Quelques aspects formels des proverbes kabyles d’Ait Smail

بعض أشكال الأمثال القبائلية لأيت إسماعيل

Some formal aspects of the Kabyle proverbs of Ait Smail

Kra n talγiwin n yinzan n Leqbayel n Ayt Smaɛel 

Hachemi Kerrache

p. 379-394

Hachemi Kerrache, « Quelques aspects formels des proverbes kabyles d’Ait Smail », Aleph, 11(5-2) | 2025, 379-394.

Hachemi Kerrache, « Quelques aspects formels des proverbes kabyles d’Ait Smail », Aleph [], 11(5-2) | 2025, 14 April 2023, 22 December 2024. URL : https://aleph.edinum.org/13281

Ce présent article a pour objectif principal de mettre en lumière les différentes formes et structures des proverbes kabyles d’Ait Smail, une région située à l’extrême-est de la wilaya de Bejaia et de la Kabylie. La région d’Ait Smail, peu explorée et souvent ignorée par les chercheurs et universitaires en études berbères, demeure méconnue tant pour sa richesse culturelle que pour ses spécificités linguistiques. À travers cette étude, l’article vise à combler cette lacune en présentant la variété et la complexité des proverbes qui constituent une part essentielle de la tradition orale de cette contrée.

يهدف هذا المقال بشكل رئيسي إلى تسليط الضوء على الأشكال المختلفة والبُنى الخاصة بالأمثال القبائلية لآيت إسماعيل، وهي منطقة تقع في أقصى شرق ولاية بجاية والقبائل. تُعتبر منطقة آيت إسماعيل منطقة قبائلية غير مستكشفة وغير معروفة وغير مستغلة أو متجاهلة من قبل معظم الباحثين والعلماء في مجال الدراسات البربرية. من خلال هذه الدراسة، يسعى المقال إلى سد هذه الفجوة من خلال تقديم تنوع وتعقيد الأمثال التي تشكل جزءًا أساسيًا من التراث الشفهي لهذه المنطقة.

This article primarily aims to highlight the various forms and structures of the Kabyle proverbs of Ait Smail, a region located in the far east of Bejaia and Kabylia. The Ait Smail area, considered unexplored, unknown, and untapped by most researchers and scholars in Berber studies, is often overlooked. Through this study, the article seeks to fill this gap by presenting the diversity and complexity of the proverbs that are an integral part of the oral tradition of this region.

Agzul

Arrat-a d win ara d-yawin anadi s wudem agejdan ɣef kra n talɣiwin yemgaraden yellan deg yinzan n Leqbayel n Ayt Smaɛl, yiwet n temnaḍt i d-yezgan deg usamer n ugezdu n Bgayet d Tmurt n Leqbayel. Temnaḍt-a n Ayt Smaɛl teqqimm ur tettwassen ara ɣer yimnadiyen, ulac fell-as iqeddicen usnanen neɣ ahat zeglen-tt, ǧǧan-tt. D yiwet n tama ideg ur mmugent ara fell-as tezrawin sɣur imusnawen d yisdawiyen iqedcen deg taɣult n tezrawin timaziɣin.

Awalen n Tsura

Inzi, tasninzant, timenni, talɣa, tasekka

Introduction

Les proverbes constituent une forme essentielle du patrimoine linguistique et culturel, jouant un rôle déterminant dans la transmission des savoirs, des valeurs et des normes sociales. En linguistique, ils sont souvent étudiés comme des énoncés figés qui combinent des structures syntaxiques spécifiques et des significations culturelles profondes (Dundes, 1981). Sur le plan anthropologique, les proverbes sont perçus comme des vecteurs de mémoire collective, reflétant des préoccupations universelles tout en incarnant des spécificités culturelles.

L’analyse des proverbes kabyles, en particulier ceux des Aït Smail, s’inscrit dans cette double perspective linguistique et culturelle. Leur diversité morphosyntaxique et leur richesse stylistique, souvent marquée par l’usage de rimes et de métaphores, en font un objet d’étude pertinent pour comprendre les dynamiques de la langue kabyle et les réalités socio-culturelles qu’elle exprime.

