Analyse sémiotique d’un corpus publicitaire : identification des valeurs de marque

Stambouli khadidja

p. 203--215

Stambouli khadidja, « Analyse sémiotique d’un corpus publicitaire : identification des valeurs de marque  », Aleph, Vol. 6 (1) | 2019, 203--215.

Stambouli khadidja, « Analyse sémiotique d’un corpus publicitaire : identification des valeurs de marque  », Aleph [], Vol. 6 (1) | 2019, 25 September 2019, 28 March 2024. URL : https://aleph.edinum.org/1704

Une affiche publicitaire est constituée de signes iconiques (les objets du monde), de signes plastiques et de signes linguistiques. En se basant sur l’approche sémiotique, ces constituants nous permettent à travers leurs combinaisons de comprendre le fonctionnement de l’affiche et le lien qu’ils s’entretiennent, dans la conception de leurs images, avec les systèmes de valeurs à travers lequel nous définirions la cible visée. L’image publicitaire peut être considérée comme un système de communication, système composé d’unités qui sont aussi des signes qui vont interagir pour signifier.

An advertising poster is established of iconic signs (the objects of the world), of plastic signs and linguistic signs. By basing itself on the semiotic approach, they allow us through their combinations to understand the functioning of the poster and the link that they speak, in the design of their images, to the value systems through whom we would define the aimed target. The advertising image can be considered a system of communication, system compound of units which are also signs which are going to interact to mean.

advertising poster ; semiotic ; value system ; target audience.

يتألف الملصق الإعلان من علامات مبدعة (كائنات من العالم)، وعلامات بلاستيكية وعلامات لغوية. واستناداً إلى النهج السيميائي، تسمح لنا هذه المكونات ، من خلال مجموعاتها ، بفهم عمل الملصق والرابط بينهم ، في مفهوم صورها ، مع أنظمة القيم التي من خلالها سنحدد الهدف. يمكن اعتبار الصورة الإعلانية بمثابة نظام اتصالات ، وهو نظام يتكون من وحدات تعتبر أيضًا علامات تتفاعل للدلالة.

Introduction

Même si la publicité est motivée essentiellement par des visées commerciales, elle contribue, par la portée idéologique des messages diffusés à modeler la société à l’image que les communicants et les classes qu’ils servent veulent bien qu’elle devienne

La publicité érigée en système d’information est en même temps un système de promotion d’un produit matériel qu’un instrument idéologique révélant les manques à être du public auquel elle s’adresse.

Ainsi, dans nos sociétés de l’image triomphante, la publicité exerce sur nous toutes les fascinations possibles au point de constituer le lieu de brillance de la civilisation qui nous interpelle au quotidien. Qu’on le veuille ou non, de notre plein gré ou à notre insu, elle envahit nos vies et manipule nos désirs et nos habitudes de consommation. Vil commerce ou art au service de la vie économique, la publicité est un excellent moyen d’accéder au contexte culturel d’une société, de regarder vivre des représentations collectives, de percer un imaginaire.

1. La publicité, miroir du monde

Notre réflexion prend appui sur une assertion, aujourd’hui communément admise, selon laquelle la publicité est une représentation culturelle assez fidèle du groupe social auquel elle s’adresse.

En suivant le long développement que propose B. Cathelat, nous découvrons qu’il est possible d’étudier une société à travers sa production technologique et artistique et qu’il est aussi concevable de la pénétrer par ses modes de consommation

« car l’achat engage l’individu tout entier comme personne et atome social. Conduite adaptative, la consommation est manière d’être aujourd’hui au monde. Et la publicité en est le double reflet au niveau conscient des modes de vie et de pensée et au niveau inconscient des valeurs et des idéaux » (Cathelat 2001 : 233).

Rien, selon lui, ni l’image ni le slogan, ni le gag ni la démonstration, ni l’originalité d’une situation ni le caractère d’un mannequin, ni le « jamais vu » d’une situation ni le swing d’un jingle, ni l’esthétisme d’une photographie ni la mode d’un graphisme n’a de valeur en soi, tout est fait de telle sorte que la publicité, produit de la culture, en soit également le miroir. D’où sa conclusion : « toute publicité, pour qui veut la décoder, offre un modèle de culture » (2001 : 268).

L. Porcher, quant à lui, déclare, dans un travail réalisé exclusivement sur des images publicitaires fixes, avec autant de force assertive, que « l’image publicitaire peut exprimer la totalité d’une “culture” déterminée à un moment historique donné et en un lieu donné » (1976 : 120). R. Barthes (1985 : 248), pour sa part, affirme qu’« en touchant le produit par le langage publicitaire, les hommes lui donnent du sens et transforment ainsi son simple usage en expérience de l’esprit ».

