نورة أسيفال، ذات الجنسية الجزائرية الفرنسية، بجمع الحكايات التقليدية الشفوية لمنطقة الهضاب العليا بمدينة تيارت و ينصب موضوع هذا المقال حول حكاية من تأليفها و الموسومة ب « عيشة بنت الحطاب » و تقارنها في الوقت عينه بقصة « إيروس و سايكي » مثلما يرويه أبوليوس الذي تنحدر أصوله من هيبون أو ما يعرف بعنابة حاليا في روايته « الحمارالذهبي ».

يحاول هذا المقال إجراء مقارنة بين الأسطورة و الحكاية على الصعيد السردي و الاجتماعي متمحورا حول موضوع اكتشاف الحب و الجنس.

The youth literature is nowadays spreadly well_known in Algeria, and its features are inspired by the most famous myths and folk tales, where the topic of love is a widely used topic. And the narrator, Noura Asifal, who is of Algerian_French nationality, collects traditional oral tales of the high plateaux in the city of Tiaret. The subject of this article focuses on a story written by her and tagged « Aisha Bint Al-Hattab ». She compares it at the same time with the story « Eros and Saeki » as he tells it, Apollius, who is of Hippon descent or what is now Annaba in his novel « The Golden Donkey. »
This article attempts to make a comparison between legend and story on a narrative and social level, centered on the topic of discovering love and sexuality.

Amour, jalousie, trahison, plusieurs sentiments s’entremêlent pour former l’objet de notre présente étude. En effet, le conte Aïcha, fille du bûcheron, est une variante de l’œuvre mythique Éros et Psyché, symbole de beauté et d’amour passionné  ; ce dernier, malgré les obstacles, finit toujours par triompher. L’Âne d’or ou Les Métamorphoses1 dans lequel est inséré ce récit fut écrit vers 170 après Jésus-Christ par Apulée. Celui-ci se serait inspiré du roman de Lucius de Patras et y aurait ajouté quelques passages de son cru comme le conte d’Amour et Psyché qui occupe une place importante dans l’ensemble du roman. Le conte d’Éros et Psyché, issu du recueil d’Apulée, a inspiré et a fait surgir maintes versions et réécritures tout à fait différentes. Au XVIIe siècle, par exemple, La Fontaine a publié Les Amours de Psyché et de Cupidon  ; Madame d’Aulnoy en 1697 écrit Le Serpentin vert où le mythe est passé au conte et permet par incidence le passage vers d’autres œuvres inaugurant ainsi la genèse de variantes dans plusieurs langues et dans divers territoires culturels2.

L’auteur du conte algérien Aïcha, fille du bûcheron, Nora Aceval, moins connue, est une conteuse professionnelle contemporaine. Dans sa quête de collectage de contes en Algérie, elle a déniché dans la région de Mostaganem, ville portuaire de l’Ouest algérien, une variante de ce conte, Aïcha bent el Hattab3, issu de la tradition populaire orale4 qui rappelle étrangement l’histoire de Psyché.

De nationalité française, née à Tousnina, en 1953 en Algérie, plus précisément dans la sous-préfecture (daïra) de Sougueur en Oranie dans le Sud-ouest algérien, région de hauts plateaux, Nora Aceval a poursuivi ses études primaires et secondaires à Sougueur. Elle a émigré en France durant les années 1970 à 1980. Comme elle le cite dans son livre, son père est d’origine espagnole et de nationalité française. Donc elle est détentrice d’un grand patrimoine oral, hérité de son enfance passée en Algérie. Elle se trouve enrichie par une double culture venant de l’Algérie et de la France. Sa vie en France est ponctuée par ses séjours en Algérie où elle recueille et collecte la parole des anciens, aussi bien en milieu arabophone que berbérophone. Elle est active également en France en situation interculturelle. Conteuse traditionnelle à voix nue, elle se place dans la transmission, bercée par les contes populaires que disaient les femmes de sa tribu. Elle poursuit son travail de collecte de contes sur le terrain, plus particulièrement en Algérie. Elle conte, traduit et écrit ces trésors de coutume orale et poursuit son travail de passeur de mémoire d’une rive à l’autre de la Méditerranée.

1. Présentation du corpus

Dans un souci de clarté, il nous semble indispensable, pour assurer à notre travail une grande cohérence ou un tant soit peu, de présenter les deux textes de notre corpus soumis à une étude comparative et dont le résultat sera restitué dans une représentation synoptique.

1.1. Éros et Psyché

Le mythe de Psyché et Éros est une histoire merveilleuse, présentée comme un conte. La structure principale du récit est presque identique pour le conte et le mythe dans plusieurs versions dans le monde. Il s’agit constamment du mariage d’une jeune fille avec un homme mystérieux, mariage dont la durée est liée à l’observation d’un interdit. Quand la jeune fille enfreint cet interdit, les amants sont séparés et se retrouvent face à une série d’épreuves.