Cette étude s’intéresse à un aspect fondamental du patrimoine oral kabyle : le proverbe. Reconnus pour leur rôle dans la transmission des savoirs et des valeurs, les proverbes constituent un genre littéraire à part entière, qui mérite une attention particulière tant pour ses spécificités linguistiques que pour ses dimensions socioculturelles.

Dans un premier temps, cette recherche s’attache à définir les principaux éléments méthodologiques et théoriques nécessaires à l’analyse du proverbe en tant que genre littéraire oral. Dans un second temps, elle se consacre à la description et à l’analyse des formes linguistiques, qu’elles soient fréquentes ou rares, présentes dans les proverbes de la région d’Aït Smaïl. Cette approche vise à mettre en lumière les mécanismes linguistiques et stylistiques qui ont permis à ces proverbes de survivre et de s’inscrire durablement dans la mémoire collective.

Le corpus étudié comprend 525 proverbes, recueillis auprès des populations locales d’Aït Smaïl, notamment dans le village de Taregragt, chef-lieu de la commune. Cette dernière est située à l’extrême est de la wilaya de Béjaïa. La collecte a été réalisée grâce à la collaboration d’informateurs issus de diverses tranches d’âge, niveaux d’instruction et professions, ce qui confère au corpus une représentativité significative.

Pour l’analyse des proverbes, nous avons adopté une transcription basée sur la notation usuelle de la langue kabyle, établie en 1996 par un collectif de linguistes et de chercheurs spécialisés. Ce système de transcription moderne, qui vise à refléter les particularités phonétiques, morphosyntaxiques et lexicales de la langue kabyle, a été retenu pour sa précision et sa facilité d’utilisation. Il permet non seulement une lecture accessible à un large public, mais aussi une analyse rigoureuse des unités linguistiques.

L’approche adoptée met un accent particulier sur le niveau morphosyntaxique, sans négliger pour autant les niveaux phonétique et lexical. En effet, le choix d’une analyse morphosyntaxique approfondie s’impose dans la mesure où cette étude vise à explorer les structures formelles des proverbes pour mieux comprendre leur efficacité communicative, leur capacité de mémorisation et leur pérennité.

Le proverbe, en tant que genre littéraire oral, se distingue par des caractéristiques formelles précises qui facilitent sa mémorisation et sa transmission. Parmi celles-ci, la concision des idées, l’économie des mots et l’utilisation des rimes jouent un rôle fondamental dans l’ancrage des proverbes dans la mémoire collective. Ces propriétés linguistiques et stylistiques constituent un champ d’investigation essentiel pour cette recherche.

Ainsi, cette étude vise à répondre à une problématique centrale : quels sont les aspects formels et linguistiques qui confèrent aux proverbes kabyles de la région d’Aït Smaïl leur pouvoir de fixation et de transmission à travers les générations ? Pour y répondre, nous commencerons par une présentation théorique du proverbe en tant que genre littéraire, avant de nous pencher sur une analyse détaillée des proverbes collectés dans notre corpus.

1. Quelques définitions du proverbe

Le proverbe, en tant qu’objet d’étude de la parémiologie, occupe une place importante dans les traditions orales et écrites des sociétés. Son universalité et sa pérennité témoignent de son rôle dans la transmission des savoirs, des valeurs et des expériences culturelles. Cependant, définir le proverbe et en cerner les caractéristiques soulève plusieurs questions : qu’est-ce qu’un proverbe dans sa dimension universelle et culturelle ? Comment les langues, comme le kabyle, appréhendent-elles ce concept et en forgent-elles des définitions adaptées à leurs contextes linguistiques et sociaux ?

Le proverbe se caractérise par sa brièveté, sa concision et sa syntaxe particulière, qui permettent son insertion spontanée dans les discours pour résoudre des problèmes ou clarifier une situation. Selon le Petit Larousse (2014 : 935), il s’agit d’un « court énoncé exprimant un conseil de sagesse ou une vérité d’expérience et qui est devenu d’usage commun ». Cette définition met en évidence son ancrage dans la tradition populaire et sa fonction pédagogique.

En langue kabyle, le terme « proverbe » n’a pas d’équivalent direct. Le mot lemtel, d’origine arabe, signifiant une similitude entre deux choses, a longtemps été utilisé. Toutefois, les linguistes berbérisants proposent aujourd’hui le terme inzi, issu du touareg anhi, pour désigner le proverbe dans un contexte kabyle (Haddadou, 2009 : 43).

