Introduction
En 2015, aux éditions de l’Aube et chez Barzakh, Maïssa Bey publie son roman Hizya, empruntant, a priori, à Mohamed Ben Guittoun l’histoire de son célèbre poème populaire algérien, pour en faire un roman contemporain. Connu dans la région du Sud-Est algérien, ce récit ne cesse, en parallèle à d’autres histoires, de nourrir l’imaginaire collectif populaire. En effet, l’idylle de Sayed et Hizya1 est une histoire d’amour racontée, jadis, par les grands-mères à leurs petites-filles, à Biskra, voire dans la région de l’Est algérien. C’est une histoire qui habite l’inconscient collectif de cette région du pays2. D’ailleurs, la narratrice de ce roman hyponyme déclare explicitement, dans l’incipit, que « C’est peut-être en (elle) que le poème danse. Et que dansent les mots de ce poème au nom de femme. Hizya. » (p 11) Habitée par ses paroles et par cette histoire, cette narratrice dès les premières lignes pose la problématique de la construction de l’identité du personnage.
Tout au long du récit, la narratrice se livre à une quête des origines. Origines généalogiques, origines des problèmes, origines des maladies ou origines de sa conception, toutes ces recherches convergent vers la même source, à savoir l’amour : une thématique-leitmotiv du roman. Il faut savoir que le moteur de ce récit est une idylle3 datant du XIX siècle. Cette histoire alimente l’imaginaire de la jeune narratrice et oriente ses pas, à l’instar d’Emma Bovary, vers l’amour, ou vers une quête de l’amour. Pour Christiane Chaulet-Achour, « Hizya est une Emma Bovary qui ne fuit pas le réel dans des romans d’amour, mais dans (un) poème très connu. » (Chaulet-Achour 2015 : 78).
Cette fuite du réel en pleine quête des origines aiguise notre curiosité et oriente notre lecture vers une analyse mythocrique. Nous nous interrogerons sur la présence des mythes notamment à travers le mythe de l’éternel retour. Puis, nous verrons les stratégies de la mythification du personnage-narrateur et le rôle qu’elles jouent dans la construction de son identité.
1. Le mythe en devenir.
Qu’est-ce qu’un mythe ? On ne peut prétendre répondre à cette question dans les quelques pages de cet article. Les avis sur ce sujet diffèrent d’une discipline à l’autre, d’autant plus qu’ils ne sont pas toujours tranchants. De Levi-Strauss à Barthes et de Dumézil à Eliade, les penseurs multiplient les définitions. Nous nous contentons à dire qu’un mythe est une histoire qui appartient à la mémoire populaire, que c’est, justement, la réécriture et les réinterprétations de cette histoire qui en font un mythe au sens que lui donne Barthes. Ce dernier définit, d’ailleurs, le mythe comme « une parole » (Barthes 2002 : 835). En revanche, Mircea Eliade le définit comme étant une histoire vraie appartenant aux temps anciens : « le mythe raconte une histoire sacrée, il relate un événement qui a eu lieu dans le temps primordial » (Eliade 1988 : 16). Cela dit, il serait intéressant d’étudier les diverses représentations de l’histoire d’amour de Hizya dans le roman de Maïssa Bey. Autrement dit, cette histoire est-elle présentée comme un mythe ?
1.1. Hizya serait-elle un mythe ?
D’abord, on voit dès les premières pages que l’instance narrative qualifie l’histoire d’amour inspiratrice de « légende4 ». Ce vocable, récurrent dans le récit, instaure, d’emblée, une atmosphère légendaire. En dépit de la tentative d’authentification de l’histoire originaire à travers les quelques indications historiques, le texte source garde toujours sa dimension fictive.
La narratrice |
La deuxième voix |
« C’est aussi mon prénom. |
« Une légende, c’est quatre-vingt-dix pour cent d’affabulation et dix pour cent de réalité, dans le meilleur des cas. » (p. 18) |
« Cette histoire n’est pas une fiction. Hizya, née dans l’oasis de Sidi Khaled près de Biskra, en 1855 selon les calculs des historiens, et morte à vingt-trois ans, était une Bédouine. » (p. 86) |
« Il faut que tu te mettes bien ça dans la tête : tout ça, c’est du cinéma. » (p. 89) |
Ces deux versions sont dites par deux locuteurs différents5, qui sont, respectivement, la voix de la narratrice et la deuxième voix. Cette double énonciation place le texte dans une démarche de réécriture : le texte premier est, sans cesse, commenté par la deuxième voix. La narratrice cite plusieurs passages du célèbre poème pour que la deuxième voix les lui commente après. Ce jeu de réécriture qu’entreprennent la narratrice et son double semble se faire dans une volonté de mythification.