La grande beauté de Psyché fait peur à ses prétendants, car elle est la plus belle et la plus jeune des trois filles d’un roi. Vénus est jalouse de cette jeune fille dont la beauté est telle que les hommes la vénèrent et en viennent à déserter les temples et le culte de la déesse. Vénus ordonne à son fils Éros d’insuffler à cette concurrente une passion dévorante pour un monstre. Mais Éros tombe lui-même amoureux de Psyché et trahit sa propre mère en jouant les oracles. On annonce ainsi aux malheureux parents de la belle, inquiets de ne voir arriver aucun prétendant, que leur fille est destinée à un monstre et qu’il faut la conduire sur un rocher sacré pour le sacrifice. Les parents obtempèrent, mais au moment suprême, la jeune fille est emmenée par le souffle de Zéphyr dans un palais merveilleux, où tous ses désirs sont satisfaits : en fait, il s’agit du royaume d’Éros. Elle sent une présence mystérieuse auprès d’elle, c’est l’époux promis, Éros, qu’elle ne doit voir sous aucun prétexte. Psyché attend chaque soirée son arrivée et vit heureuse, au milieu des voix qui la servent. Elle tombe enceinte, et exprime le désir de voir sa famille. Son époux accepte, tout en mettant sa femme en garde contre la jalousie de ses sœurs. En effet, celles-ci sèment le trouble dans le cœur de Psyché en lui disant que ce mari invisible ne peut être qu’un monstre. Cédant à la tentation, Psyché transgresse donc l’interdit et en éclairant le corps de son amant endormi découvre avec stupeur qu’il s’agit d’Éros. Désemparée, la jeune femme dans la précipitation se blesse en se frottant à l’une des flèches de l’arc de son époux et par mégarde une goutte d’huile tombe de la lampe et le brûle. Stupéfait, Éros bondit et subitement s’enfuit. Psyché complètement désemparée va subir une longue et éprouvante errance ponctuée d’épreuves que ne manque point de lui infliger Vénus. Psyché est alors entraînée dans des errances sans fin qui la conduisent à subir quatre fois la colère de Vénus : elle doit successivement trier un monceau de graines, ramasser la laine de brebis redoutables, remplir une fiole de l’eau qui alimente le Styx, et enfin descendre aux enfers pour y rechercher un flacon du baume de beauté chez Proserpine, déesse, épouse de Pluton, dieu des Enfers. Malheureusement, Psyché transgresse de nouveau l’interdit en ouvrant la boîte qui contient la pommade, s’évanouit et succombe ainsi dans un profond sommeil fatal. C’est Éros lui-même enfin guéri de sa blessure qui joue le rôle de sauveur et plaide auprès de Jupiter et obtient sa protection. Passant outre l’interdiction de Vénus, Jupiter bénit Psyché lui assurant ainsi l’immortalité : elle devient une demi-déesse. Vénus abandonne son harcèlement et accepte cette union sacralisée dont naît donc une fille prénommée Volupté.

1.2. Aicha Bent el Hattab

Un pauvre bûcheron n’arrive pas à couper du bois dans la forêt. Sa hache est restée coincée. En désespoir de cause, il fait le serment de marier sa fille Aïcha à celui qui l’aidera à retirer sa hache. Comme par hasard et enchantement, sa hache se détache alors du tronc. Un individu se présente et remet au bûcheron une meule magique. Il doit l’utiliser chaque jour pour pétrir le pain et rouler le couscous, mais personne ne doit la voir sinon elle perdra son pouvoir. Hélas, Aïcha, la fille du bûcheron, révèle le secret de la meule à ses camarades et perd du coup et du même mouvement son pouvoir.

Le bienfaiteur accepte de remettre une autre meule magique au bûcheron, mais le somme de se préparer à donner sa fille dès qu’il entendra un mendiant demandant l’aumône. Victime de cet odieux chantage entre son père et le djinn, Aïcha est donc enlevée par Qatar Ben Matar.

À sa surprise, Aïcha découvre alors un merveilleux palais, elle est installée dans une chambre somptueuse avec un lit entouré de voiles et de tentures. À son service, un esclave, Baba Ben Mansour, s’applique à l’assister et comble tous ses désirs. Lors d’une visite à sa famille, Aïcha retrouve ses camarades qui, jalouses, lui donnent une lampe à huile et lui recommandent, dès son retour, d’essayer de voir cette chose qui se couche près d’elle en allumant cette lampe. Ainsi, elle pourra voir le visage de son mari. Elle cède à l’envie et transgresse l’interdit. Elle est ravie et enchantée de bonheur en découvrant le visage angélique endormi de son époux. Sur son thorax se trouvent sept clefs qu’elle emporte et dont elle se sert pour ouvrir toutes les portes secrètes. Mais, Qatar Ben Matar se réveille soudain et toutes les merveilles qu’elle a découvertes disparaissent. Aïcha a tout perdu, son futur époux et le merveilleux palais. Elle va errer à la recherche de celui qui était son bienfaiteur. De pays en pays, elle marche tout en demandant autour d’elle si quelqu’un a vu son mari : elle apprend ainsi que, par sa curiosité, elle a tué son bien-aimé. Les Djinns l’ont précipité dans un monde autre que le sien.

En reprenant la route, elle rencontre deux colombes qui parlent et lui apprennent que Qatar Ben Matar est enterré dans ce pays, mais que sa fiancée qui le recherche pourra le ressusciter. Il lui faudra trouver sa tombe pour l’éventer jour et nuit pendant quarante jours, mais il ne faudra pas qu’elle se laisse emporter par le sommeil. Il ressuscitera alors et épousera celle qu’il verra en ouvrant les yeux. Aïcha entend la conversation des colombes et prend la direction indiquée. À force de chercher et grâce aux indications des colombes, elle finit par découvrir le pays. Elle trouve la tombe, s’installe à sa tête et se met à creuser sans repos, en luttant contre le sommeil qui grandit. Au quarantième jour, la tombe bouge. C’est à cet instant précis que le sommeil triomphe de la jeune femme et elle sombre de fatigue. Qatar Ben Matar se réveille, se relève et regardant autour de lui, trouve une « négresse  » qui vient d’arriver. Il l’emmène avec lui et il l’épouse. Lorsque Aïcha se réveille, elle se retrouve seule comme par le passé. Elle se remet à pleurer, à errer et à chercher en interrogeant les gens autour d’elle. Elle finit par trouver le palais de Qatar Ben Matar avec sa femme. Aïcha se fait engager comme bergère. Jusqu’au jour où on rapporte à Qatar Ben Matar qu’une femme d’une grande beauté est là, elle est arrivée en le cherchant. Aïcha lui raconte tout depuis le commencement.