La publicité est donc une sorte de lucarne à travers laquelle l’univers se donne à voir, un lieu à partir duquel il est possible d’observer le spectacle du monde, de comprendre les enjeux qui le travaillent en profondeur et le jeu de ses acteurs sociaux.

En se servant des outils propres à l’analyse sémiotique, il est possible de parvenir à parler de la culture et de réaliser une communication culturelle à travers une mise en mots des indices culturels relevés dans l’image du corpus. Ces derniers appartiennent à la culture de l’image telle qu’elle est ancrée dans un univers culturel donné.

D’outil pour la promotion commerciale, la publicité, dans les sociétés démocratiques, joue un rôle de plus en plus prépondérant dans ce qu’il convient d’appeler « l’intégration sociale ».

2. La sémiotique et l’analyse de la publicité

En considérant la publicité comme objet sémiotique nous nous sommes pris pour socle la longue réflexion établie par J-M. Floch en 20021 dans laquelle il expose, à travers plusieurs études, la pertinence du recours à la sémiotique pour comprendre le processus à l’œuvre dans la fabrication du sens dans des discours en relation avec le marketing.

L’approche de la sémiotique appliquée à la communication et au marketing s’intéresse essentiellement aux valeurs de marque2 véhiculées par le discours. L’axiologie et l’esthétique sont les points de vue à partir desquels les analyses de la communication publicitaire, présentées ici, se construisent. Ces dernières tireront également un immense profit de la mise en œuvre du carré sémiotique propre à A. Greimas (1968) et largement exploité et augmenté par J-M. Floch. Ce dernier englobe les quatre types de valorisations qu’un discours publicitaire pourrait scénariser :

  • La valorisation « pratique » relative à des valeurs d’usage (fiabilité, maniabilité, autonomie, volume du coffre de la voiture, par exemple) 

  • Son contraire, la valorisation « utopique » qui renvoie à des valeurs de base ancrées dans la subjectivité et l’imaginaire (identité rêvée, personnalité idéalisée dont on propose la réalisation par l’usage du produit, lui-même idéalisé… etc.) 

  • La position contradictoire de 1, la valorisation « hédonique », qui insiste sur le caractère ludique et divertissant de l’usage de l’objet 

  • La valorisation « critique », contraire de 3 et contradictoire de 1 renvoie à une démarche rationnelle d’évaluation de la pertinence de l’achat, à travers des critères tels que la relation qualité-prix.

3. Corpus et analyse

Nous avons choisi d’effectuer une analyse de quatre publicités différentes. Si la méthodologie employée peut se révéler opératoire sur un corpus plus large, les conclusions de l’étude quant à elles ne s’appliquent qu’au seul échantillon de notre étude. Elles ne souffrent aucune généralisation.

3.1. Djezzy est à l’écoute de ceux qui parlent.

Affiche n° 1 : DJEZZY, ce qui compte pour mon entreprise, c’est un partenaire qui nous comprend.

Affiche n° 1 : DJEZZY, ce qui compte pour mon entreprise, c’est un partenaire qui nous comprend.

L’image met en scène un personnage féminin qui occupe les trois quarts de cette image. Distinguée, elle arbore un sourire de satisfaction. À droite, une « rassurante » main masculine est posée sur son épaule.

Le logo de Djezzy, la main rassurante et le centre de l’image dessinent une ligne de fuite sur toute la diagonale de l’image.

Cette présence rassurante est confortée par l’emploi de l’adjectif possessif « mon » dans l’accroche. Impliqué dans le message, l’annonceur affiche sa volonté de plaire en installant un dialogue entre lui et ces « partenaires » qu’il interpelle à travers le pronom « vous ». Une relation de proximité fleuretant avec l’intimité que charrie connotativement le mot « partenaire » est définitivement installée.

Les différentes valorisations étudiées seront projetées de la façon suivante :

Image 1000020100000280000001210CBC0FFD.png

Malgré l’absence d’une référence explicite à la dimension ludique, cette dernière elle existe quand même : la position de la voiture est une promesse de maniabilité, donc du plaisir à conduire en milieu urbain, malgré la densité de la circulation. La dimension utopique est bien présente, puisque le slogan apporte la promesse principale : « vous pouvez compter sur nous ». Cette idéalisation à travers la présence de la femme sereine, souriante et heureuse d’utiliser l’opérateur de la téléphonie mobile Djezzy.

La publicité a considérablement impacté le modèle social et culturel en Algérie et le statut de la femme, malgré le lourd carcan de la tradition patriarcale évolue positivement.

À l’instar de l’effet d’influence observé dans les sociétés occidentales, le modèle social en Algérie, sous l’effet de la publicité dans un monde globalisé, épouse de plus en plus les contours de du modèle de consommation de masse et installe durablement une culture aux antipodes de ce qui avait cours jusque-là..