En effet, l’auteure joue sur les prédispositions du lecteur pour construire son mythe. Elle construit la trame narrative sur la base d’une histoire déjà connue, et de surcroît, elle la rappelle dans l’annexe du roman. Par ce geste, elle s’inscrit, non seulement, dans la perspective de Michel Tournier qui affirme que « Le mythe est une histoire que tout le monde connaît déjà6 », mais aussi dans celle de Barthes pour qui le mythe naît de la réécriture. Nous citons à titre d’exemple un passage où nous pouvons voir les quelques variations existant dans l’écriture et la réécriture de l’histoire
« La file d’Ahmed Ben El Bey. |
« La fille de Hmida brillait, telle l’étoile du matin ; |
En outre, l’évocation de l’adaptation cinématographique, page 33, d’ « un film qui date des années 1970 » et des nombreuses chansons inspirées de cette histoire appuie cette idée et la renforce dans l’esprit du lecteur. Toutes ses versions montrent une histoire appartenant au patrimoine algérien et qui fait partie de la littérature orale. L’évocation du célèbre poète, Mohamed Ben Guittoun, ne fait qu’attester cela.
En somme, il semble indéniable, aujourd’hui, que toute parole peut devenir mythe grâce à la réécriture. La narratrice dans sa recherche des différentes versions de la légende dresse le portrait d’un personnage mythifié7, qui ne garde que l’ossature de son histoire. Ce personnage est « un personnage historique des temps modernes [dont] la mémoire populaire restitue sa signification d’imitateur de l’archétype et de reproducteur des gestes archétypaux. » (Durand 1969 : 76) Autrement dit, Hizya telle qu’elle est évoquée dans le récit de Maïssa Bey incarne le modèle de la femme adorée qui nous renvoie, à son tour, à toute une lignée de femmes arabes citées dans le roman, entre autres « Leila » et « Abla ».
Nous nous référons, ici, à la théorie l’archétype qui, selon Eliade, « transform [e] un personnage historique en héros exemplaire, et l’évènement historique en catégorie mythique » (Eliade 1969 : 211). De ce fait, c’est l’événement qui devient mythe.
On le sait, depuis Levi-Strauss, que tout mythe, aussi variantes soient ses versions, garde toujours ce syntagme minimal, qu’on appelle mythème, en l’occurrence : un homme, Sayed, profondément amoureux pleure sa bien-aimée, la défunte Hizya.
Ainsi, en adoptant la forme d’un mythe, l’histoire évoquée s’élève au rang des histoires sacrées où se mêlent religions et rites. « Chaque fois qu’on répète le rite ou un acte significatif (chasse, etc. ) , on imite le geste archétypal du dieu ou de l’ancêtre, le geste qui a eu lieu à l’origine des temps, c’est-à-dire dans le temps mythique. » (Eliade 1964 : 331) Cela dit, les rites sont connus pour leurs répétitions et leurs retours, ou plutôt leurs éternels retours.
1.2. Le mythe de l’éternel retour
Dans le récit de Maïssa Bey, il est des éléments qui se répètent sans cesse. Le premier élément qu’on retient, c’est le prénom « Hizya » : prénom du personnage principal/ narratrice, prénom de la grand-mère et prénom de la femme légendaire. Ce prénom semble « anhistorique » (Eliade 1969 : 118). Il voyage d’une génération à une autre. Il est le fil qui relie les générations féminines entre elles. Cette caractéristique lui procure une place de choix affirmée, d’ailleurs, par la narratrice. Lorsque sa patronne lui demande de changer de prénom, elle le défend : « (…) puis-je lui dire tout aussi brutalement, en la regardant droit dans les yeux, que j’aime mon prénom ? » (p. 20) ; elle refuse de le changer ; puis elle finit par garder une lettre de ce prénom qui devient Liza. : « Ce fut finalement Liza. Avec un Z, comme dans Hizya. » (p. 22) Cette lettre, Z est, en réalité, significative. Elle est la dernière lettre de l’alphabet français. Elle symboliserait la fin. La fin d’une époque ou bien la fin des temps. Et de-là, le retour de ce prénom pourrait se projeter dans la fin des temps.