La négresse révèle alors sa présence avant la résurrection : c’est bien Aïcha qui a éventé la tombe puis elle s’est endormie près de celle-ci l’éventail à la main, ce détail témoigne de la présence de Aïcha près de la tombe de son époux Qatar Ben Matar. Celui-ci recouvre alors la mémoire et épouse Aïcha Bent El Hattab. Et c’est ainsi que Aïcha récupère sa place et ses merveilles.

1.3. Du mythe au conte : structures croisées et discours en écho

Récits, le conte de la présente étude et le mythe qu’il actualise sont régis par les mêmes principes narratifs. La rupture de la quiétude de la situation initiale s’articule autour d’une transgression dont le seul but est de réparer le manque éprouvé, car résolument inscrit dans l’ordre de l’interdit et du proscrit.

Cette transgression perturbe l’ordre initié et engage les deux héroïnes dans de multiples péripéties mettant à l’épreuve les qualités de l’une et de l’autre, de la qualification à la glorification de la situation finale qui signe la quiétude retrouvée par le truchement de la réparation du déséquilibre de la situation initiale.

Le caractère merveilleux du conte et du mythe s’en trouve dans les deux cas renforcés par l’intervention d’éléments surnaturels actionnés dans le récit sous forme d’adjuvants

Le motif de l’époux disparu constitue l’objet de la quête dans les deux récits et même si la fiancée substituée n’apparaît que dans le récit de Aïcha, elle ne constitue qu’une variante narratologique rendant la narration plus complexe en la faisant rebondir sous forme spiralaire.

Schéma narratif des contes de Psyché et Eros et Aicha Bent el Hattab Récit d’Apulée :

Les aventures de Psyché

Les aventures de Aicha

1

Faute de Psyché : sa trop grande beauté est une sorte de péché de démesure

Aïcha est victime d’un odieux chantage entre son père et le djinn provoqué par sa très grande beauté.

2

Châtiment de Psyché : Vénus n’hésite pas à poursuivre de sa haine Psyché. Pour se venger, elle ordonne de la sacrifier en la livrant à un monstre et à la mort

Aïcha divulgue le secret de la meule de grains magique qui perd son effet. Le djinn remplace l’objet et presse le père pour enlever Aïcha.

3

Éros intervient pour sauver Psyché : il envoie Zéphire la récupérer et il l’épouse

Aïcha est enlevée par le djinn qui l’épouse.

4

-Psyché se retrouve dans un lieu d’extase et de ravissement où tous ses désirs sont exaucés, mais il lui est interdit de voir son époux  ; elle obtient de lui de revoir sa famille.

Aïcha, ravie et impressionnée, découvre un merveilleux palais, elle est installée dans une chambre somptueuse où tous ses désirs sont comblés. Mais, il lui est interdit de voir son mari, mais elle obtient la permission de revoir sa famille.

5

Les ignobles sœurs réussissent à convaincre Psyché que le mari nocturne n’est autre qu’un monstre hideux, désirant la dévorer lorsque l’enfant qu’elle porte viendra au monde. Elles incitent donc Psyché à transgresser l’interdit pour sauver sa peau.

Jalouses, les femmes lui donnent une lampe à huile et lui recommandent, dès son retour, d’essayer de voir cette chose qui se couche près d’elle.

6

Psyché transgresse l’interdit

Aïcha transgresse l’interdit

7

Elle découvre Éros, dieu de l’amour, endormi. Réveillé subitement, il s’enfuit en se blessant.

Elle est ravie de bonheur en découvrant ce bel homme endormi. Elle vole les clés qui ouvrent les portes secrètes. Le mari se réveille.

8

Elle subit la colère et la jalousie de Vénus et va affronter une série d’épreuves très éprouvantes dans cette quête de l’époux disparu.

Aïcha a tout perdu, son futur époux et le merveilleux édifice ont disparu. Elle va errer à la recherche de l’époux disparu.

9

Première épreuve subie par Psyché : le tri des grains avec l’aide des fourmis qui jouent le rôle d’adjuvants

Première épreuve : De pays en pays, elle erre, mais deux colombes vont jouer le rôle d’adjuvants. Il lui faut trouver la tombe de l’époux.

10

Deuxième épreuve subie par Psyché : elle doit rapporter un écheveau de laine des moutons mangeurs d’hommes ; un roseau adjuvant lui apprend comment obtenir la laine, une fois les moutons endormis.

Deuxième épreuve : après avoir déterré l’époux, il lui faut veiller quarante jours.

11

La troisième épreuve consiste à remplir une jarre de l’eau du Styx, dans les montagnes d’Arcadie  ; un adjuvant, un aigle reconnaissant à Éros pour lui avoir rendu un grand service, se présente à l’instant et va chercher l’eau.

Spirale : Aïcha s’endort et une autre femme prend sa place  ; c’est le motif de la fiancée substituée.

12

La dernière épreuve est pratiquement insurmontable  ; Vénus lui demande de descendre aux enfers et de récupérer un flacon d’onguent de beauté – adjuvants : les pierres  ; apparition d’un nouvel interdit : ne pas ouvrir le flacon  ; interdit transgressé.

Nouvelle errance de Aïcha de son époux  ; Aïcha se fait engager comme bergère.

13

Nouvelle punition : Psyché s’endort d’un sommeil mortel.

Dernière épreuve : tel Ulysse, se faire reconnaître de son époux sous l’allure d’une humble bergère.

14

Intervention d’un dernier sauveur en la personne de son époux Éros

Aide de la seconde épouse qui confesse ses fautes.

15

Fin heureuse  ; l’amour triomphe.

Fin heureuse : triomphe de l’amour.

2. Autres essais de comparaison

Considérant la structure narrative des deux récits, il se dessine la nécessité d’analyser dans le détail le motif de l’époux disparu qui échappe en conséquence au regard et qui motive la quête. Dans un cas comme dans l’autre, il serait erroné de le considérer comme perdu dès lors où il n’appartient à personne. L’époux, de ce point de vue, devient le symbole de la lettre volée qu’on détient, mais qu’on ne possède pas. Figure de présence et d’absence, il traverse les deux récits et les féconde.