Pour Y. Nacib (2009 : 14), trois éléments définissent le proverbe kabyle : l’éthique, la sagesse et l’oralité. Ces dimensions traduisent des valeurs locales tout en restant applicables à d’autres communautés. S. Moy (2012 : 03) décrit le proverbe comme une locution courte qui révèle des connaissances empiriques et des recommandations issues de l’expérience collective.

F. Bentolila (1993 : 10) insiste sur l’aspect esthétique du proverbe : « le proverbe est comme l’aboutissement d’une création artistique de la langue en une formule lapidaire avec des images fortes et une vérité bouleversante ». Il reflète une sagesse ancestrale, synthétise des situations complexes et constitue une source précieuse d’autorité culturelle.

En contexte kabyle, C. Lacoste-Dujardin (1993 : 289) souligne que les proverbes sont souvent issus de poèmes rimés ou rythmés, intégrés dans les narrations orales et les conversations quotidiennes. Cette poésie condensée, ancrée dans la littérature orale, en fait un outil privilégié de communication et de transmission des savoirs.

Le proverbe, par sa richesse et sa diversité, transcende les particularités linguistiques pour s’affirmer comme un témoignage universel de l’expérience humaine. Cependant, ses définitions varient selon les contextes culturels et linguistiques, comme l’illustre le cas de la langue kabyle. Une problématique possible pour approfondir cette étude pourrait être : Comment les proverbes kabyles traduisent-ils les valeurs éthiques et sociales spécifiques à leur culture, tout en participant à un patrimoine universel de sagesse populaire ?

2. Les formes des proverbes kabyles des Aït Smail

L’étude des proverbes kabyles revêt une importance particulière en tant que vecteurs de transmission culturelle et linguistique. Ces formes d’expression condensée permettent de saisir non seulement les structures grammaticales et syntaxiques de la langue kabyle, mais aussi les valeurs, les croyances et les modes de pensée de la communauté. Cette section examine les différentes formes des proverbes kabyles présents dans notre corpus, afin de mettre en lumière leur diversité structurelle et leurs fonctions communicatives.

2.1. La forme en une seule partie

La forme des proverbes kabyles des Aït Smail en une seule partie est considérée comme la plus brève et la plus fréquente. Elle se compose d’une seule phrase, généralement simple, qui condense un message riche en sens. Les exemples ci-dessous illustrent cette caractéristique :

  • Ameyyez qbel uneggez : La réflexion avant le saut (prov. 66)

  • Deg ddiq i d-yettbin urfiq : C’est dans l’ardeur qu’un ami se manifeste (prov. 182)

  • Aselluf yeɣleb aḥelluf : Un mouchard a battu un cochon (prov. 94)

Ces proverbes, formellement courts, transmettent des messages directs et universels, souvent liés à la sagesse ou à des leçons de vie. Ils se composent généralement de deux à cinq mots, ce qui renforce leur caractère mémorable et leur capacité à être transmis oralement. Cette brièveté témoigne de l’économie linguistique propre aux formes orales, où chaque mot compte et contribue à l’impact du message.

2.2. La forme en deux parties

La forme en deux parties est une structure fréquente dans notre corpus. Elle se présente sous la forme d’une phrase simple complétée par une proposition subordonnée ou une phrase complexe. Cette structure permet d’établir un lien logique entre deux idées, souvent par le biais d’une explication ou d’une conséquence.

  • Awal ma wezzel yefra, ma ɣezzif di-d-yawi kra : Un discours court est adéquat, mais s’il est long, il provoquera une gêne (prov. 109)

  • S timmi, i wumi imi : Par les sourcils, on n’a pas besoin de la bouche (prov. 307)

  • Ttɣiben wudmawen, ttkkaren-d yismawen : Les vrais hommes disparaissent, leurs noms restent éternellement (prov. 378)

Dans ces exemples, la structure en deux parties crée une progression logique qui renforce la portée du message. La première partie introduit une idée ou un contexte, tandis que la seconde apporte une conclusion, une leçon ou un contraste. Ces constructions illustrent également le rôle de la langue kabyle dans la transmission de la sagesse collective, en associant l’oralité à une réflexion structurée.