D’autre part, les répétitions sont constatées, également, dans les gestes des femmes, notamment de sa mère qui ne rêve que de marier ses filles, puis ses fils pour devenir belle-mère à son tour. Dans ce désir de vouloir faire comme les autres, en l’occurrence les aînées, se cache un désir de s’attacher aux origines, aux débuts. La mère fera comme la belle-mère et la belle-mère comme sa belle-mère et ainsi de suite, dans une chaîne infinie.
D’autant plus que la scène décrite par la narratrice associe le personnage-mère à un espace spécifique, à savoir le patio :
« Ma mère est assise en tailleur sur une peau de mouton. Celle précisément que sortait chaque jour M’ani pour s’asseoir à la même place. Elle est assise dans la même posture qu’elle, adossée au soubassement d’une colonne dans un angle du patio. » (p. 246) (c’est nous qui soulignons)
Cet espace, en effet, se démarque des autres espaces par sa dimension ancestrale. Il se transforme, de ce fait, d’un « espace profane », sans importance, à un « espace sacré » (Eliade 1965), un espace rituel. C’est un espace qui ouvre la porte vers l’au-delà, vers les cieux, pour une communication non prononcée. Et le lien qui assure cette communication n’est autre que les gestes des personnages féminins, et leurs corps.
Dans cette perspective, l’espace sacré serait aussi le magasin. Ironie du sort, Hizya-Liza, la narratrice, rencontre son bien-aimé Riyad dans un magasin d’électronique. Bien avant elle, le mariage de sa grand-mère, Hizya, a été conclu dans un magasin.
On remarque qu’au final la narratrice qui dit vouloir faire comme Hizya, la légende, finit par faire comme Hizya, la grand-mère : la jeune rejoint la vieille. Il faut dire que cela semble, même, prédestiné, dès la naissance de la narratrice. Le teint foncé de la narratrice choque sa famille et surtout sa grand-mère qui
« s’était exclamée en (la) voyant : ‘‘ Une fille ! et brune de surcroît !’’ Elle s’était aussitôt détournée en marmonnant qu’elle ne se voyait pas annoncer à son fils, le père, ces deux mauvaises nouvelles ! La grand-mère ne s’est radoucie que lorsqu’elle a su que cette première petite-fille allait porter son prénom. » (p. 69-70)
Ce passage nous permet de faire deux constats. D’une part, il y a la rencontre de l’enfance avec la vieillesse, du début avec la fin qui ne peut traduire qu’un éternel recommencement du cycle de la vie. On ne naît que pour vieillir, et renaître une deuxième, ou une énième fois. D’autre part, l’exclamation exprimée par la grand-mère traduit une réalité sociale : la marginalité de la femme. Être femme équivaut fait d’être noir, qui est en lui-même un acte raciste. En plus, la carnation claire semble être un des canons de beauté.
« L’essentiel reste, bien entendu, le teint. Critère ancestral de beauté : la blancheur. Lié sans doute, plus ou moins consciemment, au rejet de tout ce qui pourrait évoquer une forme de métissage et remettrait en cause la pureté des origines. » (p. 68) ( c’est nous qui soulignons).
Le teint brun, voire très brun de Hizya lui cause un rejet de la part des membres de sa société et de surcroît de sa propre gent. Mais que peut signifier cette marginalité en présence des personnages ancestraux ?
2. Le mythique composé
Ce n’est pas tout personnage littéraire qui peut devenir mythe. La mythification des personnages se fait par différents moyens. Don Juan et Carmen ont subi ce processus de mythification. Ces deux célèbres personnages littéraires ont épousé les archétypes universaux, l’homme volage et la femme fatale sont des figures qui existent depuis la nuit des temps.
D’autres personnages l’ont subi aussi, sans qu’ils soient aussi célèbres que ces deux derniers, en l’occurrence Hizya-Liza.
2.1. La femme marginale
La femme dans le roman de Maïssa Bey est sous contrôle. La narratrice parle d’une liberté conditionnée, et raconte les épisodes de fouille fréquente de sa mère « (…) ma mère passe au peigne fin tous les coins et recoins de notre chambre. Elle fouille partout. Dans les armoires. Dans et sous les tiroirs. (…)» (p. 44), puis, les rencontres hasardeuses avec les frères qu’elle compare aux « gardes du corps » (p. 24). Sans oublier les autres personnages femmes qui semblent ne chercher que leur liberté : après le mariage ou à travers le mariage : pour respectivement Salima et Sonia, les deux collègues de Hizya-Liza.