Une analyse comparée du thème de la recherche de l’époux disparu peut déboucher sur la mise en écho de structures qui gouvernent à la narration dans l’un et l’autre récit. Il sera ainsi montré que la structure métonymique du conte où ce motif est récurrent trahit ce manque de l’objet, mais elle permet par déplacement et substitution au désir d’investir un objet de remplacement sous les figures de djinns ou de monstre. Elle montre le maléfique à l’œuvre et censure la vérité du sujet. En revanche, la structure métaphorique du deuxième récit traduit l’irruption d’un sens caché. Elle apparaît comme un dévoilement et rend patente la vérité du sujet mue sous les traits d’une héroïne comme dans le conte.

Le passage du mythe au conte est une oscillation entre la structure métaphorique qui dévoile le sujet dans sa vérité nue et une structure métonymique qui inscrit la vérité dans l’ordre du proscrit, de l’interdit.

Aicha bent el Hattab fait partie du recueil L’Algérie des contes et légendes des hauts plateaux de Tiaret5 de Nora Aceval. Il renvoie de manière précise au Conte-type 425, dans la célèbre classification internationale Aarne-Thompson. Le thème de l’époux, tantôt djinn tantôt monstre, souvent disparu est d’ailleurs au cœur même de beaucoup de ces récits autour de la Méditerranée.

Cependant, le récit d’Apulée, écrivain originaire de l’actuelle Annaba, ville d’Algérie, anciennement Hippone, est inséré dans un roman et relève plutôt du mythe. Une étude comparative du mythe et du conte pourrait permettre de faire la différence entre un récit engendré il y a vingt siècles et ce conte maghrébin Aicha Bent el Hattab (Aïcha la fille du bûcheron). Un conte, pensons-nous, n’a jamais épuisé tous ses sens et que son évolution se fait parallèlement avec l’Histoire. Il reste toujours vivant par le truchement de ses réécritures et ses diverses adaptations dans les différents espaces géoculturels que traversent un interdiscours et une interculturalité. La Méditerranée est un lac et des hommes qui vivent tout autour partagent deux défauts majeurs : ils se déplacent et ils parlent. Il n’est pas donc invraisemblable qu’ils laissent des traces et que ces dernières transpirent dans les récits.

Une première distinction s’impose entre le conte et le mythe. Un mythe est une parole6 et en ce sens il génère le récit et le conte est une histoire portée par les mots, générée par le récit. Aïcha Bent el Hattab (Aïcha la fille du bûcheron) est un conte populaire dont la construction archétypale permet, à première vue, un accès aisé à tous. En lui, la narration présente un rythme soutenu, de multiples et fréquentes répétitions rendues obligatoires par le caractère oral du conte.

Le conte oral évite les longues descriptions et l’analyse psychologique. Son histoire tourne non pas autour de dieux ou de déesses, mais autour de simples humains, parfois autour de rois et de reines, mais surtout autour de paysans, d’agriculteurs, même si des personnages merveilleux d’ogres et de fées occupent également une place non négligeable. Parmi les autres caractéristiques, le conte s’affirme comme fiction, il y a des invraisemblances de toutes sortes même si l’on se réfère au vécu quotidien  ; l’exemple de la meule magique est révélateur.

Tout est possible, le merveilleux fait partie du quotidien des personnages. Il ne les surprend pas. Les lois qui régissent l’univers des contes ne sont pas toujours celles qui régissent le monde réel : un personnage peut dormir pendant des décennies, les objets peuvent être doués de pouvoirs. Le monde du mythe se rapproche davantage du sacré et Psyché ne saurait avoir des problèmes de ravitaillement alimentaire  !

L’approche sociologique définit aussi des différences entre les classes sociales auxquelles appartiennent les personnages du mythe ou du conte. Le bûcheron, père de notre héroïne, fait partie de la classe sociale populaire  ; les personnages de Psyché appartiennent à la royauté ou ils sont des dieux. Cela se remarque dès le début du conte  ; les dieux de l’Olympe sont sous l’autorité de Jupiter Dieu de l’Univers et interviennent en souverains sur les destins des humains. On évolue dans le monde de l’Olympe et Psyché deviendra une déesse. En revanche dans la fiction qu’involue le conte de Aicha, le lieu où se situe l’action n’est pas défini7. La forêt est citée vaguement. Dans le conte oral ou écrit, aucune allusion ou description physique ou morale de l’héroïne Aïcha n’est donnée avec précision8. Psyché, à l’inverse, est présentée comme une jeune fille de la plus rare beauté, inspirant une vive passion à Éros et excitant la jalousie de la déesse Vénus9. Tous ces dieux résident dans l’Olympe. Aicha entre en scène comme une jeune fille de basse extraction en âge de jouer avec ses voisines tandis que le djinn, être surnaturel, choisit la fille du bûcheron sans qu’il y ait d’antécédent ou de mobile qui puisse guider le lecteur ou le spectateur. De plus, le conte est bien inscrit dans une société particulière, celle du Maghreb dont les règles sont «  strictes  » et rappelées dans le conte oral alors que le mythe échappe à ces contingences terrestres. Reitzenstein10 pense que le mythe de Psyché est un mythe de l’âme avec un schéma religieux ayant pour origine un mythe iranien, le mythe de la création, avec une déesse Psyché symbolisant l’âme humaine aux prises avec un démon antagoniste devenu, dans une version hellénisée que suivrait Apulée, Éros ou le dieu de l’Amour, ou Cupidon chez les Romains. L’âme, après la descente aux enfers pour se procurer la «  liqueur de vie  », conquerrait finalement le droit de retrouver sa patrie qui est le ciel des dieux. Le conte érotique de Psyché a été aussi, pendant des siècles, une des sources d’inspiration du monde chrétien. Il véhicule des thèmes ou des images d’une civilisation à l’autre, il a pu exercer des influences durant des siècles. C’est pourquoi c’est un devoir d’en sauvegarder le merveilleux et son charme. Il est admis dans son caractère merveilleux et varié sans parti pris religieux. Cette approche par le mythe permet même d’aborder de façon simple des notions philosophiques avant l’heure : la lutte pour le pouvoir et le rôle du chef, les conflits de générations, la toute-puissance de l’argent, la justice et l’injustice, etc.