2.3. La forme en trois parties

Cette troisième forme se distingue par la présence de trois parties ou propositions, reliées par des relations grammaticales, syntaxiques ou sémantiques complexes. Elle est relativement rare dans le corpus et se caractérise par une structure plus élaborée, souvent utilisée pour exprimer des idées nuancées ou complexes.

  • Am win ixeddmen ar xalt-is, netta yqqar d-irebḥeɣ, nettat teqqar-as ixeddem blac : C’est comme celui qui travaille chez sa tante, il parle de sa fortune, et elle parle de son aide (prov. 52)

  • Ass n waṭu ṭṭes-es, ass n ubruri dduri-as, ass n wegrus fukent tkerkas : Le jour du vent, allonge-le ; le jour de la pluie, tais-le ; le jour du verglas est la fin des mensonges (prov. 101)

  • Yiwen yezwej, wayeṭ yemrej, wa-nniṭen yuɣ-int deg tigert yimejj : Il y a un vrai marié, un déséquilibré, et celui qui a reçu un coup sur la tête (prov. 474)

Cette structure en trois parties reflète une approche plus narrative, où chaque proposition enrichit le sens général du proverbe. Les rimes et l’harmonie phonétique, caractéristiques des proverbes kabyles, renforcent leur esthétique tout en facilitant leur mémorisation. Ces proverbes permettent également de transmettre des valeurs culturelles, comme l’importance de la cohésion sociale ou le respect des traditions.

En somme, l’étude des formes des proverbes kabyles révèle une richesse linguistique et culturelle qui mérite une attention particulière. Ces formes, qu’elles soient simples ou complexes, constituent un moyen puissant de transmettre des valeurs, des leçons et des réflexions ancrées dans la culture kabyle. En approfondissant les implications linguistiques et anthropologiques de ces structures, nous pouvons mieux comprendre les dynamiques entre langue, oralité et identité culturelle.

2.4. La forme de quatre parties ou plus

Cette quatrième forme, moins fréquente dans le corpus, peut être qualifiée d’exceptionnelle. Composée de quatre parties ou plus, elle adopte généralement une structure proche de celle des vers poétiques. En effet, ces proverbes s’apparentent à des strophes bien formulées, mettant en avant un équilibre entre contenu et forme.

  • Ur ferreḥ a bu yirden imi akuz yella, ur ferreḥ a bu yergazen imi lmut tella : Ne te réjouis pas de celui qui possède des garçons, ni de celui qui a du blé. Ne sois pas toujours fier, car il faut souvent s’attendre à la maladie ou à la mort (prov. 397).

  • Hedren i win ifehmen, yessen, wama win ur nfehhem yettawi lewhi s wallen : Ils parlent à celui qui est malin et compétent, tandis que l’absurde suit les propos (prov. 199).

  • Ccbiɣ igider amerẓu, int-yuɣen deg wafriwen, ayetma-s safgen, netta yettwehhi s wallen : Je ressemble à l’aigle blessé ; ses frères se sont envolés, et lui, il suit des yeux (prov. 150).

Ces proverbes illustrent un effort esthétique manifeste, où chaque partie contribue à transmettre un message complexe en s’appuyant sur des images poétiques et une rime élaborée. Ces formes traduisent également un besoin de captiver l’auditeur, renforçant ainsi leur rôle de vecteurs de sagesse populaire et de cohésion sociale.

3. La structure des proverbes kabyles des Aït Smail


Les proverbes des Aït Smail se caractérisent par une grande richesse morphosyntaxique et stylistique. Cette variété reflète à la fois les spécificités linguistiques de la région et les contextes socioculturels qui ont inspiré leur production. Leur syntaxe, souvent marquée par une économie des mots et une densité sémantique, joue un rôle crucial dans leur diffusion et leur mémorisation.

Selon Dundes (1981), l’efficacité d’un proverbe réside dans sa capacité à condenser des idées complexes en une forme concise et marquante. Cette observation s’applique particulièrement aux proverbes kabyles, dont les structures syntaxiques variées permettent d’exprimer des vérités universelles tout en reflétant des réalités locales.