D’une part, Salima attend la mort de son époux, possessif et jaloux, pour retrouver une certaine liberté : la liberté de sortir. D’autre part, Sonia ne semble rêver que d’un mariage à l’étranger « Le mariage pour elle n’est pas un but, c’est un moyen. Uniquement. » (p. 92) Un moyen pour quoi pour se libérer des carcans familiaux, de l’étau dans lequel elle se trouve/elles se trouvent prisonnière(s).
En dépit des apparences d’un roman focalisé sur le personnage féminin, les espaces ne sont pas répartis équitablement. « Parce que les hommes sont tous à la mosquée pour le prêche et la prière (environ deux heures de répit) et que cela nous permet d’occuper les lieux en toute liberté. » (p. 13) Incapable d’être l’égale de l’homme, la femme ne peut occuper l’espace qu’en son absence. Incapable, également de lui faire face, la femme, en l’occurrence Salima, insulte son mari après sa mort. Incapable de retrouver la « liberté », Sonia « accepte une décision que d’autres ont prise pour elle. » (p. 273) Cette incapacité s’accompagne d’un refus de communication. Les dialogues sont rares et la communication est, majoritairement, unilatérale : la femme écoute et les autres parlent.
« Ma mère : « Le fils de Saléha la voisine a trente ans. C’est sa sœur Karima qui me l’a dit l’autre jour au marché. C’est le bon âge pour… »
Boumediene : « Kamel, le fils de Saléha notre voisine, vient d’acheter une voiture.
…
Une Mégane blanche, toutes options. Et neuve ! Hier soir, je l’ai vu la garer dans le hangar de Nouri, le mécanicien, à Bab-Azzoun. On est remontés ensemble. »
…
Boumediene ( encore) : (…) » p. 79 (c’est nous qui soulignons)
Ce dialogue unilatéral s’étale sur six pages, où on se demande si Hizya-Liza ne parlait pas ou bien si elle remplaçait ses propos par des points de suspension. Cette interaction communicationnelle, quasi nulle, exclut le personnage féminin du cadre social commun et l’emprisonne dans son espace. En effet, cela fait partie d’un phénomène social plus général, à savoir la marginalité que subissent les femmes dans les sociétés patriarcales, notamment africaines, dont parle, d’ailleurs, Momar Désiré Kane dans son ouvrage Marginalité et errance dans la littérature et le cinéma africain francophone.
D’autant plus que la narratrice semble être une personne étrange : « J’étais donc une fillette qui ne réagissait pas comme les petites filles de son âge et de sa condition. Qui ne voulait pas rentrer dans le rang, même quand on l’y poussait à grands coups de pied. (…) » (p. 217) On sait que l’« Étrange » est toujours exclu par les autres. Ainsi, Hizya semble doublement exclue. En plus de son statut de femme, elle est étrange et folle. Pour Foucault, le fou est, majoritairement, exclu par sa société8. La narratrice explique ce dérèglement par les circonstances de sa conception. Elle nous raconte comment elle a été conçue dans une nuit de colère. Pour elle, cela explique tout : son dérèglement, ses projets fous et même ses penchants poétiques.
La narratrice fait face à toutes ces exclusions en inventant une autre personnalité : plus sociable. Mais en choisissant, également le poème comme refuge « Hizya est tellement grande qu’elle a la tête dans les nuages ! » (p. 217) Elle semble se cacher derrière l’autre afin de vivre son indépendance. Toutefois, cette présence obsessionnelle d’Hizya à côté d’Hizya-Liza, élève cette dernière à un rang plus élevé. Jean Yves Tadié nous apprend que les auteurs font « (…) naître des mythes nouveaux, en confrontant des personnages marginaux de la vie moderne avec des mythes anciens. Le monde retrouve alors son origine magique, son pouvoir d’émerveillement, le caractère sacré que lui redonne la restauration systématique des interdits. » (Tadie 1978 : 25)
C’est, justement, tout l’enjeu de cette présence obsessionnelle d’Hizya. C’est un moyen pour faire naître un nouveau mythe. Et la question qui se pose à ce stade : quel mythe ?