Psyché est vue dans la tradition chrétienne à l’image de l’âme humaine qui prend conscience de son besoin d’amour et d’idéal, et qui par un parcours d’épreuves se purifie et perçoit le mystère et le divin : en elle se mêlent les aspirations religieuses et la soif de science réaliste et généreuse qui étreignaient alors toutes les âmes de l’élite. L’élément mythologique est conservé comme un motif d’art et d’exactitude, mais il est si pénétré de doctrine morale et de signification symboliste, qu’il est avant tout le symbole d’une éthique ancrée dans la chrétienté.

Le conte d’Aicha Bent Hattab s’inscrit lui, dans une société humaine au Maghreb  ; il a pour ainsi dire transgressé un tabou revêche dans la société musulmane, qui n’admet pas des scènes érotiques ou tout ce qui a un caractère sexuel, bien qu’il ne présente pas des séquences aussi «  osées  » que le récit de Psyché.

Heureusement, l’amour humain est toujours apparu comme la meilleure traduction de l’amour divin, à cause de son intensité. Le plus grand poème érotique est resté une des plus belles allégories de l’amour mystique.11 Dans le conte algérien, nous abordons, en effet, un sujet encore tabou dans les sociétés musulmanes : l’image du corps. Dans le conte Aïcha bent el Hattab, ce problème est marginalisé. Aïcha est une adolescente qui joue encore avec les filles du voisinage en âge de puberté dans la rue du quartier. Son père, à son insu, a décidé de «  monnayer  » l’avenir de sa fille en la livrant à un génie sans qu’il connaisse sa nature, cruelle, maléfique ou carnivore. Sous prétexte d’une parole donnée, il enfreint la loi divine. À ce propos selon un Hadith authentique rapporté par El Boukhâri12 : «  Selon Abou Houreira, le Prophète a dit : «  Le mariage de la veuve ne peut se conclure avant son consentement et la jeune fille ne peut être mariée sans avoir exprimé son avis  ».

Tout contrat de mariage conclu sans l’avis et l’accord explicites de la veuve ou sans celui de la jeune fille est suspendu sauf si les intéressées le valident par leur consentement, car le mariage doit privilégier l’intérêt de la fille et non celui des parents ou du tuteur légal.

Le passage du mythe au conte est une oscillation entre la structure métaphorique et une structure métonymique

La structure métonymique qui trahit ce manque de l’objet, mais elle permet par déplacement et substitution au désir d’investir un objet de remplacement. En revanche, la structure métaphorique traduit l’irruption d’un sens caché. Elle apparaît comme un dévoilement. La vérité du sujet reste censurée dans la métonymie. Elle est patente dans la métaphore.

3. Sentiment et émotions dans les deux récits

3.1. L’interdit : du visage caché au dévoilement du désir

Nora Aceval introduit dans son conte la présence des filles du douar envieuses et jalouses pour démasquer le visage de l’époux d’Aicha. L’héroïne vit dans un splendide palais, sans pour autant oublier sa famille et ses voisines qui seront finalement envieuses et jalouses. Aïcha, la naïve, n’a pas retenu la leçon de la perte de l’objet magique qui procurait la subsistance quotidienne. De retour au bercail, elle raconte toute sa vie conjugale au palais et notamment le mystère de l’époux sans visage. Ce qui provoque son ensevelissement sous terre dans un coin inconnu. De même dans le récit d’Apulée, c’est aussi la jalousie des deux sœurs qui provoquera indirectement la transgression  !

En défiant toute convenance, ces deux mariages expriment les histoires des deux couples unis puis séparés qui se retrouvent enfin. Les deux maris disparaissent dans un autre monde. Ce qui met à contribution les deux héroïnes affligées, lesquelles doivent subir une traversée du désert éprouvante. Les deux récits sont exceptionnels à deux titres : ils débutent par un mariage suivi d’une transgression qui est celle du dévoilement du corps de l’époux. Psyché et Aïcha vivent un amour inconditionnel même si les maris cachent leur corps, sortent et rentrent à leur palais respectif à des heures indues. Elles ne s’en plaignent pas du moment qu’ils apparaissent chaque soir. Ils les respectent et leur tiennent un langage affectueux pour leur exprimer leurs sentiments. D’autant plus qu’elles ont de quoi s’occuper dans ces majestueux palais.

Mais les deux femmes appartiennent à des classes sociales différentes. Elles configurent ainsi deux héroïnes diamétralement symétriques. Psyché, fille d’un roi vivant dans l’opulence et le savoir – le vivre aristocratique -, est habituée aux règles et au protocole de la vie de palais. Zéphyr est à son service, il répond à tous ses désirs lorsque son mari l’autorise à rejoindre sa famille royale à travers les airs. Aïcha, issue d’une famille très pauvre et misérable, vit le même rêve, mais elle devra apprendre les manières des dames de palais. Elle sera initiée au savoir - vivre par le serviteur mis à sa disposition. Elle commence une nouvelle vie et ne s’en plaint pas et ne s’inquiète nullement de l’absence de son mari qui réapparaît chaque nuit. Pour satisfaire sa curiosité, elle transgresse l’interdit malgré les recommandations de son mari qui lui rappelle qu’elle ne doit pas désobéir. Furtivement, elle récupère un trousseau de clés. Elle découvre un véritable trésor, des femmes qui s’activent à lui confectionner de splendides toilettes. Cependant, ces femmes lui conseillent de patienter et d’attendre son destin. La jeune femme, abasourdie devant tant de richesses, se réjouit plus encore de cette chance salutaire. Cet amour inconditionnel est finalement très conséquent pour elle, d’autant plus que son rang dans la société est au bas de la hiérarchie. Elle se doit d’obéir et de se taire en attendant ce que lui réserve l’avenir. Adolescente, vivant avec ses parents dans des conditions sans avenir, elle se trouve propulsée au firmament. Elle a le droit de rêver, de sauvegarder cette aubaine qui lui permettra de garder cet amour et de patienter et cela signifie aimer l’autre personne indépendamment de ce qu’elle fait, ou même de la façon dont elle est traitée. Par sa condition, elle est donc soumise et semble faire sien ce proverbe arabe : « Embrasse le chien sur sa gueule et obtiens de lui ce que tu convoites et ce que tu désires.  »