Même si l’on peut dénoncer la réduction de la femme à un objet dans la communication publicitaire, cette dernière a permis de faire évoluer la cause sociale qu’elles portent.

3.2. Et la vache rit encore

Affiche n° 23 : Pour bien grandir dans sa tête. La vache qui rit.

Affiche n° 23 : Pour bien grandir dans sa tête. La vache qui rit.

En head-line de l’affiche publicitaire du fromage « la vache qui rit », « nouvelle formule enrichie en zinc » est une information très importante indiquant qu’il s’agit d’un produit d’excellente source d’un nutriment bénéfique à la santé. Cette phrase d’assise, devise de la firme, se reflète dans l’accroche de la réclame.

En base line, « Pour bien grandir aussi dans sa tête », le publicitaire indique encore une autre fois que le fromage « la vache qui rit » a surtout des bienfaits pour les enfants, pour qu’ils grandissent bien dans leur tête.

Le texte précédant la base line, constitue « l’élément analytique à dominante rationnelle du texte publicitaire, il fournit la composante digitale par excellence de l’annonce, avec son déploiement syntagmatique, sa progression en arguments et contre arguments, son articulation en séquence et en sous-séquences, matérialisées ou non par une segmentation typographique en paragraphes » (Adam et Bonhomme, 2007 : 62)

« Le zinc est un nutriment indispensable au bon fonctionnement des cellules du cerveau, il agit comme un neurotransmetteur qui aide les neurones à communiquer entre eux. Ce qui permet d’apprendre, mémoriser et réfléchir »

L’image présente un préadolescent portant dans sa main une tartine de fromage « la vache qui rit ». Souvent présents dans les publicités, les enfants constituent des sujets attendrissants utilisés par les annonceurs pour créer des publicités amusantes, faciles à retenir et percutantes.

La valorisation pratique du produit se trouve dans une nouvelle formule enrichie en zinc. En projetant cette analyse sur le carré sémiotique, nous obtiendrons :

Image 1000020100000280000000E7A0839A43.png

3.3. D’un désir d’être

Affiche n° 34 : Un look par jours, ma Clio tous les jours

Affiche n° 34 : Un look par jours, ma Clio tous les jours

L’accroche ou le head-line en tête d’annonce constitue la devise du produit. Elle vise à capter l’attention du lecteur et à faire mémoriser la promesse publicitaire. De courte durée de vie, « Elle est caractérisée par son aspect ponctuel et son engagement, ainsi que par son immédiateté » (Adam et Bonhomme 2007 : 59).

L’image de cette publicité présente une voiture citadine destinée aux urbains. Sa valorisation pratique est en étroite relation avec les fonctionnalités qu’elle offre dans le paysage urbain : sa taille et sa maniabilité lui permettent de s’insérer facilement dans le flux de la circulation tout en nécessitant peu de place pour le stationnement.

Sur l’image, on peut voir, à droite de l’affiche, trois jeunes et jolies femmes. Qui laisse supposer que le produit présenté convient parfaitement à la gent féminine, urbaine et active, présentée ici tout en mouvement et dans un dynamisme sans égal. Le produit se confond avec sa cible.

Les personnages féminins signalent directement le segment de clientèle visé : les femmes jeunes (par opposition, en Algérie, à la plupart des femmes d’ancienne génération, qui n’avaient pas le désir, ou la volonté, ou le droit de conduire). À cet aspect dénotatif s’ajoute le connotatif : jeunesse = modernité = évolution (vs tradition).

La valorisation critique qui met en avant le rapport qualité-prix et qui est mise en opposition à la valorisation ludique est percevable à travers le prix de Renault Clio et la mention en tête du panneau « à partir de » et « soit une remise de ».

Image 1000020100000280000000F07A5B3575.png

Malgré l’absence d’une manifestation explicite de la dimension ludique, cette dernière existe quand même : la position de la voiture est une promesse de maniabilité, donc du plaisir à conduire en milieu urbain, malgré la densité de la circulation. La dimension utopique est bien présente, puisque le slogan apporte la promesse principale : du « look ». Cette idéalisation à travers la présence des trois femmes, joyeuses, souriantes et heureuses de posséder la « clio ».

La présence féminine est une nouveauté dans la publicité automobile en Algérie et elle est révélatrice : CLIO peut être une voiture pour femme, car elle est facile à conduire, si l’on tient compte de ses valorisations pratique et ludique. Apportant une certaine sensualité, cette présence féminine est un « élément enchanteur » que Goffman (1988 : 157) a évoqué et qui vient « […] apporter au produit son approbation et l’éclat de sa personne, que ledit produit soit un balai, un insecticide, un siège orthopédique, une carte de crédit […] ».

