Et le manuel scolaire algérien créa la femme à son image

And the Algerian textbook created the woman in her image

Amel Bakouche

p. 95-114

Amel Bakouche, « Et le manuel scolaire algérien créa la femme à son image », Aleph, Vol. 6 (1) | 2019, 95-114.

Amel Bakouche, « Et le manuel scolaire algérien créa la femme à son image », Aleph [], Vol. 6 (1) | 2019, 25 September 2019, 21 November 2024. URL : https://aleph.edinum.org/1778

La didactique des langues est aujourd’hui en mutation permanente, des changements importants s’opèrent au niveau des méthodes, des techniques et surtout des matériaux employés. Parmi ces matériaux, les manuels scolaires restent les outils de transmission des savoirs les mieux exploités en classe de langue. Ils véhiculent non seulement les savoirs, mais aussi la culture et les valeurs qui s’y rattachent. La plupart des documents utilisés dans les manuels scolaires sont exploités à des fins didactiques, souvent puisés dans la vie réelle de telle façon que l’apprenant puisse établir le lien avec le monde dans lequel il évolue. En réalité, c’est la société dans laquelle nous vivons qui impose par ses traditions et ses coutumes une certaine vision du monde en général et de la femme en particulier.

Cette représentation du monde est figurée consciemment ou non à travers les supports et les activités du manuel. Ainsi, c’est dans l’espace classe qu’on reproduit les clichés et les stéréotypes présents dans la société. La femme, pour sa part, n’échappe pas à ces clichés et stéréotypes vécus au quotidien et relayés dans une certaine mesure par les manuels scolaires. Souvent, l’image de la femme, qui est donnée à lire dans les manuels scolaires correspond au schéma traditionnel de la femme au foyer, dont le rôle social est principalement de s’occuper des tâches ménagères et, au mieux d’occuper un poste d’enseignante ou d’infirmière. En petite fille, elle est également représentée avec l’image de celle qui aide sa maman dans les tâches ménagères et qui s’occupe de ses frères et sœurs. Les apprenants s’identifient souvent aux personnages qu’ils découvrent dans les supports trouvés dans les manuels scolaires surtout s’ils sont accompagnés d’images ou de photos.

Il est nécessaire de revoir le choix de ces documents afin de reconsidérer l’image attribuée à la femme et de se débarrasser des clichés et des stéréotypes qui persistent à la cloisonner dans des rôles mineurs et restreints qui ne lui conviennent plus. Force est de constater que les temps ont changé et qu’il faut s’adapter à l’évolution de la société.

The didactics of languages is nowadays in permanent mutation, important changes are taking place in methods, techniques and especially in the materials used. Among these materials, textbooks remain the most widely used knowledge transmission tools in language classes. They convey not only knowledge but also culture and related values. Most of the materials used in textbooks are used for didactic purposes, often drawn from real life in such a way that the learner can establish the link with the world in which he or she lives. In reality, it is the society in which we live that, through its traditions and customs, imposes a certain vision of the world in general and of women in particular.

This representation of the world is depicted consciously or unconsciously through the materials and activities in the manual. Thus, it is in the classroom space that the clichés and stereotypes present in society are reproduced. Women, for their part, do not escape these clichés and stereotypes experienced on a daily basis and to some extent reflected in school textbooks. Often, the image of women, which is given in school textbooks, corresponds to the traditional pattern of housewives, whose social role is mainly to take care of household tasks and, at best, to hold a teaching or nursing position. As a little girl, she is also represented with the image of the one who helps her mother with household chores and takes care of her brothers and sisters. Learners often identify with the characters they discover in the materials found in textbooks, especially if they are accompanied by pictures or photos.

It is necessary to review the choice of these documents in order to reconsider the image attributed to women and to get rid of the clichés and stereotypes that persist in partitioning them into minor and restricted roles that no longer suit them. It has to be said that times have changed and that we must adapt to the evolution of society.