Quelle conception de l’amour trouve-t-on dans ces deux récits  ? Généralement, l’amour inconditionnel vient de l’amour maternel. La mère lègue sa patience et sa persévérance à sa fille. Le respect du mari est sacré et la mère le transmet pour le meilleur et pour le pire. Cela signifie qu’on n’est pas aimé pour soi-même, mais par ce que l’on accomplit, par ses actes. Il transpire ici les valeurs éthiques et esthétiques d’une culture qui met à la source de la bénédiction, non pas la foi, mais l’œuvre. Les manifestations les plus caractéristiques de l’intimité sont la tendresse et l’affection. Un lien entre deux personnes par un contrat émotionnel sincère suppose d’accepter l’être aimé, quelle que soit sa nature. Ne dit-on pas que l’on est uni pour le meilleur et pour le pire  ? Lorsqu’il y a des réticences, l’un des deux doit accorder un peu de temps, à son partenaire pour remettre en question et se rapprocher en douceur. L’intimité permet l’apprentissage du couple et ne rien cacher signifie être totalement connu de l’autre et ne rien tenir caché.

Pour Aicha, l’engagement intervient à la suite de son enlèvement dont le père est complice. Sans remords, il sacrifie sa fille moyennant un objet magique qui lui permet de recevoir de la nourriture. En actionnant le moulin magique, la mère obtient de la farine et d’autres victuailles qui permettent de se procurer des aliments et d’en vendre au voisinage. Avant la rencontre du génie, le bûcheron n’arrivait pas à subvenir aux besoins de sa famille qui vivait dans la misère totale, si ce n’est les quelques branches de bois taillées dans la forêt. On peut donc dire que Aïcha est vendue par son père pour assurer la subsistance de la famille. Les liens familiaux sont donc faussés par la misère et même l’amour des parents est ainsi soumis à une pression, celle de la survie.

Tandis que Psyché doit subir un sacrifice, résultat d’un complot fomenté par Vénus, la déesse de la beauté, pour se venger de cette mortelle qui a osé s’accaparer le titre de la plus belle femme en la laissant sur un rocher où vit un monstre cruel et assoiffé de chair humaine. Heureusement pour elle, Éros trahit sa mère en tombant amoureux Psyché et la sauve en ordonnant à Zéphyr de l’emmener en douceur dans un royaume merveilleux où tous ses désirs seront satisfaits. Il n’y a pas vraiment de marchandage autour de cette union, mais une sorte de destinée dictée par les dieux.

3.2. L’expression de l’amour

Dans le récit d’Apulée, on constate qu’un modèle d’amour composé d’intimité, de passion et d’engagement a permis au couple de s’accorder et de s’entendre. Bien que Psyché soit désappointée par l’impossibilité de voir son époux, elle s’en accommode, puisque malgré tout elle a trouvé un mari affectueux, plein de délicatesse, de savoir-vivre digne de sa civilisation aristocratique. Le couple a déterminé à court terme la décision d’aimer l’autre et à long terme, un engagement de maintenir cet amour.

Revenons à Aïcha et aux rapports avec son conjoint. Nora Aceval relate que le couple vit dans un somptueux palais sans citer cependant aucune parole ou relation intime. L’époux apparaît à des heures indues puis se glisse à côté de son épouse sans mot dire et de bonne heure disparaît. Aïcha s’en accommode et profite des plaisirs de ce magnifique palais qui sera bientôt sien. Elle laisse le temps accomplir sa destinée.

Quant à l’engagement, c’est plutôt un effet, et non pas un composant de l’amour. Ces personnes veulent en effet rester ensemble, mais dans le conte algérien, le mari semble plus âgé que la jeune fille, il a dû chercher une épouse digne de sa personnalité, tandis que la jeune fille doit se dire avec résignation que tôt ou tard elle devra se marier. Vivant une telle relation dans un mariage arrangé, la décision consciente de rester ensemble ou plutôt, le désir de rester ensemble peut cependant engendrer l’amour au sein du couple.

Si nous abordons la relation des deux couples, nous constatons que les facteurs essentiels liés à l’attirance, l’intimité, la confiance et la vulnérabilité ne sont pas tout à fait les mêmes. Le plaisir et le désir dans le conte d’Apulée sont évoqués dans une forme d’érotisme teinté de pudeur implicite, ce qui laisse place à l’imagination du lecteur. Certes, l’attirance des deux couples est parfaite, elle s’est construite dès que les époux ont pénétré dans leur résidence. Comme nous l’avons remarqué précédemment, les sentiments éprouvés réciproquement par les conjoints sont véritablement sincères sauf que nous constatons que l’image du corps de l’homme est voilée, car il existe un certain nombre de tabous à ne pas transgresser, dont celui de la nudité.