3.4. D’un désir d’avoir pour être

Affiche N° 5 : Sunny : Ne la convoitez plus, possédez-là !

Image 1000020100000280000000D3EB1B193E.png

La phrase d’assise de SUNNY « Ne la convoitez plus, possédez-la » est une invitation à adopter un nouveau mode de vie en changeant de voiture ou en à acquérir une Sunny. L’émetteur (annonceur) s’implique pleinement dans son énoncé. La voiture va contribuer à améliorer la vie de ceux qui la possèdent.

En head-line, l’annonceur commence par présenter le modèle aux lecteurs « SUNNY » pour révéler ensuite ce que cette voiture pourrait représenter pour le lecteur. Le nom de la voiture est écrit en lettres capitales blanches sur fond noir, en dessous avec les mêmes caractéristiques « shift…the way you move ». En base line, le publicitaire nous indique le prix « À partir de 820 000 DA ».

En projetant cette analyse sur le carré sémiotique, nous obtiendrons :

Image 10000201000002800000007A530F8598.png

L’annonceur interpelle ses consommateurs et leur recommande de la posséder. L’idée donnée du prix explique et reflète cette supériorité. L’idée de « la posséder » projette le récepteur dans l’idée d’un voyage en première classe avec le confort et le luxe que cette classe peut procurer. C’est aussi une marque de prestige.

L’incitation à adopter une nouvelle attitude en choisissant le produit est explicite à travers le mode impératif.

4. Conclusion

La publicité a des visées commerciales, mais aussi sociales et idéologiques. Elle est considérée comme la « langue dominante » de la culture, une langue sociale, sans doute le système d’information le plus important de l’histoire dans la mesure où elle peut toucher tous les secteurs et tous les domaines. La publicité peut aussi être considérée comme l’écho et le miroir d’une société dont elle met en scène d’une façon stéréotypée les modes de consommation et les fantasmes.

Si le but premier de la publicité est de vanter les qualités d’un produit, elle configure aussi les modèles sociaux en construisant des projections et en rendant possibles des attentes. Elle met en spectacle le monde de tous les possibles et contribue de ce fait à construire des sociétés de consommation émancipées de leurs modèles sociaux.

D’un mot, la publicité, loin de nous vendre un produit, nous séduit en mettons à notre portée nos désirs d’être.

Le travail que nous proposons dans cet article consiste à analyser la publicité dans sa dimension socioculturelle. Nous avons tenté, à travers la présente communication, de mener une expédition dans le domaine de la sémiotique de la publicité essentiellement la sémiotique des valeurs de marque de jean Marie Flosh.

1 J-M. Floch intitulé Sémiotique, marketing et communication. Sous les signes, les stratégies,

2 Publicité de Djezzy Voir El Watan 23/09/2010.

3 Publicité pour ‘la vache qui rit’. Voir Le Quotidien d’Oran 11/09/2012.

4 Publicité pour la nouvelle Renault Clio. Voir El Watan 10/12/2013.

Adam, J-M., Bonhomme, M. 2007. L’argumentation publicitaire. Rhétorique de l’éloge et de la persuasion. Paris : Armand Colin.

Cathelat, B. 2001. Publicité et société. Paris : Payot, Rivage.

Floch, J-M. 1990. Sémiotique, marketing et communication. Sous les signes les stratégies. Paris : PUF

Floch, J-M, Identités visuelles, Paris, Puf, coll. « Formes sémiotiques », 1995.

Joly, M.. 1993. Introduction à l’analyse de l’image, Paris, Nathan.

Klinkenberg, J-M.1996. Précis de sémiotique générale. Paris : De Boeck Université

1 J-M. Floch intitulé Sémiotique, marketing et communication. Sous les signes, les stratégies,

2 Publicité de Djezzy Voir El Watan 23/09/2010.

3 Publicité pour ‘la vache qui rit’. Voir Le Quotidien d’Oran 11/09/2012.

4 Publicité pour la nouvelle Renault Clio. Voir El Watan 10/12/2013.

Affiche n° 1 : DJEZZY, ce qui compte pour mon entreprise, c’est un partenaire qui nous comprend.

Affiche n° 1 : DJEZZY, ce qui compte pour mon entreprise, c’est un partenaire qui nous comprend.

Affiche n° 23 : Pour bien grandir dans sa tête. La vache qui rit.

Affiche n° 23 : Pour bien grandir dans sa tête. La vache qui rit.

Affiche n° 34 : Un look par jours, ma Clio tous les jours

Affiche n° 34 : Un look par jours, ma Clio tous les jours

Stambouli khadidja

Université Ahmed Ben Ahmed, Oran 2

© Tous droits réservés à l'auteur de l'article