3.1. La phrase simple

Une part importante des proverbes du corpus se présente sous forme de phrases simples. Ces dernières, bien que parfois proches des expressions idiomatiques, sont reconnues comme des proverbes à part entière par les locuteurs des Aït Smail.

  • Abẓiẓ d gma-s n ujraḍ : Le criquet est le frère de la sauterelle (prov. 014).

  • Am tmes ddaw walim : C’est comme un feu sous une paille (prov. 050).

  • Amattar itetter wayeṭ : Un mendiant sollicite un autre (prov. 057).

Ces proverbes, construits autour d’une seule proposition, illustrent la capacité du langage proverbial à utiliser des structures simples pour véhiculer des enseignements profonds. Par exemple, l’image du « criquet frère de la sauterelle » renvoie à une analogie frappante entre des entités proches, soulignant l’interconnexion des éléments dans un environnement donné.

3.1.1. La phrase nominale

Les proverbes kabyles des Aït Smail se caractérisent par une forte prédominance de structures nominales, qu’elles soient simples ou complexes. Ce type d’énoncé joue un rôle important dans la transmission des savoirs et des valeurs au sein de la communauté. Selon Dundes (1981), les proverbes sont des « microcosmes » de la culture, encapsulant des enseignements moraux et sociaux à travers des constructions linguistiques simples mais profondes. Les proverbes suivants illustrent bien ce phénomène :

  • Tasekkurt timellalin : Perdrix et œufs (prov. 343)

  • Irden irden, Rebbi yerẓa ifassen : Blé, blé, le Dieu a cassé les mains (prov. 223)

  • Irgazen d ismawen mačči d udmawen : Les hommes sont des noms et non des visages (prov. 224)

Dans le premier exemple, le proverbe est constitué uniquement de noms, il commence et se termine par un nom, renforçant ainsi la stabilité et l’immuabilité des idées exprimées. Dans le deuxième exemple, bien que le proverbe commence par un nom, il inclut également un verbe, ce qui introduit une dynamique de changement, souvent associé à l’action divine ou au destin. Le troisième exemple commence par un nom et est suivi d’autres noms grâce à certains éléments syntaxiques. Cette construction souligne l’importance des identités sociales dans la culture kabyle, où la personne est souvent perçue à travers ses fonctions et ses désignations plutôt que par son apparence physique.

Selon Jakobson (1960), cette forme de structure, où les noms sont utilisés pour désigner des concepts et des rôles sociaux, relève de l’économie du langage dans les proverbes, favorisant une transmission concise et percutante des idées. En Kabylie, les proverbes sont non seulement un moyen d’exprimer des vérités universelles, mais aussi un outil de cohésion sociale, permettant de renforcer les liens communautaires par la répétition de normes et de valeurs.

3.1.2. La phrase verbale

Bien que l’on trouve une forte prédominance des phrases nominales, l’utilisation des phrases verbales reste courante, bien que moins fréquente. Ces phrases verbales, souvent plus dynamiques, illustrent les actions et les transformations. Elles font écho aux valeurs du travail, de l’effort et du changement, qui sont au cœur de la culture kabyle. Les proverbes suivants offrent des exemples clairs :

  • Iceṭṭeḥ i tallest : Il danse dans l’obscurité (prov. 212)

  • Iceṭṭeḥ i uderɣal : Il danse pour l’aveugle (prov. 213)

  • Teqqel tqibalt d tasawent : Une plaine est devenue une côte (prov. 364)

Dans le premier exemple, l’action de « danser » se déroule dans un contexte d’obscurité, ce qui peut symboliser une situation difficile ou un effort qui se fait sans reconnaissance immédiate. Selon Dundes (1981), les proverbes qui mettent en scène des actions sont souvent utilisés pour exprimer des enseignements pratiques, comme la persévérance face à l’adversité. Le second proverbe illustre l’idée de faire des efforts pour un résultat qui ne sera pas nécessairement visible ou reconnu, en l’occurrence par « l’aveugle », symbolisant peut-être l’incompréhension ou l’injustice.

Le troisième proverbe évoque un changement concret – une plaine devenue une côte – qui peut symboliser la transformation, l’adaptation au changement, ou même l’élévation sociale et personnelle. L’utilisation du verbe « teqqel » (devenir) souligne l’idée de transformation, un concept qui est très présent dans les proverbes kabyles, où l’effort et la patience sont valorisés.