إن تعليمية اللغات في تحول مستمر، كما تحدث تغيرات هامة على مستوى الاساليب والتقنيات وخاصة المواد المستخدمة. ومن بين هذه المواد لا تزال الكتب المدرسية هي أدوات نقل المعرفة الأفضل والاكثر استغلالا في اقسام اللغات فهي لا تنقل المعرفة فحسب، وإنما أيضا الثقافة والقيم المرتبطة بها. وتستغل معظم المواد المستخدمة في الكتب المدرسية لأغراض تعليمية وغالبا ما تستمد من الحياة الحقيقية بطريقة تمكن المتعلم من التواصل مع العالم الذي يعيش فيه.

في الواقع إن المجتمع الذي نعيش فيه هو من يفرض عبر تقاليده وعاداته رؤية محددة لكل شيء، والواقع أنه تتم إعادة إنتاج القوالب النمطية الموجودة في المجتمع أثناء الصف الدراسي.

المرأة من جانبها، هي جزء من هذا الاستنساخ الذي صنع منها في الكتب المدرسية. إذ يتم تمثيلها في غالب الاحيان كنموذج تقليدي، حيث تظهر غالبا في المنزل مهتمة بالمهام المنزلية او قد يتم تنزيلها الى دور محدد يقتصر على كونها معلمة أو ممرضة. وكفتاة صغيرة هي تظهر أيضا في صورة الفتاة التي تساعد أمها في المهام المنزلية أو تعتني بإخوتها وأخواتها. وغالبا ما يرى المتعلمون أنفسهم في الشخصيات التي يكتشفونها في الكتب المدرسية خاصة إذا كانت مصحوبة بوثائق وصور. ومن الضروري إعادة النظر في اختيار هذه الوثائق من أجل إعادة النظر في الصورة المنسوبة إلى المرأة والتخلص من القوالب النمطية التي لا تزال تدرج المرأة في أدوار محددة ومقيدة لم تعد تناسبها، لأنه يجب الاعتراف بأن العصور قد تغيرت، وأنه من الضروري التكيف مع تطور المجتمع.

Introduction

Le manuel scolaire a de tout temps été l’outil privilégié et le complément indispensable de l’enseignement/apprentissage des langues. Il est constitué d’un ensemble de textes et d’activités conçus et organisés en fonction d’impératifs scientifiques, méthodologiques, sociopolitiques ou culturels. Comme tout texte, ceux des manuels sont marqués et véhiculent intentionnellement ou pas une certaine vision du monde. Ils sont immanquablement idéologiquement marqués.

Appareil idéologique d’état, l’école s’est dotée d’un outil, le manuel scolaire, pour perpétrer la pensée dominante et favoriser une circulation des idées qui traversent le corps social dont il est le reflet.

Dans les pays démocratiques où l’enseignant dispose d’une certaine liberté pédagogique qui lui permet de se servir du manuel ou de choisir d’autres supports pour mettre en œuvre les programmes officiels, chaque maison d’édition met sur le marché son manuel. Les boites des enseignants, chaque fin d’année débordent de spécimens mis à leur disposition par les maisons d’édition espérant chacune gagner sa part de marché.

Dans les pays non démocratiques, il n’est mis sur le marché qu’un seul manuel par niveau et par matière et les enseignants ne disposent que d’une liberté très surveillée quant au choix des supports. Il opère comme un moyen d’endoctrinement de masses et les enseignants sans le vouloir se transforment en agents de la pensée unique.

C’est ainsi, en Algérie, le manuel est non seulement le reflet d’un certain mode de vie, aujourd’hui décrié, mais aussi d’un monde idéalisé et de la volonté : il est en un mot le lieu où se cristallisent les contradictions qui travaillent en profondeur les sociétés algériennes et celui où s’actualisent les orientations dictées par le pouvoir politique. C’est l’espace qui reçoit en même temps ce qui est et ce que la volonté politique voudrait que la société soit.

Dans le cadre de cette contribution, nous montrerons, à partir d’entretiens semi-dirigés, l’image de la femme que donnent à lire les textes des manuels scolaires algériens, de l’école primaire au secondaire.

Avant de nous engager dans le vif de notre sujet, rappelons brièvement l’évolution des manuels scolaires depuis leur apparition à ce jour.