2.2. Un mythe moderne ou post-moderne ?
Loin d’être une héroïne, loin de la femme révoltée, Hizya-Liza choisit de se cacher derrière l’autre. Elle est au sein de la société certes, mais elle est, aussi, ce personnage marginal, un personnage qui n’arrive pas à se faire accepter, tel qu’il est, par son entourage. Et ce personnage marginal est l’opposé même du héros, ce qui en fait un anti-héros obsédé par un héros légendaire. La narratrice se présente comme étant l’opposée de son héroïne. Après avoir cité les vers adressés à Hizya, Hizya-Liza annonce : « Je ne me fais aucune illusion. Celui qui viendra à moi ne pourra jamais déclamer ces vers à mon intention. À moins qu’il ne soit très myope. Ou menteur. » (p. 68) Pour la narratrice, la différence est tellement flagrante qu’elle ne laisse pas l’ombre d’un doute. À cela s’ajoutent les nombreux passages écrits à la forme négative.
« Pas de tourments,
pas de peurs,
pas d’attentes, donc pas de déceptions,
pas de cœur qui tremble,
pas d’émois,
pas de doutes,
de questions sans réponses,
pas d’espérance ni de désespoir,
pas de larmes,
pas de cris,
pas de plaintes,
pas d’insomnies,
pas de désirs, pas de désirs, pas de désirs,
pas d’élans,
pas de folie. » (p. 49)
La négation dans ce passage n’est qu’un exemple d’une négation générale traduisant une négation du passé. Le temps moderne, de ce fait, est l’opposé du temps passé et ancien. Cela nous renvoie au modernisme. Serions-nous face à une œuvre moderne ?
Qu’est-ce que le modernisme ? Pour d’aucun, le modernisme est cette négation du passé, qui va jusqu’à une vacuité de la trame narrative. Effectivement, le récit se présente comme une histoire banale, d’une jeune fille lambda qui cherche l’amour. Elle dit vouloir vivre une histoire d’amour passionnelle, mais elle finit par vivre comme tout le monde. Dans le récit, il n’y a pas de conflit et la narration est limpide. Cet aspect pourrait traduire le modernisme du roman.
Cependant, dans l’histoire il y a des moments de rencontres entre le passé et le présent. D’une part, l’âge du personnage principal, 23 ans et sa taille grande comme « un palmier » (p. 14) ; sont des « point(s) de rencontre » (Eliade 1988 : 30) entre l’ancien et le moderne.
La narratrice déclare au début du récit, « J’aurai bientôt vingt-trois ans. L’âge auquel, selon le poète et les témoins qui ont rapporté son histoire, Hizya, la princesse des sables, l’antilope du désert, s’est éteinte dans les bras de son aimé, il y a de cela près d’un siècle et demi. » (p. 12) Un peu plus tard, elle ajoute en rapportant les dires des autres : « Trop grande, dit-on autour de moi sur un ton désolé, qui voudra toi… » (p. 14) Ainsi, ces deux passages nous permettent de dégager des points de ressemblances entre Hizya et Hizya-Liza.
D’autre part, les nombreuses références du poème au sein du texte en prose, accentuent la dimension post-moderne du roman, qui se présente comme une sorte de « bricolage » (Lyotard 2005 : 114) : un bricolage à la fois narratif et narratologique. Par narratologique, nous entendons instance narrative, à l’instar du personnage, qui semble être composé comme un patchwork, de plusieurs éléments disparates appartenant à différentes époques.
Pour finir
Parvenu à ce point peut-on réponde à la question posée dans l’introduction ? Peut-on parler d’un mythe postmoderne ? Oui, bien évidemment, dans la mesure que l’on parle de toute une ère culturelle postmoderne. Maïssa Bey écrit un roman en s’inspirant d’une histoire d’amour populaire. Elle l’élève au rang des légendes, explicitement, et des mythes, implicitement. Ensuite, elle colorie l’identité de son personnage fictif d’un ton mixte : il épouse tantôt le personnage mythique, et tantôt il le rejette. Ce va-et-vient entre le mythe et le réel, entre l’ancien et le moderne favoriserait la création d’un personnage mythique post-moderne. Sans conflit, sans rejet total et dans une mixité par bribe, elle dépeint un personnage et une trame s’inscrivant dans une postmodernité et définit comme étant « (...) une modernité sans conflit, sans révolte, (…)» (Maulpoix 1991 : 403) Autrement dit, elle serait une modernité conciliée avec l’ancien.