Les proverbes kabyles jouent un rôle fondamental dans la transmission des valeurs sociales et culturelles. Ils sont porteurs de la sagesse ancestrale et permettent à la communauté de se transmettre des normes et des croyances partagées. Selon Barthes (1970), le proverbe fonctionne comme un « mythe » dans une culture, condensant un savoir complexe et le rendant accessible à tous. En Kabylie, les proverbes sont souvent utilisés dans le discours quotidien pour enseigner, punir ou justifier des comportements.

L’importance de la structure dans ces proverbes est également liée à la manière dont les Aït Smail voient le monde. Par exemple, la distinction entre la phrase nominale et verbale n’est pas seulement une question de structure grammaticale ; elle reflète également une conception du monde où l’immuable (les noms) et le changeant (les verbes) coexistent et sont chacun valorisés dans leur propre domaine. Ainsi, les proverbes kabyles, tout en étant des outils linguistiques, deviennent aussi des instruments de régulation sociale, permettant de renforcer l’ordre social et de maintenir l’unité au sein de la communauté.

L’analyse morphosyntaxique des proverbes kabyles des Aït Smail nous permet de comprendre non seulement la structure linguistique de ces énoncés, mais aussi les implications culturelles profondes qui les sous-tendent. Les proverbes kabyles sont des véhicules de savoirs sociaux et moraux, qui se transmettent de génération en génération pour renforcer la cohésion communautaire et la transmission des valeurs. Ils illustrent la manière dont la langue et la culture s’entrelacent pour maintenir des normes et des croyances collectives, à travers une structure linguistique à la fois simple et dense. Ainsi, les proverbes kabyles sont des témoins précieux de la pensée collective de cette communauté et de sa vision du monde.

3.2. La phrase complexe

Les énoncés sous forme de phrases complexes sont largement attestés dans l’ensemble des proverbes de notre corpus. Une phrase complexe est une structure linguistique qui contient plusieurs propositions liées entre elles. Les combinaisons entre ces propositions sont souvent bien équilibrées, créant une unité et une harmonie dans l’expression des idées. Ainsi, la phrase complexe permet d’exprimer des relations de cause, de condition, de concession, ou de conséquence entre les propositions. Ce type de structure est largement utilisé dans les proverbes kabyles, comme le montrent les exemples suivants :

  • Telha nneya lukan ur tessengar ula aytmaten : « La naïveté est bonne mais elle fait anéantir les frères » (prov. 359)

  • Yenna-yas imerẓizwit i mmi-s : ḥader qbel iɣli ma teɣli dayen : « Une guêpe disait : Faites-vous attention avant la perte, mais après à quoi bon » (prov. 487)

  • Yiwen yezwej, wayeṭ yemrej, wa-nniṭen yuɣ-int deg tigert yimejj : « L’un est marié, un autre est déséquilibré et l’autre a reçu un coup sur sa tête » (prov. 510)

Cette utilisation de la phrase complexe permet aux proverbes kabyles d’exprimer des idées nuancées et de développer des relations entre des événements ou des concepts qui ne seraient pas aussi clairs dans une phrase simple.

3.2.1. La combinaison conditionnelle

Une phrase conditionnelle est une forme de phrase complexe qui contient une proposition subordonnée introduisant une condition nécessaire pour que l’action exprimée dans la proposition principale se réalise. Cette structure est souvent accompagnée de connecteurs comme « si », « lorsque », ou « tant que ». En kabyle, cette combinaison est courante dans les proverbes, exprimant ainsi des conditions sous forme de cause et d’effet. Exemples :

  • Ixxamen n medden weɛren, ma ur im-nɣan di-m-sṭeɛfen : « Les maisons des étrangers sont pénibles ; si elles ne tuent pas, elles font maigrir » (prov. 242)

  • Lalla ɛddudas, lalla-s n tullas, iṭṭarren-is d izehranen, aqerruy-is d aferṭas, lmakla-s d abazin, yerna d amessas, yesɛa baba-s igelban n temẓin, xeṭṭben-att kul ass. : « La belle Addudas, la belle des femmes, ses pieds sont évasés, sa tête est dénudée, son manger sans sel, son père possède des sacs d’orges, et tous les jeunes du village demandent sa main. » (prov. 253)