1. Un peu d’histoire

Le manuel scolaire est considéré au XIXe siècle comme un ouvrage didactique, maniable qui rassemble les connaissances d’un programme scolaire destiné aux apprenants de tous les cycles (primaire, moyen et secondaire). Il comprend, selon Alain Choppin, des exercices accompagnés de consignes pédagogiques et des indications de lecture. Son apparition coïncide avec l’invention de la presse à imprimer en 1454, mais ce n’est qu’en 1470 qu’est publié le premier manuel scolaire français.

Il prend son véritable essor en 1792 lorsque les révolutionnaires Lakanal et Condorcet envisagent l’édition financée par la Nation et lorsque le ministre Guizot en commande en 1833 à des éditeurs tels que Hachette, déjà.

À partir de 1870, de rares ouvrages sont destinés à l’éducation des enfants sont publiés. L’origine religieuse du manuel scolaire lui attribuera durant plusieurs années une fonction d’enseignement de valeurs morales. Ce n’est qu’à partir du XIXe siècle que la vision pédagogique a changé, puis grâce aux différentes décisions de Jules Ferry (Décret de 1890) vers la fin du même siècle qu’on a eu recours à des livres pour l’éducation et l’enseignement.

En 1950, une nouvelle génération de manuels fait son apparition afin de les adapter à l’évolution des méthodes d’apprentissage : on favorise alors les auteurs contemporains. Les activités pratiques vont prendre plus de place que les cours magistraux, rendant ainsi la participation des élèves plus active.

Grâce au développement technologique, les manuels scolaires sont aujourd’hui plus attractifs. Achetés par les élèves ou prêtés par les établissements scolaires, ils recouvrent des matières générales ou spécialisées dans les différents paliers (le primaire, le moyen ou le secondaire).

En Algérie, jusqu’à ces dernières années où il a été donné la possibilité à des maisons d’édition comme l’ENAG ou Chihab d’imprimer les manuels scolaires, la conception, l’impression et la mise en circulation des manuels scolaires revenaient à l’ONPS (office national des publications scolaires), maison d’édition relevant du Ministère de l’Éducation Nationale.

Et même s’il souffle un vent de liberté du marché, la liberté pédagogique n’est toujours pas au rendez-vous, la conception et la mise sur le marché d’un manuel scolaire sont assujetties à la décision de l’IPN, institut de la pédagogie nationale, seul organisme habileté à donner l’autorisation de la mise sur le marché du manuel scolaire.

2. L’Algérie des manuels et le triomphe du poncif

2.1. Structure d’un manuel scolaire de français en Algérie

Le manuel est structuré en fonction de la méthodologie dont il relève : il est divisé en unités didactiques, linguistiques, communicatives, ou en projets. D’une manière générale, la structure du manuel scolaire se présente de sorte que l’apprenant évolue d’une façon aisée du fait qu’il connait à l’avance ce qu’il va réaliser en termes d’activités. La structure est explicite et conçue de sorte qu’elle soit accessible aux apprenants.

Le manuel met à la disposition des apprenants des informations et des moyens de les traiter afin de pouvoir se les approprier et les réinvestir. Les textes des manuels, particulièrement les plus récents, sont, en majorité, tirés du vécu de l’élève et sont en lien avec la société et l’environnement au sens large.

Comme tous les supports textuels (livres, journaux, autres…), les manuels scolaires deviennent objets de recherche en sciences sociales, particulièrement en didactique. L’usage des mots, de leur nombre dans une page, la cohérence des textes, le choix et la position des illustrations sont minutieusement étudiés selon l’éthique et la morale de la société par des spécialistes (didacticiens, pédagogues, psychologues…).

2.2. Les poncifs à l’œuvre

L’Algérie qu’on veut dépeindre dans les manuels scolaires est une Algérie incarnée selon le modèle traditionnel où chacun a sa place, où l’homme est au travail, la femme « aux fourneaux » et les enfants à l’école. Ces clichés et ces stéréotypes notamment sur la femme qui y figurent sous différentes formes alimentent l’imaginaire de l’apprenant et façonnent son idéologie. Les apprenants se retrouvent aisément dans les manuels scolaires qui « ont un rôle dans la formation des normes et des opinions… (Fontani, 2007 : 23) et se projettent dans la peau des personnages qui s’y trouvent. Il s’identifie à eux et se réalise par lieutenance dans leur monde. Le stéréotype faisant foi alimente ainsi l’imaginaire des élèves qui construisent un raccourci pour entendre leur monde et le pensable.