Cependant, les sorties matinales et les rentrées nocturnes de Qatar Ben Matar l’époux de Aïcha la laissent perplexe. Depuis son installation au palais, Aïcha n’a jamais rencontré son mari durant les moments de détentes ou durant les horaires des repas. Aïcha est abandonnée seule, bien qu’elle ne s’en plaigne pas : le sentiment de solitude est omniprésent dans le conte. C’est le confident et serviteur, Baba Mansour qui transmet les messages et sert d’intermédiaire. Entourée d’une multitude de serviteurs qui prennent soin d’elle, satisfont tous ses désirs et ne laissent place à aucun souci, le séjour de Aïcha au palais est paradisiaque, entourée d’une multitude de serviteurs qui prennent soin d’elle, satisfont tous ses désirs et ne laissent place à aucun souci. Vu son jeune âge, elle ignore tout ce qui a attrait à la relation entre époux et ce qui concerne la sexualité.

Issue d’une société bédouine très attachée aux traditions séculaires, la problématique du mariage est taboue et stricte  ; la mariée n’a pas le droit à la parole, elle doit respecter la décision de son père pour épouser le mari qu’il a choisi pour sa fille.

Pour Psyché, les parents se réjouissent de cette union dictée par les dieux. De plus, Éros est un personnage accompli, dès son jeune âge, il a appris les bonnes manières et vécut dans l’opulence et le savoir - vivre  ; bien qu’il cache son visage à son épouse, il discute avec elle, il l’a même autorisée à rendre visite à ses parents et à recevoir ses sœurs. Nous pouvons conclure que c’est un personnage responsable de son foyer familial. Ils sont, l’un et l’autre attentifs aux sentiments matrimoniaux et aux usages. Ils ont beaucoup de sensibilité. C’est le couple idéal. Malheureusement, les sœurs de Psyché comme les voisines d’Aicha vont détruire leur rêve magnifique.

On constate donc la vulnérabilité des deux couples. L’intimité exige une honnêteté sans faille, plus accessible et affective au plus profond de l’être tourmenté par l’insistance sarcastique et malveillante des autres femmes multipliant des visites inopinées programmées, les deux héroïnes tombent toutes les deux dans ce morbide piège, elles perdent confiance et passent à l’acte transgressif. Les conflits provoqués par ces personnes hideuses, sadiques et jalouses ont réussi à briser le charme envoûtant et gracieux des deux couples. Psyché, plus âgée que Aïcha a aussi trahi son mari qui était vraiment amoureux de sa femme.

Par contre, Aïcha est presque une enfant, elle a agi par insouciance. Notre héroïne, d’emblée, est émerveillée par ce décor féerique. Elle accepte son sort en jouissant des plaisirs de la vie : nourritures, baignades, détentes, robes délicatement taillées à sa taille et enfin la découverte du bonheur nuptial. Bien au contraire, elle ne s’en plaint pas, puisque du jour au lendemain elle se trouvera maîtresse d’un palais qui satisfera toutes ses envies. Cependant, malgré tous les désirs qu’elle savoure, elle sent l’envie de revoir sa famille

« -Oh Baba Mansour  ! Mes parents me manquent. Peux – tu me conduire auprès d’eux, toi qui satisfais tous mes désirs  ? – Il me faut l’accord du maître », lui répondit-il » (p. 135).

Qatar Ben Matar, son époux, joue un double jeu : il incarne la personnalité d’Éros et en même temps c’est un personnage presque absent, il rentre dans la chambre nuptiale tard la nuit et se lève au lever du jour sans dialoguer avec son épouse. Si elle a besoin de quoi que ce soit, elle doit interpeller le serviteur et homme de confiance pour présenter ses doléances. Toutes ses communications avec sa femme passent par l’intermédiaire du serviteur. Baba Mansour qui transmet le message au maître, non sans quelques réticences suivies de mises en garde contre la jalousie de l’entourage et surtout les filles du voisinage.

Dans les deux versions, le lectorat découvre les états d’âme des personnages : émotion, union, séparation, trahison  ; fidélité, nostalgie, réaction émotionnelle. La promesse du serment est rompue, la confiance est perdue et la reconquête de l’amour suppose une suite d’épreuves. Aïcha part à la recherche de son protégé sans relâche et inlassablement errant de région en région.

« Un jour, épuisée, elle s’arrêta près d’une source. Elle se désaltéra et s’allongea pour se reposer quand elle entendit deux colombes parler. L’une disait à l’autre : “- Qatar Ben Matar devait se marier, seulement sa fiancée a rompu le serment, curieuse, elle est allée ouvrir les portes interdites. Elle l’a tué, les Djinns l’ont précipité dans un monde qui n’est pas d’ici. Il est enterré dans ce pays qui est là-bas. Mais si sa fiancée le recherche, elle pourra le ressusciter. Il lui faudrait qu’elle trouve sa tombe pour l’éventer nuit et jour pendant quarante jours. Il ne faudrait pas qu’elle se laisse emporter par le sommeil. Il ressuscitera alors et épousera celle qu’il verra en ouvrant les yeux  » (p137).

Psyché, elle aussi, poursuivra une longue quête, mais c’est Éros lui-même qui viendra la sauver, car elle succombe sans cesse à la tentation. Vénus, vaincue par cet amour, accepte cette union qu’elle a combattue de tous ses moyens

« Jamais Éros ne se dégagera des liens qui l’attachent à toi  ; c’est pour toujours que vous êtes unis par le mariage. »

C’est ainsi que Psyché devient l’épouse d’Éros. Et quand le terme est arrivé, naît une fille du nom de Volupté.

Ces deux récits apparaissent bien comme des récits d’initiation sexuelle destinés aux jeunes filles et ce n’est pas un hasard si Apulée, dans son roman, destine ce récit à une jeune mariée alors qu’elle est séquestrée et vit donc dans l’inquiétude de l’inconnu. Le conte algérien était lui aussi souvent conté par les femmes et jouait le même rôle d’initiation sexuelle.