  • Inebgi ma yensa ibekker am ugṭiṭ ma yefferfer, ma yensa yerna yefṭer yestahel tiyti s lmeẓber : « Un invité ayant passé une nuit et partira tôt est comme un oiseau qui s’envole, et celui qui passe la nuit et prend part au dîner mérite un coup de hache » (prov. 223)

Dans ces proverbes, la proposition subordonnée conditionnelle introduit la condition qui doit être remplie pour que l’action de la proposition principale puisse se réaliser, offrant ainsi des informations précises sur les conséquences attendues dans un cadre donné.

3.2.2. La combinaison avec un verbe introducteur

Le verbe introducteur joue un rôle crucial dans la construction de la phrase complexe, en introduisant un acte de parole ou de réflexion. Ce type de construction permet de rapporter des propos ou des réflexions, souvent attribuées à des sages ou à des figures d’autorité. L’utilisation du verbe introducteur met en lumière l’acte de discours lui-même et fournit un cadre pour comprendre l’intention derrière les paroles exprimées. Voici des exemples :

  • Yenna-yas imerẓizwit i mmi-s : ḥader qbel iɣli ma teɣli dayen : « Une guêpe disait : ’Faites-vous attention avant la perte, mais après à quoi bon’ » (prov. 487)

  • Yenna-yas ubufekran ; ankka segmi id-nekker : « Une tortue disait : ’C’est comme ça roule depuis notre existence !’ » (prov. 488)

  • Yenna-yas uɣyul ; eğğ-iyi kan ad serseɣ icenfiren-iw ɣef temẓin : « L’âne disait : ’Laisses-moi seulement poser mes lèvres sur l’orge’ » (prov. 489)

Le verbe introducteur (« yenna ») dans ces proverbes introduit des paroles rapportées, établissant une relation entre celui qui parle et ce qui est dit. Ce procédé est fréquent dans les proverbes kabyles, car il permet de formaliser un discours souvent empreint de sagesse populaire.

3.2.3. La combinaison avec subordination

La subordination dans les phrases complexes permet d’introduire des relations plus subtiles entre les propositions, comme la cause, l’opposition ou la conséquence. Cette structure permet de lier des propositions de manière plus complexe, souvent pour exprimer des idées plus détaillées ou nuancées. Dans les proverbes kabyles, la subordination permet de marquer la dépendance d’une idée par rapport à une autre, comme le montrent les exemples suivants :

  • Tafruxt turu, afrux yesqaqay : « La poule accouche et le coq chante » (prov. 332)

  • Ur ttgalla, ur ḥennet : « Ne jurez pas et ne vous renoncez pas » (prov. 412)

  • Ur ttafeg ur ttanez : « Ne pas avoir l’esprit de grandeur et ne pas s’incliner » (prov. 410)
    Les propositions sont subordonnées pour exprimer des idées opposées ou complémentaires, donnant ainsi à la phrase une structure plus complexe.

3.2.4. La combinaison binaire

La combinaison binaire dans une phrase complexe se produit lorsque deux propositions sont liées entre elles, mais sans l’interdépendance forte de la subordination. Les propositions sont souvent juxtaposées par des connecteurs comme « et », « ou », ou « mais », ce qui permet de lier les deux propositions tout en maintenant une certaine autonomie. Cette forme est courante dans les proverbes kabyles, où l’on exprime souvent des idées en parallèle, comme dans ces exemples :

  • Ečč aḥrif seddeq wayeṭ : « Manger une darne et offrir une autre » (prov. 189)

  • Ečč amur-ik tqemcet tiṭ-ik : « Manger ta part et fermer ton œil » (prov. 190)

  • Ečč drus tasɣet lmus : « Manger peu et acheter un couteau » (prov. 192)

Dans ces proverbes, les propositions sont présentées comme deux actions qui se produisent simultanément ou qui se complètent. L’usage de la combinaison binaire permet d’articuler ces actions de manière simple, mais efficace, dans une même structure.