Outre la fonction première qui est d’exposer des savoirs et des savoir-faire que les apprenants acquièrent, le manuel scolaire a également une autre fonction socialisante qui est de diffuser des modèles sociaux. Dans les pays démocratiques, à partir de ces modèles, l’enfant développe un esprit critique qui l’incite à réfléchir sur le monde dans lequel il vit et dans lequel il évolue. Mais dans le monde où la démocrature est la référence, l’instituteur devient le prophète de la doxa et le manuel son livre de prières.

Les apprenants peuvent s’identifier aux personnages qu’ils découvrent dans les supports trouvés dans les manuels scolaires, surtout si ces derniers sont accompagnés d’images ou de photos. Cette pratique pédagogique par inférence les invite à construire leur propre univers d’imagination basé sur les clichés et les stéréotypes qu’on s’efforce de leur inculquer consciemment ou non.

Par ailleurs, les apprenants, dès leur première année scolaire, idéalisent les premiers livres auxquels ils ont accès et les trouvent irréprochables. Fontani ajoute à ce sujet ; « Les enfants estiment souvent qu’ils ne peuvent pas comporter d’erreur, qu’ils sont infaillibles » (Fontanini, 2007 : 42). Le livre est sacré tant qu’il reste inaccessible.

Dans cette étude, nous montrerons comment ces clichés sont reproduits et véhiculés par l’école. Comment la gent féminine est-elle représentée dans les manuels de lecture des trois paliers autour desquels l’école algérienne se structure : primaire, moyen et secondaire en Algérie ?

En examinant les manuels scolaires des trois cycles, et de tous les niveaux, nous constatons que c’est seulement dans le manuel du cycle primaire que la femme apparait le plus souvent. Dans les deux autres cycles (moyen et secondaire), elle n’y apparait que rarement. C’est pour cette raison que nous avons axé notre étude en priorité sur le cycle primaire.

Dans ce cycle (le primaire), l’âge des enfants varie entre 6 et 10 ans, une étape de la vie où l’enfant s’identifie aux personnages qu’il découvre autour de lui. À cet âge, il intériorise tout ce qu’on lui présente. Les images dont il s’imprègne ont un fort impact dans le développement de sa personnalité.

2.2.1. Au primaire : le refuge dans le continent maternel

La définition de la femme diffère selon les individus. Chacun possède sa propre représentation, sa propre image, sa propre définition. On entend souvent dire que « La femme est le complément de l’homme », que « la femme est l’avenir de l’homme1 » comme le rappelle Jean Ferrat dans sa célèbre chanson rappelant le poème non moins célèbre d’Aragon ou encore que « Sans la femme, l’aurore et le soir de la vie seraient sans secours et son midi sans plaisir ». (Boiste 1843)

Des penseurs et des écrivains ont fait de la femme le principal sujet de leurs écrits avec chacun sa vision, plus ou moins positive. Mais qu’en est-il des enfants/apprenants ? Quelle est leur conception de la femme ? Comment des élèves du cycle primaire interprètent-ils l’image de la femme ?

2.2.1.1. De la bouche des enfants

Pour comprendre ce que pouvait inspirer le mot « femme » chez les enfants, en particulier les plus jeunes, nous sommes allées à leur rencontre. Nous avons choisi d’interroger quelques élèves de l’école primaire Ibn Khaldoun (Ouled Aich, wilaya de Blida) au cours d’un entretien semi-dirigé. Nous voulions par cette démarche connaitre leurs représentations. Pour ce faire, nous avons essayé de les mettre en confiance et nous les avons laissé s’exprimer librement en leur expliquant ce qu’on attendait d’eux.

  • Mehdi 10 ans : la femme fait le ménage et reste à la maison. Elle fait le « ftour » à ses enfants et ne travaille pas.

  • Hind 10 ans : la femme travaille à la maison. Elle doit faire les courses, faire à manger, laver les vêtements de toute la famille.