Conclusion

Cet essai d’étude comparative entre le récit d’Apulée et un conte recueilli par Nora Aceval a donc permis de mettre en exergue les points communs qui concernent surtout les schémas narratifs et les motifs du conte ainsi que l’expression des sentiments et des émotions  ; mais il est évident que ces derniers relèvent de l’universalité : tout amour suppose quête et souvent reconquête  ! Les différences s’expliquent par un contexte littéraire et sociologique différent. Le récit d’Apulée, figé dans sa forme écrite depuis le premier siècle de notre ère relève plutôt du mythe, même s’il a donné lieu à de nombreuses réécritures. L’histoire d’Aicha relève du conte populaire et oral, mais grâce à Nora Aceval, qui joue le rôle de passeur de mémoire, il se trouve préservé et renaît sous une autre forme  ; il est ainsi souvent l’occasion d’un nouveau contage, en particulier en France au sein de la diaspora et de l’Institut du Monde Arabe à Paris. Ainsi vivent les contes et les mythes  !

1 Apulée, Les Métamorphoses Budé, collection les Belles lettres, éd.; Budé, Paris 1940; texte établi par D.S. Robertson, traduit par Paul Valette;

2 Marie-Agnès Thirard, Les contes de fées de Mme d’Aulnoy : une écriture de subversion, thèse nouveau régime de Littérature française, sous la

3 Traduisons Aïcha la fille du bûcheron.

4 Nora Aceval L’Algérie des contes et légendes des hauts plateaux de Tiaret. 2003. Edition Maisonneuve& Larose. Paris

5 Nora Aceval, L’Algérie des contes et légendes, 2003., Paris, Ed Maisonneuve et Larose.

6 Le mot mythe vient du grec « muthos » qui signifie parole, légende, récit inventé, issu du verbe « muthein » qui veut dire « parler », converser »

7 C'est là l'une des caractéristiques du conte : le temps et le lieu sont laissés dans le proscrit pour permettre au récit de vivre dans toutes les

8 Encore une autre caractéristique du conte : il n'est généralement donnée qu'une description sommaire du héros pour permettre à tout lecture de

9 Cette description n'introduit comme dans le conte que des traits d'une grande généralité "une extrême beauté" est un argument tout relatif et peut

10 Richard August Reitzenstein était un philologue, spécialiste des religions grecques, de l’hermétisme et du gnosticisme. Il est d écrit par Kurt

11 Richard August Reitzenstein était un philologue, spécialiste des religions grecques, de l’hermétisme et du gnosticisme. Il est décrit par Kurt

12  Grand exégète, un linguiste, un juriste El Boukhari se manifeste dans ses ouvrages : La Grande Exégèse

Apulée, Les Métamorphoses, Budé, Les Belles Lettres, collection des Universités de France, Paris, 1940.Texte établi par D.S. Robertson, traduit par Paul Valette

Marie-Agnès Thirard, Les contes de fées de Mme d’Aulnoy : une écriture de subversion, thèse nouveau régime de Littérature française, sous la direction de Robert Horville, Presses universitaires du Septentrion « thèses à la carte », Lille 3, 1994.

Nora Aceval L’Algérie des contes et légendes des hauts plateaux de Tiaret. 2003. Edition Maisonneuve& Larose. Paris

-Nuto Revelli Extrait de Le Disparu de Marburg, Paris, Rivages, 2006Reuter, Yves. 2000Introduction à l’analyse du romanParis : Nathan. Grimal Pierre, Apulée, les Métamorphoses ou l’Ane d’or, Paris, folio Classique, 1958.

1 Apulée, Les Métamorphoses Budé, collection les Belles lettres, éd.; Budé, Paris 1940; texte établi par D.S. Robertson, traduit par Paul Valette;

2 Marie-Agnès Thirard, Les contes de fées de Mme d’Aulnoy : une écriture de subversion, thèse nouveau régime de Littérature française, sous la direction de Robert Horville, Presses universitaires du Septentrion « thèses à la carte », Lille 3, 1994. p. 7

3 Traduisons Aïcha la fille du bûcheron.

4 Nora Aceval L’Algérie des contes et légendes des hauts plateaux de Tiaret. 2003. Edition Maisonneuve& Larose. Paris

5 Nora Aceval, L’Algérie des contes et légendes, 2003., Paris, Ed Maisonneuve et Larose.

6 Le mot mythe vient du grec « muthos » qui signifie parole, légende, récit inventé, issu du verbe « muthein » qui veut dire « parler », converser »

7 C'est là l'une des caractéristiques du conte : le temps et le lieu sont laissés dans le proscrit pour permettre au récit de vivre dans toutes les aires culturelles et à toutes les époques.

8 Encore une autre caractéristique du conte : il n'est généralement donnée qu'une description sommaire du héros pour permettre à tout lecture de projeter sa propre image.

9 Cette description n'introduit comme dans le conte que des traits d'une grande généralité "une extrême beauté" est un argument tout relatif et peut correspondre à tous les canons de la beauté de toutes les cultures données.

10 Richard August Reitzenstein était un philologue, spécialiste des religions grecques, de l’hermétisme et du gnosticisme. Il est d écrit par Kurt Rudolph1 comme "l’un des chercheurs les plus stimulants sur les gnostiques". Avec Wilhelm Bousset il était une des figures majeures de la Religionsgeschichtliche Schule ( École de l’Histoire des Religions

11 Richard August Reitzenstein était un philologue, spécialiste des religions grecques, de l’hermétisme et du gnosticisme. Il est décrit par Kurt Rudolph comme "l’un des chercheurs les plus stimulants sur les gnostiques". Avec Wilhelm Bousset, il était une des figures majeures de la Religionsgeschichtliche Schule ( École de l’Histoire des Religions).

12  Grand exégète, un linguiste, un juriste El Boukhari se manifeste dans ses ouvrages : La Grande Exégèse

Bouricha Amira

Université Alger 2
fr

© Tous droits réservés à l'auteur de l'article