3.2.5. La phrase interrogative

La phrase interrogative est une structure qui permet de poser une question, généralement dans le but de rechercher une information ou de provoquer une réflexion. Dans le cadre des proverbes kabyles, les questions peuvent parfois avoir une dimension rhétorique ou être utilisées pour introduire un proverbe qui donne une leçon de sagesse. Les propositions interrogatives sont souvent placées en début de phrase, suivies de la réponse implicite ou explicite, comme dans les exemples suivants :

  • Ani yella uxxam n wuccen ? : « Où est la maison du chacal ? » (prov. 77)

  • Anwa im-icekkren a tislit ? D yemma yerna tella d xalti : « Qui t’a flattée, ô mariée ? C’est ma tante en présence de ma mère. » (prov. 83)

  • Inni-d ani tt-yegra ? ak-d inniɣ ani i tt-yečča : « Dis-moi où il l’a attaqué ? Je vous dirai où il l’a mangé. » (prov. 227)

Les questions dans ces proverbes sont souvent posées de manière implicite, conduisant à une réflexion ou une réponse qui est déjà comprise dans le contexte du proverbe.

3.2.6. La phrase vocative


La phrase vocative est une forme d’interpellation directe, souvent utilisée pour s’adresser à quelqu’un ou pour attirer l’attention de manière marquante. En kabyle, la phrase vocative est utilisée dans des proverbes pour mettre en valeur un personnage ou une idée importante, comme le montrent ces exemples :

  • Ay afus-iw ur xeddem lefsad, ay aqerruy-iw ur ttaggad  : « Oh mon bras, n’aie pas de craintes, Ô ma tête n’avoir pas peur » (prov. 122)

  • Ay aṭar ddu, a tiṭ cfu: « Ô pied marches-tu, ô œil souvient-tu» (prov. 125)

  • Ay izi d aɛuf ik-ɛufeɣ, mačči d aggad i k-ggdeɣ : « Ô mouche marches-tu, ô œil souvient-tu » (prov. 126)

Dans ces proverbes, l’appel direct à une personne ou une chose par l’intermédiaire de la phrase vocative est un moyen de donner du poids à l’énoncé et de renforcer son impact.

Conclusion

Au terme de cet article, nous avons exploré les différentes définitions et éclaircissements théoriques relatifs au proverbe kabyle, en particulier, et à la parémiologie, en général, tels qu’ils ont été présentés par plusieurs théoriciens. Cette étude représente en effet une première tentative d’exploration et d’exploitation de ces concepts dans le cadre de cet article.

Nous avons ensuite analysé les divers aspects formels des proverbes kabyles présents dans notre corpus, en commençant par la description des formes, puis en abordant les structures syntaxiques observables et concrètes. À l’issue de notre analyse, nous avons identifié quatre formes principales qui se distinguent par leur récurrence. Il apparaît que cette fréquence diminue à mesure que le nombre de parties constitutives d’un proverbe augmente. En outre, nous avons constaté la richesse de la structure des proverbes kabyles d’Ait Smail, qui se manifeste par la diversité des formes syntaxiques présentes.

Ainsi, les proverbes kabyles d’Ait Smail révèlent une grande variété d’aspects formels, tant sur le plan syntaxique que morphologique, ce qui en fait un terrain d’étude pluriel et fascinant. C’est pourquoi nous suggérons que d’autres recherches soient menées, notamment sur la morphosyntaxe de ces proverbes, afin d’approfondir la compréhension de leur structure et d’enrichir les perspectives d’étude.

L’étude des proverbes kabyles met en lumière plusieurs aspects culturels et linguistiques significatifs. D’une part, leur diversité morphosyntaxique reflète la richesse de la langue kabyle et sa capacité à intégrer des éléments stylistiques tels que la rime et les images poétiques. D’autre part, ces proverbes révèlent les valeurs et les préoccupations des communautés qui les produisent, notamment leur rapport à la nature, à la famille et à la spiritualité.

Comme l’a souligné Finnegan (1970), les proverbes jouent un rôle essentiel dans les sociétés orales en tant que moyens de transmettre des connaissances et de structurer les interactions sociales. Dans le contexte des Aït Smail, cette fonction se manifeste à travers des proverbes qui, au-delà de leur apparence stylistique, véhiculent des normes comportementales et des leçons de vie.

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Hachemi Kerrache

Université Abderahmane Mira de Bejaia, Algérie

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