  • Maroua 9 ans : la femme travaille pour avoir de l’argent et nourrir ses enfants. Elle est forte et a du courage.

  • Asma 9 ans : la femme est le contraire de l’homme. Elle prépare les repas, mais elle conduit aussi pour emmener ses enfants à la piscine.

  • Amani, 8 ans : la femme est jolie et c’est pour cela qu’on célèbre la fête des femmes.

  • Maya 8 ans : la femme fait la vaisselle et élève ses enfants. Elle travaille et fait du sport et voyage beaucoup. C’est une héroïne.

  • Lorsqu’on a demandé à Darine 8 ans ce que le mot femme pouvait lui suggérer, elle nous a dit : « Maman. Maman est gentille, elle m’aide à faire mes devoirs, elle m’emmène à l’école et au parc pour m’amuser. »

À partir de ces « témoignages », on peut remarquer les divergences d’opinions de ces enfants qui ne rapportent finalement que la réalité qui les entoure. Prenons l’exemple de Maroua, orpheline de père, aviateur décédé. C’est sa mère seule, à la suite du décès du père, qui a dû la prendre en charge et subvenir à ses besoins, elle et le reste de la petite famille.

Pour Mehdi, l’idée que la femme travaille ne lui traverse même pas l’esprit. Cette attitude s’explique par son environnement familial. En effet, lorsqu’on convoque la mère à l’école, c’est toujours le père qui vient à sa place. On n’a jamais rencontré la mère de l’élève. Ceci montre le rôle et la place qu’occupe la femme au sein de cette famille.

La maman de Maya est avocate. Elle est sur tous les fronts ; elle voyage deux à trois fois par an, mais elle est toujours présente pour ses filles (Maya et Amel) d’où la dénomination d’héroïne de la part de Maya.

Darine a immédiatement pensé à sa mère quand on lui a demandé ce que représentait la femme pour elle. Benjamine d’une lignée de frères et sœurs, elle est choyée par sa maman, qui est toujours aux petits soins pour bien gâter cette dernière.

Il est aisé de remarquer combien l’environnement social dans lequel grandit l’enfant a un impact considérable sur sa vision de la vie familiale en général et sur la vision de la femme en particulier et combien le milieu et le climat dans lequel évolue l’enfant influent sur son propre avenir. L’horizon de la femme est, dans la plupart des cas, réduit au seul exercice de la quotidienneté : ménage, repas, courses. Néanmoins, l’espoir est présent du fait qu’on entend dire de la bouche des enfants que la femme voyage, conduit et travaille. Du fait de leur innocence et de leur spontanéité, les enfants ne dévoilent, la plupart du temps, que des réalités vécues et, dans notre cas, ces dernières montrent une évolution certaine de l’image de la femme. Les propos recueillis montrent que la femme mineure, subalterne, peu autonome coexiste avec la femme responsable, capable de se prendre en charge.

Nous avons également interrogé l’enseignante de français à propos des représentations de la femme qu’elle croit déceler dans les manuels du primaire. L’enseignante affirme :

« Étant enseignante de français au cycle primaire, je pense que non seulement l’entourage de l’apprenant joue un rôle primordial dans sa représentation des choses et des personnes, mais avouons-le, les manuels scolaires reflètent une image assez traditionnelle de la femme, toujours au même endroit (maison) à s’occuper de tâches ménagères ».

Certes, il y a quelques illustrations qui présentent la femme sous un nouvel angle, en tant que maitresse à l’école ou au volant d’une voiture, mais ceci demeure insuffisant pour donner une image valorisante de la femme. L’inexistence de textes valorisant la femme active et l’absence de référence à la femme outre son rôle de mère, de ménagère n’incitent pas l’apprenant à porter un regard neuf sur la femme. La femme n’est que lorsque la mère advient et même quand les manuels lui concèdent la possibilité d’être enseignante, c’est encore dans un rôle maternant qu’elle est valorisée.

En se référant exclusivement au manuel scolaire, les enseignants ne semblent pas prendre conscience qu’ils contribuent eux-mêmes à donner une image dévalorisée de la femme, comme semble le confirmer cette enseignante qui ajoute :

« Et maintenant que j’y pense, la plupart des supports sur lesquels on travaille les points de langue restreignent la responsabilité des femmes aux tâches domestiques : Maman prépare le gâteau. Ma mère est à la maison. Maman appelle ses sœurs pour manger des crêpes.
Assez curieux quand je pense que moi-même je donnais ce genre d’exemple en classe. »

Comme le montrent les exemples ci-dessus, la femme est enfermée dans des clichés tenaces même si l’émancipation de la femme algérienne est aujourd’hui une réalité indubitable. Comme le disait Baudelaire, « le génie, c’est l’invention du cliché. ». Ce dernier correspond à ce que les scientifiques nomment « généralisations empiriques ». En voici quelques-uns des plus connus : « les Chinois mangent du chien », « les Belges mangent des frites toute la journée » ou encore « tous les Algériens sont nerveux ». Qu’ils soient positifs ou négatifs, les stéréotypes ont un impact considérable sur l’environnement social et sur l’évolution de l’individu. Les textes des manuels scolaires algériens reprennent de nombreux clichés comme en témoigne par exemple le projet 1 de la 5AP (page 5) qui traite des « métiers » où on présente une image dévalorisée de la femme qu’on montrera à travers les illustrations tirées de ce projet.

Que ce soit sur le plan professionnel, familial ou scolaire, les stéréotypes sur la place adéquate des femmes et des hommes restent constants dans plusieurs pays, notamment en Algérie. En effet, dans notre pays, la femme algérienne demeure sujette à des stéréotypes et des « on-dit ». Elle est toujours prisonnière des clichés du genre : « les hommes conduisent mieux que les femmes », « les filles sont nulles en mathématiques », « les femmes doivent rester au foyer (pour la cuisine, le ménage et le repassage…) », « un homme a naturellement plus d’autorité ».

Comme on le voit, le sexisme prend une bonne part dans les représentations sociales au point où les clichés remplacent le bon sens et la réflexion. Ils impriment mieux et constituent de fait le raccourci à partir duquel le monde peut être entendu.

2. 2.1.2. L’image au secours des mots

Voyons comment les illustrations du manuel de 3e AP présentent la femme algérienne.

Celles des pages 49 et 51 montrent qu’il est octroyé à première vue à la femme des rôles secondaires, souvent à la maison, à la cuisine ou dans le jardin à l’image de la femme traditionnelle, mais très peu dans le lieu de travail. En plus clair, ces manuels font l’éloge de la femme au foyer et donnent aux élèves l’image d’une femme vouée à faire des tâches ménagères et à s’occuper de tous les membres de la famille. La mère, il n’y a que la mère qui est femme, toutes les autres ne sont encore rien.

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À travers les illustrations suivantes (p.66, p.33/3e AP), le père (l’homme) emmène sa fille au parc, ou son fils à la plage, mais sans la mère (la femme). Cela suppose qu’elle est à la maison en train de préparer le déjeuner ou le diner et d’attendre leur retour. Il est significatif qu’elle n’accompagne pas son mari et ses enfants dans les lieux publics. Son absence dans ces illustrations, on le voit bien, est flagrante et renforce par cela même l’idée que sa place est au foyer.

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Néanmoins, on observe aussi la femme sur un lieu de travail : l’école, seul lieu extérieur au foyer consenti à la femme. La maitresse de maison cède un instant la place à la maitresse d’école : l’illusion bat son plein et produit un discours idéologique plus pernicieux encore. Même maitresse, l’enseignante demeure une femme à laquelle in fine, il n’est permis en dehors de la blouse blanche, de ne se draper que du tablier de cuisine. Le glissement sémantique permet la digression et finit par ramener la maitresse à la maison. Comme si l’école est le seul lieu où elle peut exercer, un milieu sain et respectable. L’école devient alors son espace de liberté, un espace à travers lequel elle peut s’affirmer en tant qu’être ayant sa place dans le monde du travail et participer au développement de son pays en apportant l’instruction et l’éducation aux enfants.

La maitresse ou l’enseignante avec un tablier blanc est dans sa classe face à ses apprenants, qui sont tous des enfants. (p.11, p.15, p.31/3e AP).

La maitresse ou l’enseignante avec un tablier blanc est dans sa classe face à ses apprenants, qui sont tous des enfants. (p.11, p.15, p.31/3e AP).

Dans une autre séquence, la femme « traditionnelle » laisse place à la femme « moderne ». Les illustrations la montrent au volant d’une voiture, elle est aussi bibliothécaire et détient plus de responsabilités : chercher son enfant à l’école, faire les courses, aller au travail. (p.15, p. 26/3e AP). Mais, elle n’est jamais autre que maman. Une femme n’est que lorsqu’elle est mère. Et c’est la fête des Mères qui est évoquée est non pas celle des femmes à qui au demeurant l’institution scolaire fait sa fête.

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L’idéologie encore à l’œuvre. L’image obsolète qu’on donnait dans les manuels scolaires notamment la répartition inégale des rôles entre hommes et femmes dans la société semble laisser place à une image plus actuelle reflétant ainsi la femme active et « indépendante ». Mais le code éthique et esthétique qui sous-tend l’émergence de cette représentation tient aussi et surtout de la considération que le travail d’enseignante est un travail noble et « propre ».

Par ailleurs, le texte « Un métier : sauver des vies » raconte que la femme peut aussi exercer le métier de pompier. Lorsque l’auteur dit : « les pompiers sont des hommes et des femmes jeunes, très sportifs... », c’est la responsabilité des ressources humaines qu’il fait valoir. La femme est aussi forte et courageuse que l’homme. En faisant paraitre ce texte dans le manuel scolaire de la 5e AP, il est laissé entendre que la société change et que l’institution œuvre dans le sens de cette évolution du statut de la femme. Là encore, c’est un homme qui parle de la femme qui n’est dans ce rôle qu’un délocuté, un être dont on peut parler sans plus.

Dans l’ensemble, la majorité des illustrations des manuels du primaire présentent la femme avec tous les clichés la réduisant au statut de mineure, la confinant dans son rôle de femme au foyer. Seules quelques images, comme par volonté de l’émanciper, parfois exagérément, la veulent moderne, de son temps dans un tableau en trompe-l’œil.

2.2.2. Au moyen et au secondaire : du conte à la glorification

Quand on observe les contenus des ouvrages du cycle moyen, l’existence de la femme se réduit à quelques récits écrits par Taos Amrouche (des contes qui n’ont pas spécialement pour thème la femme).

Aussi les supports de textes sur lesquels travaille l’élève sont pour la plupart extraits de romans, d’articles de presse, de nouvelles ou de contes produits par des auteurs masculins.

Elle cesse d’être pour devenir ce que le récit veut bien faire d’elle. De personne, la femme est posée dans la virtualité pour devenir un personnage de conte merveilleux ou de romans.

Dans le secondaire, le manuel de 1re AS ne fait pas de la femme : elle est tout simplement niée pour revenir dans les manuels de 2e AS et de 3e AS, sous la forme de combattantes, de femmes engagées dans la révolution algérienne. Elles sont évoquées à travers des poèmes et quelques extraits de romans.

Ainsi, en 2e AS, un poème de Nadia Guendouz, dans la partie florilège du manuel à la page 222 (Alger, 22/02/1963) fait implicitement l’éloge des martyres et introduit l’admiration de l’auteure pour ces héroïnes de la Révolution. Dans un autre poème (page 216), toujours dans la même séquence, Zhor Zerari (1958) manifeste son désir de voir une Algérie libre et indépendante. Enfin, un poème (page 219) de Mohammed Dib, Ombre Gardienne (1956), évoque le rôle et les sacrifices de la femme algérienne durant la guerre d’Algérie. 

Pour la 3e AS, dans la séquence Témoignage historique, un texte (page 35) de Mahfoud Kaddache, Récits de Feu (1976) qui s’intitule Femmes algériennes dans les camps raconte le quotidien de quelques détenues algériennes, combattantes dans les camps français. Un texte (page 53), extrait de Mémoire collective de Mohamed Harbi et Benjamin Stora (2004) repris par Taleb Ibrahimi, relate toutes les tâches accomplies en silence par les Algériennes durant la guerre. 

Qu’elle soit personnage d’un conte ou d’un roman ou qu’elle soit une figure de la révolution algérienne, le manuel la présente en glorification, en la mythifiant : les textes choisis ne réfèrent que de manière superficielle au rôle de la femme dans l’histoire de la Révolution algérienne.

Si les femmes sont très peu présentes dans les manuels scolaires du cycle moyen et secondaire, les hommes, eux par contre, occupent tout l’espace des manuels.

Conclusion

À ce jour, les femmes sont soit exclues, soit sous- représentées dans les manuels scolaires algériens en comparaison avec la présence permanente du genre masculin qui prédomine. Et même si elles existent, leur présence est toujours liée au masculin, ce qui ne fait que renforcer les clichés et les stéréotypes.

La femme les traverse dans un parcours qui la montre comme mère et quand elle ne l’est pas, elle est totalement virtualisée pour se draper de l’habit d’héroïne de la révolution ou de la littérature. La femme est un héros au foyer et dans les histoires pour enfants. Voilà ce à quoi les manuels du cycle primaire au secondaire réduisent ce qu’est la femme et ce qu’elle devrait être.

Le manuel scolaire, qui est finalement le reflet de la société dans laquelle nous vivons et nous évoluons, reproduit les clichés et les stéréotypes qui s’y trouvent sans pour autant rendre compte de la complexité qui la caractérise. La vie sociale y est évoquée de manière imparfaite ou partiale.

La lutte contre les inégalités des sexes et le rapport de domination des hommes sur les femmes doit commencer par le système éducatif. C’est à travers les manuels scolaires, vecteurs d’éducation et de socialisation qu’on peut changer l’image de la femme, qui reste jusqu’à présent victime des préjugés et des stéréotypes2.

Il est impératif que l’école algérienne, lieu incontournable dans l’éducation et le développement de la personnalité de l’individu, formatrice du citoyen de demain, contribue à reconsidérer, voire à améliorer, l’image de la femme, sa place dans la société et le rôle qu’elle y joue. Que l’école s’émancipe des servitudes de la société qu’elle doit construire.

1 Pour l’analyse de ces énoncés, voir l’article de Mahraoui Abdelkrim et de Zenati Djamel dans ce même volume,

2 Cette construction est analysée dans le détail ans l’article de A. Mahraoui et D. Zenati que nous avions cité plus haut.

Choppin, A. (1992). Manuels scolaires : histoire d’actualité, Paris : Hachette.

Dubragel, B. (1992). Imaginaire et pédagogie : de l’iconoclasme scolaire à la culture des songes, Toulouse : éd. Privat.

Fontani, C. (2007). Les manuels de lecture de CP sont-ils encore ? Actualité de la recherche en éducation et en formation. Strasbourg. 

Manuel de français de 1re AM, office nationale des publications ONPS, 2007.

Manuel de français de 2e AM, office national des publications ONPS, 2007

Manuel de français de 3e AM, office national des publications ONPS, 2007.

Manuel de français de 4e AM, office national des publications ONPS, 2007.

Manuel de français de 1re AS, office national des publications ONPS, 2013/2014.

Manuel de français de 2e AS, office national des publications ONPS, 2013/2014.

Manuel de français de 3e AS, office national des publications ONPS, 2013/2014.

Ministère de l’Éducation Nationale. (2008), Mon Premier Livre de français 3e année primaire,

Ministère de l’Éducation Nationale. (2012/2013), Mon Livre de français 4e année primaire.

Ministère de L’Éducation Nationale. (2012/2013), Mon Livre de français 5e année primaire.

Perrenoud, Ph. (2012). Quand l’école prétend préparer à la vie, E S F édition.

1 Pour l’analyse de ces énoncés, voir l’article de Mahraoui Abdelkrim et de Zenati Djamel dans ce même volume,

2 Cette construction est analysée dans le détail ans l’article de A. Mahraoui et D. Zenati que nous avions cité plus haut.

La maitresse ou l’enseignante avec un tablier blanc est dans sa classe face à ses apprenants, qui sont tous des enfants. (p.11, p.15, p.31/3e AP).

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